Vendredi 7 mars
19h : Je débarque au Poulpe pour venir y écouter chanter l’adorable Lyz’An : c’est toujours agréable de retrouver des compatriotes quand on est à l’étranger… Je suis en avance, ce qui donne à l’intéressée le temps de remarquer ma présence et de me présenter comme un « ami brestois » aux quelques personnes déjà présentes dans cette ressourcerie de la rue d’Oran : l’une d’elles, qui organisera une conférence l’été prochain, en profite pour me demander si je suis capable de dessiner en directe et en public lors d’événements de ce type. Ne voulant pas passer à côté d’une opportunité, je réponds par l’affirmative et j’insiste même sur le fait que je m’en suis fait une spécialité, mettant en avant mon expérience aux journées nationales de psychomotricité. La conversation me donne l’occasion d’apprendre que cette activité graphique un peu spéciale est appelée visual thinking : tel monsieur Jourdain, je faisais donc du visual thinking sans le savoir, je mourrai moins bête !
19h30 : Le concert de Lyz’An débute à l’heure, ce qui me réjouit déjà. J’ai déjà souvent vanté son talent vocal, je ne vais donc pas m’étaler. Si ce n’est plus vraiment une découverte pour moi, je passe quand même un bon moment qui me fait oublier pendant deux heures que je suis si loin de Brest. J’apprendrai tout de même à l’occasion de ce concert que l’accompagnateur de Lyz’An n’est autre que son grand garçon : ce jeune homme est autiste et a tendance à se cacher derrière ses cheveux sur scène. Comme quoi il est possible de concilier vie d’artiste et vie familiale et ça peut même favoriser l’inclusion des proches en situation de handicap !
Lyz'An posant fièrement avec un dessin que j'ai fait pendant le concert :
22h45 : Revenu à l’hôtel, je termine la relecture d’un roman de Nadine Monfils paru en 1995, Une petite douceur meurtrière : c’était le quatrième livre de cette autrice belge – qui en a publié plus d’une cinquantaine depuis ! L’univers de Nadine Monfils foisonne de trouvailles déjantées, à tel point que la mémoire du lecteur ne parvient pas à toutes les retenir : personnellement, j’avais surtout été marqué par le gros dégueulasse (judicieusement prénommé « Porguy ») ramassant une main coupée sur laquelle il se met à fantasmer et par l’adolescente qui porte des lingeries plus que suggestives sous sa tenue de petite fille modèle. Ce n’est qu’avec cette troisième relecture que je m’aperçois que, quinze ans avant l’avènement de Mémé Cornemuse dans Les vacances d’un serial killer, l’esprit de l’autrice était déjà enceint, consciemment ou inconsciemment, de ce personnage de vieille dame indigne et ingérable : prenez Léona, la veuve qui carbure à la trappiste et qui n’en finit pas de vomir sur la mémoire de son défunt mari, et mélangez-la à madame Rosa, la clocharde sans foi ni loi qui prétend lire l’avenir, revendique haut et fort ses goûts douteux et voue un amour sans borne à un « monsieur muscle » hollywoodien[1] : vous obtenez Mémé Cornemuse ! Il ne manquait donc à Léona que la folie de madame Rosa pour ressembler à Cornemuse avec laquelle elle avait déjà en commun une rancune tenace, que même la mort ne peut entamer, contre un mari tyrannique et imbécile… Ceci explique d’ailleurs en partie pourquoi Cornemuse, bien qu’affichant peu ou prou de sentiments humains, gagne la sympathie du lecteur : c’est parce qu’elle incarne à elle seule la révolte contre la société patriarcale et nous rappelle que le féminisme, loin d’être un caprice d’intellectuelles éthérées, est né de la souffrance des femmes ; tout le mal que cette mémé peut faire autour d’elle n’aura jamais aucune commune mesure avec celui que notre monde machiste persiste à infliger aux femmes, et si elle veut « tuer le bon Dieu », c’est précisément parce que cette figure de créateur de l’Univers résume à elle seule l’esprit du patriarcat européen, voire du « phallogocentrisme » occidental pour reprendre l’expression de Derrida – à ceci près que le ressentiment de Cornemuse envers ce que représente le « bon Dieu » n’est pas du tout intellectualisé ou même réfléchi mais tout simplement ancré dans sa chair meurtrie par la violence des hommes… Bon, j’arrête de phosphorer, parce que si elle m’entend, cette vieille bique est capable de me tirer une balle dans la tête pour que j’arrête de dire des conneries !
Un autre qui ferait bien de se taire de temps en temps :
Samedi 8 mars
9h : Je prends le petit déjeuner à l’hôtel : je suis seul dans la petite salle prévue à cet effet jusqu’à l’arrivé d’un couple hétérosexuel d’âge mûr. L’homme me pose une question en anglais : j’avoue ne maîtriser qu’imparfaitement la langue de Shakespeare et pour, ne rien arranger, son propre anglais me semble plutôt approximatif. Je lui fais donc comprendre, non sans m’en excuser, que je ne le comprends pas : mais peu après, alors qu’il est assis et converse avec sa compagne, je m’aperçois qu’ils parlent espagnol ! Je le prie donc de reposer sa question dans sa langue maternelle : en fait, comme il faut réserver la veille au plus tard pour le petit déjeuner, il voulait savoir s’il était indispensable qu’ils signalent à l’accueil qu’ils voulaient s’attabler alors que la porte était déjà ouverte ; je réponds que je ne pense pas que ce soit indispensable. Avant de partir, je leur demande d’où ils viennent : ils sont de Barcelone. En retour, ils me demandent mon origine : ils sont bien surpris de m’entendre répondre que je suis français, plus précisément breton ! Ils ne doivent pas être habitués à tomber sur un Français qui parle leur langue, encore moins un qui maîtrise mieux l’espagnol que l’anglais…
13h : Depuis mon arrivée, je sors assez peu : Paris n’est plus une nouveauté pour moi. Ce déplacement est purement professionnel et j’ai profité du petit bureau installé dans ma chambre pour y improviser un QG où je peux avancer sur mes projets, presque comme si j’étais chez moi : pour dire vrai, ça me rappelle un peu l’époque où je squattais encore chez mes parents et où ma chambre me servait aussi de bureau, mais bon. Il faut quand même descendre de temps en temps pour manger, même si j’y réfléchis à deux fois avant de m’exposer à devoir remonter les cinq étages de cet escalier particulièrement raide ! Et pas question d’aller au restaurant à chaque fois : c’est ce que j’avais fait à mon premier passage à la capitale et ça avait bien failli me mettre sur la paille… C’est pourquoi je me retrouve sur un banc à déguster un croque-monsieur en compagnie d’un type qui se sent obligé de me souhaiter bon appétit… Il fait chaud pour la saison.
Deux zigotos qui, eux, font plutôt froid dans le dos :
15h45 : J’arrive dans une galerie du 3e arrondissement où un compatriote breton m’a donné rendez-vous : l’établissement expose actuellement des photos imaginant quelle allure prendrait la capitale si les humains la laissaient à la faune et à la flore… Cette vision post-apocalyptique pourrait être angoissante : je la trouve plutôt rafraîchissante ! Paris y gagnerait à bien des points de vue… Tout à coup, une grande perche en tenue hawaïenne m’interpelle et m’exhorte à enlever mon casque antibruit : je ne comprends pas en quoi ça le dérange ! Je consens à baisser ma protection auditive le temps d’écouter ses explications : je comprends que j’ai affaire au galeriste en personne et celui-ci m’explique que s’il veut que j’enlève mon casque, c’est pour pouvoir entendre les chants d’oiseaux qui, dit-il, seraient diffusés dans la salle pour accorder l’ambiance sonore au thème de l’exposition. Le problème, c’est que même sans mon casque, je n’entends rien, à part le brouhaha des visiteurs, d’autant que ce local résonne abominablement ! Je fais comprendre à ce monsieur que je suis autiste et que si j’enlève mon casque avant l’arrivée de mon concitoyen, je ne tiendrai pas longtemps le coup nerveusement parlant… Il décide donc de me laisser tranquille et m’invite à aller prendre un verre au buffet… En me donnant une tape sur l’épaule ! Exactement ce qu’il ne faut pas faire avec une personne du spectre ! Je ne peux pas en vouloir à un galeriste d’être mal renseigné sur le spectre autistique, mais je préfère quand même attendre mon compatriote dehors…
16h : Mon camarade arrive, pile à l’heure : je suis bien content de le revoir dans cette ville où je ne me sens décidément pas adopté ! Il m’explique que s’il s’intéresse à cette expo, c’est, entre autres, parce que ces montages photographiques (réalisés sans recourir à l’intelligence artificielle) rappellent ceux qui ont bâti la renommée de notre concitoyen brestois Mathieu Le Gall ! Je m’en veux de ne pas avoir fait le rapprochement…
16h30 : Petite pause : à force de piétiner dans une petite salle bondée, qui plus est avec la chaleur qui règne, on a vite fait de se fatiguer. Nous nous asseyons sur un canapé installé au sous-sol de la galerie. Mon camarade ne boit pas d’alcool, nous sirotons donc des verres de jus de fruit tout en parlant de choses et d’autres. Mon interlocuteur est journaliste et me dit ne pas prendre au sérieux les récents discours va-t-en-guerre de Macron : de fait, ça fait trois ans que l’armée russe se casse les dents sur une Ukraine qu’elle croyait pouvoir écraser en quinze jours ! Elle ne va donc pas déferler du jour au lendemain sur l’Europe occidentale dont deux pays ont la bombe atomique… Nous parlons aussi de sujets plus spécifiquement parisiens comme la bibliothèque de Beaubourg qui va fermer pour rénovation : en effet, quand on avait lancé la construction de la raffinerie qui porte le nom de Pompidou, les responsables n’avaient pas pensé que les matériaux de cette tuyauterie n’étaient pas du tout prévus pour durer et qu’il faudrait les changer quatre fois par siècle, autant dire toutes les cinq minutes à l’échelle de l’histoire… En apprenant ceci, je repense à cette déclaration de François Béranger au cours d’un concert qui a été enregistré sur un disque édité en 1977 :
« La France est un pays qui est très sous-occupé sur le plan culturel, donc sur le plan acoustique aussi. Mais notez bien qu’on a Beaubourg qui a coûté 900 milliards : avec les 900 milliards on aurait pu construire au moins 900 salles bien équipées, des salles de 1000, 1200 places où les gens soient bien assis, aient bien chaud, entendent bien, voient bien, etc. Mais on a préféré faire un seul truc, enfin ça, c’est une politique ! »[2]
En fait, Beaubourg n’aurait coûté « que » 90 milliards de francs (Béranger l’a corrigé de lui-même sur la pochette du disque) mais, quel que soit le montant réel de la facture, ça n’enlève rien à la triste vérité d’un gouffre à pognon qui s’avère, de surcroît, un véritable tonneau des Danaïdes érigé pour flatter, même dans la mort, l’ego d’un banquier devenu ministre puis chef d’État… Il y a de quoi trembler rien qu’à imaginer ce qu’on va construire quand Macron sera mort ! En attendant, il y a toujours des gens de talent obligés de se produire dans des conditions spartiates, mais bon, si on commence à aider les artistes qui en ont vraiment besoin, avec quoi on va acheter des armes à Dassault ?
16h50 : En nous apprêtant à sortir de la galerie, nous poursuivons notre conversation entre lettrés du bout du monde égarés au pays des bobos et nous en arrivons à débattre de la signification exacte d’un substantif dont j’use de façon intensive : le mot « rombière ». Selon mon interlocuteur, il désignerait une vieille bourgeoise réac et prétentieuse : je ne suis d’accord que sur le dernier de ces quatre termes. Dans mon esprit, une rombière n’est pas forcément vieille même si elle est au moins d’âge mûr : ce n’est de toute façon plus une jeune fille, mais elle peut ne pas avoir dépassé la quarantaine. Toujours selon moi, ce n’est pas forcément une bourgeoise : elle peut être de la classe moyenne et je pense qu’on en trouve même dans les milieux populaires. Enfin, je ne pense pas qu’elle est forcément réac même si elle a des idées arrêtées : elle peut n’être ni raciste ni croyante intégriste, mais elle a toujours au moins une conception étroite de la « réussite » et de la vie de couple, ce qui lui suffit pour pourrir la vie de son entourage, à commencer par son mari et ses enfants… Bref, mon modèle de « rombière » c’est Bonemine dans Astérix : elle ne semble pas si vieille que ça, elle n’est pas particulièrement riche malgré son statut de femme du chef, et jamais Goscinny et Uderzo, pas plus que leurs successeurs, ne lui ont prêté de convictions xénophobes ou homophobes ; mais elle est incontestablement imbue d’elle-même, elle empoisonne la vie de son époux en lui rappelant la « réussite » de son frère et elle n’a même pas de respect pour les guerriers qui la protègent des Romains sous prétexte qu’ils ne sont pas mariés… Bref, je propose une définition moins restrictive du mot « rombière », qui ne mettrait pas à l’abri de cette étiquette dévalorisante les trentenaires de gauche issues de la classe moyenne, qui ne sont pas non plus à l’abri de la connerie. Mais je ne dis pas que j’ai forcément raison !
17h : Mon camarade a l’idée de m’emmener aux Archives Nationales où est actuellement exposé un document de grande valeur : la seule et unique représentation conservée de Jeanne d’Arc à avoir été exécutée du vivant de cette dernière ! En chemin, nous nous arrêtons dans une galerie d’art dont il connait les patrons : ces gens sont tout à fait charmants et j’apprécie le fait qu’ils consacrent une bonne partie de leurs murs à l’estampe. Néanmoins… Cette halte n’était pas prévue, j’ai toujours aussi chaud, il n’y a rien pour s’asseoir et l’un des tauliers regarde sur son smartphone une vidéo que je n’identifie pas mais dont le son est à fond et qui me casse les oreilles ! Bref, ça fait déjà quatre bonnes raisons pour que j’explose : l’étincelle vient quand madame demande à monsieur de baisser le son… Ce qu’il refuse ! Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, toujours est-il que, n’en pouvant plus, je craque et je lui dis franchement que ce bruit me tape sur les nerfs et m’empêche d’apprécier pleinement cette rencontre ! Mon compagnon de route est bien obligé de dire que je suis Asperger… « Ne crie pas sur les toits que tu es autiste » m’a dit un jour une amie : comme si je pouvais le cacher !
17h10 : Marcher dans le Marais un samedi après-midi, c’est s’exposer à affronter la foule des bobos en promenade ! Mais quel que soit le statut social, réel ou supposé, de la population qui foule le pavé parisien, il y a quand même beaucoup de monde en ville, ce que je supporte assez mal… Le summum est atteint devant une boutique où l’on vent des gaufres et devant laquelle se déploie une file d’attente qui rappelle Moscou au temps de la perestroïka, les smartphones en plus ! Les gaufres doivent y être délicieuses, pensez-vous ? Et bien détrompez-vous ! D’après mon ami, elles sont dégueulasses, mais les patrons ont payé une influenceuse pour qu’elle dise du bien de leurs produits sur Internet et il n’en faut plus pour que tous les followers de cette pétasse se ruent sur ces gaufres hors de prix et imbouffables… Je me demande ce qui me retient de leur hurler qu’ils vont se faire rouler ! Bah, c’est leur problème, après tout…
17h15 : Nous arrivons aux Archives Nationales, mais l’expo est déjà en train de fermer ! Je ne peux m’empêcher de penser que nous aurions pu arriver à temps si nous nous étions moins attardés à l’une des deux galeries d’art : voilà où mène la manie des neurotypiques de mettre trois heures à se dire Au revoir… Mais je n’en veux pas à mon camarade de m’avoir fait marcher jusqu’ici car j’aime ce bâtiment : il en profite pour me dire que cet édifice sert parfois à figurer l’Élysée dans des fictions… Et il ajoute même que ce bâtiment est mieux conçu que l’Élysée ! Et oui : le palais de l’Élysée, ancienne demeure de la Pompadour, n’a pas du tout été conçu pour accueillir une administration importante, les salles y sont étroites et ne sont vraiment pas pratiques pour les fonctionnaires qui y travaillent ! Le général de Gaulle aurait même envisagé, en 1958, de déménager la demeure de l’exécutif à Vincennes ou aux Invalides ! Bref, le chef de l’État est censé travailler dans un local qui n’est absolument pas adapté à sa fonction et on s’étonne que ce soit le bordel en France… Et le pire, c’est que tous les cinq ans « et même parfois avant »[3], ils sont au moins une demi-douzaine à s’entretuer pour avoir le droit d’habiter cette pétaudière ! Je me rappelle de la BD Astrobald où un extraterrestre fait campagne pour être élu président : il gagne les élections mais celles-ci sont invalidées pour vice de procédure et il est finalement soulagé de devoir quitter cette demeure qui le déçoit ! La fiction dépasse souvent la réalité…
17h30 : Avant de nous quitter, nous nous arrêtons pour boire un jus de fruit près de Beaubourg, justement. Je reconnais l’endroit, c’est celui où j’avais interviewé Delfeil de Ton : cette pause est en tout cas bienvenue, nous sommes au frais et à l’écart de la foule. Car, malgré l’heure déjà avancée, il y a foule devant le centre Pompidou, ce qui étonne beaucoup mon camarade qui n’a pas eu vent de l’inauguration d’une nouvelle exposition ! Je serais bien en peine de lui proposer une explication…
19h : Je retrouve Lyz’An pour un autre concert, toujours à la Goutte d’or mais, cette fois… Dans une galerie d’art ! Et oui, encore ! Mon escapade parisienne est décidément placée sous le signe de ce commerce… Mais cette fois, on est dans le 18e arrondissement et le cadre est nettement moins « snob » que dans les autres établissements qu’il m’a été donné de visiter : pour tout dire, l’ambiance un peu « roots » me rappelle certains lieux brestois ! Toujours est-il que l’ambiance est un peu moins enjouée qu’au concert d’hier : il y a beaucoup moins de monde, je suis un des rares à avoir fait le déplacement, outre deux amis de la chanteuse qui avaient joué dans un de ses clips. Lyz’An, qui ne chante pas au rabais, n’y est pour rien, pas davantage que le patron de la galerie : je suis bien placé pour savoir à quel point il peut être difficile de mobiliser le public quand on n’a pas autant de moyens que le centre Pompidou…
Dimanche 9 mars
12h : Déjeuner chez mon oncle qui habite Ménilmontant. Ayant été hébergé à plusieurs reprises chez lui quand je n’avais pas les moyens de me payer l’hôtel, j’ai le sentiment de connaître le quartier par cœur ! Mon oncle est toujours de bon accueil, trop heureux d’animer sa solitude de vieux célibataire en accueillant son neveu. Il m’apprend qu’il va bientôt revenir en Bretagne pour assister à l’anniversaire du club nautique de Léchiagat (près du Guilvinec) dont l’une de ses sœurs, donc ma tante, fut l’une des co-fondatrices. Coïncidence : l’une des œuvres que j’expose actuellement chez Thuillier est précisément une copie de « La chambre » de Van Gogh, que cette défunte tante avait peinte, que j’ai récupérée à sa mort et que j’ai complétée à ma manière en y collant deux personnages échangeant des considérations sur l’habitabilité de cette chambre… Mon hôte m’apprend aussi que ce week-end, l’entrée au centre Pompidou était gratuite ! Pas besoin de chercher plus loin la raison de l’affluence qui intriguait tellement mon camarade ! N’empêche que ce n’est pas comme ça qu’on va amoindrir la facture pour le contribuable…
14h15 : Ayant pris congé de mon oncle, je retire de l’argent à un distributeur avant de reprendre le métro : il n’en faut pas plus pour qu’un tapeur vienne me demander des sous… Je lui glisse une pièce, non sans quelque remords : donner cinquante centimes à quelqu’un quand on est en train de retirer cent fois plus d’argent, ça crée un problème de conscience ! Et pourtant, je sais que ce n’est pas moi qui devrais l’avoir…
Lundi 10 mars
12h30 : Je sors pour déjeuner à une brasserie que j’ai repérée hier ; en me voyant passer, le réceptionniste me demande si je n’ai besoin de rien. C’est vrai que ça fait déjà quatre jours que je suis là et je ne pars qu’après-demain, il aurait donc pu s’attendre à ce que je demande qu’on change les draps ou les serviettes, par exemple… Mais je n’ai pas pour habitude de me faire servir, alors je contente de demander qu’on coupe le chauffage dans ma chambre où je ne cesse de crever de chaud !
13h : Mon repas me laisse une impression mitigée : sans aller jusqu’à dire que la cuisine est mauvaise dans cette brasserie, je trouve mon steak-frites en-deçà de ce que j’aurais pu espérer au vu de son prix. Pas de doute, même dans le 18e, on est bien à Paris…Enfin, l’important est que ça cale bien le ventre car j’ai des travaux d’écriture à boucler. Entre deux services, je termine la lecture de l’article de Robin Hopquin dans le dernier Ridiculosa, consacré au film La cuisine au beurre : je ne savais pas que Bourvil et Fernandel avaient partagé la vedette d’une comédie ! Mais si je n’avais jamais entendu parler de ce film, c’est qu’il y avait une raison, et tout porte à croire que ce n’était pas un chef-d’œuvre : même à sa sortie, son succès commercial fut finalement relatif au vu de la notoriété des deux acteurs ! Ce n’est pas un hasard si la postérité a oblitéré ce duo au profit de celui que l’un a formé avec Louis de Funès et l’autre avec Gino Cervi… D’ailleurs, quand on sait que le ressort « comique » de ce film est l’opposition entre le Normand et le Provençal, on se réjouit presque qu’il soit tombé dans un relatif oubli ! Fernandel vient du Sud « donc » il est paresseux et exubérant, Bourvil vient du Nord « donc » il est travailleur et timide… Avec une telle vision des identités, on frémit rien qu’à penser à ce que le réalisateur aurait fait s’il avait dû faire tourner Omar Sy et Jamel Debbouze ! Un tel film aurait pu être produit par Bolloré…
14h : J’ai réintégré ma chambre : le chauffage a été coupé conformément à ma demande, je peux enfin savourer un peu d’air frais en ouvrant la fenêtre. Bien entendu, je ne rate rien du bruit des trains qui quittent la gare du Nord ni des cris des gosses de l’école voisine… Décidément, rien n’est simple !
Sans transition, un adorable petit hérisson dessiné de manière réaliste par votre serviteur - je préfère quand même le hérisson plus caricatural qui me sert de porte-parole :
Mardi 11 mars
8h45 : En ce jour de triste mémoire, je risque un œil à la « une » du Figaro qui traîne sur la table basse du hall d’accueil de l’hôtel : le quotidien consacre ses gros titres à un « vent de fronde » provoqué par l’instauration des zones à faibles émissions de gaz à effet de serre… Si la menace de guerre était vraiment sérieuse, un journal contrôlé par la firme Dassault ne se priverait pas d’en faire ses choux gras ! Je reste néanmoins inquiet car, depuis le 11 mars 2004, jour des attentats de Madrid, je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que cette date est porteuse de catastrophes…
12h30 : Et voilà. J’en ai marre d’avoir toujours raison ! Attablé à l’Escurial pour déjeuner, je découvre un message m’apprenant la mort de Jean-Christophe Podeur, le galeriste de la rue Louis Pasteur… La vie artistique brestoise perd une figure majeure : moi, je perds un compagnon de route avec qui j’ai partagé plus d’une aventure, à commencer par la valorisation du travail de notre vieille amie Geneviève Gautier… Si je croyais à l’au-delà, je pourrais dire qu’il devait être pressé de retrouver celle qui fut sa mère spirituelle et dont la mort, survenue il y a quatre ans, lui avait brisé le cœur : mais je ne crois pas à la vie après la mort et, de toute façon, je ne pense pas que « Pod », comme on l’appelait, aurait volontairement abandonné sa femme et leurs trois enfants ! Mes pensées vont à eux ainsi qu’à ses amis les plus proches… Merde, alors ! Avec qui je vais discuter, maintenant, quand je passe dans le quartier de la galerie et que je n’ai rien à faire en attendant un rendez-vous ? Il va falloir s’habituer à un grand vide…
Un autre grand disparu :
14h : Encore assommé par la triste nouvelle, je risque un tour à la galerie Thuillier où mes œuvres sont censées être exposées depuis quatre jours et où le vernissage doit avoir lieu dans quatre heures : le patron a bien fait les choses, d’autant que mes œuvres sont dans la première des trois salles du sous-sol, autant dire que ceux qui descendront ne pourront pas me rater. Je pourrais être ému, je ne le suis pas plus que ça : ça a beau être ma première dans une galerie parisienne, je me demande surtout si je vais réussir à faire bonne impression ce soir…
Quelques photos :
15h : Ayant quelques heures à tuer, je me suis mis en quête d’un lieu à visiter. Je me rabats sur le musée Cogacq-Jay qui a l’avantage d’être gratuit. On parle relativement peu de l’art du XVIIIe siècle et on a tort : certes, on est encore loin de la révolution esthétique introduite du XIXe, mais le XVIIIe n’en est pas moins le siècle des lumières, donc une période de transition où la vieille France héritée de Louis XIV va être ébranlée par les idées nouvelles et finalement déboucher sur le grand bazar de 1789. Les artistes de l’époque n’ont pas pu y rester insensibles, et leurs œuvres portent l’empreint de cette époque où le droit à l’individualité commence à s’exprimer, où l’enfant commence à être reconnu comme une personne à part entière et où même les grands de son monde commençaient à prendre de la distance vis-à-vis du décorum associé à leur statut, comme Marie Leszcynska[4], épouse de Louis XV, qui posa sans ses attributs de reine… Osons le dire : le XVIIIe siècle fut l’époque où s’amorcèrent des évolutions qui étaient, pour la plupart, positives… Et n’étaient pas encore devenues, pour certaines, insupportables ! Parce qu’aujourd’hui, en revanche, le culte de l’égo, les enfants-rois et les chefs d’État qui s’affichent en bras de chemise, je ne sais pas pour vous, mais moi, j’en ai MARRE !
Quelques croquis de statues :
18h : Le vernissage commence. J’arrive à l’heure. Je décide assez vite de rester au sous-sol, à proximité de mes œuvres, pour pourvoir répondre aux questions des visiteurs, et de ne remonter que pour me faire resservir à boire. Bien m’en prend : en agissant ainsi, j’ai l’opportunité d’échanger avec des gens qui s’intéressent vraiment à l’exposition et j’évite ainsi la cohorte des parasites qui ne viennent que pour picoler à l’œil… Notez que je ne leur jette pas la pierre : moi aussi, je profite d’être là pour boire, après tout. Au cours d’un de mes allers-retours entre le buffet et le sous-sol, un homme, remarquant ma marinière, m’alpague et me demande si je suis breton : je réponds que oui, je précise même que je suis de Brest. Il essaie d’engager la conversation en parlant de la bonne saison du Stade Brestois : je rétorque que je n’aime pas le football. Il embraie avec le Mont Saint-Michel et la rivalité qu’il suscite avec les Normands : je réplique que je le leur laisse car je n’aime pas les curés. Il poursuit en me demandant si je me sens près à partir à la guerre : je rétorque que je me ferais réformer pour handicap car je n’aime pas l’armée. Il me questionne sur ce que je pense de Paris : là, je n’ose pas le vexer et je préfère dire « c’est pas mal ». Heureux de m’avoir enfin arraché quelque chose de positif, il me sort toute la panoplie parisianophile : voyant déjà pointer à l’horizon le tristement célèbre « Comment peut-on vivre ailleurs qu’à Paris » je tire prétexte des affaires que j’ai laissées au sous-sol pour redescendre et prendre congé… Je suis quand même content de ne pas lui avoir donné satisfaction ! J’ai ainsi droit à des échanges intéressants avec les gens qui prennent la peine de descendre : c’est surtout ma toile avec les aphorismes du hérisson qui suscite des commentaires, on salue le charme délicat de la petite bête ainsi que les vérités bien senties que je lui fais proférer… Certains me disent, quand je leur signale que je viens de Brest : « Tu es mieux là-bas qu’ici ! » Je le savais bien, que je parisianisme n’était pas un signe d’intelligence… En tout cas je suis satisfait de ce vernissage et, malgré ma peine d’avoir perdu mon ami Pod, c’est avec le sourire que je pars à 21 heures : c’était l’heure de fermeture indiquée sur le carton d’invitation, je ne juge donc pas nécessaire de rester plus longtemps. Je ne suis pas hostile à toute vie sociale tant que les règles sont précises dès le départ…
Deux photos prises par le patron de la galerie - ne me reprochez pas de ne pas sourire, je vous rappelle que je suis en deuil :
Mercredi 12 mars
9h : Le jour du retour au pays est arrivé. Me voici déjà à la gare Montparnasse pour attendre le train. Les quotidiens annoncent que Trump et Zelensky ont finalement trouvé un accord… Bref, Trump ne va pas tout de suite aider Poutine à casser la gueule à l’Ukraine et à détruire l’Europe dans la foulée, même si on se doute que le sort du Vieux continent ne l’empêche pas de dormir ! Un qui doit être embêté, c’est notre président qui se voyait déjà retrouver le statut qui lui avait garanti sa réélection il y a trois ans… Mais je suppose que De Villiers, Le Pen, Zemmour et Hanouna doivent être encore plus déçus : je suis sûr qu’ils voyaient déjà l’armée russe occuper notre pays et le nettoyer des immigrés et des homosexuels… C’est qu’ils sont nombreux, les bons Français qui ne verraient pas d’inconvénient à faire pour la Russie ce que leurs ancêtres ont fait pour l’Allemagne ! Poutine n’aurait qu’à se baisser pour trouver des collabos…
16h30 : Je savais que je serais fatigué à mon arrivée à Brest, c’est pourquoi j’avais réservé un Accemo pour me rendre au cours du soir. Mais je ne m’attendais pas à ce que le conducteur aggrave mon état, d’abord en arrivant avec une demi-heure d’avance, ensuite en me bassinant avec le mal qu’il a eu à trouver mon immeuble et à trouver une place pour se garer… Craignant qu’il me resserve les sempiternelles récriminations sur les travaux du tramway, je préfère mettre un terme à la discussion en disant que je viens de perdre un ami et que je n’ai pas le cœur à discuter : je n’ai pas été très gentil, mais je n’ai pas menti !
Jeudi 13 mars
9h : Quand on est indispensable, on n’est jamais tranquille… Telle est la pensée assez immodeste qui me vient quand, alors que je viens à peine de finir mon petit déjeuner, je dois répondre à deux coups de téléphone successifs ! L’un du président d’une association patrimoniale de Guipavas, qui veut que j’écrive un papier sur ses nouveaux locaux et sa dernière publication ; l’autre d’une responsable de Kengo.bzh : cette plateforme de financement participatif va bientôt fêter ses dix ans à la PAM et ils acceptent que je participe à l’événement en tant que caricaturiste, en tant que slameur et en tant que conférencier… Bref, les affaires reprennent : Pod n’est plus là, mais the show must go on, non ?
15h45 : Passage au local de la MGEN où l’on me confirme que, étant désormais bénéficiaire de la Complémentaire Santé Solidaire, je n’aurai plus à payer un sou à la mutuelle pendant un an ! Ce qui représente soixante euros d’économie par mois ! J’en suis d’autant plus ravi que, même si ce n’était pas aussi cher, je trouverais aberrant de devoir payer pour avoir le droit de se faire rembourser ses frais de santé ! Et le pire, c’est qu’en dépit de cette épouvantable régression, que dis-je, ce reniement absolu des idéaux ayant présidé à la création de la Sécurité sociale, la France fait quand même encore figure de paradis sanitaire par rapport à d’autres pays…
Sans transition, ma vidéo de la semaine :
Vendredi 14 mars
13h30 : En relevant mon courrier, je suis bien surpris d’y trouver un Fluide Glacial ! Le dernier numéro du mensuel m’est arrivé il n’y a pas une semaine et ce fascicule est nettement plus petit que les hors-série habituels. Mais un second coup d’œil a vite fait d’éclairer ma lanterne : à l’occasion des cinquante ans du mensuel, la rédaction a eu l’idée géniale d’éditer un « numéro zéro » compilant, outre quelques pages de l’époque héroïque, des textes et des BD qui auraient pu être proposées à Gotlib dès l’annonce de la création de son journal. C’est pourquoi ce hors-série ne compte « que » 64 pages et que la quasi-totalité de son contenu est en noir et blanc, comme ce fut le cas pour la quasi-totalité des numéros parus au siècle dernier… Au-delà de la replongée nostalgique dans l’ambiance d’une époque révolue, cette publication montre que Fluide Glacial, quoi qu’on en dise, garde son esprit incisif, y compris vis-à-vis de lui-même ! La couverture du numéro 1, avec le fameux fakir dessiné par Gotlib, avait déjà eu droit à une suite due au même auteur pour les 25 ans de Fluide : elle a désormais droit à un prequel où l’on voit le même fakir s’apprêter, non sans précaution, à s’asseoir sur la célèbre punaise ! Je n’ai pas souvenir d’une autre couverture de magazine qui ait droit à un tel privilège… J’ai bien failli croire que ce dessin était dû à mon concitoyen Julien Solé, mais non, c’est son père Jean qui l’a réalisé : il ne perd pas la main, visiblement !
Terminons avec un petit dessin qui tombe à point pour annoncer le colloque "Albert Camus et l'Algérie coloniale" qui se tiendra la semaine prochaine à l'Institut du monde arabe à Paris - non, je n'y serai pas :
[1] Schwarzenegger pour madame Rosa, Van Damme pour Mémé Cornemuse : Monfils a sans doute fini par préférer ce dernier pour ses aphorismes fumeux – d’autant qu’il est son compatriote.
[2] Vous trouvez que cette citation est mal écrite ? Je vous assure que je ne fais que retranscrire les propos de Béranger tels qu’on peut encore les entendre ici : https://youtu.be/3vvvF3dtvdw?feature=shared Outre l’erreur dans les chiffres, Béranger commet en effet une faute de syntaxe qui peut étonner de la part d’un poète de son envergure, mais qui est pardonnable dans le contexte d’une improvisation, surtout pendant un concert où la salle est chauffée à blanc. Et puis faites pas chier, merde, vous ne vous trompez jamais, vous ?
[3] Encore un extrait de François Béranger, plus précisément de sa chanson « Magouille blues » qui reste, hélas, d’actualité un demi-siècle plus tard : il y parle certes de Jean Royer de François Mitterrand, mais ce qu’il dit d’eux pourrait s’appliquer sans problème à Zemmour et Mélenchon…
[4] Ne me demandez pas comment ça se prononce !
Commençons par un petit dessin sur la situation internationale :
Dimanche 2 mars
10h : Après un samedi sans remous, je retourne à la piscine. Plus précisément, la seule piscine de « Brest même » où je n’ai encore jamais mis les palmes depuis que je vais régulièrement nager[1], celle de Saint-Marc. Contrairement aux trois autres, elle n’est pas sur une ligne abondamment desservie mais la distance à parcourir depuis la place de Strasbourg n’est pas énorme. Cette remarque s’applique aussi au bâtiment lui-même, encaissé au fond d’une rue dont l’entrée fait face au Stade Francis Le Blé : on est loin de la monumentale piscine Foch ! J’ai assez de liquide pour payer mon entrée, mais la caissière vient juste de transférer la recette et ne peut pas me rende la monnaie : je dois donc aérer ma carte bleue… Non contente d’être petite, la piscine Saint-Marc est également la seule de Brest où les vestiaires sont collectifs, avec une démarcation hommes-femmes (les trois autres n’ont que des cabines individuelles dont certaines sont réservées aux handicapés) : manifestement, le XXIe siècle n’a pas encore fait son entrée ici. Une fois en tenue, il me tarde de nager : je me trompe de chemin et un employé m’indique la direction, non sans éclater de rire, ce que je prends assez mal, mon sens de l’humour étant décidément soluble dans l’impatience. Je trouve enfin le bassin : il n’y en a qu’un seul, comme à Kerhallet, et il est encore plus petit. Pour savoir l’heure qu’il est, il n’y a qu’une seule pendule à aiguilles, située du côté du grand bain, ce qui est moins pratique pour ceux qui, comme moi, ont besoin de savoir combien de temps ils passent dans la flotte – me calant sur le rythme des cours, je m’efforce d’y passer au moins trois quarts d’heure à chaque fois. Je fais mes longueurs et, étroitesse du bassin oblige, je n’arrête pas de me cogner contre une dame qui barbotte sur le dos : si ça la relaxe, moi, ça me gonfle assez vite… Après avoir fait mes quarante-cinq minutes, je passe sous la douche où il est écrit qu’il faut s’essuyer ici même et non dans le vestiaire : ah ben il fallait le préciser avant, moi, j’ai laissé ma serviette là-bas ! Tant pis pour le personnel ! Quand je peux enfin dire « au revoir » à la caissière, je ne suis pas sûr de revenir de sitôt…
Lundi 3 mars : il y a 18 ans mourait Osvaldo Cavandoli, le créateur de La Linea
13h30 : Après une matinée passé à produire de la copie pour Côté Brest, je monte à la mairie de quartier afin de renouveler mes droits à l’abonnement au réseau de transport en commun. J’ai avec moi une attestation de quotient familial : se basant sur ce document, l’employée m’annonce que désormais, je devrai payer à un tarif supérieur à celui auquel je pouvais prétendre jusqu’alors. Et oui, le versement régulier de l’Allocation Adulte Handicapé rendant ma situation financière moins précaire, je ne peux plus bénéficier du tarif minimum : je ne m’en plains cependant pas car, à quinze euros par mois, je reste gagnant au vu de tous les trajets que j’effectue, surtout si j’utilise le service de transport à la demande… Mais j’en entends déjà qui trouvent injuste que je sois ainsi avantagé ! Alors comment dire ? Ceux-là, j’aimerais bien les voir vivre au quotidien avec mon hypersensibilité et ma difficulté à interagir en société, pour ne citer que deux aspects de ma différence qui en font un handicap social… Et puis que « ceux qui bossent » ne soient pas trop jaloux : je suis certes en meilleure posture que les bénéficiaires du RSA, mais si j’avais une voiture, si j’étais père de famille et si je cherchais à accéder à la propriété, je ne m’en sortirais certainement pas ! Et puis vous n’allez pas m’envier parce que je devrai payer plus cher pour me déplacer, non ? Le seul avantage que j’en tirerai, c’est qu’on me regardera peut-être avec un peu moins de dédain au guichet de Bibus. Peut-être.
14h30 : J’appelle la CAF pour demander pourquoi je reçois encore des messages me demandant de déclarer mes revenus trimestriels en vue du calcul du RSA et de la prime d’activité alors que, étant bénéficiaire de l’AAH, je ne peux plus prétendre à ces deux aides qui ne me manquent pas du tout – non seulement elles étaient dérisoires mais, de surcroît, on me les versait avec un tel tonnage de mépris et des discours si culpabilisants que j’avais fini par les envisager comme des aumônes humiliantes. Une fois passées les fourches caudines devenues habituelles quand on appelle une administration, je suis enfin mis en contact avec une personne de chair et d’os qui m’explique que comme j’ai été bénéficiaire du RSA, le système de messagerie automatique continue à m’envoyer ces messages dont je ne dois pas tenir compte… Encore une aberration entièrement due à la manie de tout déléguer à la machine ! Rien ne justifie cet envahissement de la technologie si ce n’est la volonté de faire l’économie de salaires humains : l’usager n’est absolument pas gagnant, bien au contraire ! On nous rebat les oreilles du déficit de l’État : si creuser ce déficit est le prix à payer pour qu’un maximum de citoyens aient une vie à peu près agréable, je ne trouve pas scandaleux de le payer ! Parce que s’il ne sert pas à ça, alors à quoi il doit servir, l’argent de la collectivité ?
19h : Je viens de passer plus de trois heures à retranscrire sept billets d’humeur que je prononce dans des vidéos et dont j’avais perdu les textes suite au larcin dont j’avais été victime à Paris il y a déjà un an et demi. Malheureusement, pour des raisons qui ne regardent qu’elle, la boîte de dialogue « Voulez-vous enregistrer les modifications » ne s’est pas ouverte quand j’ai fermé le fichier et tout mon travail est perdu… Je viens de vous dire que j’ai mis plus de trois heures à re-dactylographier sept textes d’une page chacun : je pense que ça donne une idée du caractère fastidieux de cette tâche dont je viens de m’acquitter pour des prunes… Je sais bien qu’il y a pire dans la vie, mais est-ce qu’on me pardonnera d’être UN PEU énervé contre la technique et de vouer plus que jamais aux gémonies mon voleur ?
Mardi 4 mars : Mardi gras
Ce dessin représente Trémière et Déodat, le couple du Riquet à la houppe d'Amélie Nothomb.
9h30 : Avant de reprendre le boulot (j’ai des pages à encrer), je décide d’appeler la banque pour régler un petit problème. En effet, depuis que j’ai ouvert mon livret d’épargne populaire, je n’ai pas réussi à y placer un sou de plus que les trente euros nécessaires à sa création : chaque fois que j’ouvre la page prévue à cet effet sur le site de la banque, celle-ci met un temps fou à charger et je finis par être déconnecté sans avoir pu faire le moindre petit versement ! Donc, je téléphone : quand j’arrive à avoir un conseiller au bout du fil, celui-ci me demande de taper mon numéro de client et mon mot de passe afin de pouvoir m’identifier. Je m’exécute, mais à peine ai-je fini taper le premier code que la communication est coupée… Ça commence bien !
Respirons un instant avec un autre hommage à Osvaldo Cavandoli - pour jouir pleinement du gag, il n'est pas inutile de rappeler que "linea" signifie littéralement "ligne" en italien.
9h45 : La deuxième tentative est plus heureuse. J’arrive à taper les deux codes, ce qui permet au conseiller de trouver la cause du blocage dont mes versements font l’objet : suite à la tentative de fraude dont j’ai été victime il y a un mois, mon compte a été mis sous surveillance ! Il me demande si je n’avais pas reçu des SMS me demandant de rappeler à un numéro afin de lever cette vigilance : en effet, j’en avais même reçu plusieurs… Mais je ne les avais pas pris au sérieux ! Pourquoi ? Un : mis à part les versements, tout fonctionnait normalement. Deux : à chaque message reçu, il n’était pas affiché le nom de ma banque comme j’en ai l’habitude mais un numéro que je ne connaissais pas. Trois : on m’avait toujours assuré qu’aucun banquier ne me demanderait de lui communiquer des informations confidentielles par téléphone. Donc : la conjonction de ces trois facteurs m’avait persuadé que c’étaient les fraudeurs, auxquels j’avais donné (entre autres) mon numéro de téléphone qui me relançaient ! Le conseiller me met en relation avec la responsable concernée… J’ai ainsi droit à une leçon de morale de cette dame, fort peu aimable, qui me reproche de ne pas avoir réagi plus tôt ! Enguirlander un client qui n’est même pas à découvert et dont le seul tort aura été de redoubler de méfiance… ‘Faut le faire ! Décidément, quand on est victime de quelque chose, la société n’a de cesse de vous accabler !
Ce n'est pas ce petit personnage qui me dira le contraire, lui dont nous nous sommes tant moqués alors qu'il subissait tant de malheurs...
10h15 : Il m’a fallu, entre autres actions désagréables (converser avec cette mégère en était déjà une en soi), changer mon code secret : mais quand je le tape, ça ne fonctionne pas ! Je le retape trois fois, j’essaie avec mon ancien code au cas où le changement n’aurait pas encore été enregistré, mais rien ! Je retéléphone : un conseiller accepte de me donner un code provisoire malgré le ton, peu courtois j’en conviens, avec lequel je lui parle – je ne m’attendais pas à devoir passer autant de temps sur cette affaire et je devrais déjà être en train de travailler à l’heure qu’il est !
Les images où le personnage d'Osvaldo Cavandoli interagit avec des moutons m'ont été inspirées par l’épisode 150 de La Linea - je donne plus de détails dans la vidéo que voici :
10h30 : Le code provisoire qui m’a été donné est tout aussi inopérant que les deux autres et même la fonctionnalité « mot de passe oublié » sur le site ne fonctionne pas. Quand je rappelle la banque, personne ne me répond, à part une annonce m’affirmant qu’ils font face à un problème technique à l’échelle nationale… Je craque pour de bon ! Je ne sais plus ce que j’ai hurlé, mais ça ne devait pas être joli à entendre…
11h : Une bonne douche porte conseil : je saute dans le premier bus et je vais moi-même à la banque pour en avoir le cœur net. Après tout, je n’ai pas de raison de faire confiance à un répondeur automatique… L’air frais m’apporte un apaisement relatif et je regrette de ne pas avoir pris plus tôt cette décision !
Un dessin de gobelet au crayon gras :
11h20 : Arrivé à l’agence, une dame m’apporte la lamentable confirmation : à l’instant même où mon problème personnel était réglé, la banque a dû en affronter un autre à l’échelle nationale, à savoir une panne qui empêche actuellement toute connexion en ligne des clients… Il va donc falloir que j’attende demain pour pouvoir changer mon code d’accès une fois pour toutes. En fait, j’ai fait face à deux péripéties qui auraient pu être oubliables si elles n’avaient pas été concomitantes… Je profite d’être sur place pour faire le versement que j’envisageais et étoffer un brin mon livret d’épargne : ici, au moins, ça marche… La dématérialisation totale n’est pas pour demain.
12h30 : Revenu au quartier, j’achète un hot-dog avec des frites à la sandwicherie du coin : c’est horriblement malsain et je sais déjà que cette dose de mauvais gras va me rapporter au moins un bouton sur le menton, mais tant pis, j’ai trop besoin de réconfort après cette matinée nulle, surtout avec le travail qui m’attend et qui n’a pas pu avancer… Et par-dessus le marché, je repars à Paris après-demain !
Mercredi 5 mars : il y a 95 ans naissait Jean Tabary
Ce dessin est un hommage au co-créateur d'Iznogoud : il s'inspire directement d'une aventure du méchant grand vizir postérieure à la mort de Goscinny, Iznogoud et les femmes dont l'un des personnages est une grosse femme esclave fière de ses rondeurs que l'éternel prétendant au trône califal contraint au régime pour qu'elle puisse rentrer dans une gaine dotée de pouvoirs magiques... Une fille qui acquiert une taille mannequin et qui le vit mal au point de s'exclamer : "Mon pauvre corps, quel désastre ! Regardez ça, je suis affreuse !" Il y a de quoi marquer un esprit, non ?
9h : Les choses ont l’air de s’arranger : j’ai bouclé mes planches hier, je me suis levé assez tôt pour mettre en branle le grand ménage avant mon départ, prévu demain matin. Heureusement que je suis déjà debout car on sonne à l’interphone : je décroche, j’entends deux personnes qui se présentent comme des plombiers chargés de faire des travaux au dernier étage et qui n’ont même pas de badge pour entrer dans l’immeuble. On m’a déjà fait le coup alors je préfère descendre à leur rencontre : ils sont effectivement porteurs de cartes de travailleurs du BTP, je les laisse donc entrer avec d’autant plus de plaisir que j’ai de l’affection pour les plombiers, sans doute à cause de la chanson de Pierre Perret[2] ou de la BD Jojo où le sympathique papa du non moins sympathique petit bonhomme créé par André Geerts exerce cette honorable profession. Tout en montant, ces Mario et Luigi m’expliquent qu’ils ont essayé d’appeler d’autres occupants mais que ça ne répondait pas : je réponds que ce n’est pas étonnant, entre le locataire du rez-de-chaussée qui est mort et les deux appartements qui ont été vidés il y a peu par des déménageurs… Dans la foulée, ils m’annoncent qu’on les envoie bosser dans « l’ancien squat » du dernier étage ! Il y avait donc un squat dans l’immeuble ! Voilà qui explique bien des choses, à commencer peut-être par la porte principale qui était presque constamment ouverte… Je ne peux même pas accabler les squatteurs : c’est typiquement le genre de problème qu’on n’aurait pas si on se décidait à réquisitionner les logements vides ! Les promoteurs ne seraient pas plus pauvres pour ça…
Une mini-BD résumant le mythe d'Arachné, la tisseuse qui a osé bravé la déesse Athéna :
10h15 : Petit pause dans mon ménage pour déposer trois de mes œuvres à l’hôtel de ville où se tiendra l’exposition « Pluie de toiles » à partir du 7 mars. Je m’attendais à ce que ces dames grincent un peu des dents en découvrant ma peinture représentant Brooke Burke en bikini, mais elles ne bronchent même pas. En revanche, elles me demandent qui est Matthieu Gallou auquel une autre de mes œuvres rend hommage : il m’a bien fallu leur expliquer que c’était le président de l’UBO, qu’il a plusieurs fois bravé sa hiérarchie, notamment quand Macron a voulu augmenter les frais d’inscription pour les étudiants étrangers, et qu’il est mort d’un cancer en cours de mandat. Oublier un tel personnage… Sic transit gloria mundi[3] ! La troisième œuvre s’intitule « Ibiza blues » et se veut une illustration de mon slam du même nom[4] : en la confiant, j’improvise une interprétation du refrain. Bref, tout se passerait bien si la salle ne résonnait pas aussi terriblement : quand un bénévole dégaine son marteau pour renforcer le système d’accroche d’un tableau, j’ai l’impression qu’on tape sur mon cerveau…
L'affiche de l'exposition à l'Hôtel de ville - je ne pourrai pas être au vernissage, hélas :
Jeudi 6 mars
8h15 : Me voilà prêt à partir pour Paris : je suis chargé comme deux mulets car, outre les affaires dont j’aurai besoin pour six jours, je suis bien entendu porteur des dix œuvres qui seront exposées à la galerie Thuillier et qui constituent la raison d’être de ce voyage. Pas fou l’oiseau : avec un tel chargement et avec tous les travaux en ville, j’ai fait appel à un transport Accemo. Je suis bien surpris de voir arriver un taxi en lieu et place de la fourgonnette habituelle ! Dans un sens ça tombe bien : une valise pleine, un sac à dos bourré à bloc, un cabas prêt à craquer… Je suis content de pouvoir mettre tout ça dans un coffre !
9h05 : Le train part. J’ai pris un billet de première classe : ce n’est pas un luxe avec la place dont j’ai besoin pour caser tous mes bagages – d’autant que je n’arrive plus à rentrer la poignée de ma valise. J’ai aussi le wifi, je vais pouvoir relever mes messages et en écrire quelques-uns. Heureusement que j’ai de quoi m’occuper, faute de quoi le voyage, qui doit durer plus de quatre heures, risquerait de vraiment me paraître long, avec le couple de touristes accompagné d’un bébé qui gémit à deux pas de mon siège ! Et moi qui me disais : « On n’est pas en vacances scolaires, je devrais être peinard »…
10h : J’apprends une triste nouvelle : pendant que tout le monde a les yeux braqués sur la fermeture de deux chaînes de télé merdiques qui ne font que payer le prix de l’indigence voire de l’ignominie de leurs programmes, un média indépendant et de qualité s’éteint dans l’indifférence générale. Je veux bien sûr parler de Siné Mensuel qui cesse de paraître. On se consolera en se disant que cette formule aura quand même tenu plus de treize ans et aura survécu presque dix ans à son capitaine historique : Siné n’a jamais baissé la garde, il aura fait chier jusqu’à la fin ceux qui avaient tenté de le faire taire et il est mort debout ! J’irai peut-être lui rendre visite à Montmartre, ce n’est pas si loin de mon hôtel. Il n’empêche que ça fait encore un espace de liberté qui disparait. Et ce n’est pas sur les réseaux sociaux qu’on va en trouver d’autres, oh non !
13h30 : Me voilà arrivé à la capitale : on m’avait bien prévenu que le bon vieux ticket de carton était désormais mis aux oubliettes, j’achète donc un passe Navigo. Après tout, n’ayant pas d’autre le moyen que le métro pour me déplacer efficacement, il devrait être vite rentabilisé ; dans le pire des cas, il me servira bien pour une prochaine fois… Il n’empêche qu’en forçant littéralement les voyageurs que le passe n’intéresse pas à posséder un smartphone pour pouvoir voyager, la RATP se fait complice d’un racket à l’échelle mondiale ! En attendant, mon chargement commence à me peser et j’espère que mon cabas, qui donne des signes de fatigue, ne va pas craquer en route.
14h30 : Je dépose mes œuvres à la galerie Thuilllier : je libère ainsi beaucoup de place dans ma valise et je peux y transvaser une bonne partie du contenu de mon cabas. En accomplissant cette tâche indispensable pour me rendre à l’hôtel dans un meilleur confort, je m’aperçois que l’anse de mon cabas s’est emberlificotée avec celle de mon sac isotherme : le patron de la galerie me prête gentiment main forte. C’est sympa de sa part, même si je pense que je lui ai donné l’occasion de cerner une partie de ma personnalité… Que voulez-vous ! J’avais chaud, je dégoulinais de sueur, j’étais déjà épuisé, je n’étais donc pas en état de faire face posément à cette péripétie. Ça me rappelle que je n’ai jamais beaucoup ri quand je voyais Homer Simpson se mettre dans tous ses états quand sa maladresse le mettait dans une situation précaire : je me disais à chaque fois qu’à sa place, je réagirais exactement de la même façon… Les hommes qui ne perdent jamais leur contenance même dans les situations les plus délicates, on ne voit ça qu’au cinoche, pigé ? Vous ne me ferez jamais croire que Sean Connery, Harrison Ford ou George Clooney ne perdent jamais les pédales dans le privé…
Le carton d'invitation au vernissage (cette fois, j'y serai) : comme ça, vous savez où et quand c'est...
16h : Enfin à l’hôtel ! Le réceptionniste me demande une pièce d’identité : évidemment, j’ai toutes les peines à la retrouver et je dois littéralement vider ma sacoche avant de la trouver, ce qui provoque l’hilarité de l’employé et n’est pas fait pour arranger mon état nerveux… Ne m’en voulant pas de ne pas avoir retrouvé la patience (car je l’ai déjà perdue depuis un moment), il se propose de porter ma valise jusqu’à la chambre, ce que j’apprécie d’autant mieux que celle-ci est au cinquième étage et qu’il n’y a pas d’ascenseur ! Il a visiblement l’habitude de monter plusieurs fois cet escalier particulièrement raide : on ne peut évidemment pas en dire autant de ma modeste personne… Épuisé et encore bien chargé, j’ai bien du mal à le suivre… Bref, une fois arrivé, je m’écroule sur le lit !
Un croquis pour une mini-BD : pourquoi ai-je dessiné Bécassine, qui plus est avec une bouche ? Attendez que je sois rentré et que j'aie eu le temps de finaliser ma planche, et vous verrez.
Vendredi 7 mars
8h : Je ne suis pas redescendu depuis mon arrivée. Il faut dire qu’un escalier aussi raide, on y réfléchit à deux fois avant de s’exposer à devoir le remonter… Je compte m’envoyer un copieux petit déjeuner histoire de pouvoir sauter le repas de midi, mais le réceptionniste m’annonce que j’aurais dû réserver la veille… Tant qu’à faire d’être descendu, je réserve donc tout de suite pour les cinq prochains jours : heureusement qu’il me reste du thé et du café dans ma chambre ainsi que quelques fruits que j’avais emmenés. Je ne sais pas ce qui m’irrite le plus entre avoir être pris au dépourvu, devoir me contenter d’un déjeuner nettement plus frugal ou me retaper l’escalier…Vous trouvez que cette anecdote ressemble à celle de la douche de la piscine Saint-Marc ? C’est normal, je vis sans arrêt des mésaventures de ce genre, où on me traite comme si j’étais censé savoir quelque chose qu’on ne m’avait jamais dit ! À chaque fois que, je repense à Astrid et Raphaëlle, plus précisément à l’épisode dans lequel joue Gérard Majax : « Il fallait le préciser avant » oppose Astrid au prestidigitateur qui ne lui avait pas donné toutes les consignes avant de commencer son tour de passe-passe dont elle n’a rien à foutre puisqu’elle repère le truc tout de suite… Ceci pour dire : les neurotypiques peuvent bien s’amuser à ne nous révéler les règles à respecter qu’au dernier moment, ça ne nous empêche pas d’avoir souvent une longueur d’avance sur eux ! Certaines personnes disent que les personnes du spectre sont des mutants ! Moi, sûrement, avec la tête que j’ai…
Ma vidéo de la semaine :
13h30 : Je réintègre ma chambre après avoir ingurgité un couscous au Doudeauville, un petit restaurant situé dans la même rue que mon hôtel, et au rapport qualité-prix très acceptable. L’accueil du patron m’avait semblé un peu bourru, mais je crois qu’il était surpris de voir arriver un client qui n’était pas un habitué – la salle était presque vide. Ma chambre est plus longue que large mais je ne manque pas d’espace, j’ai la wifi et une salle de bain privative : un palace comparé aux auberges de jeunesse et aux Formule 1 auxquels j’ai été accoutumé jusqu’alors. La fenêtre donne sur la cour, j’échappe ainsi à l’animation urbaine, j’ai juste le bonjour du trafic ferroviaire du fait de la proximité de la gare du Nord, mais je ne trouve pas ce bruit désagréable, moins en tout cas que les pleurs d’un bébé… Je n’ai pas l’intention de faire du tourisme : c’est déjà la cinquième fois en moins de deux ans que je descends à Paris, la capitale n’est donc plus une découverte pour moi, je n’ai pas d’envie particulière et je ne suis pas encore tout à fait remis ni de mes dernières mésaventures ni de mon voyage… Ce soir, j’irai écouter Lyz’An qui fait sa « tournée parisienne » dans le 18e. D’ici là, je vais me reposer un peu…
Terminons avec un dessin qui tombe à point en cette veille de journée des droits des femmes - il illustre l'un des travaux d'Héraclès, plus précisément son combat contre les Amazones :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] À part la piscine Buisson, à Lambézellec, qui n’est pas ouverte au public.
[2] Je sais que c’est paradoxal car cette chanson est loin d’exalter la figure du plombier, mais l’ami Pierrot a cette grâce particulière qui fait que même en étant grinçant, il n’arrive pas à être méchant et on se prend avoir de la sympathie pour les personnages dont il épingle les travers. Si vous ne connaissez pas la chanson, retrouvez-la ici : https://youtu.be/PhGA9n3mezw?feature=shared
[3] « Ainsi passe la gloire du monde ».
[4] À découvrir ici : https://youtu.be/UHxsZhhZYDo?feature=shared
Samedi 22 février
11h : Je passe devant le Stella[1] et je peux ainsi apercevoir la « une » du hors-série du Télégramme sur le Stade Brestois avec pour titre « Ils nous ont fait rêver ». Ah bon, ils m’ont fait rêver ? Je suis ravi de l’apprendre, je ne m’en étais pas rendu compte, j’avais plutôt la nette impression de me foutre complètement de leur équipée européenne ! Il faut croire que je ne dois pas faire partie de la société… Ça n’a l’air de rien, mais c’est là que commence l’exclusion : quand on décrète que tout le monde pense la même chose d’un fait quelconque, sans même demander leur avis aux gens, niant de facto toute existence à ceux qui ne partagent pas cet avis. Si ça se trouve, les non-supporters sont plus nombreux que le prétendent les médias mais on ne le saura jamais puisqu’ils nous assènent d’entrée de jeu que les footeux « nous » ont fait rêver, reléguant ceux qui ne se conforment pas à ce modèle au rang de curiosités exotiques… Et, in fine, potentiellement dangereuses pour la communauté ! D’ici à ce qu’on conduise les gens comme moi au stade « pour autre chose que du sport » comme l’a chanté Yvon Étienne[2], il n’y a pas loin… Allez, ne flippons pas tout de suite et entonnons un refrain qui mériterait d’être l’internationale de tous les non-supporters du monde – je parie que vous ne savez pas qui en est l’auteur[3] :
On vend du shampoing, on veut des portables,
Nous les footeux, on est prêts à tout,
Oui le pognon, c’est ce qui nous rassemble,
Jouer au ballon, à vrai dire on s’en fout[4].
12h30 : Déjeuner au Biorek. Valérie, la maman d’Alexandre, trouve qu’il y a peu de monde en ville. Je ne la contredis pas : en venant, j’ai surtout croisé des touristes ! Il y avait des jeunes gens qui discutaient en anglais dans le bus et j’ai croisé dans la rue une famille qui essayait de s’orienter avec un guide en papier – comme quoi, n’en déplaise à ma jolie maman, il n’y a pas que moi qui refuse de céder au diktat du smartphone. Visiblement, les Brestois ont été nombreux à partir en vacances et la ville attire de plus en plus les touristes : tant mieux pour les dragueurs de petites étrangères mais, sorti de ça, je ne vois pas pourquoi ce qui est une calamité dans le Midi et à Paris serait une bénédiction chez nous…
Le 22 février, c'est aussi le Rihanna Day à la Barbade :
Dimanche 23 février
14h : Me sentant un peu déprimé, je relis mes livres de Nadine Monfils, la romancière belge à laquelle la littérature francophone actuelle doit ses polars les plus déjantés : j’avoue, j’avais un peu perdu le souvenir de l’intrigue de La petite fêlée aux allumettes, sans doute parce qu’elle est finalement occultée par les fredaines, aussi catastrophiques qu’hilarantes de l’incontrôlable Mémé Cornemuse, la vieille dame indigne qui défouraille à tour de bras. Ma situation, dont je ne suis pas fier mais dont je n’arrive pas à avoir honte, me rappelle la nécrologie de Frédéric Dard par Cavanna :
« Dard, au départ, comme tout un chacun, lance un flic choc : San-Antonio. Beau gosse, bagarreur, tout. Un vrai con. Dard, homme de métier, lui colle un faire-valoir : Bérurier. Bérurier, en moins de deux, dévore San-A. Bérurier, l’énorme, l’immonde, un Sancho Pança dégueulasse. C’est lui qu’on attend. San-A le play-boy nous emmerde. L’intrigue est ce qu’elle est, toujours honnête[5]. »
Mémé Cornemuse est donc à Nadine Monfils ce que l’inspecteur Alexandre-Benoît Bérurier était à Frédéric Dard[6] : un personnage tellement hors normes qu’il éclipse tous les autres, même si son rôle est, de prime abord, secondaire. Vous l’avez compris, je me régale à relire madame Monfils et je ne pense que je ne me lasserai jamais de ses romans. Cela dit, il y a quand même un passage qui me fait tiquer :
« De toute évidence, ou il écrivait façon textos, ou il était illettré. Tous les échanges qu’elle avait eus avec lui étaient bourrés de fautes d’orthographe. Mais la vieille s’en fichait. On n’était pas chez Pivot. D’ailleurs, elle n’avait jamais aimé ce type, ni ses émissions. Un chroniqueur littéraire qui n’aime pas les polars, c’est comme un prof qui n’aime que les premiers de la classe. Et tout le monde sait que ceux qu’on appelle les « cancres » sont souvent les plus intéressants[7]. »
Je suis parfaitement d’accord avec l’autrice pour dire que le préjugé de Bernard Pivot contre les polars était ridicule[8], mais je n’apprécie pas sa comparaison qui est finalement dévalorisante même pour le genre qu’elle pratique et défend : je peux attester que contrairement à ce qu’on croit, les cancres, du moins dans leur grande majorité, ne sont pas intéressants, ils ne sont pas sympathiques du tout et sont pires que cons ! D’accord, il existe des élèves intelligents qui ont de mauvaises notes parce qu’ils s’ennuient à l’école et qui deviennent finalement de grands artistes, de grands savants… Mais c’est finalement très rare ! Sinon, les génies seraient légion ! La plupart des cancres sont mauvais élèves parce qu’ils ne sont bons qu’à jouer au foot et à regarder la télé en buvant de la bière bas de gamme ! Et ils sont plus nombreux à devenir de gros beaufs supporters de foot, fan d’Hanouna et électeurs du RN qu’à être Mozart ou Einstein ! Quant aux premiers de la classe, il faudrait vraiment cesser de les dévaluer systématiquement : je l’ai déjà dit, la plupart des gamins qui sont bons élèves ne le font pas par méchanceté ! Et il ne faudrait pas s’imaginer qu’ils aiment plus l’école que les autres ! Cette petite conne de Léonie Gratin, dans L’élève Ducobu, qui saute de joie quand l’instituteur annonce une interro, c’est de la caricature, pigé ?
Lundi 24 février
11h30 : Le résultat des élections en Allemagne m’effare… Même outre-Rhin, ils tombent dans le piège ! Alors que c’est bien à cause de ces idées pourries que leur pays a fini par être dévasté ! Ah oui, mais c’était il y a quatre-vingts ans déjà, et la plupart des jeunes à qui on en parle aujourd’hui répondent probablement « J’étais pas né »… Tu n’étais pas né en 1945 mais, à la même époque, beaucoup sont morts prématurément, jeune gland ! Ils avaient ton âge et leur seul crime était d’être juif, tzigane ou homosexuel (entre autres particularités jugées indésirables par le petit caporal autrichien et sa clique de bouchers) ! Ne t’imagine surtout pas que l’extrême-droite s’arrêtera gentiment aux immigrés : quand le bon peuple commencera à s’apercevoir que la chasse aux métèques ne résout pas les problèmes de fin de mois, les fachos trouveront d’autres boucs émissaires et, de fil en aiguille, ils finiront par s’en prendre aux droits des femmes, des LGBT, des handicapés… Jusqu’à ce que, faute de chair fraîche à livrer en pâture à la vindicte populaire, ils t’envoient faire la guerre en Ukraine, en Corée du Nord ou au Canada aux côtés de l’armée de cette grande et belle démocratie que sont les États-Unis d’Amuskrique! Bon, pas de panique, on n’en est pas là : ils ne sont pas (encore ?) majoritaires et puis il y a quand même une défaite de l’extrême-droite à enregistrer : la disparition annoncée d’Hanouna des petits écrans ! Je suis tombé sur un article faisant état du dépit de ses fans : bien fait pour eux ! Je ne conçois pas qu’on puisse encore défendre ce clown maléfique sans être un gros facho ou un crétin inculte ! Prions quand même pour que « Baba » ne se lance pas en politique : il n’aura pas de problème pour recruter des miliciens… « Avant la prise du pouvoir par Hitler, les effectifs des S.A. atteignaient les deux millions de soudards fanatisés, tous recrutés parmi les anciens combattants de 14-18 devenus chômeurs[9] » nous rappelait Cavanna au début des années 1990.
14h : J’assiste à une réunion organisée à la fac par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne : j’y suis allé par curiosité, m’attendant à ce que ce soit un tantinet chiant et me promettant ne pas m’attarder une fois que ces messieurs-dames auront fini de détailler les services qu’ils peuvent rendre aux chercheurs. Finalement, ce n’est pas si inintéressant que ça, je prends même bonne note d’information qui pourraient m’être utiles pour mes projets et je me promets de les recontacter dès que possible. Il y a quand même un point de mon pronostic qui se vérifie : je ne m’attarde pas. Mais je me promets de mettre une gifle à la prochaine personne qui osera me soutenir que la curiosité est un vilain défaut !
Mardi 25 février
11h30 : J’étais d’humeur massacrante au réveil : j’avais un boulot chiant à exécuter et la simple idée de devoir m’y mettre me détruisait le moral. Pour ne rien arranger, il a fallu que je passe à la poste pour régler une formalité administrative à la con – un pléonasme, excusez-moi. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis néanmoins mis au travail, non sans prendre soin de faire tourner sur mon ordinateur une vidéo de pluie pour me calmer les nerfs. J’avais finalement réussi à trouver mon rythme de croisière dans l’exécution de cette tâche… Quand, tout à coup, le bruit de pluie qui me servait de tranquillisant s’est brusquement arrêté ! Ma connexion à Internet venait de sauter et j’ai eu beau débrancher et rebrancher la Freebox, ça ne redémarrait pas… Il va donc falloir appeler l’assistance Free, ce qui n’est évidemment pas fait pour arranger mon humeur… Il y a des incidents qui ont le chic pour se produire exactement au moment où il ne faut pas !
13h30 : C’est le coup de grâce ! Non seulement je n’ai pas réussi à joindre un seul conseiller de chair et d’os (tout s’est fait par l’intermédiaire d’un répondeur automatique) mais, pour finir, il faut prendre rendez-vous pour faire venir un technicien chez moi et, afin que je puisse indiquer à quel créneau il peut passer, on m’envoie un SMS avec un lien ! Et comment je fais, vu que je n’ai plus de connexion, grandes patates ? Complètement vidé, je file chercher du secours chez une amie qui habite à deux pas et qui, je le sais, ne me refusera pas son aide : je suis tellement stressé que je ne prends même pas la peine de me changer ! Je ne tiens pas à savoir de quoi j’ai l’air, dans la rue, en pantoufles et vêtu de mes frusques de dessinateur…
16h30 : Après deux heures de travail en compagnie de mon DVD du Chat de Geluck qui m’a aidé à faire abstraction du monde extérieur, je constate que ma connexion remarche… Elle est revenue comme elle était partie ! Je dois maintenant recontacter Free pour annuler le rendez-vous : je ne trouve rien sur l’espace abonné en ligne, je dois donc retéléphoner : c’est la croix et la bannière pour joindre quelqu’un et je suis même obligé de m’y prendre à deux reprises vu que, la première fois, je tombe sur une cruche qui ne comprend rien à ce que je lui dis, ce qui a achevé ma patience déjà bien entamée… Il faut être juste : ce genre de mésaventure est, somme toute, assez rare. Mais qu’est-ce que c’est chiant…
Ne me traitez pas de macroniste : je lui fais bien dire "presque"...
Mercredi 26 février
10h30 : Sous une pluie battante, je me procure le dernier numéro de Côté Brest. Je n’ai pas le temps d’attendre l’accalmie, c’est donc trempé comme une soupe que j’atteins l’abribus où je feuillette cette édition qui s’avère très intéressante, et pas seulement grâce à ma propre page : tout le contenu du journal m’inspire… Je suis quand même un peu surpris de constater que l’interview d’Enrico Macias est signée par notre nouvelle recrue qui se trouve être aussi une de mes anciennes camarades de Kerichen ! Il faut croire que la rédaction a décidé de la bizuter ! En tous cas, je lui dis merci, j’aime autant que ce soit elle plutôt que moi qui se tape les chanteurs ringardos… J’imagine que ma page histoire surprendra plusieurs personnes, mais depuis que j’avais découvert que les Guignols avaient fait allusion à Brest au moins deux fois dans les années 1990, je brûlais d’envie d’en parler aux lecteurs ; j’ai donc cherché si, parmi les personnalités liées à Brest, il n’y en avait pas au moins une qui avait figuré parmi les célèbres marionnettes… Et je n’ai trouvé que Béatrice Dalle ! J’ai donc préféré traiter d’un autre grand nom qui figurait sur la liste, Paul Deschanel : après tout, si les Guignols avaient existé dans les années 1920, il y aurait certainement figuré et on aurait eu droit à des sketches gratinés ! Pas tellement sur sa chute de train mais plutôt sur l’exploitation qui en a été faite par ses adversaires, trop heureux d’avoir un prétexte pour accuser de folie cet homme sincèrement attaché aux idéaux de la République, favorable au vote des femmes, à la décolonisation et à l’abolition de la peine de mort…
Quelques caricatures réalisées en vue de cette page, qui ont malheureusement été tronquées à la publication du fait de la mise en page, peut-être un peu trop rigide, du journal :
La pensée de la marionnette est inspirée d'une réplique du guignol de Chirac à celui de Balladur, prononcée en 1993... Putain, trente-deux ans !
Peut-être un peu trop nominative, cette caricature n'a pas été retenue.
13h30 : Je ne suis pas un inconditionnel de Zep, même si je reconnais qu’il a du mérite d’avoir fait tomber le tabou de l’angoisse infantile dans sa série principale (que je n’ai pas besoin, j’imagine, de vous nommer) : toutefois, j’aime beaucoup ses Happy books recueillant des gags liés par un thème bien déterminé. Je me suis donc procuré les albums Happy rock et, surtout, Happy parents qui me rend encore moins pressé de me reproduire : je l’avais déjà lu il y a longtemps mais j’en ris toujours autant aujourd’hui ! Il est juste dommage que l’auteur ait cru bon de raconter l’histoire de ce bon père qui, à force de vouloir se montrer bienveillant envers son ado qu’il croit en plein flirt, fait involontairement croire au jeune homme qu’il lui met la pression pour qu’il fasse l’amour avec sa camarade alors même qu’il n’en avait nulle envie… Philippe Chappuis[10] ignorait-il que ce gag avait déjà été fait par le regretté Wolinski et qu’on le retrouve dans le recueil de ce grand humoriste intitulé Mon corps est à elle ? Bon, je chipote, il en faudrait plus pour nuire à la qualité de cet album…
16h30 : J’ai beau exhorter mes concitoyens à patience face aux difficultés générées par le chantier de la deuxième ligne de tram, j’avoue que j’ai moi-même hâte que le gros du boulot soit terminé ! Pourquoi ? Voilà : s’il n’y avait pas le chantier, la circulation à l’heure de pointe, déjà laborieuse en temps normal, ne virerait pas tous les jours au cauchemar. Donc, s’il ne fallait pas éviter à tout prix d’emprunter l’avenue Le Gorgeu en fin d’après-midi, je n’aurais pas jugé nécessaire de me rapprocher le plus tôt possible de l’annexe des Beaux-Arts, et je serais resté travailler au Béaj Kafé au lieu d’aller le faire à la médiathèque de Bellevue où je supporte depuis deux heures et demie déjà le vacarme que font tous ces affreux petits jojos en courant et en poussant des cris ! Plus personne n’ose faire montre d’autorité envers les enfants, même et surtout dans les médiathèques parce que on ne veut pas dégoûter trop tôt les chers petits de la culture et, au final, ces établissements plus qu’honorables n’offrent plus un refuge contre l’agression permanente que constitue la civilisation… Certaines personnes fustigent mon manque de patience : j’estime au contraire faire montre d’une endurance hors du commun en me retenant de hurler « Vos gueules, les mioches » !
20h45 : Alors là, NON ! On ne peut rien m’opposer ! J’étais sur le passage clouté, il n’y avait pas de circulation, j’étais dans mon droit ! N’importe quel véhicule devait s’arrêter pour me laisser passer, quel que fût le temps que je pouvais mettre à traverser ! Il n’y avait donc aucune, je dis bien AUCUNE raison pour que ce connard, déboulant à toute vitesse sur sa moto, me refuse la priorité… Et fasse même un ÉCART pour me FRÔLER ! À un centimètre près, il me percutait ! On parle beaucoup des motards en colère… Mais pourquoi n’existe-t-il pas de collectif des piétons en colère ? S’il y a des gens qui ont lieu de se plaindre de la façon dont sont conçues les voies de circulation en ville, c’est bien nous ! Non seulement nous devons nous contenter des miettes que nous laissent les conducteurs de poubelles motorisées mais nous n’y sommes même pas en sécurité ! Que les automobilistes arrêtent de chouiner contre les prix de l’essence et la sévérité des règlements, ils ne sont vraiment pas les plus à plaindre…
Sans rapport : un dessin de mon évier.
Jeudi 27 février
14h30 : J’ai jugé préférable de prendre un Accemo pour honorer mon rendez-vous avec la psy. Le chauffeur m’a déjà pris en charge et se souvient de moi : il me demande s’il en va de même pour moi, je réponds mollement que oui. Il espère certainement être bienveillant et je n’ose pas lui expliquer que si je fais appel à ce service de transport à la demande, c’est justement parce que j’ai un handicap qui me rend difficiles les interactions sociales et qu’être traité comme un voyageur anonyme parmi beaucoup d’autres, loin de me déplaire, serait plus sécurisant pour moi… Décidément, il n’y a pas de panacée !
16h30 : Après avoir récolté auprès de mon pote Jean-Yves une histoire qui fera bientôt les délices des lecteurs de Côté Brest, je me replonge dans une corvée : la récupération des dessins qui sont publiés sur mon blog et que je n’ai plus sur mon disque dur depuis le larcin dont j’ai été victime à Paris il y a un peu plus d’un an. C’est long, fastidieux et, surtout, c’est un vrai exercice d’humiliation pour moi de me replonger dans ces dessins déjà très vieux et inégalement réussis : bien sûr, je ne récupère que ceux que je suis encore prêt à assumer, mais j’en arrive à me demander comment je pouvais espérer faire carrière à l’époque alors que j’avais déjà plus de trente ans… Déjà qu’aujourd’hui, j’ai encore des doutes !
18h : Conférence de Johann Leconte sur Fréderic Bouyer, navigateur brestois du XIXe siècle qui ramena d’un voyage vers la Guyane une preuve tangible de l’existence, alors sujette à caution, du calamar géant ! Et ce n’était qu’un de ses mérites parmi beaucoup d’autres : plus de détails dans un prochain Côté Brest… Pour l’heure, sachez seulement que l’orateur, qui se défend pourtant d’être un professionnel, m’offre ce que je commençais à désespérer de trouver : une conférence bien ficelée, passionnante de bout en bout, sans un temps mort, et qui ne laisse à personne le temps de bavarder ! Je n’ai qu’un mot : bravo ! Quand c’est bien, il faut le dire aussi !
19h : Fait rarissime et qui confirme l’intérêt de la conférence : je pose une question ! En effet, Frédéric Bouyer a commencé sa carrière sous la monarchie de juillet et l’a terminée sous la IIIe République en passant par le Second Empire. Je demande donc si ce marin, qui a laissé beaucoup d’écrits et a servi sous trois régimes politiques différents, a eu l’occasion s’exprimer sa préférence pour l’un d’eux. La réponse est non : monsieur Leconte n’a rien trouvé permettant de cerner la sensibilité politique de ce navigateur. De prime abord, c’est un comble pour un homme du XIXe siècle qui était pourtant instruit, érudit même, et qui n’était même pas insensible à la question sociale, comme en témoigna, entre autres, un article qu’il rédigea pour dénoncer la condition des mousses en son temps… En même temps, Bouyer a connu tellement d’aventures sur la mer qu’on ne peut pas lui reprocher d’être resté indifférent à celles qui ont secoué le pays qui le payait pour voyager ! Comment pourrait-on avoir envie de faire la révolution quand on a le privilège de visiter le monde entier ? Laissons ça à ceux qui de bonnes raisons d’être malheureux…
Une vidéo sur une autre personnalité qui fait la fierté des Brestois :
19h30 : Tout heureux d’avoir récolté assez de matière pour le journal, j’attends le bus à la station Liberté Morvan. Je feuillette un album de bandes dessinées trouvé dans une boîte à dons, un produit publicitaire édité pour Bouygues Télécom et compilant des gags de Cubitus, Achille Talon, Léonard et Boule et Bill sur le thème des télécommunications : je l’ai pris pour le plaisir simple et enfantin de retrouver les séries comiques qui ont marqué mon enfance et dont je ne renierai jamais le plaisir qu’elles m’ont apporté. Soudainement, mon livre est maculé (par bonheur à un endroit où ne figure aucun dessin) d’une matière brune manifestement tombée du ciel et dont je ne parviens à cerner ni la nature ni l’origine exacte : ce n’est pas une chiure d’oiseau, ce serait autrement plus malodorant et difficile à enlever. Naturellement, je ne peux compter sur aucun témoin pour éclairer ma lanterne : non que je sois seul, mais toutes les autres personnes attendant l’autobus ont le nez sur leur smartphone… Je pense que j’aurais presque préféré qu’ils assistent à l’incident, quitte à ce qu’ils se moquent de moi. Comme disait Cavanna (oui, encore lui) : « Il y a plus insultant que le rire. C’est l’indifférence[11]. » Je demande à une jeune fille de bien vouloir lever les yeux pour vérifier si je n’ai pas une salissure sur ma casquette : elle me répond par la négative, visiblement d’assez mauvaise grâce, mais je ne sais pas si c’est à cause du ton, un peu condescendant j’en conviens, avec lequel si je l’ai questionnée, ou si c’est tout simplement parce que j’ai eu le front de la déranger de son écran chéri pour lui rappeler qu’il y a un monde autour d’elle.
Toujours sans rapport : un dessin de mon four.
Vendredi 28 février
10h30 : Au marché de Lambézellec, le stand « Mon réseau grandit », qui informe les gens sur l’avancement des travaux du tramway, est au rendez-vous, tenu par le père de la fiancée de mon cousin : je lui demande si les gens ne sont pas trop désagréables, mais non, il semble même qu’ils se sont habitués à la situation et en ont pris leur parti. Tant mieux si ça peut éviter à ce brave homme, qui est littéralement en première ligne, de se faire insulter ! Mais au train où vont les choses, quand le chantier sera terminé (en principe pour la fin de l’année), vous allez voir que les Brestois se plaindront d’être obligés de se réhabituer à une situation normale…
12h45 : Un peu (et même beaucoup) par hasard, j’apprends la mort de Michelle Trachtenberg. Je ne connaissais pas les séries dans lesquelles elle jouait, mais je me dis que c’est quand même dommage : elle était jeune, elle était belle, elle avait du talent… Décidément, il n’y a pas de justice ! Je ne cite personne, suivez mon regard…
13h40 : J’ai repris un Accemo pour honorer un rendez-vous à la faculté : cette fois, le véhicule est conduit par une dame que je ne connais pas. Et réciproquement : comme tous les gens qui viennent à mon adresse pour la première fois, elle est d’abord passée devant l’allée menant à mon immeuble sans la remarquer et c’est en me voyant l’attendre sur le trottoir qu’elle a compris où s’arrêter ! Elle me demande si j’ai besoin d’aide pour mettre la ceinture : je réponds que non mais que je lui saurais gré de parler moins fort et de baisser le volume de sa radio… Ce système de déplacement à la demande n’est pas mauvais, mais il serait encore meilleur si on pouvait informer les conducteurs que le monde du handicap est pluriel et ne se réduit pas aux gens qui ont besoin d’assistance pour des gestes élémentaires !
13h55 : Nous approchons de la fac : un jeune homme remontre l’avenue Foch, qui est en pleins travaux, en improvisant un numéro de funambule sur une des étroites barres de ciment laissées par les ouvriers. Comme une demoiselle marche à côté de lui, je ne peux m’empêcher de dire : « Il y en a qui ne savent plus quoi inventer pour impressionner les filles ! » Mais quand il se sera cassé la gueule en tombant, je lui souhaite bon courage pour continuer à draguer…
14h15 : L’entretien à la fac aura été bref, j’avais seulement besoin de précisions sur un événement organisé le 27 mars prochain mettant en avant une poétesse écossaise et une chanteuse bretonnante : j’ai remercié mes interlocuteurs pour leur accueil, mais ils ont insisté sur leur conviction que c’était à eux de me remercier et ils m’ont même offert un exemplaire du recueil de la poétesse en édition bilingue[12] ! Je leur ai pourtant bien précisé que je ne voulais pas les faire rêver et que l’annonce de l’événement dans le journal ne prendrait que quelques lignes… Je serai toujours impressionné par l’importance qu’on a aux yeux des gens quand on leur promet ne serait-ce qu’une mention dans la presse !
18h30 : Vous vous souvenez des Animaniacs dans les années 1990 ? Entre autres merveilles[13], cette série animée produite par la Warner, où sont nés les inénarrables Minus et Cortex, proposait une pastille intitulée « Bonne idée – Mauvaise idée », avec par exemple : « Bonne idée : jouer du pipeau en défilant dans les rues – Mauvaise idée : jouer du piano en défilant dans les rues ». Comme dirait Gainsbourg[14] : ça vous a plu, hein, vous en demandez encore ? Alors voilà. Bonne idée : descendre au Kafkérin pour aller écouter Jeanne Rose, le jeune prodige brestois de la chanson. Mauvaise idée : venir deux heures avant l’heure du concert et se taper le vacarme du réglage de la sono. Jeanne a intérêt à chanter divinement pour me faire oublier ces bruits aussi discordants qu’incongrus…
20h30 : Évidemment, Jeanne Rose n’a aucun mal à satisfaire mes attentes. Du haut de ses douze ans, elle a déjà tout d’une grande dame et je ne regrette pas d’être venu. Je n’approuve pas forcément tous ses choix de reprise, mais elle chante si bien qu’elle peut se permettre d’interpréter n’importe quoi ! J’ai beau détester Balavoine, je ne lui reprocherai de finir sur une reprise du « Chanteur » qui prouve qu’elle a le sens de l’autodérision. J’ai même pleuré sur « Évidemment » de France Gall puisque c’était la chanson qui a été jouée aux obsèques de ma tante Karine… Pour la féliciter, je lui offre un portrait réalisé sur le vif : je lui ai fait des mains un peu trop potelées, mais il lui en faudrait plus pour dédaigner cette offrande d’un admirateur sincère. Et dans le pire des cas, on pourra toujours dire que ça lui permettra de passer dans un épisode des Simpson… Quoi ? La série s’arrête ? Et bien c’est dommage pour Homer[15], il ne rencontrera pas Jeanne !
Deux croquis exécutés au cours de cette soirée très réussie :
Quelques photos :
Avec, en post-scriptum, Jeanne posant fièrement (?) avec mon dessin :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Bar-tabac-presse de Lambézellec, à ne pas confondre avec le Score qui lui fait face et qui, de toute façon, est en travaux à l’heure où j’écris ces lignes.
[2] Dans sa chanson « Mes collections » où il classe le Parc des Princes parmi les lieux qui attirent son mépris. Retrouvez-la ici : https://youtu.be/YSCUURPUb00?si=L1VPT9NBDl4pbUzs
[3] C’est Karl Zéro !
[4] Retrouvez cette parodie de la chanson de Johnny Hallyday pour la coupe du monde football 2002 à cette adresse : https://youtu.be/GWFZPyDFRdQ?si=MHL2yXtE-GWJEdnT
[5] Charlie Hebdo n°417, 14 juin 2000, repris dans Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves, Wombat, collection « Les intempestifs », Paris, 2023, p. 140.
[6] Ne me parlez des pâles copies de ses livres dues à son rejeton, s’il vous plaît.
[7] Nadine Monfils, La petite fêlée aux allumettes, Belfond, collection « Piment » Paris, 2012, p. 185.
[8] Ce qui n’enlève rien à son mérite d’avoir donné au grand public l’accès à une certaine exigence littéraire. Après tout, personne n’est parfait !
[9] François CAVANNA, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 222
[10] Vrai nom de Zep.
[11] Préface à Le pire de Hara-Kiri, Hoëbeke, Paris, 2010, p. 7.
[12] La traduction française ne sera pas superflue car cette autrice n’écrit pas en anglais mais en dialecte des Shetlands !
[13] Pour être tout à fait franc, je n’ai jamais été fan des Animaniacs : quand j’ai vu pour la première Yakko, Wakko et Dot pousser leurs hurlements, j’ai eu une trouille bleue ! Mais j’ai été marqué par le gag que je cite ici.
[14] Dans « Bonnie and Clyde », qu’il a chanté avec Brigitte Bardot quand celle-ci semblait encore sympathique et intelligente, comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences.
[15] Non, je ne plains pas le reste de sa famille : j’avoue que je n’aimais pas trop Marge qui me rappelait ma mère dans ses plus mauvais moments. J’ai souvent détesté Lisa comme j’ai toujours détesté les personnages moralisateurs. Quant à Bart, je le haïssais parce qu’il me rappelait trop les petits branleurs qui me pourrissaient la vie à l’école. En revanche, je m’identifie beaucoup à Homer qui incarne ce que nous avons tous de plus bas mais avec une façon de le porter bien en haut qui est rédemptrice.
Vendredi 14 février
17h30 : Vacances scolaires obligent, il n’y a pas de cours de natation en ce moment. Histoire de ne pas perdre le rythme de l’entraînement, je profite d’être provisoirement libéré de toute obligation pour aller nager à Recouvrance. Au moment de monter dans le tramway, je constate que les panneaux d’affichages diffusent des messages incitant à prendre le tram pour assister au match de football « SB29-AJA » qui aura lieu ce soir. Le Stade brestois affronte l’Ajax d’Amsterdam ? Décidément on aura tout vu ! Non, renseignement pris, il s’agit de l’AJ Auxerre, ce qui est déjà moins étonnant mais reste tout de même presqu’irréel pour moi qui ai grandi avec la figure de Guy Roux. Est-ce que je suis fier de ma ville pour autant ? Pas du tout : il faudrait plus que ça pour me guérir de mon aversion pour tout esprit de clocher et, surtout, l’annonce a pour seul résultat de me faire jurer de ne pas m’attarder en ville afin de ne pas risquer de croiser une meute de supporters !
18h15 : La piscine de Recouvrance était fermée pour problème technique, je me suis rabattu sur celle de Kerhallet à Bellevue. Qu’est-ce que ça change ? Dans l’absolu, il est vrai, pas grand’ chose… Sauf que, quand j’étais petit, ma mère, constatant que j’étais plus apaisé dans l’eau, avait eu l’idée de m’inscrire à l’activité « natation » proposée par le Patronage laïque du Bergot, dans l’espoir de me donner le goût de l’effort physique et de me « sociabiliser ». Seulement voilà : je vivais comme une punition le fait de devoir sortir de la maison alors qu’il faisait déjà nuit et, surtout, j’avais beau aimer l’eau, la compagnie des enfants de mon âge m’était toujours aussi insupportable. Ceci pour dire que la piscine Kerhallet a été le théâtre d’un double échec familial : échec de ma part, puisque je n’ai finalement appris à nager que bien plus tard, et échec de ma mère à comprendre que l’insociabilité de son grand garçon n’était pas dû à un manque de bonne volonté mais bien à un handicap invisible… Bref, venir y nager aujourd’hui, c’est une petite revanche pour moi ! Surtout à cette heure où elle est peut fréquentée et où il règne un calme remplaçant avantageusement le vacarme des affreux petits jojo du patro[1]…
19h20 : Après trois quarts d’heure de nage, j’ai bien mérité un bon repas : heureusement, l’auberge Napoléon III, où les mets sont délicieux malgré le nom peu inspiré de l’établissement, est à deux pas. En chemin, je croise un type qui porte, entre autres, un ballon de baudruche en forme de cœur : il y en a qui n’ont pas peur du ridicule pour déclarer leur flamme… Je dis parfois qu’il faudrait fêter l’amour toute l’année ; mais si ça doit passer par l’achat de babioles grotesques ou l’exécution de rituels imbéciles comme les cadenas d’amour, mieux vaut, à tout prendre, qu’il n’y ait qu’une saint-Valentin par an.
19h50 : En attendant mon andouillette (je n’ai pas souvent l’occasion d’en manger), je jette un œil sur mon téléphone et je constate que j’ai un message d’une personne qui ne me contacte pas souvent : une jeune cousine, actuellement au collège ! Cette jeune fille n’est pas n’importe qui dans la famille : non seulement elle est si belle qu’on lui donnerait le bon dieu sans confession mais, surtout, sa maman nous a quittés quand elle était encore bébé, et comme la demoiselle ressemble de façon plus que convaincante à la défunte, nous ne pouvons nous empêcher de lui vouer une dévotion presque totale. La donzelle me sollicite parce que son sadique de professeur de français, qui n’a visiblement rien compris à la jeunesse, a eu l’idée idiote de faire lire Carmen de Mérimée à sa classe : évidemment, ça ne la passionne pas, et avec son intellect d’adolescente du XXIe siècle, elle s’enlise complètement dans la langue surannée de Mérimée… Bref, elle me demande de lui faire un résumé. Comment dire ? Je me sens comme un chevalier chargé d’une mission par sa dame ! Vous allez me dire que c’est ma cousine et qu’elle est de surcroît mineure ? Mais justement : dans l’amour courtois, il ne peut rien avoir de sexuel entre le chevalier et sa dame, je vous le rappelle !
Samedi 15 février
9h35 : Drôle d’idée, j’en conviens, de s’installer dans le hall d’une mairie de quartier pour écrire sur mon ordinateur ! Une employée ne manque pas de me le signaler à sa manière en me demandant si j’ai rendez-vous : je lui explique donc que j’attends l’heure de l’ouverture de la médiathèque, qui n’a lieu que dans vingt-cinq minutes. Dans ce hall, au moins, je suis au chaud et je peux avancer un peu sur mon travail ; j’ai l’expérience des attentes passées le cul par terre dans le froid et je peux attester que ça n’a rien de gratifiant ! Rien que pour ça, j’imagine ce que doit être la détresse des sans-abris…
10h15 : J’avoue, je n’avais encore jamais vraiment lu Carmen ; j’avais vaguement entendu parler de l’histoire de la belle Bohémienne qui pousse ses soupirants à s’entretuer, mais j’avais trouvé ça tellement con que je n’avais jamais vraiment pris la peine de m’y intéresser, d’autant que le style de Mérimée, pour ce que j’en connais, ne m’a jamais fait vibrer Pour ne rien arranger, ma mère avait pris le fameux air du toréador de l’opéra de Bizet comme sonnerie de portable à l’époque où son père était à l’agonie, de sorte que cette « minable musiquette de bastringue[2] » comme l’appelait Cavanna est désormais associée au souvenir des pires vacances de ma vie, celles où nous recevions au quotidien des nouvelles toujours un peu plus pessimistes de la santé de mon grand-père et où il a fallu finalement rentrer en catastrophe pour assister à ses funérailles…Alors voilà : pour rendre service à une belle jeune fille, qui se trouve être ma cousine et est donc aussi la petite-fille de cet homme que j’avais pleuré en cet été 2002 (même si elle ne l’a pas connu), je lis la nouvelle de Mérimée… Et je ne m’étonne plus que ma jeune parente ne se passionne pas pour cette histoire ! Je m’étonne encore moins qu’elle ait servi d’argument pour l’opéra le plus con du monde – Dieu sait pourtant si la concurrence est rude ! Carmen ? Un ramassis de poncifs sur l’Espagne, les Gitans et les femmes pour conforter le mâle gaulois dans l’idée qu’il s’en fait, rien d’autre : cette nouvelle véhicule le cliché de la femme qui serait perverse et dangereuse à partir du moment où elle refuse de se laisser dominer par les hommes, à plus forte raison si elle est exotique ! Cette vision de l’altérité ne passerait plus aujourd’hui… Et c’est tant mieux !
Mardi 18 février
9h : Je me suis arrangé pour concentrer toutes mes sorties sur la seule journée du jeudi, histoire d’avoir un peu de tranquillité et de me consacrer pleinement à l’avancement de mon œuvre. J’aurais pu me permettre une grasse matinée aujourd’hui, mais je suis réveillé en sursaut par le vacarme qui vient de la cour : se seraient-ils enfin décidés à raser la vieille baraque pourrie occupée jadis par une vielle folle qui m’avait jeté une boîte de conserve ? Ou sont-ils plus simplement occupés à vider l’appartement du rez-de-chaussée dont le locataire est mort il n’y pas si longtemps encore ? Mû par une curiosité que j’ose croire légitime, j’ouvre le volet et la fenêtre de ma chambre : je peux voir des travailleurs en pleine action. Je me sens un peu comme Gaston Lagaffe observant les ouvriers rénovant un trottoir parce qu’il est passionné par le travail à condition que celui-ci soit un spectacle auquel il ne participe pas… L’un des travailleurs me remarque et me salue ; j’en profite pour lui demander ce qui se passe : il me répond qu’ils sont effectivement en train de vider un appartement, mais celui-ci est situé en haut de l’immeuble. Alors décès ou déménagement ? Je ne le sais pas et je ne veux pas le savoir ! Je réalise maintenant que ça fait bientôt six ans que j’habite cet immeuble et que je n’ai jamais pris la peine de monter les escaliers jusqu’aux étages situés au-dessus de la porte de mon appartement. Et pourquoi l’aurais-je fait, d’ailleurs ?
Jeudi 20 février : Cindy Crawford a 59 ans
Réponse : l'anneau, c'est moi qui l'ai rajouté parce que j'ai légèrement abîmé la photo employée pour faire ce collage...
10h45 : Peu pressé de retrouver le bus et ses autres usagers, j’ai pris un Accemo pour honorer un rendez-vous. D’habitude, quand je fais appel à ce service auquel j’ai droit en tant que personne en situation de handicap, le chauffeur est toujours en avance : c’est la première fois qu’il est en retard ! Au téléphone, on me confirme toutefois qu’il doit être en route et qu’il ne devrait donc pas tarder… En attendant, donc, je poireaute sous une pluie battante dans le maigre abri que me procure la porte principale de l’immeuble… Décidément, Accemo dépanne bien, mais ça ne résout pas tous les problèmes !
10h55 : Alors que je viens de prévenir mon ami que j’aurai du retard, je reçois un coup de fil de la chauffeuse : elle avait beau avoir l’adresse, elle a quand même cru qu’il fallait venir me chercher à la résidence senior située de l’autre côté de la rue… Quand j’arrive, elle me demande si je n’ai pas d’accompagnant avec moi : je réponds par la négative sans oser détailler, n’ayant pas envie de me lancer dans un exposé sur le spectre autistique… Une fois en route, elle me pose une autre question : est-ce que l’adresse de destination que j’avais donnée est en bas ou en haut de la rue ? Je m’en tire en répondant : « Si je vous dis que je n’en sais rien, vous me croyez ? » Et oui, madame, si je fais appel à un service de transport à la demande pour personnes handicapées, c’est qu’il y a une raison…
11h10 : Enfin arrivé à destination, j’explique les raisons de mon retard à mon ami. Il me dit avoir parlé à une autre personne du spectre, que je connais par ailleurs, qui n’aurait pas réussi à prouver que son invalidité était suffisamment élevée pour prétendre à ce service de déplacement à la demande. C’est profondément injuste : même si les profils autistiques sont variés, à peu près toutes les personnes avec autisme souffrent au quotidien de se déplacer dans des véhicules bruyants et surchauffés en compagnie de personnes inconnues et indifférentes, surtout si, à l’angoisse que cette situation génère, vient s’ajouter celle d’arriver en retard à un rendez-vous… Et comment voulez-vous quantifier cette invalidité, d’ailleurs ? Ce n’est pas parce qu’un handicap est « invisible » qu’il est moins gênant au quotidien que s’il était visible ! La différence n’est même pas quantitative mais qualitative : la difficulté qu’éprouve au quotidien une personne en fauteuil roulant pour se déplacer n’est en aucun cas comparable à la souffrance que génère tous les jours, chez un autiste, le simple fait de vivre en société ; il n’y en a pas une plus ou moins grande que l’autre, elles sont trop différentes pour être mise en balance. De façon générale, tout ne peut pas être traduit par des données chiffrées, et le handicap en fait partie ! « La vie, c’est pas des maths…[3] »
Faisons une pause : voici une petite BD vite faite sur une cause qui me tient à cœur, celle du harcèlement scolaire...
13h30 : Après un bon déjeuner au Biorek, je comptais passer à Bureau Vallée pour faire un tirage au format A5 de mes poèmes, plus pratique que le classeur que je trimballe habituellement à chaque scène ouverte. Manque de bol, c’est exceptionnellement fermé jusqu’à quatorze heures ! Je décide d’en profiter pour faire une pause au Beaj Kafé mais, auparavant, je prends le dernier Côté Brest qui est justement à la disposition des passants dans un présentoir : outre ma propre page « histoire », je remarque surtout l’article de mon camarade Julien Saliou sur les prix des transports publics à Brest ; apparemment, ils seraient nettement moins chers dans notre bonne ville du Ponant que dans la plupart des métropoles françaises. Je ne suis pas étonné d’apprendre que c’est à Paris qu’ils sont les plus élevés, j’avais été soufflé de constater qu’un aller-retour complet y coûtait cinq euros ! On peut même se demander si tous les types qui y font la manche ne le font pas justement pour pouvoir se payer un ticket…
13h35 : Je porte quatre sacs ! Ma sacoche sur le ventre, mon sac à dos à l’arrière, mon sac de piscine dans une main et mon sac à ordinateur dans l’autre ! Alors quand j’ai enfin l’opportunité de poser tout ça dans un café, j’oublie un peu la prudence… Et l’une des ficelles de mon manteau, détendue par le dépôt de mon sac à dos, m’envoie sur le front l’espèce de gland qu’elle porte à son extrémité ! Je pousse un hurlement qui fait trembler tout l’établissement : je me tape la honte mais comment faire autrement quand on ressent quatre émotions négatives en une fraction de seconde ! Oui, quatre : la douleur bien sûr, mais aussi la surprise car je ne m’attendais pas à cette avanie pour le moins inhabituelle, ainsi que la colère contre les fabricants de fringue qui garnissent leurs oripeaux de babioles inutiles qui se révèlent même dangereuses et, enfin, la peur car, à un centimètre près, je me la prenais dans l’œil… Ça vous va, comme circonstances atténuantes ? Je pense avoir mérité d’être acquitté ! Je me sens soudain proche de Lucky Luke : moi aussi, je suis fâché avec le chiffre quatre !
13h40 : Attablé, je relève mes mails. Je découvre ainsi un message de l’assurance maladie m’annonçant que ma demande de Complémentaire santé solidaire avait bien été enregistrée… Près de quinze jours après son envoi ! Et il leur a fallu une semaine supplémentaire pour me le faire savoir… Et me notifier que je recevrai leur décision d’ici un mois ! Je me sens très proche de Chirac dans les Guignols, d’un coup : « Oh, putain, c’est long ! LONG ! » Si ceux qui nous traitent d’assistés pouvaient savoir à quel point nous jouons des coudes pour trois fifrelins, ils la ramèneraient peut-être un peu moins…
Faisons une autre pause : voici un reportage où j'apparais malgré moi. J'avais bien vu, au moment où je me dirigeais vers le comptoir, que les caméras tournaient, mais j'avais décidé de commander et il fallait plus que ça pour me détourner de mon objectif...
17h : Après avoir réceptionné tous les tirages que j’ai commandés et après avoir nagé pendant trois quarts d’heure à Recouvrance, me revoilà au Beaj pour une tâche pour le moins fastidieuse : la fouille de mon blog. En effet, suite au larcin dont j’ai été victime à Paris en septembre 2023, j’ai perdu beaucoup de fichiers, dont un bon paquet de dessins numérisés. Le seul moyen de les récupérer et de faire des clics droits sur les plus vieilles pages de mon blog… En deux heures, je récupère la production de deux mois et il me manque encore celle de deux années et demie ! J’ai souvent condamné le fait de haïr quelqu’un sans le connaître, mais je fais une exception pour mon voleur…
19h15 : Je dois avoir un don pour collectionner les instants fastidieux et inconfortables. Plantons le décor : il fait nuit, il pleut, j’attends le bus au pied de la galerie commerciale Coat ar Gueven en compagnie de tous les ploucs de Bellevue qui sont impatients de rentrer dans leurs clapiers, j’engloutis un casse-croûte froid car j’ai une faim de loup. Il y a sûrement pire que ma situation, je vais me dire ça pour me donner du courage. Un gazier se sent obligé de me dire « bon appétit » : je n’ai jamais compris pourquoi on disait ça aux gens qu’on surprend en train de manger ! Et dire que je fais tout ça pour participer à une scène ouverte…
20h : Au Kafkérin, Claire m’a proposé d’ouvrir la soirée. Je ne me suis pas fait prier et j’ai déclamé trois slams sur l’amitié. J’ai encore droit à des remarques sur mon débit oratoire : oui, je parle vite, et je n’y peux rien ! Vous n’avez qu’à m’écouter au lieu de regarder vos smartphones, crétonnerre !
21h40 : Il faut bien dire ce qui est : au Kafkérin, il y a un assez bon turn-over sur scène, on est loin du désert auquel on avait si souvent droit au Temple du pharaon ! Il faut dire que le bar de ce cher Mamdouh, situé en plein centre-ville, pâtit certainement d’une forte concurrence dans cette zone, tandis que le Kafkérin, café associatif installé au cœur d’un quartier déshérité, a comblé un vide… Après le passage de six autres artistes dont elle-même, Claire m’a invité à revenir sur scène : je ne m’y attendais pas vraiment et mon élocution s’en ressent, d’autant que je commence sérieusement à sentir le poids de la fatigue accumulée au cours de cette journée bien remplie. Toutefois, comme notre ami conteur Michel Lidou nous a rejoints entretemps, j’ai l’idée de lui rendre hommage en racontant à ma façon « l’histoire absurbe » reprise dans le tome 4 de la Rubrique-à-brac[4]. Il n’en faut pas davantage pour le motiver à remonter sur scène et donner un aperçu de son spectacle où il revient sur son passé de travailleur social aux côtés des sans-abris… Donc, voilà : une prestation mitigée, mais dont je retire la satisfaction d’avoir servi d’aiguillon à un autre artiste qui, sans ça, se serait peut-être fait prier pour nous faire profiter de son talent…
21h50 : Should I stay or should I go ? Je me tâte : j’avais bien prévenu Claire que, chargé comme je suis et avec le temps qu’il fait, j’aimerais autant ne pas rater le bus de 22h. Mais en même temps, je sais que Michel accepterait volontiers de me voiturer. Cela dit, je suis déjà tellement fatigué que je ne suis pas certain d’avoir envie d’attendre qu’il parte lui aussi ! Alors qu’est-ce que je fais ? Finalement, c’est le chanteur qui passe sur scène qui m’aide à trancher : il nous fait une reprise de « Il tape sur des bambous » ! Il ne m’en faut pas davantage pour me décider à partir… Avant que je ne tape moi-même sur autre chose !
Vendredi 21 février
11h30 : Au cours de ma dernière escapade parisienne (ou avant-dernière si on compte mon bref passage lié au salon du livre de Saint-Brice-sous-Forêt), j’avais été marqué par la présence, dans les arènes de Lutèce, d’un groupe de crétins qui faisaient semblant de toréer. J’avais cru qu’ils jouaient aux toréros comme des gosses pourraient jouer aux cow-boys et aux Indiens. Mais j’ai reçu ce matin un mail d’un de mes contacts à la capitale me révélant, par un article paru dans Libération, que c’est bien pire que ça : ces simulacres de corrida sont organisés par des clubs taurins ! Bref, ils s’entraînent VRAIMENT à massacrer ces pauvres bêtes ! En plein dans une ville où la corrida est interdite ! Des associations veulent faire interdire ces entraînements : si une pétition circule, je la signe les yeux fermés ! Je repense à la nouvelle de Mérimée que j’ai dû lire pour aider ma cousine : la Bohémienne a beau être une femme fatale, elle est tout de même assez conne pour s’enticher d’un picador, un bellâtre dont le job consiste à planter des piques dans les dos du taureau pour l’affaiblir encore davantage… Bref, laissons le mot de la fin à Cavanna : « "Carmen", que de mal tu auras fait, triste pute, en réinjectant dans les crânes épais qui n’y pensaient plus la fascination morbide de la corrida[5] ! »
En guise de post-scriptum, voici ma vidéo du vendredi, consacrée à une figure brestoise native de Belgique :
[1] J’écris ceci sans mépris aucun pour le PL Bergot dont les bénévoles font un travail remarquable pour animer la vie dans le quartier de Bellevue : une pensée au passage pour mon ami Dédé qui en fut longtemps le président.
[2] François CAVANNA, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 17.
[3] Réplique d’Astrid et Raphaëlle.
[4] Mais si, rappelez-vous, celle du prisonnier condamné à « mort-mort » par un juge bègue, mettant le roi et le bourreau dans l’embarras : comment peut-on tuer quelqu’un deux fois ?
[5] Cf. supra.
Commençons par un hommage à Osamu Tezuka, le dieu du manga, qui nous a quittés il y a exactement 36 ans, le 9 février 1989 - je ne suis pas fou des mangas ni même des anime japonais, mais j'ai un faible pour la version "adulte" de l'héroïne de sa série Merveilleuse Melmo qui me fait penser à une Rachida Dati en version "gentille"...
Lundi 10 février
18h15 : Ma toux ne s’arrangeant décidément pas, je me suis résolu, au lendemain d’un dimanche plutôt paisible, à sortir pour consulter mon généraliste qui m’a donc dit que j’avais un « rhume à la con » – oui, c’est bien l’expression qu’il a employée, le temps où les médecins émaillaient leurs diagnostics d’expressions latines est révolu. Il m’a donc prescrit de la cortisone à prendre pendant trois jours (pas davantage), m’a recommandé de me rincer le nez à l’eau de mer (ce que je faisais déjà), de manger du miel (ce que je faisais aussi) et de me faire des gargarismes – ce que je n’avais pas encore jamais fait : je peux attester que c’est dégueulasse mais que ça marche. Bref, après la visite chez ce bon docteur, je passe en coup de vent à la pharmacie du Pilier Rouge et à peine suis-je sorti de l’échoppe que je suis saisi par les cris de deux types qui semblent tenir à ce que tout le quartier entende leur conversation ! Tremblant de tout mon corps, je ne peux m’empêcher de leur lancer « Gueulez plus fort, tout le monde ne vous a pas entendu », ce à quoi l’un des deux répond : « Ho, y a pas que le français sur terrer » ! Car oui, ils criaient en arabe[1], mais ils l’auraient fait dans une autre langue que j’aurais réagi de la même manière ; seulement voilà, à notre époque où, quoi qu’en disent les mâles blancs prompts à se poser en victimes, la xénophobie s’exprime sans pudeur, il n’est plus possible de faire des reproches à quelqu’un qui n’a pas une tête de Gaulois sans être automatiquement mis dans le même sac à merde que les Zemmour, Bardella, Retailleau et autres Le Pen ! Et pourtant, la connerie n’a pas de nationalité ! On le saurait…
Puisqu'on parle des virus hivernaux :
18h40 : Dans le bus qui me ramène à Lambé, je termine la lecture du numéro 16 de Présence d’Albert Camus qui m’avait été gracieusement envoyé par la Société des Études Camusiennes (je les en remercie au passage) : les dernières pages de cette livraison de cette brillante revue sont consacrées à deux nécrologies, à savoir celle de Fernande Bartfeld, dont j’ai dû moi-même lire quelques articles pour les besoins de mes recherches, et celle de Pierre Le Baut dont, à quoi bon le taire, j’ignorais encore jusqu’à l’existence la veille. Je suis un peu étonné d’apprendre qu’un homme qui a été ordonné prêtre a pu faire partie de la communauté camusienne (qui est aussi vaste qu’accueillante, il est vrai) , tant Camus s’était tenu à l’écart du christianisme (en parfaite connaissance de cause, il faut le souligner) : si j’étais optimiste, je pourrais dire que ça prouve que Camus est encore plus universel que le Christ ! Mais quand je lis peu après que ce monsieur Le Baut a été marié une vingtaine d’année après son ordination, j’en déduis que ce ne devait pas être un religieux ordinaire… Après tout, Camus lui-même ne condamne pas sans réserve l’abbé Paneloux dans La Peste : il y a des mots durs à dire, mais j’admets que sous la maudite calotte, sous l’horrible soutane noire, derrière l’ignoble pupitre du prêtre, « c’est pas un chien qu’il y a mais quand même un bonhomme[2] » et celui-ci peut être bien inspiré quand il ne cherche pas à convaincre son prochain qu’il est responsable de tous ses malheurs…
Il faut être juste : il y a plus nuisible que les curés à l'heure actuelle...
Puisqu'on parle de télé, restons-y -j'ai beau être plus tolérant avec Dorothée depuis que je sais ce qu'elle a fait avec Cabu, il n'empêche que je n'ai jamais aimé ses émissions, ce qui me met à rebours d'un certain discours dominant sur ma génération :
J'avais dit que j'arrêterais avec Sophie Davant ; le problème, c'est qu'elle, elle n'arrête pas et ne rate pas une occasion de se faire remarquer :
Mardi 11 février
11h30 : J’avais remarqué des imprimantes en solde à Bureau Vallée et je n’excluais pas de profiter des économies que je parviens à faire grâce à l’AAH pour m’en procurer une. Me voici de retour au magasin à l’occasion d’un marathon urbain comme je n’en avais plus vraiment vécu depuis quelques temps (ce qui ne m’a d’ailleurs pas manqué), mais un rapide coup d’œil à l’emballage me refroidit assez vite : je n’y comprends rien, toutes les informations sont écrites en anglais ou en italien ! Déjà que même en français, les modes d’emploi des appareils électroniques me passent souvent au-dessus… Le peu que j’arrive à saisir suffit à me faire craindre que je doive m’abonner à je ne sais quoi pour pouvoir avoir les recharges d’encre adéquates, que je ne pourrais pas m’en servir sans je ne sais quelle connexion… Bref, je préfère renoncer : l’imprimante dont je dispose actuellement n’est pas encore morte, inutile de gaspiller mon argent. Je ne comprendrai jamais les gens qui sautent systématiquement sur les dernières nouveautés technologiques : déjà que la vie n’est pas toujours simple, je ne vois pas l’intérêt de la compliquer davantage en devant réapprendre sans arrêt à se servir des objets du quotidien… Il faut croire que l’être humain aime se faire du mal pour avoir l’illusion de mériter les rares satisfactions que lui apporte l’existence ! Reiser l’avait déjà fait remarquer dans les années 1970 : « Traumatisés par des siècles d’exploitation, de travail opiniâtre pour obtenir des clopinettes, ils sont culpabilisés devant tout ce qui est gratuit, fourni en abondance et sans travail[3] ».
Le 11 février, c'est l'anniversaire de mon père, voici donc un petit hommage au robuste septuagénaire qui m'a engendré (j'exagère à peine !) :
15h : Je suis rentré plus tôt que prévu : j’avais un rendez-vous, mais celui-ci a sauté, mon hôte étant empêché par des états grippaux. Il y a beaucoup de gens malades en ce moment, ça plombe pas mal l’ambiance… Une fois installé à mon bureau devant mon ordinateur, je prends une décision assez radicale : je me désinscris de France Travail ! Il y avait longtemps que ça ne me servait plus à rien, ayant déjà touché tous les droits auxquels m’avaient donné droit les périodes où j’avais travaillé pour l’université. Quand je touchais le RSA et la prime d’activité, je craignais qu’on me sucre ces deux aides si je quittais Pôle Emploi, mais il m’a été assuré que le versement de mon AAH n’était pas conditionné à une inscription à cette institution. Donc : je tourne le dos aux messages faisant la promotion de formations dont je n’ai rien à foutre, aux discours culpabilisants dont les conseillers eux-mêmes ne croient pas un mot et aux convocations pour s’assurer que je fais bien mon boulot de chômeur ! D’ailleurs, je ne suis pas un chômeur, je suis un artiste ! Je le clame désormais à la face du monde ! Et je n’ai pas honte de vivre d’une AAH en attendant de connaître le succès : premièrement, je ne vois pas pourquoi je me soucierais de ce que je peux coûter à la société au vu des sommes scandaleuses que palpent les Bolloré, Arnault et autres Musk sans bouger le petit doigt, deuxièmement parce que cette allocation n’est jamais que la moindre des compensations pour toutes les avanies que j’ai subies et que je continue à subir depuis ma naissance, et troisièmement parce que je n’ai pas non plus honte de ne pas contribuer à faire tourner une machine qui en train de mener le monde à sa perte ! Je ne dois d’ailleurs pas être le seul : il paraît qu’on a annoncé une baisse du chômage, mais ce n’est pas parce qu’il y a moins d’inscrits à France Travail qu’il y a forcément plus de naïfs qui acceptent encore de jouer le jeu de dupes de l’entreprise… Parmi tous ces « chômeurs » qui ne figurent plus dans les statistiques, combien y en a-t-il qui ont vraiment « retrouvé du travail », quelle est la proportion d’individus qui ont tout simplement décidé de tourner le dos à une existence peut-être lucrative mais sûrement dépourvue de signification ?
Puisqu'on parle de Bolloré, voici une petite animation, réalisée avec les moyens dont je dispose, pour ajouter un clou au cercueil (loin d'être fermé, hélas !) de ce nanti fasciste, fossoyeur de l'esprit Canal et sycophante de Ouest France :
Mercredi 12 février
10h15 : Bon, d’accord, j’étais en tort, j’ai traversé en dehors des clous ! Je ne sais que ce n’est pas bien, mais ça m’arrive parfois quand je suis pressé et que je traverse une rue peu passante, comme c’était le cas à ce moment-là. En tout cas, ça ne justifiait absolument pas que l’automobiliste qui arrivait ACCÉLÈRE juste à ce moment-là ! Et s’il m’avait percuté, j’aurais pu faire valoir que j’arrivais de la droite ! Et on voudrait que je passe « mon » permis pour ressembler à ce genre d’abruti ? Merci bien !
17h : Retrouvailles dans un bar avec une prof de psychologie en retraite de mes amies. Elle me raconte une anecdote qui me parait emblématique du rapport actuel de l’homme à la machine : d’après elle, un des membres de sa famille se fie aveuglément aux conseils que lui prodigue une application pour l’éducation de son enfant, à tel point qu’il a un jour laissé le bambin seul à la maison avec une fièvre galopante ! L’appli lui a conseille d’agir ainsi pour « renforcer les défenses immunitaires » du gosse ! Résultat, la fièvre du pauvre môme est montée à 41 degrés et il a fallu le conduire aux urgences ! C’est sûr que ça va vachement fortifier son système immunitaire, au gamin, une expérience aussi traumatisante ! Et malgré ça, ce bon père de famille continue à faire confiance à l’application… Je vais finir par croire que l’humanité prend du plaisir à courir à sa perte : plus on lui dit que quelque chose la mènera inévitablement à la catastrophe, plus elle y court, tête baissée ! L’automobile, le nucléaire, l’extrême-droite, les smartphones, l’intelligence artificielle et tout le reste, on leur répète que c’est nocif, ils en ont même la preuve sous les yeux au quotidien, et pourtant, ils continuent à tomber dans le panneau ! Non, je ne vois pas d’autre explication : ils aiment tout bousiller, ça leur donne l’illusion d’être puissants, et tant pis si ça les entraîne eux aussi au néant ! L’être humain a peur de la mort, mais il n’aime pas assez sa vie pour la protéger comme elle le mériterait…
Un dessin qui tombe à point pour illustrer cette anecdote et la réflexion qu'elle m'inspire - j'avoue, cette illustration doit beaucoup au dessin que Cabu avait réalisé pour la couverture des Coups de sang de Cavanna édités par Belfond en 1991 :
Jeudi 13 février
20h : Alors que la journée touche déjà à sa fin, je m’avise qu’elle marquait un triste anniversaire : il y a douze ans jour pour jour, Nora Fraisse avait la triste surprise de retrouver sa fille Marion, âgée de 13 ans, pendue dans sa chambre, poussée à bout par le harcèlement dont elle était victime de la part de ses « camarades » de collège… Quelques années plus tard, pour dénoncer le harcèlement que j’ai moi-même subi au même âge, j’ai écrit un slam librement inspiré d’une chanson de Bob Dylan[4] et intitulé « Qui a tué Marion Fraisse ? » : j’avoue qu’à l’époque, je n’avais même pas encore ouvert le livre que Nora Fraisse avait consacré à ce drame et à son combat pour faire reconnaître le mal infligé à sa fille et l’incurie des adultes ; ce n’est que l’an dernier que j’ai enfin lu ce livre et j’ai alors découvert avec effarement que les choses s’étaient passées à peu près comme je les avais imaginées et reconstituées dans mon slam… Ceci pour dire : j’ai eu la chance de survivre, mais le harcèlement scolaire TUE et on ne peut plus faire comme si on ne savait pas ! On va à l’école pour s’instruire, pas pour se détruire ! Il n’est pas « normal » ni même « tolérable » qu’aller au collège ou au lycée devienne une source de souffrance morale ! Et il n’y a pas de « il faut bien qu’ils s’amusent » ou « il faut bien que jeunesse se passe » qui tienne ! Contrairement à ce qu’ont pu me dire quelques piliers de bistrot et certaines rombières débiles, le harcèlement ne forge pas le caractère : je suis sorti du collège en me méfiant de tout et de tout le monde, et si j’en crois Nora Fraisse, sa fille était déjà forte avant de devenir la tête de Turc de son bahut, ça n’a donc fait que l’affaiblir ! Foutez à la poubelle vos vieux discours doloristes périmés, ne vous racontez plus d’histoires, arrêtez de vos mentir : se mettre à plusieurs pour faire volontairement souffrir autrui n’est défendable en aucun cas, point barre ! Et ne venez pas justifier le harcèlement scolaire par la dureté du monde : si la vie est si violente, c’est peut-être justement parce qu’on ne se donne pas suffisamment les moyens d’inculquer le respect d’autrui à nos enfants ! Cessons de leur laisser croire que seule compte la loi du plus fort et nous accroîtrons peut-être nos chances de voir advenir un monde plus juste et moins… Et moins con ! Oui, moins con, je ne vois pas d’autre mot ! Tant que j’entendrai encore parler de gosses déscolarisés ou en dépression à cause des insultes de leurs « camarades » et de l’incurie des « responsables », je persisterai à penser que Marion Fraisse est morte pour rien ! Je ne suis pas de ceux qui tiennent à ce que les jeunes en bavent comme ils l’ont fait eux-mêmes, je veux au contraire éviter aux enfants de mes amis le calvaire que j’ai moi-même subi ! De toute façon, ça n’amoindrirait pas mon traumatisme ! Je m’aperçois que je viens de tartiner une page entière sur le sujet : décidément, même treize ans après, j’en ai encore gros sur la patate, ce qui prouve que ça ne mérite pas d’être pris à la légère…
Deux dessins sur le suicide de Marion Fraisse et, par extension, sur le fléau du harcèlement scolaire en général :
Et une vidéo où j'interprète en public le slam en question :
Vendredi 14 février
14h30 : C’est la Saint-Valentin. J’ai trente-six ans et c’est la trente-sixième Saint-Valentin que je passe tout seul. On prétend qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. C’est sûrement vrai. Le problème, c’est qu’on peut être célibataire ET tout de même mal accompagné. La preuve ? Premièrement, j’ai reçu un courrier de mon bailleur annonçant que le local technique de l’immeuble allait être condamné à cause de la présence de déchets qui y ont été déposés par les autres locataires – je jure sur la tête de ma mère que je n’y suis pour rien. Deuxièmement, trois jours à peine après avoir fait savoir que je ne voulais plus être inscrit à France Travail, j’ai quand même reçu un message de relance pour répondre à une enquête concernant les informations relatives à des indemnisations que je ne perçois plus depuis longtemps ! Conclusion : j’ai un voisinage de cochons et je suis fiché par des cons ! Donc, oui, je confirme : il vaut mieux être seul que mal accompagné, mais à notre époque hyper-connectée, être VRAIMENT seul est devenu un luxe… Il parait que la population humaine mondiale va atteindre un plafond et diminuer : je ne dirai pas que j’ai hâte car je n’ai pas la preuve que la proportion d’imbéciles diminuera elle aussi…
[1] Ou peut-être en kabyle, je ne suis pas spécialiste de ces langues et je n’en tire aucun orgueil.
[2] Emprunt à « Je ne veux plus le savoir », chanson de François Béranger.
[3] Planche reprise dans Yves FRÉMION, Reiser, Albin Michel, Paris, 1974, p. 95.
[4] Pour être honnête, c’était surtout la version française de la chanson, due à Graeme Allwright, qui m’avait inspiré.