Vendredi 8 novembre
9h : Au marché, passant d’un stand à l’autre, je prépare ma monnaie : je constate ainsi que la commerçante à laquelle je viens d’acheter une belle provision de fromage (denrée indispensable à ma survie) m’a rendu un penny anglais ! Ce n’est pas la première fois que je me fais rouler de la sorte : il n’y a pas si longtemps encore, j’avais retrouvé une pièce de la république dominicaine dans mon porte-monnaie… Les marchands savent que la majorité des gens ne fait pas de vérification approfondie quand on lui rend la monnaie : les clients y songeraient-ils seulement qu’ils n’oseraient pas le faire en public, de peur de passer pour radins ou flicards… Alors les gratteurs de lingot en profitent, cette bonne blague ! N’ayant nullement l’intention de traverser la Manche simplement pour dépenser l’équivalent d’à peu près zéro euro (d’après mes sources, c’est la valeur d’un penny au cours actuel), je décide de me débarrasser de cette pièce en la refilant au mendiant qui stationne devant la boulangerie : pour ne pas rattraper la fromagère dans la course à l’escroquerie, je prends toutefois la peine de cacher la monnaie britannique sous une pièce de vingt centimes quand je la pose dans la pogne de ce pauvre homme… Mais j’ai honte quand même ! Mon acte n’est jamais qu’est une gouttelette de solidarité (pas la plus pure, de surcroît) dans l’océan de malhonnêteté qu’est la société…
Sans rapport direct, quelques croquis préparatoires pour une BD :
17h : Je termine la lecture du livre qu’Yves Frémion avait consacré à Reiser en 1975 : en prévision d’une causerie sur le grand artiste que j’ai promis de donner dans un mois, il m’avait paru utile de consulter l’un des rares ouvrages (probablement le seul, du reste) à lui avoir été consacrés de son vivant. Il me semble même que c’est le seul bouquin d’exégèse sur Reiser, mise à part la biographie de référence due à Jean-Marc Parisis. À ce propos, j’ai bien entendu déjà lu récemment le livre de Parisis, ce qui m’a valu, à , moi qui croyais tout connaître de mes maîtres à déconner, quelques surprises : pour commencer, je ne savais pas que Reiser avait été marié deux fois et avait même eu un fils de son premier mariage, je n’aurais même pas soupçonné qu’il avait vécu un grand amour sans retour avec une hôtesse de l’air qui lui servit de modèle pour ses jolies blondes – suis-je le seul à trouver que les filles de Reiser sont plus bandantes que celles de Wolinski qui avaient toutes un faux air à la belle Maryse ? Non, le regretté Tignous partageait cet avis[1], et Philippe Geluck aussi[2]. Pour revenir à Reiser, je ne savais pas non plus que, contrairement à Cabu, il n’était pas antimilitariste primaire et avait même mis la pression sur son fils pour qu’il fasse son régiment – il faut être juste : c’était moins par affection réelle pour l’armée en tant que telle que par conviction qu’il faut « en baver » dans sa jeunesse pour devenir un homme… Ce que, personnellement, je trouve très con, mais que je peux entendre venant d’un homme dont l’enfance fut en effet une belle tartine de merde ! Je ne savais pas non plus, ce qui est plus intéressant pour mes recherches, que, contrairement à Siné, Reiser ne professait pas un athéisme radical[3] et rejetait moins l’idée de la transcendance que la façon dont la professait (ou, plus exactement, l’assénait) le clergé. Pour toutes ses raisons et bien d’autres encore, je ricane en repensant à la naïveté de Carali qui était persuadé que Reiser n’aurait jamais accepté l’ambiance du Charlie Hebdo moderne ! À cet égard, le fondateur du Psikopat me fait penser, avec le recul, à ces admirateurs de François Villon mis en scène par Jean Teulé : ils n’arrêtent pas dire que Villon aurait sûrement fait ci ou ça, et ils en oublient que l’homme auquel ils adressent ces certitudes n’est autre que le poète lui-même, toujours bien vivant ! La vérité est que « l’ange féroce » des éditions du Square est mort trop tôt pour que l’on sache comment il aurait pu tourner et j’aurais tendance à adopter à son sujet le commentaire de François Morel concernant Coluche :
« Je vous pose la question : qu’est-ce qu’il serait devenu ? Un petit retraité suisse ? Un ami de Poutine ? Un comédien shakespearien ? Se serait-il lancé dans les affaires ? Aurait-il sombré dans l’alcool, la drogue, le désespoir, la politique ? Serait-il devenu vigneron, chef d’orchestre, clochard ? Aurait-il viré casaque ? Serait-il resté fidèle au petit gamin de Montrouge ? Aurait-il participé aux Enfoirés ? Aurait-il chanté en duo avec Mimie Mathy ? Aurait-il craché sur son œuvre, finalement désolé qu’on puisse remplacer la justice par la charité ? On ne sait pas. » [4]
Et oui : après tout, qui aurait pu deviner, dans les années 1970, ce qu’allaient devenir Renaud, Gérard Depardieu ou Brigitte Bardot ? Il n’y a aucune raison d’exclure que Reiser aurait pu mal tourner lui aussi ! Bon, c’est bien joli, tout ça, et le bouquin de Frémion dans tout ça ? Et bien il est à l’image de son auteur : bavard, prétentieux, approximatif, superficiel et finalement ennuyeux ! Mais je ne saurai que trop vous conseiller de vous ruer dessus si vous avez l’occasion de vous le procurer car on y trouve des dessins et des planches de Reiser qu’on ne retrouve dans aucun autre album, pas même dans ceux de la collection « Les années Reiser » qui, pour des raisons inexplicables, ne débute qu’en 1974… Il y a encore un gros travail d’édition de l’œuvre de Reiser à mener : ça vaudrait le coup, par exemple, de compiler tels quels les scénarios qu’il avait crobardés pour L’histoire de France en 100 gags ; il y a quasi-unanimité pour disqualifier totalement cette série publiée dans Pilote mais elle ne parait négligeable que parce qu’elle avait été dessinée par un dessinateur médiocre appelé Pouzet : sous le crayon de Reiser, ces gags sont bien plus efficaces, c’est en tout cas l’impression que j’ai eue avec les deux pages reprises en introduction de la compilation Les années Pilote parue chez Glénat en 2011. Il faudra que j’écrive à l’éditeur grenoblois ! Tout ceci pour dire : Reiser a beau être mort depuis plus de quarante ans, il parait plus vivant que jamais, tandis que Frémion a beau être toujours vivant, il parait déjà mort depuis presque cinquante ans ! Hum ! Je vais encore me faire des amis, moi…
18h15 : Je pensais qu’en sortant de chez moi à 17h30, j’arriverais confortablement en avance à la piscine de Recouvrance où le cours de natation commence à 19h. Bernique ! Trois quarts d’heure plus tard, je n’ai toujours pas pu attraper un bus ! Légitimement inquiet, je passe un coup de fil à Bibus : on me répond qu’il y a beaucoup de circulation et on me promet un véhicule dans huit minutes… Je me mets à hurler que si, passé ce délai, je ne suis toujours pas parti, je rappelle et on va m’entendre ! Je sais que ce n’est pas bien de traiter ainsi une pauvre femme qui n’est en rien responsable de la situation, mais je ne suis encore jamais arrivé en retard à la piscine et je ne peux plus me contrôler ! Après tout, de la circulation, il y en a toujours à cette heure-ci et je ne vois pas en quoi cette soirée est différente des autres !
18h40 : J’ai enfin pu attraper un bus puis un tramway : apparemment, il y a un spectacle à l’Arena, mais il s’agit du ballet Casse-Noisette, ce n’est sûrement pas ça qui mobilise les foules au point de rendre la circulation plus difficile que de coutume. Dans le tram, j’ai trouvé une place assise : un vieux monsieur s’approche de moi et me montre sa Carte Mobilité Inclusion. Comme j’en ai une moi aussi, je la sors et j’entreprends de solliciter la dame qui est assise à côté de moi pour qu’elle se lève : elle n’avait même pas venu venir le vieux type vu qu’elle est absorbée par son smartphone ! C’est un bon résumé de notre époque : en paroles, tout le monde est pour l’inclusion et la solidarité, dans les faits, les gens n’ont jamais été aussi égocentrées !
19h10 : J’arrive enfin à la piscine : c’est la première fois que la monitrice me voit en pleine crise ! Heureusement que cette dame est très compréhensive et que l’eau m’apaise très rapidement… Vous me direz que rater une séance n’aurait pas été dramatique ? Dans la mesure où nager est devenu pour moi un besoin quasi vital, un peu quand même…
Sans rapport avec mes ennuis personnels :
Samedi 9 novembre
10h45 : Faire des courses au supermarché un samedi matin, ce n’est jamais drôle, mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Une fois mon cabas plein, je choisis la caisse « prioritaire » pour handicapés, en prenant soin d’avoir ma carte à portée de main si on me pose des questions. On m’en pose en effet une, mais pas celle à laquelle je m’attendais : une vieille dame, juste derrière moi, me demande si je peux mettre le carton « client suivant » pour bien séparer ses courses des miennes… Je lui réponds que mes achats ne sont pas empoisonnés ! Elle ne réplique même pas, vraisemblablement désarçonnée par cette réplique inattendue… J’aurai toujours tendance à avoir des réactions inappropriées et c’est même un des avantages de ma condition : j’éprouve volontiers un petit plaisir à ne pas donner satisfaction à mes interlocuteurs, à les mettre face à l’absurdité de leurs automatismes…
Dimanche 10 novembre
19h30 : Je reçois mes identifiants pour me connecter à l’Espace Numérique de Travail que m’alloue l’Université de Bretagne Occidentale : je croyais naïvement ne plus en avoir depuis l’obtention de mon doctorat, mais je ne suis pas long à constater que cet ENT n’a jamais cessé d’être actif : plus de mille messages m’y attendent, accumulés depuis 2020 ! Je suppose que si je n’en trouve pas de plus anciens, c’est parce qu’il y a suppression automatique après un certain délai… Enfin bref : je n’avais jamais eu besoin de cet espace numérique pendant mes études, je n’ai jamais ressenti le manque depuis que je suis membre associé d’un laboratoire pluridisciplinaire et je ne vois toujours pas à quoi il pourra bien me servir aujourd’hui, mais bon, je ne vais pas contrarier l’université qui a visiblement peur d’être à la traîne si tous ses chercheurs ne sont pas connectés… Et je ne vais pas non plus contrarier les élans du cœur généreux de Marie-Hélène, ma Raphaëlle à moi, qui s’est littéralement démenée pour que mon compte soit réactivé !
Sans rapport :
Lundi 11 novembre
9h30 : En ce jour férié, j’ai décidé de rester chez moi pour rattraper mon retard : j’ai heureusement peu de messages, juste un mail d’un particulier qui m’a envoyé un lien vers le blog de Jean-Luc Périllé. Ce dernier n’est certainement pas un imbécile, sinon il ne serait pas agrégé de philosophie et maître de conférences à l’université de Montpellier. J’ai donc bien tenté de faire un effort et de lire son article intitulé « La résistance du monde orthodoxe à la propagande LGBT »… Mais au bout de cinq lignes, j’avais déjà envie de gerber ! Je crois bien qu’il faut remonter aux pamphlets antisémites de Céline pour trouver autant de contrevérités nauséabondes assénées en si peu de mots ! De toute évidence, Périllé est un homme intelligent : il est même un parfait exemple de ce qu’Amélie Nothomb appelle « les idiots intelligents », c’est-à-dire les gens qui, malgré leur intellect, restent incapables de « considérer l’autre comme un univers à part »[5]. J’ai un certain mépris pour les gens de cette espèce : ce sont souvent des rats de bibliothèques aigris, qui croient pouvoir se payer le luxe de penser le monde sans y avoir vécu, comme si leurs titres universitaires leur donnaient le droit de se prendre pour de purs esprits affranchis de toute obligation vis-à-vis du monde matériel. Le résultat ? Du pur gâchis d’intelligence, des cerveaux prodigieux qui se privent de l’oxygène de la vie, s’auto-condamnent à être étouffés par leurs certitudes et ne sont plus, in fine, que des suppôts lettrés de la bourgeoisie ; certains prétendent parler au nom du peuple, mais sans rien connaître de ce dernier. C’est Jean-Paul Sartre qui refuse d’admettre les crimes de Staline, c’est Alain Badiou qui ignore ceux de Mao, c’est Michel Onfray qui tombe dans le piège de la propagande du RN, c’est Luc Ferry qui appelle à tirer sur les gilets jaunes… À l’opposée, on trouve Albert Camus et François Cavanna, sans doute les deux plus grands esprits dont le XXe siècle fit don à la France, qui ne firent l’économie ni de la connaissance des difficultés de la vie ni de la nécessité de réjouir son corps avant de s’engager sur le chemin de la pensée. Le bagage intellectuel est important, mais il n’est pas suffisant pour avoir une pensée claire de la société : encore faut-il aller à la rencontre de ladite société, je veux dire autrement que dans les cocktails mondains. Pour en revenir à Jean-Luc Périllé, il sait certainement beaucoup de choses sur la philosophie antique, mais il ignore tout de ce qu’endurent partout dans le monde les personnes LGBT, et il ne sait rien non plus de ce qu’on éprouve dès la naissance quand on est, comme moi, incapable de se conformer aux stéréotypes de genre. Bref, comme beaucoup de ses collègues, il sait tout mais il ne connaît rien ! Que ce soit clair : le racisme, l’homophobie, le machisme et la transphobie TUENT tandis que le « wokisme », la « bien-pensance » et le « politiquement correct » font seulement chouiner les mâles blancs cisgenres !
Mardi 12 novembre : il y a 89 ans naissait Philippe Gildas
Cette photo a été prise par votre serviteur quand le célèbre animateur était venu à la librairie Dialogues, à Brest, pour présenter et dédicacer le livre Nos années Nulle Part Ailleurs : j'étais heureux de rencontrer celui qui fut pour moi une figure paternelle par écran interposé...
10h : Ma psychologue m’a conseillé de faire valoir mes droits auprès de Bibus et de demander à ces messieurs-dames quels sont les critères à remplir pour pouvoir bénéficier du service de transport à la demande en fourgonnette destiné aux personnes en situation de handicap : d’un point de vue strictement physique, je peux me déplacer sans problème, mais d’un point de vue mental, le moindre déplacement m’est souvent une source inaltérable d’épuisement. Ma psy m’a aussi remis une facture à remettre à ma mutuelle pour obtenir le remboursement partiel de ses honoraires, en attendant que le conseil départemental me verse enfin la Prestation de Compensation du Handicap. Il faut donc que je me rende successivement chez Bibus et à l’agence de ma mutuelle : ce qui pourrait être une promenade de santé devient un vrai parcours sportif en raison des travaux du nouveau réseau de transports… Je suis à 100% favorable à ce chantier qui limitera peut-être pour moi les risques de me retrouver en rade sur une ligne desservie une fois par demi-heure, mais je reconnais que, pour l’heure, j’ai le sentiment de rejouer le célèbre générique de Les Nuls, l’émission où Serge Hazanavicius (si je ne m’abuse) se fraie tant bien que mal un chemin dans un pavillon Gabriel en pleins travaux où les ouvriers cohabitent avec des artistes de toute sorte ! L’ennui, c’est que ce qui est drôle à la télé ne l’est pas toujours dans la vraie vie…
15h : Visite guidée de l’hôpital Morvan. J’espérais y obtenir des informations pour alimenter mes chroniques historiques et, de ce point de vue, je ne suis pas déçu : pour commencer, saviez-vous que cet hôpital, dont la construction avait débuté au milieu des années 1930, a failli être bâti par un architecte facho ? Cette honte a heureusement été évitée suite à l’intervention du maire de l’époque, Victor Le Gorgeu, qui s’illustra quelques mois plus tard en figurant parmi les rares parlementaire à refuser de voter les pleins pouvoirs à Pétain. Saviez-vous aussi que cet hôpital, d’une conception très avant-gardiste pour l’époque, n’était toujours pas terminé quand la Wehrmacht arriva à Brest ? Les Allemands ont demandé à ce qu’il soit terminé, mais ils se sont heurtés à une telle mauvaise volonté de la part des Brestois (les soldats du Reich n’étaient absolument pas les bienvenus à Brest) qu’ils se sont finalement résignés à reconvertir les bâtiments inachevés en lieux de repos, ils y ont même construit un bunker qui est toujours debout aujourd’hui et sert d’entrepôt pour les archives de l’hôpital. Saviez-vous encore que l’un des immeubles a été surnommé « bâtiment des petits payeurs » parce qu’il accueillait les premiers patients assez aisés pour payer leur séjour, les autres étant réservés à ceux qui séjournaient gratuitement ? Le bâtiment est aujourd’hui inoccupé et un promoteur se propose d’en faire un hôtel 4 étoiles ! Saviez-vous, enfin, que l’hôpital dispose d’un réseau de souterrains qui permet de se déplacer d’un bâtiment à un autre en passant un minimum de temps en extérieur ? Et qu’on y trouve les traces de bottes laissées pars des soldats allemands qui y ont défilé ? Décidément, Brest n’est pas une métropole ordinaire… Bref, la pêche a été bonne pour moi et cette visite aurait pu être un bon moment pour moi… S’il ne fallait pas, comme à chaque fois, supporter la compagnie de ces rombières débiles qui croient tout savoir mieux que la guide et gloussent à tout bout de champ ! Je repars épuisé…
Quelques photos prises lors de cette visite : d'abord, le bâtiment des "petits payeurs"...
Puis l'intérieur du bunker...
Puis des photos prises du sommet du bâtiment 3, avec une vue imprenable sur la ville et la rade...
Et enfin, dans les souterrains :
17h30 : Avant de réintégrer mes pénates, petite halte chez le maraîcher de mon quartier pour acheter quelques oranges à jus. Avant moi, la vendeuse doit servir un vieux type qui fait de l’humour à tout bout de champ : quand vient mon tour, je lui exprime mon admiration d’arriver à supporter avec le sourire tous ces vieux cons qui se croient drôles. D’accord, les gens qui passent leur vie à se plaindre, c’est pénible, mais ceux qui rigolent tout le temps, c’est aussi fatigant, à la longue… Vous ne trouvez pas ?
18h : Je peux enfin relever mon courrier : j’ai reçu, entre autres, un chèque de remboursement pour les cours de natation qui n’ont pas pu être assurés, ce qui me rapporte… 3 euros 60. D’un côté, c’est bon signe, ça prouve qu’il y a eu peu de séances annulées. D’un autre, je regrette presque d’avoir fait la demande pour une somme aussi dérisoire ! Mais bon, on a des principes ou on n’en a pas, et pour une fois que l’administration daigne lâcher de l’argent sans faire douze milliards de difficultés…
Mercredi 13 novembre
11h : En ce jour de triste mémoire, une AG extraordinaire du laboratoire dont je suis membre est organisée en mode hybride : comprenez que seule une dizaine de chercheurs sont présents dans la salle prévue à cet effet, tous les autres suivant la réunion en visioconférence, à commencer par les chefs eux-mêmes qui sont à Lorient ! Nous avons en effet été contraints et forcés par les huiles de l’université à nous réunir de toute urgence, en faisant fi des obstacles matériels, pour trancher des questions qui, de l’avis de ces messieurs, ne pouvaient pas attendre. « Oh, mais quoi, c’est facile, avec la visio, maintenant ! » Ce serait vrai si la technique était au point et facile à utiliser pour tous : c’est loin d’être le cas, et mes collègues ont beau être hyper-calés dans leurs domaines de recherche, ils ont en revanche hyper-recalés en informatique ! Je ne vaux d’ailleurs pas mieux qu’eux… La réunion se tient donc dans des conditions laborieuses, ne serait-ce que parce qu’il faut une très bonne écoute pour comprendre ce que dit la directrice… Seul bon point : à la fin, personne n’a envie de s’attarder ! Je suis quand même satisfait de cette AG qui consacre l’entrée dans notre équipe de Véronique Brière : j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer une héroïne de roman en chair et en os, à savoir la « petite Virginie » de Cavanna, voilà que je vais compter parmi mes camarades de labo une héroïne de BD ! Car madame Brière, au cas où vous ne le sauriez pas, n’est autre que la femme de Julien Solé, c’est donc elle la jolie brune[6] qui donne la réplique à ce dessinateur virtuose dans son album Passer à l’ouest ! Et elle a également posé pour des photo-BD de Bruno Léandri parus dans Fluide Glacial : c’est elle, par exemple, qui a joué la secrétaire qui se fait peloter par Maëster dans le hors-série spécial Crime paru en 2003… Rien que pour ça, je l’admirerais déjà si je n’étais pas également convaincu de ses compétences de philosophe : il en faut, du courage, pour affronter les regards des étudiants de la Sorbonne après une telle expérience…
13h : Je monte au Beaj Kafé pour m’y réfugier jusqu’à l’heure du cours du soir et avancer sur mes illustrations pour le calendrier de 2025. Un bref coup d’œil sur la presse m’apprend que Trump annonce que l’immigration sera sa priorité. Je suis très surpris, tiens ! J’ai beau m’y attendre, je ne peux m’empêcher d’être effaré : la survie de l’humanité est menacée et l’homme occidental gaspille son énergie à faire la guerre aux pauvres types qui grattent à la porte de ses pays nantis… Quand New York sera sous les eaux, qu’est-ce qu’il fera, Donald le connard ? Il reconduira l’Océan à la frontière, peut-être ? Et notre Retailleau national en fera autant avec la Seine quand elle débordera de son lit treize mois sur douze ?
17h30 : Le cours commence dans une demi-heure. Je suis néanmoins déjà sur place, j’en profite pour continuer à avancer sur mes illustrations. Une élève, elle aussi en avance, jette un œil sur mes dessins et me dit « J’adore ton style » : ça me fait d’autant plus plaisir que je me suis longtemps demandé si j’en avais vraiment un, de style…
Quelques aquarelles réalisées lors du cours du soir - ce sont des élèves qui ont posé à tour de rôle :
Jeudi 14 novembre
18h30 : J’ai enfin terminé mes illustrations, « ya-pu-ka » mettre en page le calendrier et passer commande à l’imprimeur… C’est chaque année la même chose : j’attends toujours d’être à la mi-novembre pour m’y mettre, et je suis obligé d’appuyer sur l’accélérateur pour être sûr d’être prêt à temps ! Alors qu’un calendrier, dans l’absolu, j’ai une année entière pour le préparer, non ? Mais bon, à ma décharge, est-ce qu’il vous viendrait à l’idée, à vous, de préparer un calendrier pour l’année prochaine au beau milieu du mois d’août ? Notez, il paraît que les professionnels sont souvent contraints à ce genre de contorsion chronologique du fait des délais d’impression : à la fin des années 1990, Zidrou avait mis en scène la rédaction de Spirou planchant sur son numéro « spécial Noël » alors qu’il faisait 35 degrés à l’ombre… Enfin bref : voilà une bonne chose de fait, je vais pouvoir me consacrer à l’urgence suivante, à savoir ma causerie sur Reiser prévue dans trois semaines…
Quelques croquis réalisés pour le calendrier en question :
Vendredi 15 novembre
17h30 : Voilà quatre heures que je n’arrive plus à envoyer de SMS à personne. C’est bien embêtant, je ne peux pas annoncer à mes amis qu’ils peuvent déjà réserver leur exemplaire de mon calendrier 2025. Je ne peux même pas répondre au texto que m’a envoyé ma mère. Je ne comprends pas ce qui se passe : en principe, mon forfait me garantit des SMS illimités… Ne ricanez pas, je suis sûr que ça pourrait arriver aussi avec un téléphone de la dernière génération ! Il va donc falloir appeler mon opérateur, ce qui est déjà une épreuve pour moi… Il sera dit que la technologie ne m’aura pas tellement facilité la vie cette semaine !
[1] « Les femmes dessinées par Reiser sont plus bandantes que celles de Manara ! » Reiser Forever, Denoël Graphic, Paris, 2003, p. 66.
[2] « Reiser dessine mieux les femmes que Botticelli, Ingres ou Manara. » Télérama hors-série, Le Chat, quel cabot !, Paris, 2008, p. 29.
[3] « Toutes les religions sont à foutre au pilon ! Dieu n’a jamais existé et n’existera jamais ! » SINÉ, Mon dico illustré, Hoëbeke, Paris, 2011, p. 13.
[4] Jean-Claude MORCHOISNE et François MOREL, Portraits crachés, l’abécédaire de nos amis (ou pas), Glénat, Grenoble, 2015, p. 23.
[5] « Amélie NOTHOMB : "Les idiots intelligents sont partout" » Url : https://youtu.be/VIuk79nqDME?feature=shared Consulté le 15 novembre 2024
[6] Précisions que les dessinateurs ont toujours tendance à ne pas être tendre avec eux-mêmes quand ils se représentent mais ne se privent pas d’exalter la beauté de la femme qu’ils aiment : il suffit de voir ce que ça donne chez Lambil, Tabary, Tardi, Gotlib, Siné, Cabu, Wolinski et j’en passe.
Samedi 2 novembre
14h : Me voici en visite chez une amie très chère, native de Nice et résidente à Hanvec. Mon hôtesse m’en apprend une salée : elle a découvert dernièrement qu’elle avait un ancêtre dont une rue niçoise porte aujourd’hui le nom, un certain Benedetto Bunico (1801-1863) qui se distingua en refusant de prêter serment à Napoléon III et, surtout, en luttant pour faire sortir les Juifs de Nice du ghetto dans lequel ils étaient confinés. Notez que ce n’était pas un saint : si mon amie ne porte pas le nom de famille de ce « glorieux » aïeul[1], c’est parce qu’il refusa de reconnaître les enfants qu’il avait faits à la femme qui légua donc son propre patronyme à sa descendance dont mon aimable hôtesse fait partie... Et oui, on était loin de #MeToo ! Tout n’était pas mieux avant… Et décidément, personne n’est parfait ! Je sais, je le dis souvent, mais il y a des vérités qu’on ne répète jamais assez…
16h30 : Après un délicieux repas, rien de tel qu’une promenade digestive, surtout quand on a la chance, telle mon amie, d’habiter dans un coin de paradis en pleine campagne. Mais le paradis n’est jamais très loin de l’enfer, comme nous le constatons tous les quatre, mon hôtesse, son amoureux, sa chienne et moi-même, au détour d’une route : le hasard veut que nous croisions des chasseurs, nous avons ainsi le triste privilège d’admirer le non moins triste tableau qu’offre la camionnette, grande ouverte à l’arrière, de ces viandards. Non, pas de cadavres d’animaux ensanglantés, mais peut-être pire encore : leurs chiens enfermés, que dis-je, entassés les uns sur les autres dans des cages étroites, qui aboient et semblent appeler au secours en nous voyant passer… Je crois les entendre : « S’il vous plaît, sortez-nous de là ! Libérez-nous de ces connards qui nous dressent à la schlague pour que nous collaborions à leurs carnages ! Ils prétendent aimer les animaux, mais regardez comment ils nous traitent ! Ils ne supportent les bêtes que réduites à l’esclavage ou à l’état de charogne ! Nous ne demandons qu’à vous aimer, ne nous laissez pas à la merci de ces tueurs qui nous achèveront à la chevrotine quand nous serons devenus trop vieux pour participer à leurs jeux macabres ! » Vous trouvez que je me laisse aller à la facilité en tirant sur les chasseurs ? Étant donné que nos gouvernements successifs n’ont cessé de leur accorder tous les privilèges, je n’en suis pas certain… Et pourquoi, d’ailleurs ? La chasse est-elle vraiment un enjeu capital ? Ils sont une minorité et ils emmerdent tout le monde : quels risques prendrait-on à leur interdire purement et simplement de chasser, ou, au moins, à leur rogner leurs droits ? Certaines économies locales ne s’en remettraient pas ? On lèse bien davantage les campagnes en fermant les écoles et en artificialisant les sols ! Les élus risqueraient des représailles ? Les gendarmes ne sont pas faits pour les chiens (désolé, les toutous) et on les envoie bien charger les paysans quand ils bloquent les routes ! Le droit à la chasse est une conquête de 1789 ? L’égalité devant l’impôt et l’abolition des arrestations arbitraires aussi, et on ne s’est jamais gêné pour les mettre à mal ! Les chasseurs ne font même pas partie des castes privilégiées, ils sont majoritairement issus des milieux ouvriers ! Alors, non, nos gouvernants n’ont aucune excuse pour les caresser dans le sens du poil ! Et vous aurez beau prendre la question dans tous les sens, je ne sors pas de là : un type qui tue pour le plaisir ne peut être qu’un salopard !
19h : Mes amis m’ont reconduit jusqu’à Brest. Il n’y pas grand-monde dans les rues, et pour cause : en ce moment, le match Brest-Nice bat son plein… C’est le seul côté positif du foot : pendant deux heures, tous les cons d’une ville vont s’entasser au stade ou au bistrot pour gueuler leur haine de l’étranger sur un penalty et, pendant ce laps de temps, ils laissent tranquilles les gens qui ne leur ressemblent pas… Attention : je ne dis pas que tous les footeux sont des cons, je constate simplement que tous les cons sont footeux ! Et ne m’accusez pas d’arrogance et de mépris parce que je peux vous dire que dans ces deux disciplines, entre les footeux et moi, ce n'est pas moi qui ai commencé ! Je ne compte plus toutes les fois où je me suis fait presque traiter de sous-homme par des « taliballons » - pour reprendre un néologisme forgé par le regretté Charb… Enfin bref : pendant que certains Brestois s’amusent à détester les Niçois pendant deux heures, pour ma part, je viens de prendre congé d’une Niçoise que je ne cesserai jamais d’aimer comme une grande sœur… Chacun son truc !
Dimanche 3 novembre : Osamu Tezuka aurait eu 96 ans aujourd'hui
Ce dessin représente l'héroïne de Merveilleuse Melmo, une des séries les plus mal-aimées (à tort ou à raison ?) du dieu du manga...
15h30 : Grâce à quelques grands dessins que je viens de colorier, j’ai tellement entamé mon stock de gouaches, de feutres et de crayons de couleurs que je peux me permettre de foutre à la poubelle le peu qu’il me reste. Je n’ai plus que la boîte de Polychromos que j’ai achetée récemment et qui donne effectivement des résultats satisfaisants : je devrais réussir à la rentabiliser sur le long terme même si je garde la ferme intention de favoriser le noir et blanc qui me donne moins de soucis… En attendant, en me débarrassant de mon excédent, j’accomplis un nettoyage par le vide qui me nettoie aussi la tête ! On se sent tout de suite moins lourds, moins sale, quand on ose enfin se débarrasser de ce qui nous encombre depuis des années ! Quand je serai un peu moins débordé, il faudra que je songe à faire un nettoyage par le vide de plus grande ampleur…
Lundi 4 novembre : 40 ans de Canal+
19h30 : J’ai bien travaillé aujourd’hui ; je me dispose à conclure la journée sur un sentiment de satisfaction quand je commets l’erreur de relever mes mails… Ce qui me vaut de découvrir un message des impôts ! Étant toujours enregistré en tant qu’auto-entrepreneur, j’ai reçu l’avis de Cotisation Foncière des Entreprises : je suis donc obligé de me connecter à leur site, bien entendu en tapant un code qui donnerait de l’urticaire à un crapaud, puis de passer à travers un embrouillamini invraisemblable de pages et de rubriques… Tout ça pour découvrir que je n’ai rien à payer ! Décidément, il n’y a rien de tel que l’administration pour pourrir l’ambiance !
Pour parler quand même de l'Amérique :
Mardi 5 novembre
10h : Pas grand-chose à signaler aujourd’hui : étant plutôt pessimiste concernant le résultat des élections américaines, je ne vais pas m’amuser à suivre le scrutin en temps réel comme doivent le faire certains imbéciles. En relevant mon compte en banque, j’ai la confirmation que l’AAH m’a été correctement versée : encore heureux, après toutes les fourches caudines sous lesquelles j’ai dû passer pour l’obtenir ! Profitons-en tant qu’il ne se trouve pas encore un(e) politicien(ne) givré(e) pour réussir à convaincre tous les cons du pays que pour faire des économies, il suffirait de laisser crever les individus « différents »…
Mercredi 6 novembre
Puisqu'il le faut, voici un portrait de Trump :
7h30 : Et merde… J’en ai marre, d’avoir toujours raison ! Non, je ne suis pas désespéré, je ne suis pas non plus angoissé, je ne suis même pas vraiment étonné. Je dirai juste une chose : ça m’emmerde. Oui, ça m’emmerde, d’en être encore « là » en 2024 ! Voilà bien la preuve que tout ce qu’on nous vend depuis des années comme le « progrès » (bagnoles, nucléaire, smartphones, etc.) ne sert strictement à rien ! Non, je ne ferai pas de commentaire plus détaillé : tout ce qu’on peut dire, vous l’avez sûrement déjà lu ailleurs ! Et si ce résultat vous réjouit, allez vous faire… Voir. Je dois faire un gros effort pour ne pas être grossier, en ce moment !
13h30 : Brève entrevue avec une amie qui, en raison d’un problème de santé sur la nature duquel je ne m’étendrai pas, s’exprime avec difficulté : consciente que je ne n’entends presque rien à la communication non-verbale, elle a recours à l’écriture pour la plupart des réponses qu’elle me fournit. Elle craignait que son mutisme ne me mette mal à l’aise, mais bien au contraire : j’ai même bien envie de lui dire qu’un peu de silence de temps en temps ne fait pas de mal ! Je m’abstiens cependant, craignant qu’elle ne prenne pour une remarque machiste comme on entend trop souvent aujourd’hui (quoi qu’en disent les beaufs si prompts à crier à la misandre) ce qui ne serait que l’expression de ma lassitude du brouhaha permanent qui caractérise ce monde… C’est doublement malheureux !
Quelques dessins aux crayons de couleur réalisés au cours du soir - quatre élèves ont posé à tour de rôle :
Jeudi 7 novembre
7h40 : Je me lève d’assez méchante humeur… J’avoue que je ne décolère pas depuis hier ! Je n’arrive pas à être un vrai cynique indifférent à ce qui se passe… Alors il va falloir s’y faire ? Il va falloir s’habituer à ce que le racisme, la misogynie, l’homophobie, ces vieux démons qu’on croyaient morts et enterrés, soient banalisés au point de revenir au pouvoir à intervalles réguliers, au même titre que la social-démocratie et le libéralisme il n’y a pas si longtemps ? Non ! Jamais je ne l’accepterai, jamais je ne l’admettrai ! Jamais je ne m’habituerai à ce que l’intolérance soit une pensée politique « comme les autres » ! Je ne lui reconnais même pas le droit d’exister ! Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance !
9h30 : Je m’arrête dans une boutique de reprographie : la patronne est bien étonnée de me voir débarquer avec deux dessins que je lui a déjà donnés à scanner hier. Je lui réponds que je les ai retouchés hier (ce qui est exact) mais je me retiens de lui dire « De quoi je me mêle ? » Dans la foulée, il faut que je descende au port pour récupérer une commande, mais le prochain bus n’est que dans une demi-heure, et il n’y a rien pour s’asseoir… C’est fou à quel point les gens vous méprisent quand vous avez besoin d’eux, non ?
Un des dessins de grande ampleur que j'ai fait scanner - je suis partie d'une pose qu'avait prise un modèle au cours du soir : pour l'habiller, je me suis inspiré très librement du costume que portait la belle Halle Berry (à laquelle notre modèle n'avait pas grand' chose à envier) dans La famille Pierrafeu :
14h30 : Travaillant d’arrache-pied sur une conférence que je fois donner dans vingt jours (ça va venir vite), je fais l’erreur de prendre une pause pour me préparer un thé et relever mon courrier. Pourquoi dis-je que c’est une erreur ? Parce que, dans ma boîte aux lettres, deux documents irritants m’attendaient : premièrement, un avis de passage d’Atout Habitat m’annonçant la visite d’un technicien pour contrôler mon installation ; comme si cette perspective n’était pas assez énervante comme ça, il faut qu’ils aient choisi une date où je ne serai pas disponible, il va donc falloir que je téléphone pour déplacer la date – je n’ai même pas le droit de l’annuler. Deuxièmement, un courrier du conseil départemental : comme si je n’avais pas eu assez de mal à obtenir ma PCH[2] qui doit me permettre d’aller voir ma psychologue sans grever mon budget, voilà que ces bureaucrates me réclament six mois de factures de la psy pour pouvoir me la verser ! Je ne voudrais pas insister lourdement sur l’administration, mais reconnaissez qu’on n’est pas aidés pour l’aimer…
Dimanche 27 octobre
14h30 : Tout à fait remis de la stupeur que j’avais eue au réveil en constatant qu’on était déjà passé à l’heure d’hiver, je risque un tour au bois de la Brasserie où je n’avais pas mis les pieds depuis belle lurette : je peux ainsi enfin voir les fameux toboggans qui y ont été installés. J’avoue que j’avais des inquiétudes : le boucan que j’entendais le jour de l’inauguration me laissait craindre une horreur clinquante et dégoulinante de couleur fluo comme on sait si bien en faire pour attirer les mômes en les prenant pour des demeurés. Fort heureusement, il n’en est rien : ils se résument à deux tuyaux gris qui, somme toute, s’harmonisent plutôt bien à ce paysage dominé par le viaduc et ne jurent pas avec les autres installations de l’aire de jeux. J’ai été à deux doigts de les essayer : je m’en suis abstenu, de peur rester coincé dedans !
Un autre élément architectural du bois de la Brasserie : l'abri, hérité de la seconde guerre mondiale...
Lundi 28 octobre
13h50 : Il y a peu, j’ironisais sur les commentaires d’une certaine presse cul-bénit qui criait au « miracle » à propos de la réouverture de Notre-Dame de Paris, mais j’avoue qu’il y a d’autres événements, plus personnels, qui me feraient presque croire aux miracles ! Premièrement, vous vous souvenez peut-être de mes démêlés avec UPS qui devait me livrer ma nouvelle Freebox : il se trouve qu’aujourd’hui, je dois prendre le bus à quatorze heures dix, il fallait donc que la livraison soit effectuée avant cette échéance. Et bien vous savez quoi ? Le livreur est bel et bien arrivé quarante minutes avant ! Autant dire plus qu’il n’en faut… Deuxièmement, poussé par je ne sais quelle folie, l’envie me prend de déballer tout de suite le colis et de connecter la Freebox dans la foulée. Et bien vous savez quoi ? J’y parviens avec fort peu de difficultés ! Totalement inespéré quand on connait mon rapport à la technologie qui fait mentir le stéréotype[1] du geek Asperger incollable en informatique… Troisièmement, avec tout ça, je prenais bien évidemment le risque de rater mon bus. Et bien vous savez quoi ? Je l’ai eu quand même ! Trois miracles en moins d’une heure… Mais il faudrait plus que ça pour que je me mette à croire au bon Dieu !
Sinon, le 28 octobre, Julia Roberts a eu 57 ans. Bon anniversaire au plus beau sourire d'Hollywood !
Une de mes meilleures amies s'appelle Julie et je l'appelle "Ju" par raccourci, d'où la familiarité que se permet le hérisson.
14h30 : Ayant pris le tramway après le bus, j’arrive au niveau de Saint-Martin où une visite guidée du cimetière, à laquelle je me suis inscrit, doit avoir lieu… Dans une demi-heure. Comme j’ai quelques bricoles à faire en ville, je décide de ne pas descendre tout de suite et de mettre ce temps de battement à profit pour régler ces affaires. Chemin faisant, je constate que les décorations de Noël sont déjà en cours d’installation ! Les chalets du marché de Noël y compris ! Je croyais que l’heure était aux économies, pour des raisons aussi bien budgétaires qu’écologiques… Mon œil ! On continue à gaspiller du courant pour des enfantillages pendant que la banquise continue à fondre et que l’université publique est en déficit… Quand les étudiants brestois devront porter des combinaisons de plongée sous-marine pour assister à des cours dispensés par des enseignants quasi-bénévoles, ils pourront toujours admirer les illuminations en ville… En attendant, j’ai donc une demi-heure pour acheter un tube de gouache, poster un courrier, faire scanner un dessin puis retourner au cimetière : je me lance donc dans une vraie course contre la montre… Si je la gagne, je veux bien croire aux miracles de Noël et me convertir au christianisme !
Le dessin que j'ai fait scanner au cours de ce laps de temps : "La prostituée ou Errare humanum est". La fille de joie regarde le ciel et se demande quelles erreurs elle a pu commettre dans sa vie pour en arriver à devoir monnayer ses charmes pour survivre. L'artiste traite le thème de la difficulté à assumer, sinon ses choix de vie, au moins leurs conséquences à long terme... Comme dit Amélie Nothomb : "Bien sûr, nous sommes condamnés à certaines choses par nos choix de vie, mais on peut décider à tout instant comment on va le vivre. Est-ce qu'on va le vivre avec classe, est-ce qu'on va le vivre avec panache, ou est-ce qu'on va le vivre en s'écrasant ?" Comme vous le voyez, cette dame de petite vertu n'a pas tout à fait décidé de s'écraser...
15h05 : Je suis arrivé avec cinq minutes de retard : il n’y a pas eu de miracle, l’Église catholique a perdu une ouaille potentielle, bien fait pour elle ! Précisons que le cimetière Saint-Martin est le plus ancien de la ville avec celui de Recouvrance : il a été ouvert au XVIIIe siècle quand Brest, alors encore enserrée dans ses remparts, faisait face à une épidémie de typhus meurtrière. Pour pouvoir installer un cimetière extra muros, Brest dut acheter un terrain à la commune voisine, alors autonome, de Lambézellec : le cimetière, enclave brestoise sur le territoire d’une commune voisine, a donc été appelé dans un premier temps « Cimetière de Brest » pour que ce statut particulier n’échappe à personne. Cette anecdote me fait avancer une hypothèse : beaucoup de Brestois s’imaginent, quand ils passent devant le monument américain, côté Cours Dajot, qu’ils foulent une enclave des États-Unis ; c’est totalement faux, le terrain est territoire français à part entière et n’est que prêté aux États-Unis qui en financent l’entretien, mais je me demande si cette croyance ne s’enracine pas, entre autres, dans une réminiscence du statut qu’avait jadis le cimetière Saint-Martin grâce auquel le phénomène d’enclave était connu, au moins à titre allusif, des gens du coin ? Toujours est-il que ce cimetière, où sont enterrés Pierre Péron[2], Jean Cras[3], Hyacinthe Martin Bizet[4], Béatrice de Trobriand[5] et j’en passe, est sans doute le plus prestigieux de Brest avec ses monuments somptueux qui, chacun à leur façon,portent la marque de l’histoire de la ville. La rédactrice en chef de Côté Brest lui a déjà consacré un article il y a quelques années et en parlait comme d’un « musée à ciel ouvert »[6], ce qui ne me parait pas excessif, mais je ne désespère pas de grapiller, au cours de cette visite, quelques anecdotes qui auraient échappé à la sagacité de ma collègue…
La tombe de Pierre Péron :
15h15 : Après nous avoir montré la tombe de Jean Cras, la guide doit répondre à la question bête classique : comment se fait-il qu’un officier de marine doublé d’un musicien reconnu n’ait eu droit qu’à un monument des plus simples, qui plus est en assez mauvais état ? L’explication est simple : premièrement, la facture de la tombe d’un particulier dépend en grande partie de l’argent qu’on y met, et si la famille est prête à se contenter de quelque chose de très simple, il n’y a pas de raison pour que les pouvoirs publics s’y opposent. Deuxièmement, la tombe est tout de même en marbre, un matériau de prix s’il en est mais, surtout, peu adapté au climat océanique, d’où son état de dégradation avancé… Quand la guide nous conduit vers un autre coin du cimetière, j’en profite pour dire, à l’appui de son explication, que j’ai vu, au cimetière de Montparnasse, la tombe d’un ancien président de la République et que je l’ai trouvée plutôt simple : j’ajoute cependant que sa veuve est tellement radine qu’il ne faut pas s’en étonner ! Bien sûr, mon interlocutrice voit tout de suite de qui je veux parler[7]…
La tombe de Jean Cras :
16h20 : Durant cette visite, je me serai heurté à un écueil auquel je ne m’attendais pas : la difficulté à prendre des photos. J’ai assisté à plusieurs visites guidées organisées ici ou là en ville, avec plus ou moins de monde à chaque fois, et je n’avais jamais eu de mal à photographier les bâtiments. Or, ici, je ne sais pas si c’est la nature même du lieu, tout de même particulière il est vrai, qui joue, mais à chaque fois que j’essaie de prendre un cliché, il y a toujours au moins une personne qui se met dans le champ ! Au mieux (une ou deux fois) la personne en question fait un semblant d’effort, qui s’avère malheureusement vain, pour ne pas obstruer le champ de vision de mon objectif, au pire (dans la plupart des cas) elle n’en a rien à secouer ! Devant la tombe de cette pauvre Béatrice de Trobriand[8], je craque et je laisse échapper un « Non, madame » à l’attention d’une femme d’âge mûr qui m’empêche de prendre une photo, ce qui me vaut une engueulade en règle d’un autre visiteur : « Vous pouvez bien attendre une minute ou deux, non ? » Non, je ne peux pas attendre : le groupe a déjà pris de l’avance et je ne veux ni retarder la guide ni rater une partie de la visite ! Et je ne pouvais pas non plus prendre ma photo plus tôt, il fallait bien que je prenne des notes ! Il me traite même de « goujat » ! Sa compagne ne pipe mot, approuvant béatement cet anathème disproportionné, ce qui n’en rend que plus déplacée l’accusation sous-jacente de machisme qu’il véhicule… Goujat, moi ? Non : correspondant de presse consciencieux, c’est tout ! Je respecte le public ! Même si je ne sais pas s’il le mérite toujours…
Le tombeau de Béatrice de Trobriand - que j'ai quand même fini par avoir parce qu'il n'y a pas de raison :
17h30 : La visite a pris fin il y a trois quart d’heures. Tant qu’à faire d’être en ville, j’en profite pour faire quelques courses. C’est pourquoi je suis à nouveau chez Boulanger afin de faire remplacer le sèche-cheveux qui m’a claqué entre les doigts la semaine dernière. J’obtiens un avoir pour en m’en procurer un autre sans problème – du moins de mon point de vue car l’employé qui m’accueille a l’air de sacrément galérer pour le faire sortir de son engin : il aurait moins de soucis avec un bon vieux carnet à souche, mais vous ne voudriez quand même pas qu’un magasin d’électroménager ne force pas son personnel à tout déléguer à la machine ? Cela dit, ce qui me frappe le plus dans ce magasin, c’est la décoration d’Halloween : aujourd’hui, à peu près tous les commerces se sentent obligés de rappeler à leur clientèle cette fête, même si leur activité n’a rien à voir avec elle ! Halloween, c’est quoi, à la fin ? C’est se déguiser en monstre et sonner à la porte des gens pour leur soutirer de quoi se fabriquer des caries : quel rappo avec un marchand de télés et de lave-linges ? Halloween a été très à la mode auprès des ados de ma génération, puis il y a eu un reflux que l’ami Siné a eu la faiblesse de croire définitif :
« Alors que la fête de Halloween bat des records de popularité aux États-Unis (5 milliards de dollars de bonbons et de déguisements), ici en revanche, c’est le bide et la fête fait flop ! Les Amerloques ont raté leur coup en voulant imposer aux petits Français leurs citrouilles de mes deux. Bien fait pour leur gueule ! »[9]
Erreur de calcul : aujourd’hui, la fête est tellement ancrée dans les mœurs françaises que tous les gratteurs de lingots se font un devoir moral d’y faire allusion, même si le lien avec leur activité est ténu jusqu’à en être invisible. J’ai déjà souligné que les Goristes étaient des visionnaires : dans leur chanson iconique, « La Penfeld aux Brestois », ils avaient deviné à peu près quelle zone la marine nationale conserverait dans le cadre de la cession[10] de ses espaces à la ville ; dans « Le tramway », ils avaient eu l’idée du téléphérique brestois bien avant la municipalité ; et dans « Allo Gwin », ils disaient ceci : « Pauvre Halloween, pauvre Saint-Patrick / Votre destin, comme la fête des mères et Noël / C’est de rimer à rien, sauf avec fric ! » Le poète a toujours raison…
Pour évoquer tout de même Halloween voici la photo d'une petite sorcière (en fait un mannequin) vue en Indre-et-Loire... Ce n'est pas moi qui aurais la chance de croiser Emma Watson !
18h15 : Passage au Leclerc du centre-ville pour fait quelques achats urgents, dont des oranges à jus. Seul choix à ma disposition : des agrumes d’Afrique du Sud… Pour des raisons aussi bien éthiques qu’écologiques, j’essaie de consommer européen, mais là, je n’ai vraiment pas le choix, à moins de renoncer pendant au moins trois jours à mon orange pressée matinale qui me fait l’effet d’une potion magique. Il n’empêche que malgré tous les beaux discours de Michel-Édouard, l’enseigne ne fait pas étalage (ah ! ah !) d’initiative pour la liberté de choix… Je risque un tour au rayon presse et je peux ainsi voir la « une » d’un quotidien. Le journal clame, à propos des présidentielles américaines, qu’à une semaine du scrutin, « le suspense reste entier » ! Ça a le mérite d’être clair : ils ne savent rien mais ils ont quand même tartiné des pages sur le sujet ! Pour ce que ça a de passionnant de savoir si c’est Trump ou Harris qui va déclencher la troisième guerre mondiale… On s’étonne que les gens n’achètent presque plus les journaux : peut-être que s’ils parlaient des problèmes de leurs acheteurs potentiels, ça s’arrangerait, non ?
Mardi 29 octobre : jour de la saint Narcisse
Destiné à figurer dans une BD qui revisitait le mythe de Narcisse, ce dessin n'a pas été retenu par le scénariste : je l'ai tout de même encré et colorisé parce qu'il aurait été regrettable de le jeter. Non ?
10h45 : Après avoir fait scanner un autre dessin de grand format et acheté une boîte de polychromos[11], je fais une halte dans un café et je feuillette un quotidien dont le contenu confirme mon sentiment de la veille sur la presse : il n’y a rien de bien passionnant. Une fois passées les ratiocinations sur les élections aux États-Unis (qui ont de toute façon déjà touché le fond du ridicule depuis que Trump s’est affiché en train de vendre des frites dans un MacDo), il y a quoi ? Les armes qui circulent dans certains quartiers de grandes villes bretonnes, notamment dans le cadre d’affaires de narcotrafic : bon, d’accord, c’est navrant, mais ça ne veut pas dire que ce sont des zones de non-droit pour autant ! Chaque fois que je tombe sur un papier qui ressasse la logorrhée habituelle sur l’insécurité dans les banlieues, j’ai l’impression de réentendre Roger Gicquel clamer « la France a peur »[12] ! C’est d’autant plus insupportable que c’est pour mieux nous préparer à entendre « N’ayez pas peur, Retailleau veille sur vous »… Puisqu’on parle du gouvernement, il est aussi question de la « bataille » que Barnier va devoir mener pour faire adopter son budget : c’est tout juste si on ne nous exhorte pas à le plaindre ! Oh, ça va ! Il a trahi son parti pour tremper dans la combine de Macron, il a formé un gouvernement dont la gauche, pourtant majoritaire au parlement, est absente, il applique les idées du RN alors que les Français se sont mobilisés justement pour empêcher ce parti de gouverner… Alors il ne manquerait plus que la tâche lui soit facile, tiens ! Il va en chier ? Bien fait pour lui !
Pour évoquer tout de même l'actualité américaine...
Ce dessin a illustré un article paru dans le numéro 6 de la revue L’éponge.
15h15 : Je quitte la piscine où j’ai nagé pendant trois quarts d’heure : prenant le bus, je peux voir, chemin faisant, les pubs pour les 40 ans de Canal+. L’anniversaire risque de passer inaperçu : non seulement il sera occulté par la présidentielle américaine mais, surtout, qui s’intéresse encore à cette chaîne réduite à l’état de danseuse entretenue par Bolloré ? Une danseuse déjà décatie qui n’a plus pour elle qu’un glorieux passé, telles les chanteuses en bout de course qu’Albert Camus avait vu à l’œuvre dans les quartiers sordides de New York[13]… Et ne vous imaginez pas que ça me fasse plaisir d’écrire ça ! Quand la chaîne cryptée, alors encore au temps de sa splendeur, fêtait ses dix ans, on pouvait y entendre régulièrement « Happy birthday Rock’n’roll », une chanson d’Eddy Mitchell qui dit, entre autres, « C’est dur de brûler tout ce qu’on a aimé » : trente ans après, je le confirme… En fait, Canal, pour moi, c’est un peu comme un papy avec qui je me serais amusé comme un fou quand j’étais petit et qui serait aujourd’hui complètement grabataire… Non, ce n’est pas du vécu : mes grands-parents, du moins ceux que j’ai connus, ont eu la bonne idée de mourir avant d’imposer ce spectacle désolant qui réconcilie avec l’euthanasie. Est-ce à dire que je suggère qu’il faut reconnaître à Canal le droit à mourir dans la dignité ? Non : encore faudrait-il qu’il lui en reste, de la dignité…
Un hommage à l'esprit Canal que j'ai réalisé il y a cinq ans - il y en aura d'autres sur ma chaîne YouTube à partir du 4 novembre :
15h30 : Je découvre le dernier Côté Brest avec, entre autres, mon article consacré à deux affaires de maisons hantées signalées en 1938. Je tiens cependant à préciser que je ne crois pas à ces balivernes : c’est la rédaction qui m’a demandé de me pencher sur le sujet, histoire d’être dans l’ambiance d’Halloween. Pour éviter le piège du « Ah, Germaine, il y a quand même des trucs qui nous échappent, pas vrai », j’ai cependant soin de sous-entendre, en conclusion, que la presse locale de l’époque s’y était intéressée probablement parce qu’elle était en mal de sensationnel. Faute de place, je n’ai pas pu préciser que la première de ces deux maisons était située le long d’une voie alors en réfection, ce qui suffirait à expliquer qu’il y ait eu des trépidations, et que la propriétaire de la seconde vivait seule avec son gamin de onze ans, situation propice à en faire délirer plus d’un(e) s’il en est ! De surcroît, les gens ne pouvaient pas être dans l’ignorance de la situation géopolitique qui était alors des plus anxiogènes (la seconde guerre mondiale allait éclater l’année suivante, je ne vous dis que ça) et favorisait donc les fantasmes les plus épouvantables et les plus extravagants… Tout ça pour dire : je me suis borné à rapporter tout ce qu’on sait de ces deux affaires, en l’occurrence des témoignages qui n’ont jamais été confirmés par le moindre soupçon de preuve matérielle, et je vous préviens que si je reçois le moindre message émanant d’un médium, d’un chamane, d’un spirite ou de tout autre charlatan, ou même d’un amateur de « sciences occultes » désireux d’avoir mon aide pour mener une enquête approfondie sur ce que d’autres témoins de l’époque avaient déjà qualifié de « fumisteries » et « d’histoires abracadabrantes », c’est retour à l’envoyeur !
Pour rester dans l'ambiance d'Halloween, le dessin de grand format que j'ai fait scanner le matin : "Hazel ou : Miroir, ô miroir, suis-je toujours la plus laide ?" La sorcière Hazel, qui pensait être la plus laide, découvre dans son miroir qu'elle est devenue magnifique... Et refuse de l'admettre ! Il s'agit bien sûr d'une énième variation de votre serviteur sur la conclusion de Broom-stick Bunny, le cartoon de 1956 réalisé par Chuck Jones où la sorcière qu'affronte Bugs Bunny avale par inadvertance son élixir de beauté ; mais il est à noter que dans Mercure, le roman d'Amélie Nothomb paru un an avant Stupeur et tremblements, l'héroïne s'appelle également Hazel et est elle-même une sublime jeune fille séquestrée par un vieux pervers qui lui fait croire qu'elle est horriblement défigurée et, quand elle découvre la vérité, elle refuse de l'admettre... Je n'ai pas manqué de signaler cette coïncidence à la romancière !
16h : Je viens de dépouiller mon courrier qui était, mine de rien, assez abondant. Rien d’étonnant : j’aime écrire des lettres et j’achète beaucoup par correspondance, notamment des livres qui ne sont plus disponibles ni en librairie ni en bibliothèque et du matériel de dessin que je ne trouve pas à Brest. Par exemple, il m’est de plus en plus difficile de trouver des plumes tubulaires de marque Rotring qui garantissent un trait d’épaisseur égale et sont donc extrêmement pratiques pour tracer les lettres ou les traits tirés à la règle : ces ustensiles, jadis employés pour le dessin technique, n’intéressent plus aujourd’hui que les artistes fidèles au papier, autant dire une clientèle négligeable aux yeux des capitalistes… Ainsi, aujourd’hui, je réceptionne enfin un isograph que j’avais commandé et qui, si j’en crois les documents joints, me vient… Des Pays-Bas ! Cet outil essentiel pour moi, il aura fallu aller le chercher chez les Bataves ! Cela dit, soyons justes : c’est là qu’on voit que l’Europe a quand même des côtés merveilleux car je n’ose pas imaginer ce que j’aurais dû payer s’il y avait eu des taxes douanières à régler ! On en reparlera le jour où il faudra carrément aller jusqu’à Pyongyang pour trouver de quoi dessiner sans assistance informatique…
Quelques croquis réalisés en vue d'une BD :
Jeudi 31 octobre
9h50 : Après avoir passé un mercredi sans histoire, j’ai tracé jusqu’à Bellevue pour faire le marché : demain, c’est férié, il risque donc de ne pas y avoir de marché à Lambé, et je ne veux pas faire une croix sur ma ration hebdomadaire de pâté de campagne. Voyant la une des journaux, je constate que les Espagnols n’ont pas besoin de fêter Halloween pour se faire peur ! Ce peuple, qui n’a décidément pas de bol, a trouvé plus meurtrier que Franco : le dérèglement climatique… Mais Le Télégramme parle aussi du proche anniversaire de Canal+ et souligne ouvertement qu’il ne reste plus rien de « l’esprit Canal », précisant que « c’est Vincent Bolloré qui a sifflé la fin de la récréation »… Le fait qu’un quotidien qui n’est pas réputé pour les prises de position tranchées et virulentes (ce que je ne lui reproche pas nécessairement) se permette de s’exprimer ainsi est révélateur d’un fait dont je me doutais déjà avant : l’esprit Canal manque à la société française. Pas l’esprit Canal au sens « d’esprit branchouille, parisien et arrogant » mais bien au sens de « souffle d’invention, de jeunesse et de fantaisie »[14] : la France d’aujourd’hui est presque aussi coincée que dans les années 1960, quand le pouvoir gaullien persécutait les humoristes impertinents, et on n’arrangera pas la situation en s’obstinant à donner la parole aux Zemmour, Soral, Dieudonné et autres Onfray qui se parent des oripeaux du « politiquement incorrect » pour servir aux naïfs une soupe empoisonnée cuisinée en 1933. Non, ce qui manque, ce sont des espaces de liberté et de créativité où peut s’épanouir ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit français et même dans l’esprit humain en général : des espaces où s’expriment la joie, l’impertinence, l’originalité et non l’aigreur, le ressentiment et la nostalgie d’un passé fantasmé. Ce serait une soupape de sécurité dont l’absence se fait plus cruellement sentir que jamais : peu de gens ont souligné que l’épisode des « gilets jaunes », où la colère contre les élus et les médias s’est exprimée avec une virulence à laquelle nous n’étions plus habitués, avait débuté peu après la disparition des Guignols de l’info ! Ce n’est pas un hasard ! La contestation serait certainement moins violente (et donc moins dangereuse pour les personnes qu’elle ne vise même pas) si elle pouvait encore trouver à s’exprimer non seulement dans la rue mais aussi par le biais d’un programme satirique bon enfant. Nous ne sommes plus en 1968 : la France ne s’ennuie pas, elle est crispée, et on ne lui donne même plus les moyens de se détendre…
Encore un hommage à l'âge d'or de Canal :
13h45 : Passage du technicien de chez Free censé raccorder ma nouvelle Freebox à la fibre optique. Après avoir examiné mon appartement sous toutes les coutures, il m’annonce qu’il faudra désormais installer la box… Dans le hall d’entrée ! Je dirais bien deux mots à l’architecte de cet immeuble qui n’a même pas imaginé que le locataire pourrait préférer garder la box dans le bureau, là où se trouve logiquement la place de l’accastillage informatique… Non que ce soit problématique pour moi, mais ça m’oblige à revoir l’organisation de mon bureau : mes rituels ont été excessivement bousculés ces derniers temps, je n’aurai peut-être pas assez d’un week-end de trois jours pour m’en remettre ! Rââââh, je hais les vacances scolaires, je hais les jours fériés, je hais Halloween, je hais la Toussaint, je hais les architectes, je hais la technologie ! Tiens, je vais lire le dernier Fluide Glacial, ça va m’apaiser…
Un dessin pour rigoler parce que j'en ai besoin (et vous aussi, non ?) :
Vendredi 1er novembre
9h : N’ayant pas trouvé tout ce que je cherchais hier matin au marché de Bellevue, je risque une sortie, malgré le temps brumeux, au cas où un commerçant aurait tout de même fait le déplacement. Bien entendu, la place des FFI est vide de tout stand et à peu près tous les commerces dont fermés. Histoire de ne pas être sorti pour rien, je donne une pièce au type qui mendie devant la boulangerie (qui est ouverte mais ça ne me sert à rien) : je préfère donner à lui qu’à Marcel Mendicity (si vous lisez le dernier Fluide Glacial, vous comprendrez) !
Pour terminer, comme tout le monde va avoir les yeux braqués vers les Etats-Unis, voici un dessin qui a été publié en première page de la revue L’éponge :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Véhiculé par, entre autres, Pascal Fioretto, heureusement mieux inspiré dans beaucoup d’autres domaines.
[2] Dessinateur et cinéaste (1905-1988).
[3] Contre-amiral et compositeur (1879-1932). Pour plus de détails, consultez l’article que j’ai consacré à son opéra Polyphème et celui où je présente sa biographe écrite par Paul-André Bempéchat.
[4] Homme politique (1804-1867), resté dans l’histoire comme le premier maire de Brest élu au suffrage universel.
[5] Aristocrate et philanthrope (1850-1941) connue en tant que première propriétaire du château de Ker Stears (l’actuel lycée Fénelon) et héroïne malgré elle de l’affaire du diamant bleu qui inspira une nouvelle à Maurice Leblanc. Pour plus de détails, consultez l’article que je lui ai consacré.
[6] Consultez l’article en question, publié il y a déjà huit ans.
[7] Pas vous ? Ah bon…
[8] Ne cherchez pas l’ironie, il n’y en a aucune : cette femme a eu plusieurs enfants dont aucun ne lui a survécu ! Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi et Béatrice était une personne généreuse qui ne méritait vraiment pas de vivre une horreur pareille…
[9] SINÉ, Mon dico illustré, Hoëbeke, Paris, 2011, p. 103.
[10] Il serait plus juste de parler de « restitution » car la marine s’était emparée dans une semi-illégalité de ces espaces que la ville est aujourd’hui obligée de lui racheter à des prix astronomiques, un peu comme si la victime d’un vol devait payer le receleur pour récupérer son bien…
[11] Ce sont des crayons de couleur de, m’a-t-on dit, grande qualité : à vingt-cinq euros la boîte de douze, ils ont intérêt à l’être !
[12] Précisons qu’en fait, « le docteur Gicquel » comme l’appelait Coluche par ironie respectueuse, voulait en fait expliquer à son public qu’il n’y avait pas de raison d’avoir peur : le moins qu’on puisse dire est qu’il a raté son effet. On ne peut donc pas l’accuser de populisme, mais ça en dit long sur les limites de son talent oratoire.
[13] « Nuit de Bowery. La misère – et un Européen a envie de dire : « Enfin le concret. » Les vraies épaves. Et les hôtels à vingt cents. Bowery Follies où de très vieilles chanteuses viennent de produire dans un décor de « saloon » devant un auditoire misérable. » Albert CAMUS, Journaux de voyage, Folo, Gallimard, Paris, 1978, p. 33.
[14] François MOREL, « Gloire à Guignol ! » (22 juin 2018) in Grâces matinales, Bouquins, Paris, 2022, p. 869.
Samedi 19 octobre
10h30 : La ville de Brest organise des événements consacrés à des lieux patrimoniaux qu’elle souhaite réhabiliter, dans le but non seulement de les présenter au public mais aussi de recueillir les souvenirs, impressions et suggestions des habitants à leur sujet. Ce matin, c’est un bâtiment appelé « la Rotonde », situé à l’entrée du jardin de Kerguerec, sur les rives de la Penfeld, qui est mis à l’honneur : je m’y rends, espérant obtenir des informations pour Côté Brest. Renseignement pris, cet édifice cylindrique a été construit dans les années 1970 pour abriter un transformateur EDF et sert aussi de lieu de stockage de matériel aux services des espaces verts… Tout juste de quoi alimenter une colonne, mais c’est toujours ça de pris ! Mais ce qui m’effare le plus, ce n’est pas tant la minceur de l’intérêt patrimonial du lieu (après tout, il ne peut pas y avoir des maisons de corsaire à chaque coin de rue) que les préoccupations des riverains présents sur place : manifestement, ces braves gens, pour la plupart retraités et installés dans le quartier depuis sa fondation, profitent de l’événement pour faire remonter leurs doléances concernant leurs concitoyens qui viennent profiter du coin de paradis qu’est le jardin public et qui, d’après eux, troubleraient leur quiétude ! L’un d’eux, ayant compris que j’écris dans Côté Brest, est même à deux doigts de m’enguirlander pour un article sur les barbecues dont je n’étais même pas l’auteur… Je ne peux pas leur reprocher leur aspiration à une vie paisible, mais je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain mépris pour leur attitude qui me rappelle celle de paysans qui accueilleraient les étrangers avec des fourches, d’autant qu’elle est plutôt indécente vis-à-vis des gens qui n’ont pas, comme eux, la chance, de disposer d’un jardin. Les espaces verts sont à tout le monde et on ne va pas en restreindre l’accès pour des incivilités certes regrettables mais probablement ponctuelles et dont la gêne se limite, pour les riverains, à un peu de raffut pendant moins de la moitié de l’année ! Je serais curieux de voir comment réagiraient ces vieux cons (je ne trouve pas d’autre mot) si le chantier du nouveau réseau de transports était en bas de chez eux… Moins antipathique mais guère plus intelligent : un type me reconnait et me demande si « ça m’inspire un dessin » ! Je comprends enfin ce que ressentent certains comiques reconnus quand on leur demande en pleine rue « faites-nous rire »…
La Rotonde :
La terrasse au sommet de la Rotonde :
16h : J’étais venu participer au Speed-searching, un atelier organisé dans le cadre des 30 ans de la fac Segalen, où des chercheurs, aussi éminents que votre serviteur voire plus, devaient présenter leurs recherches au public : j’avais préparé à cette fin neuf cartes que les visiteurs devaient retourner afin de découvrir une image liée à l’un de mes thèmes de recherche, à la suite de quoi je faisais un petit résumé de mes travaux sur le thème en question. Hélas, le public n’est pas venu, à tel point que la directrice du laboratoire nous enjoint à laisser tomber ! Je m’exécute et un rapide tour des lieux m’amène à découvrir que notre atelier n’est pas un cas isolé : c’est la fac toute entière qui est sous-fréquentée, personne ne vient ! Or, pour présenter des recherches au public, encore faut-il qu’il y en ait, du public… Cette bonne blague : il fait soleil, c’est jour de grande marée, alors où sont les gens ? Sur les plages à embêter les mollusques ! J’ai comme un gros coup de cafard…
A titre anecdotique : une photo que j'ai prise depuis le troisième étage de la fac et qui montre que les travaux actuellement effectués à Brest sont tout sauf anarchiques :
17h30 : À la cérémonie officielle du trentième anniversaire de la fac, quatre anciens doyens partagent leurs souvenirs de leur mandat : au moins, je ne serai pas venu pour rien, j’aurai de quoi alimenter au moins un bas de page pour le journal. Ils mettent tous les quatre l’accent sur les mouvements sociaux qui ont jalonné la vie de la faculté mais, à les entendre, j’ai la nette impression que ça s’est toujours plus ou moins passé dans un climat somme toute bon enfant : il était évident qu’on était loin des crétins qui avaient agressé Paul Ricœur en mai 68… Je sais que critiquer le mouvement de mai, c’est quasiment blasphémer, mais ce n’est pas parce que de bonnes causes triomphent parfois pour de mauvaises raisons qu’il faut s’imaginer que c’est systématique !
Trois croquis exécutés lors de la cérémonie :
Trois photos :
21h45 : Après un cocktail où, comme toujours, j’ai passé mon temps, entre deux verres, à me demander ce que je foutais là, je me suis quand même attardé pour assister au concert de l’orchestre universitaire. Mais alors que le public, à la fin de la prestation, réclame un autre morceau, je préfère partir tout de suite : si je reste, je risque de rater le bus et de devoir attendre une heure pour avoir le prochain… Je suis assez d’accord avec Pierre Desproges dénonçant l’absurdité des rappels : quand c’est fini, c’est fini, et même moi, en tant que spectateur, je ne réclame pas davantage que ce qui était prévu ! Je trouve même que ça casse l’harmonie d’un spectacle, un peu comme si on demandait à un peintre de rajouter des détails à son tableau au risque de le surcharger. Si je fais un jour un spectacle à moi tout seul, il ne faudra pas me demander un bis, et tant pis si on me dit que je ne suis pas « sympa » ! D’ailleurs, je ne le suis pas : je ne suis pas « sympa », je suis gentil, ce qui n’est pas la même chose – j’en suis en tout cas convaincu depuis que j’ai entendu des personnes apparemment saines d’esprit déclarer qu’elles trouvaient « sympa » des personnalités telles que Bernard Tapie, Jean-Paul II, Jacques Chirac ou Carlos Ghosn…
Une photo prise au cours du cocktail :
Quelques croquis réalisés durant la prestation de l'orchestre :
Une petite vidéo :
Dimanche 20 octobre : il y a 84 ans naissait Nikita Mandryka
Cette photo a été prise par votre serviteur au festival de la BD de Perros-Guirec en 2016 : lauréat du concours de jeunes talents, j'avais ainsi eu l'opportunité de voir en chair et en os le créateur du Concombre masqué (à gauche) en compagnie du dessinateur Nicoby (à droite). Un grand souvenir...
18h : Je rentre du vide-greniers des Yannicks où j’avais réservé une table. La fréquentation était bonne et je n’ai pas eu de mal à rentabiliser l’emplacement ; j’ai la nette impression qu’après avoir eu mauvaise presse pendant un certain temps, ces manifestations connaissent un regain de succès, je ne serais pas étonné que la conjoncture économique amène les gens à chercher plus volontiers la bonne occase… En attendant, je suis épuisé : les enfants faisaient tellement de bruit que j’ai été obligé de garder mon casque pendant une bonne partie de la journée ; j’ai même pris la peine d’accrocher à ma table un panneau improvisé précisant que je n’écoutais pas de musique, que j’avais besoin de mettre ce casque parce que je suis hypersensible au bruit et que ça ne voulait pas dire que je fuyais la communication avec autrui ! Je commence à avoir l’expérience de la façon dont on est perçu quand on porte un casque antibruit en public…
Bon, ça n'a aucun rapport, mais je ne savais pas où le mettre :
Lundi 21 octobre
13h45 : Après avoir effectué quelques achats urgents en ville, j’ai la surprise de retrouver, dans le tramway, ma CPE du collège. Ou, plus exactement, l’une d’elles. En effet, au cours de ces années difficiles, j’avais eu deux conseillères principales d’éducation successives : de la quatrième à la troisième, c’était une connasse incompétente qui se foutait de moi et me disait, quand je me plaignais de harcèlement, que c’était à moi de faire des efforts pour « m’intégrer » – traduisez : « on ne peut pas demander aux autres d’être moins cons, alors fais l’effort d’être moins intelligent » ! De la sixième à la cinquième, c’était une dame plutôt gentille qui était certes démunie face à ce que je subissais mais qui m’écoutait encore un peu : c’est évidemment cette personne que je croise aujourd’hui et que je revois avec plaisir ! L’autre, je l’aurais probablement insultée… Toujours est-il que l’ex-CPE que je retrouve maintenant, désormais retraitée (comme le temps passe), déclare me voir souvent dans les journaux : ça la rend peut-être fière de son ancien élève, mais je ne sais pas s’il y a de quoi…
Mardi 22 octobre : 180ème anniversaire de Sarah Bernhardt
10h : Après une grasse matinée et une douche, je décide d’inaugurer le sèche-cheveux que j’ai acheté hier : à peine l’allumé-je qu’il fait sauter mon disjoncteur ! Et, bien sûr, même après avoir remis le courant, plus moyen de refaire marcher cette camelote… J’avais pris le modèle le moins cher, et je repense à Gaston Lagaffe constatant que sa combinaison d’aviateur électrocutait Fantasio : « Ah ben voilà pourquoi c’était pas cher ! Y a un défaut ! Heureusement que je le vois ! » Une fois revenu de mon effarement, je me félicite d’avoir gardé le ticket de garantie… Ils vont m’entendre !
Sans rapport, mais il fallait bien que je le mette quelque part :
11h30 : Petite halte chez une voisine : la télé de cette dernière est allumée sur RMC Story où passent « Les Grandes Gueules », j’ai ainsi vent de l’expulsion des boulistes de Montmartre. Je dois bien avouer que malgré ma spontanéité à défendre les faibles contre les forts, ça me fait un peu mal aux seins de défendre des joueurs de pétanque ! C’est tellement connoté… Je suis sûrement injuste, tous les boulistes ne sont certainement pas des gros beaufs ! Mais on ne lit pas impunément Cabu depuis l’adolescence…
10h15 : Passage au Pôle numérique de l’université, au Bouguen, pour découvrir un logiciel censé me permettre de rendre ma prochaine conférence plus interactive : mais quand je comprends que, pour en profiter, les auditeurs devront obligatoirement utiliser leurs smartphones, je renonce aussitôt ! L’idée de parler à des spectateurs dont tous les regards seront braqués sur leurs portables m’est tout simplement indigeste… Déjà que, dans la rue ou dans les transports en commun, j’ai envie de donner des coups de tatane à tous ces cons qui ne décollent pas de leurs téléphones ! La dame qui m’accueille me dit qu’il y a bien des « boîtes à vote » mais précise qu’elles sont « obsolètes » comme à peu près tout ce qui date de plus d’un an aux yeux des professionnels de l’informatique… Tant pis pour l’interactivité, de toute façon, je n’y ai jamais été vraiment favorable ! Les jeux du cirque, à Rome, étaient eux aussi interactifs, dans un sens, quand un gladiateur vaincu y était achevé à la demande du public[1]…
Un croquis réalisé pour une BD - aucun rapport avec mes misères liées à l'informatique, si ce n'est le fait que je ne suis pas près de dessiner sur tablette graphique :
12h : Après avoir remis des documents à une chercheuse de la fac, petite pause à la cafétéria : la presse locale revient sur l’affaire Seznec dont le jugement est encore contesté cent ans après. En fait, en Bretagne, Seznec, c’est un peu notre Dreyfus à nous, à une grosse différence près : autant la procédure avait été bâclée pour Dreyfus, autant le dossier concernant Seznec était impeccable. Signe qui ne trompe pas : alors qu’il n’a fallu que douze ans pour que l’innocence de Dreyfus soit reconnue, la culpabilité de Seznec ne fait toujours aucun doute, cent ans après, aux yeux des juristes qu’on ne peut même pas soupçonner de vouloir prendre la défense de collègues morts et enterrés depuis belle lurette ! Certains défenseurs de Seznec affirment que la condamnation de leur martyr est une action de la France jacobine contre la Bretagne : le problème, c’est que les magistrats qui l’ont condamné étaient eux-mêmes bretons ! En fait, les dreyfusards représentaient la France des lumières contre la France de l’obscurantisme, tandis que les « seznecards » représentent la Bretagne des ploucs fiers de l’être contre la Bretagne tolérante et respectueuse de l’altérité… Cela dit, si j’ai bien compris, cette histoire aurait pu n’être qu’une énième affaire criminelle crapuleuse comme il y en a des milliers d’autres chaque année sans l’intervention d’un ancien magistrat désireux de régler un compte personnel et d’un journaliste en mal de sensationnel : et c’est seulement à cause de ça qu’il se trouve encore des gens pour défendre un assassin mort depuis soixante-dix ans ! Voilà qui montre encore une fois que les gens préfèrent un mensonge souriant à une vérité maussade… C’est à se flinguer, non ?
14h : Passage aux archives municipales où j’espère pouvoir consulter deux vieux numéros de La Dépêche de Brest (l’ancêtre du Télégramme) traitant d’affaires de maisons hantées signalées en 1938 – je ne crois pas à ces balivernes mais, Halloween oblige, la rédaction m’a demandé un papier sur le sujet. On me répond que les numéros de ce journal ont été numérisés et ne sont consultables qu’en ligne : je ravale un instant ma colère et décide de quand même faire une recherche pour voir s’il n’existe pas des documents qui me permettraient de savoir ce que les maisons en question sont devenues après la guerre. Après avoir éliminé plusieurs pistes peu convaincantes, je retiens deux côtes de dossiers que je fournis à la documentaliste : elle me fournit le premier sans problème, mais je n’y trouve rien. En revanche, on me refuse l’accès au second qui n’est pas complet : l’affaire pourrait donc se terminer sur un « tant pis » résigné de ma part si un responsable n'avait décidé subitement de me mettre le grappin dessus pour me demander ce que je cherche ! J’ai un mal de chien à m’expliquer, il me reproche de parler trop vite, il me coupe tous les quatre mots… Bref, j’ai une crise et il m’accuse de « « m’énerver tout seul » ! « Je veux seulement vous éviter de consulter un dossier pour rien » qu’il dit : de quoi je me mêle ? Et si ça me plait, à moi, de fouiller dans de vieux papiers en prenant le risque de ne rien trouver ? Ça fait partie des risques du métier, après tout ! Quand il me libère enfin, je décide qu’à toute personne qui me posera la question du devenir post-guerre de ces maisons prétendument hantées, je répondrai : « Si on vous le demande, vous direz que vous n’en savez rien ! »[2]
Puisqu'on parle de fantômes, voici un caricature de Marylise Lebranchu, la garde des sceaux qui demanda en 2001 la révision du procès Seznec - je m'étonne que cette femme, qui me semble intelligente et honnête, qualités rares en politique s'il en est, ait donné officieusement raison à des pulsions de haine !
17h : Je croyais pouvoir oublier mes soucis en allant nager à la piscine. Et bien même là, je me fais enguirlander par un vieux con qui me reproche de ne pas regarder où je vais alors que je ne l’ai même pas touché ! Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, aujourd’hui ?
18h : À la fac, conférence de Sébastien Thiry sur la géopolitique dans la Grèce antique. Qu’en ai-je retenu ? Que les « hauts faits » des guerriers grecs ont été moins déterminants pour le devenir de leurs territoires que les magouilles de leurs chefs : rien de nouveau sous le soleil, en somme…
Sébastient Thiry vu par votre serviteur :
19h30 : Je traverse la place de la Liberté pour prendre le tramway, ce qui me vaut d’être interpelé par un type en panoplie de rappeur de banlieue qui a dû me voir à l’œuvre au Café de la Plage et qui me lance (je cite de mémoire) : « Hé, t’es un chanteur, j’t’ai vu à Guérin, et tu dessines aussi ! » J’aime de moins en moins être reconnu en pleine rue, j’apprécie encore moins qu’on me tutoie spontanément, je ne supporte pas qu’on me parle bruyamment et je DÉTESTE qu’on se méprenne sur mes activités – je suis slameur, pas chanteur. L’exploit mérite d’être salué : en quelques secondes à peine, il a réussi à accomplir simultanément quatre actions qui m’horripilent ! Déjà échaudé par cette journée pénible, je suis définitivement déstabilisé : je me carapate sans demande mon reste, plantant là cet admirateur dont je me serais bien passé… C’est confirmé, c’est la journée des emmerdeurs !
Un croquis de nu pour détendre l'atmosphère :
19h55 : J’espérais trouver un peu de réconfort au Biorek où je me rends ce soir pour la dernière fois avant le déménagement du restaurant sur la rue Jean Jaurès. Hélas, c’est raté : alors que j’attends d’être servi, un grand gaillard entre dans l’établissement et se met à éclater de rire en passant devant moi ! N’étant que trop habitué à susciter l’hilarité sans le vouloir, je m’imagine aussitôt qu’il se moque de moi et, irrité, je lui lance : « Qu’est-ce que j’ai encore fait, à la fin ? » Le géant n’apprécie guère ce qu’il interprète comme de l’agressivité à son égard et me fait savoir que son rire ne s’adressait pas à moi, propos confirmés par Alexandre qui dit que l’individu est son voisin et qu’il lui arrive de rire sans raison apparente… Visiblement, les lazzis dont j’ai été victime au collège continuent à me hanter : au moins cette anecdote me donnera-t-elle de quoi répondre à ceux qui douteraient encore des répercussions du harcèlement scolaire sur le psychisme…
Idem :
20h15 : Après avoir pris congé de ce fidèle confident qu’est devenu Alexandre, non sans lui avoir donné rendez-vous pour bientôt dans ses nouvelles aventures, je prends le chemin de l’arrêt de bus le plus proche : mais à peine passé-je devant le Campanella qu’un mec bourré, heureusement accompagné, me montre du doigt et dit « Hé, lui, c’est un artiste-peintre » ! Me rappelant un conseil qui m’a été donné récemment par une amie qui est un peu pour moi ce que Raphaëlle est pour Astrid, je prétexte être pressé pour me débarrasser au plus vite de cet emmerdeur que j’espère être le dernier de cette journée pourrie ! Ce n’est pas la première fois que quelqu’un commet l’erreur de me désigner comme un artiste-peintre alors que je ne suis même pas capable de colorier un dessin[3] : si vous tapez « Benoît Quinquis »[4] sur Google, vous constaterez que j’y suis premièrement défini comme « artiste-peintre » alors même que je n’ai jamais revendiqué ce titre ! Comme quoi Internet est vraiment devenue une chambre d’écho de la bêtise humaine… Qui n’en a pourtant guère besoin !
Jeudi 25 octobre : 36ème anniversaire de Candice Swanepoel
9h30 : Arrivée au colloque sur les victimes de 1944 en Bretagne – j’espère obtenir des informations intéressantes pour Côté Brest : des victimes, il y en a bien sûr eu pendant toute la durée de la guerre, mais 1944 est vraiment l’annus horribilis pour la bonne raison que les Allemands étaient aux abois en raison de l’arrivée annoncée des Alliés, phénomène aggravé par la forte présence de résistants en Bretagne. Et oui, n’en déplaise à ce crétin de Régis Debray, les nationalistes bretons qui ont collaboré avec l’occupant ne représentaient qu’une minorité, leurs compatriotes les ont d’ailleurs traités avec le mépris qu’ils méritaient, et, de tous les départements extérieurs à l’Île-de-France, le Finistère est celui qui a fourni le plus de bras à la résistance ! Les Allemands et les collabos n’ont jamais été les bienvenus en Bretagne : d’ailleurs, à peine les villes bretonnes étaient-elles libérées que les préfets nommés par Vichy cédaient leurs places sans conditions aux commissaires de la république nommés pour assurer la transition : ils auront ainsi fait montre jusqu’au bout de toute la bravoure dont le régime politique qu’ils représentaient était capable…
Les deux maîtres d'œuvre du colloque :
Les trois premiers intervenants :
Trois caricatures inspirées par les propos des intervenants :
Ce dessin croise deux faits établis : De Gaulle et Churchil se détestaient et l'armée anglaise ne faisait pas confiance à la résistance française - la suite lui a montré qu'elle avait tort.
12h : Petite pause au Beaj Kafé : j’ai quitté sans trop de regrets le colloque où le dernier intervenant de la matinée parlait avec une voix molle qui m’a épuisé. N’est pas orateur qui veut… Mais je suis bien décidé à revenir cet après-midi pour assister à au moins deux interventions dont le contenu semble prometteur pour ma chronique. En attendant, je jette un coup d’œil au site du Courrier International et j’ai ainsi vent de la mort du cycliste Paul Varry écrasé par un SUV. On ne va pas manquer de monter du doigt le gros vilain beauf, conducteur d’un engin polluant et porte-parole malgré lui (ce qui reste à voir) de ces automobilistes qui se croient les rois du monde et ne supportent pas de devoir partager la voie carrossable avec tout ce qui n’a pas quatre roues, un moteur bruyant et pot d’échappement puant. C’est vrai que c’est un gros vilain beauf, mais tant qu’on n’aura pas pris de mesures vraiment coercitives contre la voiture, tant qu’on s’obstinera à en tolérer la présence à toute heure dans des villes où les alternatives pour se déplacer sont pourtant nombreuses, bref, tant qu’on n’aura pas renoncé au double langage sur l’automobile et fait notre deuil du fantasme, qui date au moins des années 1950, du tout-bagnole, alors les conducteurs continueront à croire, consciemment ou non, que la voie publique est leur domaine réservé et que les cyclistes et les piétons sont des usurpateurs à traiter comme tels ! Sur le même site, je suis éberlué d’apprendre le retour du scorbut, dû notamment à la mauvaise qualité de notre alimentation ! On pensait que la fonte des glaces consécutive au dérèglement climatique allait libérer des virus congelés face auxquels nos défenses immunitaires seraient démunies, et finalement, c’est pire que ça : ce qu’on nous a vendu comme « le progrès » a réveillé des maladies qui étaient censées avoir disparu depuis des siècles ! Résumons-nous : Internet a rendu les discours de haine aussi communs qu’en 1933, l’industrie agroalimentaire a fait revenir des maladies qui étaient censées relever du moyen-âge et l’automobile nous fait revivre le temps des barbares ! Si ça continue, nous allons tous retourner vivre dans les arbres… Avec un smartphone à la main !
Encore un croquis de nu pour détendre l'atmosphère :
15h30 : Retour au colloque où Jean-Yves Guengant donne une communication sur le tristement célèbre « Kommando de Landerneau » qui s’est distingué par son extrême violence… Et par son inefficacité sur le plan militaire ! Ça n’a l’air de rien, mais ça suffit à écorner deux mythes qui ont la vie dure : premièrement, ça bat en brèche l’idée, encore trop répandue, selon laquelle les Allemands auraient été « corrects » avec nous ! Quand bien même il n’y aurait pas eu le déchainement de violence quasi-aveugle de l’année 1944, pour que les Allemands soient « corrects » avec les Français, encore fallait-il qu’ils ne soient ni juifs, ni noirs, ni tziganes, ni homosexuels, ni handicapés… Ça faisait quand même beaucoup de conditions à remplir ! Deuxièmement, la légende de la « discipline » allemande en prend aussi un coup : donnez un flingue à quelqu’un avec l’autorisation de tirer dans le tas dès qu’il croira apercevoir quelqu’un dont la tête risque de ne pas revenir à ses chefs, et sa réaction ne sera pas une affaire de nationalité ! Je constate simplement que les hommes qui ont été mis dans cette situation en 1944 se sont bel et bien conduits comme des soudards enragés et que leur germanité n’a nullement joué le moindre rôle de frein… Et comme ils ont pu s’appuyer sur des volontaires français pour faire leur sale besogne, tout cela confirme que la barbarie n’a pas de nationalité ! Tâchez de vous en souvenir avant de déclarer tout de go, comme je l’ai entendu, que l’arabe serait la langue du terrorisme…
Une caricature inspirée par l'intervention de Jean-Yves Guengant :
Une autre qui s'accorde assez bien :
Deux photos prises au cours de cet après-midi :
Quelques croquis :
19h : J’ai finalement cédé aux sirènes de la fibre optique. En effet, il y a peu, j’ai voulu envoyer des fichiers lourds à une collègue chercheuse… Et ça m’a pris plus de deux journées entières ! Je suis maintenant dans l’attente de ma nouvelle Freebox : en consultant mes mails, j’apprends que celle-ci me sera livrée… Demain ! Hé, mais ça ne va pas du tout ! Demain, je dois retourner au colloque ! J’essaie d’obtenir une modification de la date de livraison : pour ce faire, je suis obligé de m’inscrire au site d’UPS (car oui, vous pensez bien que Free n’allait pas faire appel à la poste, c’est trop ringard, so 2023, quoi), puis de m’inscrire à je ne sais quelle autre branche du même site, tout ça pour n’avoir pu qu’exprimer un souhait de modification sans même savoir s’il en sera bien tenu compte… Voilà la triste vérité : avec un service public, vous êtes encore un citoyen, vous avez des droits et pouvez les faire valoir ; avec une entreprise privée, vous n’êtes un client et, contrairement à l’expression consacrée[5] vous n’êtes pas roi et n’avez droit qu’à la fermer… Mais les services publics ne savent pas se vendre, ils ne savent pas donner une image sympacool, alors vous les avez laissez dépérir au profit de margoulins qui se foutent de vous ! Vous n’avez que ce que vous méritez, bande de cons ! Et je paie avec vous !
Un autre croquis de nu :
Vendredi 26 octobre
8h15 : Pour pouvoir faire mon marché avant de retourner au colloque, je me suis levé tôt. Je pensais qu’en venant faire mes courses avant que le soleil ne se lève, ce serait vite fait. Hélas, non seulement il y a d’autres clients qui ont fait le même calcul que moi et viennent avec leurs gosses bruyants, mais, de surcroît[6], les commerçants font face à des coupures de courant à répétition qui me retardent davantage. Quand ils me disent « bonne journée » après avoir enfin pu me servir, je ne peux m’empêcher de leur répondre que ça commence mal…
9h : Je prends le bus pour la fac, mon lourd cabas à la main : je ne prends même pas la peine de rentrer chez moi ranger mes achats, j’ai bien l’intention de les mettre à profit à midi pour me faire un bon casse-croûte. C’est dans ces conditions peu confortables que j’emprunte un véhicule peu bondé mais où un gamin pousse des cris stridents qui ont vite raison de ma patience : n’en pouvant plus, je me dirige vers la dame qui semble être sa maman et lui montre ma carte « Je suis autiste » en la priant d’essayer de faire taire cet enfant. Elle me répond qu’il n’a que trois ans et ne pourrait pas comprendre… Je regagne ma place, doublement irrité : premièrement parce que c’est la première fois que ma carte délivrée par Asperansa ne m’est d’aucun secours (d’habitude, les fauteurs de trouble auxquels je la présente se confondent aussitôt en excuses et adaptent leur comportement), deuxièmement parce que je me suis heurté une nouvelle fois aux effets pervers de l’évolution du statut de l’enfant… Quand je pense qu’à l’âge de ce morveux, j’aurais pris deux baffes si je m’étais comporté ainsi dans un lieu public ! Je ne dis pas que je suis favorable aux châtiments corporels dont l’efficacité a toujours été des plus limitées (ils ont surtout servi à endurcir des têtes brûlées et à rendre névrosés des gosses à la peau tendre), mais on ne rend pas service aux jeunes en leur faisant croire qu’ils ont tous les droits… Y compris vis-à-vis des personnes en situation de handicap !
Croquis de nu...
10h : Malgré les difficultés, je suis quand même arrivé à temps pour la quatrième session du colloque, consacrée aux « victimes » de l’épuration – les guillemets ne sont pas de trop car, même si beaucoup de personnes ont effectivement été suspectées (voire condamnées) à tort, il faut bien reconnaître que les individus les plus prompts à se présenter comme des victimes et à faire endosser le mauvais rôle à la résistance ont quand même été, justement, les plus compromis ! Les fameuses femmes tondues, par exemple : on les plaint beaucoup moins quand on sait que seulement 40 % d’entre elles avaient vraiment couché avec des Allemands ! N’en déplaise à Georges le grand, elles étaient minoritaires à n’avoir payé qu’un « penchant prononcé pour les Ich liebe dich » et la plupart avaient vraiment pris fait et cause pour l’occupant, par exemple en participant à des organisations collaborationnistes ou, plus simplement, en dénonçant les « youpins » et les « terroristes » à la Kommandantur : et oui, les femmes ne pensent pas qu’avec leur vagin et elles s’avèrent alors, parfois, aussi connes, bêtes, méchantes et médiocres que les hommes… Et les femmes tondues ne sont de toute façon que la partie émergée d’un iceberg de « victimes » dont les châtiments étaient certes parfois disproportionnés mais qui n’étaient pas toutes innocentes, loin de là, ne serait-ce que parce que les peines qui leur ont été infligées, aussi pénibles puissent-elles paraître, n’avaient finalement aucune commune mesure avec le crime contre l’humanité dont elles se sont rendues complices ! Et ne venez pas me dire que ces gens-là ne savaient pas : depuis que j’ai vu l’exposition sur le procès Papon au mémorial de la Shoah, je suis convaincu que tout le monde le savait ou avait au moins les moyens de le savoir ! Ceux qui prétendent le contraire, à supposer qu’ils ne mentent pas, ont feint de l’ignorer ou n’ont pas voulu le savoir : dans le premier cas, c’est grave, dans le second, c’est encore pire ! Bref, je n’arrive pas sincèrement à plaindre les « victimes » de l’épuration qui me font beaucoup penser à ces mâles blancs cisgenres d’aujourd’hui qui se posent en victimes du féminisme et / ou du racisme antiblanc[7]…
12h30 : Les intervenants sont allés déjeuner. Je décide d’en faire autant sur une des tables à pique-nique installées aux alentours du bâtiment. J’en choisis une située dans un coin ombragé où le vent s’engouffre et où personne ne s’arrête : l’idéal pour calmer mes nerfs quelque peu éprouvés cette semaine. Je déballe mes provisions, je m’apprête à m’installer… Et à peine ai-je posé une fesse sur le banc que la table toute entière bascule ! Plus de peur que de mal : la seule difficulté que je rencontre en réinstallant mes affaires est le ré-enroulage de mon essuie-tout qui s’est dévidé en tombant et que le vent achève de rendre particulièrement rebelle… Encore heureux qu’il n’y ait pas eu de témoins pour se moquer de moi ou, pire, pour me proposer son aide ! Je peux finalement me régaler de quelques sandwiches, mais il n’empêche que si je croyais en Dieu, je me demanderais bien ce qui lui ai fait…
Deux croquis réalisés durant la matinée :
15h15 : Le colloque a repris depuis une heure et quart et j’ai déjà noté plein d’informations intéressantes pour ma chronique. La moisson est bonne, je ne suis pas venu pour rien. Hélas, comme à chaque fois que j’ai une satisfaction, quelque chose vient ternir le tableau, en l’occurrence un vieux con présent dans l’assistance[8] qui, après l’exposé de Dimitri Poupon sur le massacre de Penguérec, ne peut s’empêcher de monopoliser la parole pour livrer « sa » version des faits ! Il parle affreusement lentement, prend presque autant de temps que s’il avait été inscrit en tant qu’intervenant, et il fatigue toute l’assemblée qui a besoin d’une pause, y compris les organisateurs du colloque[9] ! Pour ne rien arranger, il soutient que les vrais responsables du massacre seraient les résistants qui auraient « provoqué » les Allemands ! Le tout avec le ton très docte du vieux briscard qui croit en savoir plus que l’orateur, lequel est encore un jeune docteur (il n’a soutenu sa thèse que depuis deux ans) et fait figure de perdreau de l’année, autant dire de cible facile aux yeux de ceux qui ont oublié qu’on est majeur bien avant d’avoir cinquante ans… Bref, alors qu’il s’apprête à reprendre la parole, l’un des organisateurs est obligé de le couper en plein élan, ce qui n’arrive presque jamais ! C’est vous dire s’il était chiant…
16h30 : La dernière communication, assurée par Isabelle Le Boulanger, évoque le cas le plus extrême des victimes de 1944 : les déportés. Selon la doxa dominante, ceux-ci se seraient longtemps tus et auraient attendu les années 1960 pour briser le silence. C’est faux : ils ont pris la parole dès leur libération… Mais on ne les a pas écoutés ! Pourquoi ? Au mieux parce qu’on ne les croyait pas tant le récit de leur martyre dépassait (et dépasse toujours) l’entendement… Au pire parce que leurs compatriotes considéraient qu’ils avaient autre chose à faire dans l’immédiat après-guerre ! L’oratrice précise que l’administration française n’était pas du tout préparée à les recevoir tant leur cas était inédit : je déclare, un peu provocateur, que les SS n’allaient pas fournir des certificats de torture[10] ! Je rigole, mais ce constat fait froid dans le dos, surtout dans le contexte actuel…
Deux photos prises le matin :
17h : Épuisé, je rentre chez moi. Je suis à nouveau contraint de prendre le bus à un autre arrêt que celui auquel je suis habitué : malgré l’irritation que m’inspirent les discours hostiles au chantier du tramway, je dois convenir que devoir changer sans cesse de station est très éprouvant pour moi. À cette gêne s’ajoutent celles qu’apporte le soleil d’automne, d’autant que cette météo semble exciter particulièrement les gens : quand on est hypersensible au bruit, à la chaleur et à la lumière, c’est proprement infernal ! Il ne faudrait pas grand-chose pour que j’aie une crise… Et ça ne rate pas : dans le véhicule, je veux récupérer mon sac à dos qui est tombé par terre à cause d’un coup de frein un peu trop violent, et dans le même mouvement, je me pique au bracelet de ma montre qui est en piteux état. Je pousse un énorme cri dans lequel transparait non seulement ma douleur mais aussi mon épuisement et ma surprise face à une situation à laquelle je n’étais pas préparé… Le chauffeur menace de m’expulser si je recommence : encore une belle illustration de la difficulté qu’il y a à vivre avec une différence invisible.
Encore un croquis de nu...
17h30 : Enfin rentré au bercail. Dans ma boîte aux lettres, je trouve un avis de passage d’UPS : c’est donc confirmé, on n’a tenu aucun compte de mon souhait que j’ai eu tant de mal à déposer ! Il est aussi annoncé « nous essaierons de repasser le prochain jour ouvrable ». Il va donc falloir que je reste chez moi lundi prochain, alors que j’avais prévu de retourner au magasin où j’avais acheté mon sèche-cheveux défectueux, et je ne suis même pas sûr que ces ânes de livreurs vont vraiment venir ! Heureusement que nous disposons d’une technologie de pointe pour nous simplifier la vie, pas vrai ?
Encore un...
Samedi 26 octobre
10h : Encore mal remis de mes récentes mésaventures, il faut tout de même que je sorte pour récupérer un colis et effectuer quelques achats urgents dans le quartier. Je peux ainsi voir les unes des journaux, dont deux retiennent mon attention. La première met à l’honneur Alexandra Lamy qui, semble-t-il, étonne la critique en jouant une institutrice du XIXe siècle. Je n’ai aucune envie d’aller voir le film (ou la série ?) en question, mais je suis bien content de savoir que la jolie Alexandra n’est plus cantonnée aux rôles de gourdasse… La seconde vante le « miracle » de Notre-Dame : il s’agit bien entendu de la couverture d’un magazine catho et je ne peux m’empêcher de rigoler ! Miracle ? Il n’y a pas de miracle, bande de crétins ! On y a mis les moyens, c’est tout ! On a vu des milliardaires fuyant le fisc mettre la main au portefeuille pour reconstruire une cathédrale, dans la logique d’une longue tradition de crapules pleines aux as qui obtenaient la bénédiction du curé local en faisant des dons à la paroisse : dans le cas présent, ils y étaient d’autant plus motivés que le bâtiment en question est avant tout une attraction touristique qui, directement ou non, doit contribuer à les enrichir encore davantage… Pendant ce temps, ma bonne ville de Brest a sur les bras des édifices religieux qui tombent en ruines et dont elle a la charge sous prétexte qu’ils ont été construits avant la fameuse loi de 1905 : en attendant la révision de ladite loi que le regretté Siné appelait de ses vœux et qui devrait rentre l’Église catholique seule responsable de tous les lieux de culte construits en son nom[11], c’est donc tout un patrimoine bâti qui est menacé, et nous attendons toujours, faute de « généreux » donateurs, un « miracle » semblable à celui que ces bons croyants prétendent constater pour Notre-Dame ! Décidément, qu’y a-t-il de plus con (ou de plus hypocrite) qu’un curé ? Deux curés !
Et une flopée pour terminer !
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Soyons justes : c’était plus rare qu’on l’a cru.
[2] De toute façon, je mettrai ma main au feu que les bombes et / ou les promoteurs leur ont réglé leur compte depuis longtemps… Et que les fantômes n’y sont pour rien !
[3] Certaines de mes connaissances ne seront pas d’accord avec cet avis péremptoire : disons donc, plus exactement, que je ne prends pas vraiment plaisir à coloriser, moins qu’à dessiner en tout cas, que mes tentatives (tout de même assez nombreuses) dans ce domaine ne m’ont jamais apporté une réelle satisfaction et que j’ai préféré y renoncer.
[4] Ben oui, c’est mon vrai nom. Vous ne le saviez pas ?
[5] La première syllabe serait mieux à la fin du mot…
[6] La tentation d’écrire « par-dessus le marché » était forte mais je n’y ai pas succombé et je m’en félicite.
[7] Je suis déjà bien bon de ne pas mettre de guillemets à cette expression !
[8] Je pourrais dire qui c’est mais je n’en ferai rien car, comme dirait Cavanna, « les imbéciles sont méchants, et moi je suis lâche ».
[9] Christian Bougeard et Sébastien Carney que je salue au passage.
[10] François MOREL, « Demande d’asile : merci de fournir un certificat de torture » (25 novembre 2016) in Grâces matinales, Bouquins, Paris, 2022, pp. 744-746.
[11] « Je crois en effet qu’il serait bon de réviser cette loi qui fait obligation à l’État républicain de subvenir au financement public de l’entretien des églises construites avant 1905. Je trouve ça parfaitement scandaleux et je ne m’étonne pas que, seul, le clergé trouve cette législation « tout à fait satisfaisante ». Rendons-lui vite la propriété de ses bâtiments en exigeant qu’il casque dorénavant lui-même l’entretien, les réparations et la construction de nouveau, s’il estime en manquer. (…) La République n’est pas faite pour encourager l’obscurantisme. » SINÉ, Mon dico illustré, Hoëbeke, Paris, 2011, pp. 128-129.
Samedi 12 octobre
11h: Je dois me rendre à Paris où m’attend mon oncle qui a accepté de m’héberger, le temps pour moi de participer à la deuxième édition du Salon du livre et du dessin de Saint-Brice-sous-Forêt. J’ai déjà droit à un imprévu : mon train est annoncé avec un retard de… Deux heures et demie ! J’avais pris un TGV Ouigo parce que c’était ce qu’il y avait de meilleur marché et j’aurais dû me douter que si ça n’était pas cher, c’est qu’il y avait une bonne raison… Hé, les braves gens ! Quand les employés de la SNCF se sont mis en grève pour protester contre la privatisation et avertir que cette mesure serait une catastrophe, vous vous souvenez comment vous aviez réagi ? Oui, c’est ça : en les traitant de salauds de fainéants de fonctionnaires et en les accusant de vous « prendre en otages » par-dessus le marché… On n’a jamais que la société qu’on mérite, en fin de compte.
Un dessin politique comme je sais en faire :
18h : Me voici enfin à Paris, plus précisément à la gare Montparnasse. J’emprunte un trottoir roulant pour prendre le métro : je marche, mais sans doute pas assez vite car je me fais quand même bousculer, et enguirlander en prime, par un type pressé… Ce n’est pas une surprise, j’y ai droit à chaque fois ! L’amabilité parisienne n’est pas une légende… Il n’empêche que si les touristes venus assister aux jeux de cet été ont reçu eux aussi un accueil de ce genre, je ne suis pas sûr qu’ils reviendront l’année prochaine et il ne faudra pas s’étonner si les retombées financières se réduisent à un feu de paille ! J’imagine sans peine un Parisien rouspéter contre un type en fauteuil roulant qui lui bloquait le passage et le mettait en retard alors qu’il allait assister… Aux jeux paralympiques !
Un croquis en vue d'une BD :
19h : Enfin chez mon oncle à Ménilmontant : qu’il est bon de se sentir attendu à l’issue d’un voyage éprouvant ! Nous conversons et en arrivons à traiter des transports en commun : d’après mon hôte avunculaire, l’intérieur des bus parisiens est aujourd’hui éclairé, à la nuit tombée, par une lumière bleue… Qui y rend la lecture impossible ! Les responsables partent-ils du principe que plus personne n’ouvre un livre et que tout le monde passe sa vie les riveté à son smartphone, mis à part quelques marginaux de mon espèce dont ils se foutent totalement ? Ou alors cela participe-t-il d’une stratégie destinée à transformer tous les usagers en geeks incultes ? À moins que ne soit tout simplement une erreur. Dans le premier cas, c’est grave. Dans le deuxième, c’est encore pire. Dans le troisième, c’est carrément épouvantable !
Une peinture réalisée dans le cadre des cours du soir - avec une question que je me pose à chaque fois que je descends à Paris :
Dimanche 13 octobre
8h30 : Je n’avais encore jamais mis les pieds en banlieue et prendre le transilien était pour moi une totale nouveauté – et donc une source d’angoisse. Ça a mal commencé à la gare du Nord où je ne savais pas comment sélectionner mes billets et où j’ai dû déranger un jeune couple pour lui demander de l’aide. Le trajet en lui-même s’est plutôt bien passé, du moins n’y a-t-il pas eu d’accroc : le train desservait, entre autres, Saint-Denis, comme ça, avant de mourir, je pourrai dire que j’aurai vu « en vrai » le fameux Stade de France associé à tant de souvenirs « glorieux » pour tous les beaufs du pays ! Ça s’est re-gâté quand je suis descendu, aucune rue ne correspondant à ce que j’avais sur mon plan. Et pour cause : j’étais sorti du mauvais côté et j’étais en train d’explorer Sarcelles ! Il aura fallu que je dérange les guichetières de la gare pour savoir de quel côté était Saint-Brice-sous-Forêt… Je ne suis pas beaucoup plus avancé car mon plan est finalement assez vague et je dois compter en grande partie sur mon bon sens et une petite dose de chance pour trouver le chemin du gymnase où doit se tenir le salon. Cette expédition, qui me met aussi à l’aise que si j’étais au fin fond de la jungle, aura au moins eu l’intérêt de m’apprendre que l’expression galvaudée « Terre de contrastes » s’applique à merveille à la couronne périurbaine de notre capitale ! Côté Sarcelles, ce n’est pas le cauchemar à la Rancy-sur-Yvette[1], mais ce n’en est pas moins un beau spécimen de banlieue crado où traînent les jeunes à casquette désœuvrés ; côté Saint-Brice, ce n’est pas Neuilly, mais les immeubles sont à taille humaine, les pelouses sont soignées et certains coins me rappellent Guilers. Ce qu’on appelle « la banlieue parisienne » est tout sauf monolithique et une voie de chemin de fer vaut toutes les lignes de démarcation du monde…
Un exercice réalisé au cours du soir :
9h : Pas possible, j’ai trouvé ! Je suis d’autant plus soulagé que les organisateurs sont plutôt accueillants et bien organisés, on est loin des événements où les gens semblaient étonnés de me voir débarquer et où j’avais presque l’impression de déranger ! Avant même de m’installer, je remarque que la tête d’affiche du salon est un certain Pascal Oubreyrie, ancien membre des… Poppy’s ! Je repense aussitôt à ce dessin de l’ami Lindingre paru en 2009 dans Fluide Glacial : « Marché aux has-been : pour tout achat d’un people d’occasion, un ancien « Poppy’s » vous est offert »[2] ! Ce n’est pas la première fois que la réalité dépasse la caricature que l’on peut en faire, mais là, ça pique un peu les yeux, d’autant que ce cher monsieur a osé donner à son livre le sous-titre que voici : « Ma vie d’enfant star des années 70 » ! Quand je le croise, comme il a tout de même l’air d’un brave type, je n’ose pas lui dire que je trouve qu’il se sucre un peu et je me borne à lui chanter, sur l’air du tube de l’ensemble vocal dont il a fait partie, « Si, si, tout a changé, tout, tout a empiré » !
Votre serviteur à son stand :
17h30 : Le salon a passé comme un coup de fusil. Ça n’aura pas été la journée du siècle pour moi mais j’ai eu un succès honorable pour un salon de petite envergure dans un bled où personne ne me connaissait jusqu’à présent. Pour la clôture, nous avons droit à la présence du député et de la maire de la ville : je peux attester que les élus ne se déplacent pas toujours, surtout un dimanche… Je n’ose pas demander de quel bord est le député, ce n’est pas le moment de rallumer une guerre déjà loin d’être éteinte. La maire, une femme plutôt jeune et jolie, détonne aux côtés d’une association organisatrice composée en grande partie de personnes d’un certain âge ; elle est « sans étiquette », ce qui veut dire tout et son contraire. Je ne boude pas le vin d’honneur et je ne formalise même pas de ne rien avoir gagné au concours de nouvelles – de toute façon, il y avait trop de candidats pour que j’espère faire le trou. J’admoneste les gamins qui font du bruit et soulèvent la moquette et je suis bien content de rencontrer des compatriotes bretons… Il me tarde de rentrer. Une organisatrice me demande si je reviendrai l’an prochain : je réponds qu’il est trop tôt pour le décider… J’ai bon ?
Le discours de clôture de Geneviève, la présidente de l'asso organisatrice :
20h : Revenu chez mon oncle, je lui pose la question qui me brûlait les lèvres depuis trois mois. Sa réponse : non, la vie à Paris pendant les jeux n’a pas été aussi cauchemardesque qu’on le craignait[3]. Il n’y a guère qu’en amont de la cérémonie d’ouverture que la circulation a été plus difficile que de coutume, mais le reste du temps, les seuls à galérer ont été ceux qui allaient assister aux épreuves… Et qui ont eu ce qu’ils méritaient ! Ils tenaient à voir des veaux aux hormones faire des pitreries dans des stades hors de prix, ils ont galéré pour ça, bien fait pour eux !
Lundi 14 octobre : Alexandra Lamy a 53 ans, bon anniversaire !
12h50 : Je reprends le train pour rentrer à Brest. Cette fois, le véhicule part à l’heure : il faut dire que j’ai pris un TGV Inoui… Je ne voudrais pas insister lourdement, mais à la gare, les Ouigo étaient encore annoncés en retard ! L’ouverture à la concurrence, c’est la fin de l’égalité : les gens aisés prennent du bon temps avec des services de qualité, les pauvres galèrent avec des services bâclés et tout va bien madame la Marquise. La droite a permis ça, les socialistes ne l’ont pas empêché, et on s’étonne que les défenseurs de la justice sociale dont je fais partie se tournent désormais vers La France Insoumise… Enfin bref : pour les quatre heures et demie de route qui me séparent de ma bonne vielle ville du Ponant, j’ai un compagnon de choix : Cavanna ! Plus précisément, le recueil de ses chroniques du Charlie Hebdo de la grande époque : elles ont beau être liées aux faits marquants des années 1970, on les croirait écrites aujourd’hui ! Delfeil de Ton déplorait que l’on prenne Cavanna pour un maître à penser et le principal intéressé ne convoitait certainement pas ce statut, mais il n’empêche qu’il avait presque toujours raison ! Relisez ses articles sur l’écologie, sur la création de l’État d’Israël et sur l’école publique en France et essayez de me dire qu’il n’avait pas déjà tout compris au monde dans lequel nous vivons dix ans après sa mort !
Un autre exercice du cours du soir :
17h20 : Arrivé à Brest, je ne commets pas l’erreur de gagner la place de la Liberté et d’affronter le chantier de la deuxième ligne de tramway – même si, quoi qu’on en dise, ces travaux génèrent moins de complications, au moins pour les piétons, que ceux de la première ligne : je n’ai pas en tout cas pas l’impression de retrouver l’ambiance qu’avaient dépeinte à l’époque les Goristes dans leur chanson « Bordel City ». Bref, je préfère longer le jardin Kennedy de manière à rejoindre directement la rue de Siam et, de là, prendre un tramway qui me conduit jusqu’à la place de Strasbourg où je peux attraper le bus qui dessert Bohars en passant dans ma rue. Au final, je ne mets que cinquante minutes, tout compris, pour retrouver mon doux foyer : finalement, les transports publics brestois ne sont pas si mal foutus ! Quand c’est bien, il faut le dire ! De toute façon, s’il est effectivement devenu impossible de lire dans les transports parisiens, je ne suis pas près de m’installer à la capitale…
Encore un exercice du cours du soir :
Mardi 15 octobre
9h30 : En fait, les transports en commun, ce serait vraiment formidable à deux conditions : en un, que les usagers soient plus calmes et plus respectueux des autres… Et, en deux, que les contrôleurs disparaissent ! La journée commence mal : je constate que la seconde condition n’est pas remplie. J’ai un principe : je ne montre jamais mon titre de transport avant que ces charognards ne me l’aient expressément et personnellement demandé, j’estime que je n’ai pas à obéir avant l’ordre. Aujourd’hui, cette stratégie me joue un tour : le temps pour moi de chercher ma carte dans ma sacoche, le contrôleur semble s’impatienter et se met à faire des gestes brusques. Me sentant menacé, je lui dis « ça vient » ! Évidemment, j’avais mal interprété son geste et il se met à me traiter en suspect : je n’ai pas le réflexe de lui monter me carte « Je suis autiste » qui éclaircirait le malentendu… Comble de malchance, fait rarissime, je ne suis même pas en règle : je n’avais pas validé en entrant dans le véhicule ! Et pour cause : il était plein à ras bord, je n’avais même pas pu atteindre la borne ! Est-ce parce que cette explication tient la route, est-ce parce qu’il veut se débarrasser de moi au plus vite, toujours est-il qu’il me laisse me lever pour valider. Mais je penche plutôt pour la seconde hypothèse : je l’entends distinctement dire à une de ses collègues, à mon propos, « il est énervé, il est bizarre »… J’ai l’impression de réentendre ce que mes « camarades » de collège disaient à mon sujet ! Peu après, ces courageux contrôleurs se mettent à quatre pour effrayer une jeune fille : la demoiselle n’a pas validé non plus parce qu’elle avait opté pour le tickets sur smartphone et le système n'est manifestement pas en étant de fonctionnement optimal… Comme elle paye un abonnement, elle considérait qu’elle n’avait pas à remettre la main au portemonnaie pour acheter un billet – et je suis plutôt d’accord avec elle : la gamine a beau protester, ils lui martèlent qu’elle est « responsable de sa validation »… Devant ce spectacle navrant, je ne peux m’empêcher de dire à mon voisin : « Quatre adultes contre une adolescente, le courage à la française » ! Et on voudrait que je respecte les gens qui font ce boulot de merde… Vous voulez aussi que j’applaudisse les huissiers de justice et les liquidateurs ?
Un bisou que j'adresse à la jeune fille qui ne s'est pas laissé emmerder par ces charognards :
14h : J’étais un peu étonné de voir le Doliprane faire la une des journaux. Renseignement pris, c’est parce qu’une entreprise américaine a racheté la filiale de Sanofi qui produit ce médicament et les bons Français semblent s’inquiéter des menaces qui pèsent sur ce (je vous jure que je cite) « symbole d’une certaine indépendance nationale » ! Les bras m’en tombent… J’ai l’impression de relire la presse pourrie que dénonçait Cavanna en son temps ! Quoi ? Le Doliprane, ce petit comprimé bon marché qui soulage à peine, symbole de l’indépendance nationale ? Si j’étais un patriote chatouilleux, je porterais plainte pour insulte à la nation ! Décidément, entre le coq gaulois, le Beaujolais nouveau et Johnny Hallyday, les Français aiment se donner des symboles lamentables ! Et dans un sens, ils peuvent se donner les symboles nationaux qu’ils veulent si ça les amuse, car les symboles nationaux sont par définition des attrape-nigauds ! Alors autant prendre les plus merdiques, comme ça, ça annonce clairement la couleur et ça dissuade les gens un tant soit peu éclairés de tomber dans le panneau ! Que le Doliprane soit français ou américain, rien à foutre ! De toute façon, les médicaments, TOUS les médicaments, sans exception aucune, devraient être étiquetés « patrimoine commun de l’humanité », ils ne devraient donc pas être des marchandises et encore moins des symboles nationaux ! La seule chose qui devrait inquiéter, c’est le sort des travailleurs français qui vont passer sous l’autorité de patrons américains… Mais de toute façon, à l’heure du tout-numérique et de l’intelligence artificielle, on peut s’inquiéter pour eux même avec des patrons français ! De manière générale, on peut s’inquiéter pour tous ceux dont la survie dépend du bon vouloir de capitalistes, quelle que soit la nationalité de ces derniers ! Enfin bref, vous m’avez compris : mettez vos drapeaux au feu, ne voyez pas l’étranger comme un danger parce qu’il est étranger, le seul véritable ennemi est le capitaliste, d’où qu’il vienne ! Ce que j’ai écrit n’est pas original ? Ah oui ? Lisez un peu ce qu’ont pu dire les bons patriotes sur la dimension « nationale » du Doliprane, et dites-moi si c’est nouveau !
Mercredi 16 octobre : les studios Disney ont 101 ans
Ce dessin est paru l'an dernier, dans un autre format, en quatrième de couverture de la revue L’éponge.
10h30 : Présentation, au Centre de Recherche Bretonne et Celtique, de l’exposition consacrée au fonds d’archives phonographiques de ce laboratoire : l’université de Brest est la seule en France, à part celle de Grenoble, à disposer d’enregistrements sur cylindres de cire ! C’est d’autant moins anodin qu’il se trouve que si la phonographie s’est imposée au début du XXe siècle, le dépôt légal des enregistrements sonores n’est entré en vigueur… Qu’après la seconde guerre mondiale ! Tous les supports antérieurs à 1945, on n’a donc pu les retrouver que chez des particuliers, conservés dans des conditions qui n’étaient pas toujours adaptées : les cylindres phonographiques sont donc des supports rares et précieux, d’autant que ce sont les seuls sur lesquels certaines chansons bretonnes ont pu être enregistrées… Le tout avec l’inconvénient majeur qu’ils nous arrivent souvent en mauvais état, bien sûr ! Ah, ça, le travail de chercheur n’est pas facilité, dans ce monde où les gens ne respectent même pas leurs propres affaires ! Soyez plus soigneux de vos possessions, vous rendrez service aux chercheurs des temps futurs !
Quelques photos prises au cours de cette présentation :
21h : Mbappé maintenant ! Il ne se passe pas une semaine sans qu’une célébrité française soit accusée de viol : il est grand temps d’en finir avec le mythe du french lover qui a conforté tant de garçons de chez nous dans l’idée leur nationalité leur ouvrait forcément les portes de l’intimité de toutes les femme ; de façon générale, il faut arrêter de croire que tout ce qui est français est forcément meilleur que tout ce qui se fait dans le monde… Mais cette semaine, le Courrier International consacre le gros de ses pages à l’Ozempic ; je me bornerai à dire ceci : depuis l’affaire du Mediator, on devrait s’avoir qu’il est risqué de traiter l’obésité avec un médicament qui n’est pas prioritairement destiné à cet usage ! N’est-ce pas, docteur Frachon ?
Puisqu'on parle de médocs (et d'esprit français), encore une pointe sur le Doliprane (une pensée au passage pour les regrettés Alexis, Lob et Gotlib) :
Jeudi 17 octobre
18h : J’avais entendu parler de Jean-René Poulmac’h, l’historien du Relecq-Kerhuon, grâce à Bernard Gueguen, mais je ne l’avais encore jamais vu en vrai. C’est maintenant chose faire : ce vieux monsieur rigolard est venu à la fac Segalen pour faire une conférence sur les mariages en Basse-Bretagne au début du XXe siècle, l’occasion de faire le point sur les traditions plus ou moins connes (comme à peu près toutes les coutumes, il est vrai) qui avaient cours dans notre belle région à cette époque pas si reculée. La plus idiote à mon sens, était celle qui voulait que les jeunes mariés soient contraints d’attendre au moins une journée avant de pouvoir, comme on dit, « consommer leur union » ! Comme si les gens avaient pu croire sérieusement que deux êtres jeunes et en pleine forme (et, dans certains cas, amoureux) allaient attendre de s’être passés la bague au doigt pour jouer au docteur… Par-dessus le marché, ils devaient entrer dans le lit clos devant un témoin qui leur servait une soupe au lait dégueulasse : on dit que le chercheur n’est pas censé juger, mais je ne reprocherai pas à l’orateur la franche hilarité dont il fait montre en présentant ces superstitions grotesques… De surcroît, dans notre coin du Finistère, il y a peu de photos de mariage… Car les curés tenaient à ce que les noces restent des moments solennels et voulaient dissuader les gens d’en profiter pour faire la fête ! J’ai assisté à peu de mariages depuis ma majorité car la pratique n’a plus tellement cours au sein de ma génération où les couples sont souvent réticents à s’engager pour la vie : en fait, je n’en retiens que deux, chacun unissant une amie chère à l’homme de sa vie, et j’aurais eu de la peine si les noces de ces adorables jeunes femmes avaient dû se dérouler dans la gravité à cause du diktat d’affreux corbeaux qui n’avaient même pas besoin d’une moto pour semer la terreur dans toute la région ! Il est définitivement vain d’idéaliser le passé ! Notre époque n’a pas que des bons côtés, loin s’en faut, mais pour rien au monde je ne voudrais revivre les temps obscurantistes qu’ont vécus nos arrière-grands-parents !
20h : Concert de la Souris Noire inspiré de la vie et de l’œuvre de Victor Segalen : le groupe avait monté ce spectacle pour le centenaire de la mort du poète voyageur et le rejoue ce soir à l’occasion des trente ans de la faculté qui porte son nom. Il n’y a guère plus d’une vingtaine de personnes dans la salle : c’est dommage car la chanteuse est vraiment admirable et j’adore l’expression sévère du comédien qui lit des extraits de Segalen entre chaque chanson ; tant pis, les absents ont toujours tort. Je craque pour la chanson qui revient sur le mythe de la tour de Babel et souligne à quel point la diversité des langues est une bénédiction, n’en déplaise à ceux qui l’ont présentée comme une punition divine… Si Dieu a vraiment cru punir les hommes en multipliant les dialectes, alors Dieu est un con ça expliquerait bien des choses concernant ses représentants sur Terre ! Sur la Terre comme au Ciel, la foi est le fait des sans cervelle… Et Victor Segalen lui-même, qui avait finir par renier l’éducation catholique qu’il avait reçue, ne s’y était pas trompé. À bas toutes les religions et vivent les artistes !
La Souris Noire sur scène :
Quelques croquis exécutés au cours du spectacle :
Vendredi 18 octobre
18h15 : Sur la route de la piscine, dans un bus presque vide, deux types, qui ont l’air tout droit sortis d’une caricature sur les « jeunes de banlieue », se sont installés juste à côté de moi et se mettent à parler très fort. Je sors ma carte « Je suis autiste » en leur demandant de baisser d’un ton… Et ils obtempèrent, l’air confus. Cette carte est vraiment efficace, même auprès des individus de ce type, c’est bon à savoir ! Il n’empêche que je suis obligé de la sortir au moins une fois par jour pour que la vie me soit supportable : les difficultés liées à l’autisme ne sont pas une vue de l’esprit.
Un animal imaginaire qui me ressemble : le papibouphoque, créature à la fois aquatique, nocturne et volante - plus précisément, une combinaison d'animaux auxquels certaines de mes copines m'ont comparé :
20h30 : Après avoir lu les chroniques de Cavanna, j’ai entamé la lecture d’un autre grand moustachu : Bruno Léandri, qui a eu la bonne idée de raconter ses souvenirs professionnels dans Nous nous sommes tant marrés. J’en suis au moment où il quitte Hara-Kiri pour s’imposer comme un pilier de Fluide Glacial et je suis saisi par la comparaison qu’il établit entre les gestionnaires historiques respectifs de ces deux journaux – à quoi bon essayer de le résumer, le paragraphe de Léandri est inégalable, je préfère le citer in extenso :
« L’un, Choron, grand et maigre, l’autre, Diament, petit et râblé, l’un fou, l’autre raisonnable, l’un tempétueux, l’autre tempéré, l’un alcoolique, l’autre sobre, l’un coupablement munificent, l’autre pathologiquement radin, l’un fonceur, l’autre calculateur, l’un ordurier, l’autre très poli, l’un imprévisible, l’autre routinier, l’un provocateur escroc incandescent, l’autre laborieux scrupuleux précautionneux, l’un multicolore, l’autre pastel uni, l’un cigale, l’autre fourmi, l’un foutraque, l’autre pugnace. L’un et l’autre, c’était la matière et l’antimatière, la polarité positive et négative, l’unique fois où ils se rencontreront, le parquet grincera sous le poids de leur mépris réciproque. »[4]
Précisons tout de même (Léandri le dit lui-même et tous les témoignages vont dans ce sens) qu’avec Georges Bernier « le prodigue », les auteurs n’étaient jamais sûrs d’être payés, tandis qu’avec Jacques Diament « l’avare », la rémunération était une certitude acquise. La comparaison entre les deux hommes et leur image auprès de leurs collaborateurs en dit d’ailleurs long sur l’ingratitude humaine : Choron a floué à peu près tout le monde (à commencer, il est vrai, par lui-même), il a coulé sa boîte, et il a quand même trouvé des gens de talent pour le défendre ; Diament a géré sainement son affaire, il a fait de Fluide une affaire rentable, et il est quand même devenu l’homme le plus détesté du journal ! On ne peut même pas l’accuser de compromission excessive avec le capitalisme puisqu’à l’aube de ses cinquante ans, le mensuel fonctionne encore sans publicité ! Dans tous les milieux, même les plus « anti-cons », c’est la même histoire : les gens aiment et redemandent qu’on les encule avec le sourire, ils préfèrent le rigolo de service au premier de la classe, ils préfèrent Peppone à Don Camillo, Tapie à Rocard, Chirac à Jospin, Hollande à Aubry… J’arrête là, je vais chialer.
Post-scriptum : On m’objectera que Hara-Kiri n’aurait pas pu exister sans Choron, c’est d’ailleurs une thèse défendue par Cavanna lui-même. Je réponds : précisons que le journal « bête et méchant » ne pouvait voir le jour qu’avec un homme assez fou pour y croire et assez énergique et culotté pour se lancer dans cette affaire, mais rien ne dit que Cavanna n’aurait jamais trouvé un homme ayant ces qualités sans avoir les défauts plus que rédhibitoires de Choron… Je sais qu’on ne refait pas l’histoire, mais il ne faut pas non plus croire qu’elle était écrite d’avance. Bon, on va boire un coup ?
Un dessin d'œil en gros plan - ça n'a rien à avoir avec ce que je viens d'écrire, si ce n'est que j'ai pris pour modèle une couverture de Hara-Kiri. Pour l'anecdote, il s'agissait de celle où une femme s'apprête à manger un sandwich avec un rat dedans, d'où l'expression légèrement inquiète (mettez-vous à sa place !) du regard...
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Banlieue fictive où Antoine De Caunes et Laurent Chalumeau ont situé les exploits de Didier L’embrouille.
[2] Fluide Glacial série or n°48, Tous people !, septembre 2009, p. 99.
[3] Bon, d’accord… Disons : pas plus que d’habitude !
[4] Bruno LÉANDRI, Nous nous sommes tant marrés, mes années Hara-Kiri et Fluide Glacial, Audie, Paris, 2015, pp. 158-159.