Commençons par lever le voile sur le petit mystère de la semaine dernière : cette vieille dame était émue de voir son fils planter le drapeau breton sur Mars ! Et oui, on peut rêver, non ?
Dimanche 30 avril
9h45 : J’étais bien décidé à profiter de ce week-end prolongé pour me prélasser chez moi ; mais en consultant mon agenda, je me rappelle que je me suis inscrit pour une visite guidée du quartier Saint-Martin ! J’avais complètement oublié ! C’est la première fois que ce genre d’omission m’arrive ! Décidément, j’aurais tout eu en avance, dans ma vie : l’accès à la lecture, la puberté, le baccalauréat et même la maladie d’Alzheimer ! Je comprends mieux pourquoi la précocité effrayait autant Cabu…
14h30 : Au niveau de la place de Strasbourg, j’avise une publicité pour un centre de remise en forme avec, pour accroche, « Soyez en forme pour l’été ». C’est quand même paradoxal, non ? En principe, l’été, c’est la saison où on se repose, on n’a donc pas besoin d’être en forme pour ça : c’est à la fin de l’été qu’on est censé avoir retrouvé la forme, pas au début ! Qu’est-ce que ça signifie donc, « Soyez en forme pour l’été » ? Est-ce qu’on reconnait officiellement que la majorité des gens passent leurs vacances de telle façon qu’ils rentrent encore plus fatigués qu’à l’aller ? Et que ce qu’on appelle les vacances, loin de servir à reconstituer nos forces, ne sert qu’à nous faire vivre dans des conditions que l’on jugerait intolérables si elles nous étaient imposées et, ainsi, à nous rendre supportable l’existence mortelle que nous menons le reste de l’année ? Non, ce serait trop beau : il est plus probable que l’on nous exhorte à nous sculpter des corps que nous n’aurons pas honte d’étaler sur les plages et à avoir suffisamment d’énergie pour draguer des Marie-couche-toi-là en dansant sur le « tube de l’été »… En somme, on devrait reformuler ce slogan en « Soyez en forme pour vos vacances à la con » !
14h45 : J’arrive au point de ralliement, devant l’église Saint-Martin. Que certaines personnes me reconnaissent, j’y suis déjà plus ou moins habitué : la guide-conférencière commence à savoir qui je suis et il est logique que j’y retrouve un autre habitué des événements consacrés à l’histoire de Saint-Pierre-Quilbignon. Il est en revanche plus surprenant pour moi d’y retrouver la prof de chinois de la faculté et une élève du cours du soir, accompagnée de son conjoint ! Cette dernière ne connait pas très bien Brest où elle ne réside que depuis peu, sa curiosité est donc légitime ; la prof, en revanche, m’avoue qu’elle ne sait presque rien de cette ville où elle réside pourtant depuis déjà des années. Comme quoi, même les meilleurs d’entre nous ne sont pas à l’abri d’une panne de curiosité ! N’empêche qu’une chercheuse reconnue qui n’a pas le réflexe de s’intéresser à ce qu’elle a à portée de main, ça me rappellera toujours cette phrase : « Les hommes veulent atteindre la lune mais personne ne semble s’intéresser au cœur humain qui bat. » Tiens, à ce propos, savez-vous de qui est cette citation pleine de bon sens[1] ?
15h15 : Alors que nous sortons déjà du lavoir Saint-Martin, tandis que ma jeune camarade du cours de dessin roucoule avec son amoureux, une dame discute avec la prof de chinois et avance qu’avant d’être annexée, la commune de Lambézellec était plus grande que Brest : je prends donc la liberté de préciser que ce n’est pas exact, que « Lambé » n’était « que » la commune rurale la plus étendue de France, ce qui n’est pas exactement la même chose. J’ai dit ça sans malice, simplement pour faire profiter autrui de mes connaissances, mais cette vieille peau a une drôle de façon de me remercier ! « Oui, bon, on va arrêter de bouillir sous la casquette, hein ! » Elle peut penser ce qu’elle veut de mon look, je n’en ai rien à foutre, mais pourquoi se met-elle à être désagréable ? Je me crois presque revenu au temps du collège, quand mes « camarades » me reprochaient de participer trop activement aux cours…
16h30 : La visite se poursuit sur la place Guérin : à mon grand soulagement, je constate que si les engins de chantier ne l’ont pas encore désertée, ce n’est plus le trou béant que j’ai vu il n’y a pas si longtemps encore ! L’organisation de la Foire aux croutes ne devrait donc pas être trop perturbée… Naturellement, la guide est bien obligée de parler du terrain de l’Avenir : la dame qui a été désagréable avec moi en parle avec un tonnage de condescendance intolérable ! Elle en parle comme d’une « friche » ! Une friche ! Cet endroit sur lequel un promoteur véreux (un pléonasme, excusez-moi) a failli déposer un étron de béton qui aurait tourné arrogamment le dos à cette place qui est pourtant un poumon culturel historique de la ville, le collectif qui l’occupe depuis quelques années déjà en a fait un lieu de vie, de culture et de réflexion au cœur de notre civilisation de mort, d’ignorance et de panurgisme ! Et cette idiote le qualifie de « friche » ! Elle doit voter Malgorn…
Lundi 1er mai
10h15 : Alors que des milliers de personnes sont en train de manifester pour défendre la démocratie et la justice sociale et militent pour un avenir meilleur, je suis en train de me promener dans le bois en face de chez moi. Et je n’ai pas honte ? Non ? Même pas un petit peu ? Décidément, on ne se connait jamais assez…
Mardi 2 mai
12h30 : Enfin délesté du surplus de cheveux que je m’étais résigné à garder il y a deux semaines, j’attends le bus pour rentrer à Lambé. Mais celui-ci est en retard et je grille en plein soleil, au milieu d’autres voyageurs tout aussi impatients que moi, avec des gosses surexcités et des blaireaux qui imposent leur musique sur la voie publique. Bruit, chaleur, lumière : le tiercé perdant pour moi ! Ça ne rate pas, j’ai une crise et je hurle « Silence » aux mômes ! Bien sûr, moi qui adore les enfants, je m’en veux aussitôt… Ça y est, je me rappelle pourquoi je déteste les « beaux jours » ! À ma décharge, on ne m’ôtera pas de l’idée que quand j’étais petit, ma mère ne m’aurait jamais laissé… Bon, j’arrête là, on va dire que je radote.
Quelques croquis : chez la coiffeuse...
...et dans une rue de Saint-Martin.
14h10 : Arrivée du jeune stagiaire de quatrième que j’ai accepté de recevoir : ça ne me rapporte rien mais c’est valorisant, y compris en terme d’image de marque. Après lui avoir expliqué comment je travaillais, je l’emmène au bois pour faire du croquis sur le vif, ce qui ne lui était jamais venu à l’esprit ! Je suis fier comme un pou d’être dans le rôle du maître accompagné de son disciple, même si je ne suis pas sûr d’être un excellent pédagogue : l’exemple de Delphine m’est très précieux dans cet exercice encore nouveau pour moi…
Mercredi 3 mai
10h : Il devenait urgent que je rachète du matériel. En me rendant à Artéis, je vois une affiche publicitaire montrant une pin-up rousse au bord d’une piscine : je me demande bien ce qu’on peut vendre avec cette représentation dépassée de la féminité ! Mais en me rapprochant, je découvre que la pin-up en question n’est autre que la magnifique et talentueuse Audrey Fleurot et que le « produit » dont l’affiche fait la réclame est la série HPI dont l’actrice est la vedette… Malgré tout le respect que j’ai pour cette comédienne, je me demande s’il n’y a pas une erreur de casting ! Une femme si belle dans le rôle d’une bonniche, fût-elle à haut potentiel intellectuel, on n’y croit qu’à moitié : ils auraient dû prendre Yolande Moreau, que je trouve ravissante elle aussi, mais qui aurait été mille fois plus crédible ! Maintenant, j’imagine sans peine qu’aux yeux des producteurs, la plastique d’Audrey Fleurot était plus vendeuse : l’exemple de Corinne Masiero jouant le Capitaine Marleau a pourtant montré que le succès n’est pas une affaire de sex-appeal… Y a du boulot, les filles !
10h15 : Une commerçante arrangeante, ça existe encore ? Oui, la preuve : chez Artéis, comme ils n’ont toujours pas de cartouches Pentel vendues sans le feutre-pinceau que je possède déjà, la vendeuse consent à ouvrir un étui contenant un feutre-pinceau et des cartouches afin que je n’aie à acheter qu’une pochette contenant quatre cartouches ! Au vu de l’état de mes finances et de la nécessité absolue dans laquelle je me trouve d’arriver armé à la foire aux croûtes, je ne puis que la recommander auprès d’Hermès ! Ô dieu des commerçants, accorde ta protection à cette femme qui a su préférer le service rendu au client au sordide bénéfice accumulé sur la vente forcée d’un outil dont je n’avais pas besoin !
16h30 : Étant assez chargé, j’ai finalement décidé de prendre le bus pour me rendre au cours du soir. Mauvaise idée : non seulement c’est l’heure de pointe mais, avec toutes les déviations qu’il y a en ville en ce moment, la circulation est un vrai cauchemar ! Au final, je n’arrive pas plus tôt que si j’étais parti à pied et, par-dessus le marché, je suis fatigué et stressé d’avoir dû faire mille détours en compagnie d’une foule d’inconnus agressifs… On ne se méfie jamais assez des solutions de facilité.
20h30 : On est le premier mercredi du mois, c’est le soir de la scène ouverte au Café de la plage : je suis arrivé sur place, non sans mal ! Aux déviations vient s’ajouter la foule en ville, due à un match de football opposant Brest à Nantes : je regrette déjà les manifestations contre la réforme des retraites… Enfin, je suis là, c’est le principal : je m’installe donc à une table avec tout mon matériel habituel et je profite de l’absence de public pour corriger mon dessin réalisé au cours du soir, qui me semble comporter une erreur : quand je sors mon œuvre, celle-ci impressionne vivement une charmante jeune femme qui s’empresse de me poser des questions et me demande si ça m’intéresse de collaborer avec elle sur un projet de bande dessinée. J’accepte évidemment et je lui fais sa caricature dans la foulée. Chaque fois que je montre mon travail, le public semble m’être favorable, du moins la frange qui s’intéresse un tant soit peu au dessin : si on me demande pourquoi je ne suis pas davantage édité, je répondrai que je n’en sais rien et ce ne sera pas une pirouette…
Ma charmante cliente et sa caricature :
21h50 : La scène ouverte a démarré avec un certain retard, le temps pour le public de se décider à délaisser la terrasse et à entrer dans l’arrière-salle. Après un tour de chant de Mequi et le passage de deux jeunes gens (une svelte demoiselle qui déclamait de la poésie et un gros garçon qui jouait un sketch), mon tour est arrivé : j’ai installé ma caméra afin de pouvoir me filmer interprétant trois de mes slams. Est-ce la pression supplémentaire qu’apporte la caméra ou la chaleur encore écrasante qui règne dans le bâtiment ? Toujours est-il que, d’après Mequi, je parlerais plus vite que d’habitude ! J’aurais pourtant du mal, autant imaginer Bernadette Malgorn dire plus de conneries que d’ordinaire ! À ceci près, bien sûr, qu’elle, je l’en crois capable… Comme il me reste un peu de temps et que je ne sais pas trop quoi faire d’autres, je joue mes « Élucubrations ». Je ne sais pas si mon débit oratoire est vraiment plus soutenu, mais de toute façon, le public semble apprécier ! Ou alors, c’est qu’il fait bien semblant…
Quelques croquis réalisés en cours de soirée :
22h30 : Je pars. À part ma gracieuse admiratrice, je n’ai pas eu un client de plus, mais je suis déjà épuisé. Morgane n’était pas là, mais j’ai quand même pu réécouter l’excellentissime Carlos et ses chansons d’outre-Pyrénées. À cause des déviations, je dois descendre jusqu’à la place de la Liberté pour pouvoir prendre le bus : je suis étouffé par la chaleur que l’asphalte a accumulée au cours de cette journée ensoleillée. Une fois arrivé à la station, je vois passer une voiture remplie de crétins qui célèbrent la victoire du Stade Brestois… La planète se réchauffe et ils continuent à se passionner pour des bœufs aux hormones qui courent après une baballe ! Ils n’ont vraiment rien compris…
Jeudi 4 mars
14h45 : Je me suis mis en tête d’envoyer un recommandé à un éditeur qui semblait intéressé par un de mes projets et dont je n’ai plus de nouvelles. Problème : j’avais oublié que la poste de Lambé est fermée le jeudi… Je saute dans le premier bus pour me rendre à celle du centre-ville, non sans maudire tous les gouvernements successifs qui ont planifié la déréliction de ce qui fut un service public magnifique ! Encore heureux que le réseau brestois de transport en communs, malgré ses défaillances que je ne manque jamais de signaler, est tout de même opérationnel…
15h30 : Mon recommandé est en boîte. Quitte à avoir fait le déplacement jusqu’ici, j’en profite pour faire un tour à la Vagabunda : curieusement, la fille de Paty est seule pour tenir la boutique. Je demande donc à cette charmante demoiselle si sa maman a une raison valable pour la laisser seule aux commandes : renseignement pris, oui, le décès d’un proche, c’en est une… Je n’insiste pas mais j’en profite pour jeter un œil à la nouvelle exposition, consacrée aux photos d’une certaine Sophie Patry. On ne peut pas dire qu’elles soient très gaies ! Elles s’accordent donc à merveille à l’air du temps…
18h45 : J’arrive à La Raskette, toujours excessivement tôt pour la scène ouverte du premier jeudi de chaque mois. C’est l’occasion de quelques retrouvailles, non seulement avec la charmante Cécile mais aussi avec Capitaine Paillettes, venue avec ses cerceaux pour nous gratifier de son numéro. Je suis content d’être là, mais j’espère que je trouverai des amateurs pour les caricatures, ça ne ferait pas de mal à mon porte-monnaie…
20h10 : Après un tour de chant de Cécile, la soirée commence en trombe avec le numéro de Capitaine Paillettes : je suis toujours vivement impressionné par ces jongleries qui nécessitent une excellente coordination des mouvements ! Cette artiste étant une compagne de route, je la soutiens à ma façon en écrivant au dos de mon carnet, que je montre aux autres spectateurs : « Faut l’faire, hein ! » Si je disais que ce n’est pas aussi pour me faire remarquer, je mentirais…
Capitaine Paillettes en pleine action et d'autres artistes :
21h15 : La Raskette est pleine comme un œuf ce soir et il y a beaucoup de volontaires pour passer sur scène : Cécile arrive quand même à me trouver un créneau pour que je vienne slamer, juste après une jeune joueuse de ukulélé. Tout comme hier au Café de la plage, j’ai sorti la caméra pour me filmer : mais Capitaine Paillettes, qui était assise juste à côté de moi, se croit obligée de la manipuler, ce qui me distrait, et je bafouille affreusement sur des textes que je connais pourtant presque par cœur ! Renseignement pris, elle voulait non seulement arranger le cadrage mais aussi changer la batterie qui était à plat… Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir voulu m’aider, mais j’avoue que j’ai eu un peu de mal à lui expliquer poliment qu’il ne faut pas me rendre des services que je ne sollicite pas ! Quant à mes bafouillages, je dois bien être le seul à les avoir perçus, au vu des compliments que je reçois ! Il y a même un type qui me trouve un faux air à Boby Lapointe : je n’ai pourtant pas l’impression de faire beaucoup de calembours, mais bon, c’est toujours plus gratifiant qu’être comparé à Maurice Chevalier…
D'autres croquis réalisés en cours de soirée :
22h : Après deux chansons interprétées par une très jolie jeune fille prénommée Zoé, un jeune gland joue un sketch pendant qu’un duo de chateurs s’installe. Pourquoi le traité-je de jeune gland alors que je ne le connais même pas ? Parce qu’il a le culot de commencer son sketch en disant qu’il n’y a pas de patrimoine visible à Brest ! Dire ça devant moi qui, depuis huit ans, écris des chroniques pour faire connaître toutes les traces visibles du passé brestois ! Capitaine Paillettes elle-même fait visiter la ville aux touristes et est quelque peu effarée, même si elle n’est pas, comme moi, sur le point de claquer le beignet à ce petit crétin ! Mais il y a une justice : une défaillance technique l’empêche de poursuivre son sketch… Merci, ô Athéna, déesse du savoir !
22h30 : Un groupe se prépare à jouer. Je décide néanmoins de partir, étant épuisé par le bruit et la chaleur qui règnent dans la salle. Malgré tous les compliments pour mes slams que m’adresse l’assistance, je garde un goût amer dans la bouche : je ne suis pas satisfait de ma prestation, je comprends mieux ce que ressent une amie chanteuse quand elle se trouve des défauts que personne d’autre n’a remarqué. De surcroît, je n’ai pas eu un seul client, même les compliments qui m’ont été adressés par un jeune musicien à la vue du croquis le représentant au moment de son passage sur scène ne suffisent pas à me faire digérer cet échec qui, une semaine après mon expérience décevante à la PAM, arrive au plus mauvais moment… Vivement que je sois rentré dans mon cocon.
Vendredi 5 mai
15h30 : Après la rituelle visite-éclair de mes parents, je reçois deux types qui travaillent pour le réseau fibre optique : ils me font comprendre que mon installation Internet n’est pas aux normes et que je vais devoir accueillir un technicien qui se chargera de mon raccordement… Je suis prêt à parier que je ne verrai aucune différence entre avant et après ! Quand les capitalistes ont besoin que les pauvres leur achètent une nouvelle saloperie, il suffit de décréter que ce qui existait avant et marchait bien n’est plus « aux normes »… Mais je vais me laisser faire, évidemment : je ne vais pas jouer à l’irréductible Gaulois pour une connerie pareille… Les deux types essaient de fraterniser en m’interpelant sur ma date de naissance et ma collection de cartes postales : encore des gens qui ne sont pas formés à s’adresser à un autiste…
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] C’est Marilyn Monroe ! Et oui, jolie mais pas conne…
Commençons avec un dessin que je voulais faire depuis longtemps : un autoportrait en dragon.
Vendredi 21 avril
17h : Petite sortie sylvestre avec une amie : celle-ci, ayant appris que j’habitais en face du bois de la Brasserie, a eu la bonne idée de m’y fixer rendez-vous pour que nous y fassions ensemble du croquis de nature. J’inaugure pour l’occasion un petit carnet et un crayon gras achetés récemment, elle préfère utiliser de l’aquarelle sur de grandes feuilles prévues à cet effet, chacun sa méthode. Son fils cadet nous accompagne : celui-ci est d’une patience admirable et joue gentiment au ballon pendant que nous dessinons. Un cadre végétal apaisant, une bonne amie, du dessin, un petit garçon qui joue tranquillement… C’est à peu près l’idée que je me fais du paradis !
18h : Le fils de mon amie fait tomber son ballon dans le ruisseau : sa maman est bien obligée de lâcher son pinceau pour récupérer l’objet afin de lui éviter d’alimenter simultanément la pollution des eaux et les traumatismes du garçonnet ! On dit que c’est à cause d’un fruit qu’Adam et Êve ont été chassés du paradis terrestre : nous, c’est à cause d’un ballon ! On ne se méfie jamais assez du sport…
18h30 : L’heure tourne et nous décidons de nous séparer. J’ai fait cinq dessins, mon amie deux : on ne peut pas comparer, nos méthodes de travail étant très différentes, et puis nous ne sommes pas en compétition. Il est difficile de ne pas penser aux impressionnistes qui peignaient en pleine nature, mais je ne suis pas Claude Monet et mon amie, malgré tout son talent, n’est pas non plus Berthe Morisot. Il n’empêche que c’est un peu dur de se quitter, il faudra remettre ça un jour ! J’étais réticent à l’idée de dessiner en groupe, mais je dois reconnaître que ça crée une émulation…
20h25 : Me voici au Kafkerin pour une nouvelle scène ouverte organisée par le Collectif Synergie. Avant que Claire ne lance les hostilités, un jeune homme, manifestement en situation de handicap, a tenu un faire un discours pour annoncer qu’il quittait ce café associatif où il était bénévole depuis quelques temps. En soi, ça ne m’intéresse pas outre mesure, mais je suis quand même frappé par l’émotion qui semble animer les autres bénévoles : on sent une équipe soudée, qui a su partager les bons et les mauvais jours, qui s’est battue pour faire renaître une oasis de solidarité et de culture dans un quartier déshérité… Ça fait bientôt un an qu’ils animent le café ensemble : combien de temps tiendront-ils avant de s’engueuler ? Je sais, je ne devrais pas être si défaitiste, mais j’ai vu tant d’associations et tant d’amitiés se déliter pour des âneries…
A gauche : le jeune ex-bénévole. A droite : Manuèle en pleine déclamation.
20h50 : Après un petit tour de piste de quelques habitués des scènes ouvertes du collectif (Claire, Manuèle et moi-même notamment), un jeune homme monte pour interpréter « Avec le temps » de Léo Ferré. J’ai souvent dit tout le mal que je pensais de la vox du vieil anarchiste, mais cette interprétation m’oblige presque à revoir mon opinion à la hausse ! Ce garçon massacre littéralement la chanson de Ferré, comme si le principal intéressé n’avait pas été capable de le faire lui-même ! Comme quoi, les scènes ouvertes, ça ne peut pas être que d’étincelantes découvertes. Bah, ça fait partie du jeu !
A gauche : le jeune "chanteur" qui massacre Ferré. A droite : Monica.
20h55 : Monica, la marraine du Kafkerin, monte sur scène et propose une idée géniale pour aider les femmes qui ont peur de sortir seules dans la rue après une certaine heure : sur le modèle des « cafés suspendus », les automobilistes qui auraient des places disponibles dans leurs véhicules pourraient les « suspendre » afin de permettre aux femmes de rentrer chez elles dans un plus grand sentiment de sécurité. Encore faudra-t-il s’assurer que les conducteurs n’en profiteront pas pour les draguer et, de toute façon, il n’est pas tolérable qu’encore aujourd’hui, des femmes ne puissent pas sortir seules le soir sans avoir peur ! Le problème des violences faites aux femmes restera toujours aussi sérieux tant qu’on n’aura pas changé les mentalités…
A gauche : la fille de Monica. A droite : un rappeur.
21h10 : Après un petit air de piano interprété par la fille de Monica et un tour de piste d’un rappeur que je ne me souviens pas avoir vu ailleurs, le conteur Michel Lidou, qui fait son grand retour, nous joue un morceau de son nouveau spectacle intitulé « Cul d’oignon » d’après le surnom que lui avait donné un des SDF dont il s’occupait quand il était travailleur social. En effet, tournant le dos aux histoires paysannes dont il nous gratifiait quand je l’ai connu, ce cher Michel a décidé de nous raconter les rencontres édifiantes qu’il a pu faire au contact de ces gens que la société a abandonnés. L’histoire qu’il nous rapporte est instructive : vous croyez peut-être que les « clodos » ont tous le même parcours, avec chômage, huissiers, expulsion et tout le bataclan ? Et bien détrompez-vous ! Michel en a connu un qui a vu mourir sa femme et ses enfants dans un terrible accident et qui, n’ayant plus rien à perdre après ce drame, a jeté les clés de sa maison à l’égout ! Par conséquent, quand vous croiserez un SDF, avant de le cataloguer trop vite comme un « raté » ou un « loser », songez qu’il est peut-être, en fait, victime d’un chagrin d’amour ! À moins que les sentiments ne soient déjà une langue étrangère pour vous… Vous ne seriez pas le seul, hélas !
A gauche : Michel Lidou. A droite : un autre rappeur.
Samedi 22 avril
18h10 : Je suis dans le train en direction de Quimper où m’attend une tante qui a accepté de m’héberger pour la nuit puis de me conduire à Loctudy où doit avoir lieu le deuxième Salon bigouden du disque et de la BD. Au niveau de Landerneau, le wagon se vide subitement ! Je ne comprends pas pourquoi autant de gens descendent ici, mais je ne m’en plains pas, je suis débarrassé des deux jeunes glands qui me cassaient les oreilles et je peux ainsi poursuivre le voyage sans mon casque…
Dimanche 23 avril
8h45 : Ma tante me dépose à Loctudy, comme prévu : je la quitte un peu à regret, elle a été adorable… Aujourd’hui, c’est le dixième anniversaire de la loi sur le mariage pour tous : difficile de ne pas penser au tintouin qu’avaient fait à l’époque les arriérés de la « manif pour tous » ! La prochaine fois qu’un réac me demandera si je suis d’accord pour défendre la famille, je dirai : oui, à condition que ce soit la mienne ! Celle des autres, je n’en ai rien à foutre !
Moi à mon stand (photo de Didier Lefevre) :
Ce que je voyais en face de mon stand :
Un jeune homme qui a bien voulu se faire caricaturer :
Un autre de mes modèles, l'adorable petite Luna qui a prêté sa main innocente au tirage au sort de la tombola organisée à cette occasion :
Une autre photo de Didier Lefevre illustrant le cauchemar de l'armée romaine...
19h45 : La journée au salon est vite passée : je n’ai pas vendu beaucoup d’albums, mais grâce à mes caricatures, le bilan est tout de même positif. Tout s’est déroulé comme sur des roulettes, j’ai même trouvé quelqu’un qui a bien voulu me voiturer jusqu’à Quimper pour me permettre de reprendre le train sans contraindre ma tante à un second aller-retour. Mais vous connaissez le destin, il faut toujours qu’il ait la sale manie de tout gâcher : ainsi, à l’issue de cette journée satisfaisante à bien des points de vue, il fallait qu’il y ait un incident, en l’occurrence le train qui est immobilisé au niveau de Châteaulin pour je ne sais quelle raison. Ça ne dure qu’un quart d’heure, encore heureux, mais ça génère en moi tellement d’angoisse que ça compte triple…
Lundi 24 avril
17h : De passage en centre-ville, j’en profite pour faire quelques achats dans une supérette. Les mascottes des jeux olympiques de Paris y sont proposées à la vente : certains se sont indignés que l’on détourne un symbole révolutionnaire (le bonnet phrygien) pour en faire ces fanfreluches. Pour ma part, je ne suis pas en colère, je suis seulement affligé : c’est d’une telle médiocrité ! Je repense au walkman en forme de bonnet phrygien, fabriqué à l’époque du bicentenaire de la révolution, que l’ami Jean-Pierre Coffe avait épinglé à juste titre sur Canal+ : comme quoi la nullité ne change pas outre mesure !
Un dessin d'actu parce qu'il le faut bien :
Mardi 25 avril
13h30 : Pour les besoins d’un article que j’ai promis à Côté Brest, je consulte les numéros de 1995 du journal Ouest France : je me replonge ainsi dans l’ambiance des fameuses grèves de cette année-là, auxquelles on a régulièrement comparé la récente agitation sociale. Et j’en apprends de belle sur cette époque où je n’avais encore que sept ans ! Est-ce que vous vous rappeliez, par exemple, que moins d’un semestre après son élection, le président Chirac ne recueillait déjà plus que 14 % d’opinion favorable ? Ça ne l’a pas empêché d’être réélu puis d’être regretté par les Français… Quand je vois ça, je me dis que Macron peut envisager son avenir politique avec un relatif optimisme ! Ne riez pas : notre président actuel est encore jeune, il a encore au moins trois ans devant lui… Tout est encore possible !
18h30 : Pour participer à un concours de photos consacré au patrimoine breton, je dois charger trois clichés sur Google Drive. Une simple formalité, pensais-je. En fait, mes images prennent un temps fou à charger et je ne peux en mettre qu’une seule à la fois ! Je ne portais pas Google dans mon cœur pour plein de raisons, mais je pensais au moins que l’entreprise était vraiment à la pointe de la technique et proposait des rapides services et fonctionnels : elle n’a même pas ce mérite ! Un mythe s’effondre… Un mythe ou un gros mensonge ? C’est que ce n’est pas tout à fait la même chose, figurez-vous !
20h15 : J’apprends la mort de François Léotard. Je n’avais aucune sympathie pour ce politicien, même si l’hommage qu’il a rendu à son frère m’a incité à plus de tolérance, mais je ne peux m’empêcher de repenser à sa marionnette des Guignols : de ce point de vue, « Léo le neuneu » représentait pour moi une époque où on pouvait encore brocarder les politiciens sans faire le jeu de l’extrême-droite, ce qui est déjà une bonne raison d’écraser une larme… En tout cas, on peut dire que les deux frères Léotard ont tous deux gâché leur vie à cause de l’alcool : Philippe en buvant trop, François en ne buvant pas assez…
Mercredi 26 avril
15h : Un réparateur informatique sympa, qualifié et compréhensif, ça existe ? Oui : grâce à mon ami Jean-Yves, j’en ai trouvé un qui me tire d’un fichu pétrin, à savoir mon disque dur externe que mon PC ne reconnaissait plus, suscitant en moi une certaine panique à l’idée de perdre la trace de plusieurs années de boulot… Je suis tiré d’affaire rapidement, justifiant pleinement les 29 euros dont ce spécialiste me déleste, heureusement que j’avais fait de bonnes affaires à Loctudy ! Il n’empêche que cette anecdote prouve une nouvelle fois la précarité des supports numériques : l’informatique démultiplie les possibles, c’est son principal mérite et il n’est pas négligeable, mais il ne simplifie pas vraiment la vie ! Disons que ça ouvre des fenêtres… Et que ça permet aux emmerdes d’y entrer !
Quelques dessins me représentant avec mon ami Jean-Yves (je lui dois bien ce petit hommage) :
19h : J’arrive au Triskell Bihan, un bar où je n’allais plus guère depuis la fin de mes études : il accueille ce soir la présentation du deuxième numéro du fanzine poétique Odette dans lequel j’ai publié un texte. J’ai ainsi l’occasion de constater que la piétonisation de la place Guérin a bien avancé. Comme toujours quand j’arrive dans un lieu auquel je ne suis pas habitué, je ne suis pas à mon aise : heureusement, Mequi, l’animateur des scènes ouvertes du Café de la plage, est présent, ce qui m’aide à ne pas me sentir perdu. Au comptoir, le barman essaie de me faire gober que les consommations ont un prix quatre fois supérieur à ce qui est affiché, en raison de la grande terrasse dont le bar bénéficie désormais ! Ce genre de plaisanterie me terrorisait jadis : aujourd’hui, je ne tome plus dans le panneau… Mais ça ne me fait toujours pas rire !
19h45 : La présentation du fanzine commence enfin. Au programme, lecture des poèmes qui composent le numéro, par leurs auteurs ou par des volontaires, le tout avec l’accompagnement musical improvisé par ce cher Mequi. Claire Morin nous a rejoints, ne ratant pas l’occasion de faire une démonstration de son talent de slameuse et, par la même occasion, promouvoir les événements du Collectif Synergie : je le lui reproche d’autant moins que sa présence achève d’atténuer à mes yeux l’inquiétante étrangeté de l’ambiance, ce qui m’est d’un grand secours quand je lis mon texte intitulé It sucks to be Santa Claus – la parution de ce numéro ayant pour thème l’hiver a pris du retard, d’où la situation paradoxale dans laquelle je me trouve, à déclamer un slam de Noël en plein mois d’avril… Certains diront que ça nous prépare pour l’avenir, quand il fera une température digne d’avril à chaque Noël ! En attendant, je ne boude pas mon plaisir de faire rire le public sans pour autant être ridicule…
20h40 : Tous les poèmes ont été lus. Claire ne se dégonfle pas et nous sert d’autres slams de son cru. Je l’imite assez vite en interprétant « Ça m’intéresse pas » et « Bernie la matraque ». Cette prestation me vaut des témoignages d’admiration de la part de l’assistance ; certaines personnes, qui m’avaient déjà vu sur d’autres scènes, me qualifient même de… Punk ! Je le prends comme un compliment, mais je suis tout de même un surpris, moi qui n’ai jamais pris la peine d’au moins écouter les Ramones ! En tout, si je suis un punk, ce n’est pas à chien !
21h : Je me rends au Biorek brestois pour dîner : Alexandre est un peu surpris de me voir arriver aussi tard, mais je le suis encore davantage de constater que son restaurant est presque plein, ce qui n’est pas encore tout à fait habituel, à tel point que, de son propre aveu, Alex est à deux doigts d’être en panne d’ingrédients ! Le Biorek brestois victime de son succès ! Comme quoi, tout arrive, mais dans le cas présent, ce n’est que justice et j’en suis ravi pour mon jeune ami restaurateur.
Jeudi 27 avril
12h45 : Avant de me rendre au Béaj Kafé où j’ai prévu de régler une affaire et d’effectuer un petit travail trop angoissant pour être mené dans la solitude de mon atelier, je savoure quelques frites à l’arrêt de tram de la place de la Liberté. J’ai ainsi l’occasion d’assister à un spectacle que je n’aurais jamais imaginé : un cycliste qui se faufile entre deux trams qui se croisent ! L’inconscience à l’état pur ! Décidément, ceux qui comptaient sur la bicyclette pour générer un monde un peu moins bête et méchant étaient à côté de leurs pompes : les cyclistes ne sont pas moins cons, frimeurs et agressifs que les motards ! Bien sûr, ils ne sont pas tous comme ça, ce n’est pas ce que je veux dire mais, de toute évidence, le vélo ne rend pas intelligent.
19h : J’arrive au Kafkerin pour une autre scène ouverte, celle organisée par l’asso qui gère le lieu. Ce n’est pas très raisonnable de ma part, j’ai réservé un kiosque à la PAM pour demain et je devrai donc me lever assez tôt, mais comme ma participation avait été annoncée dans la presse (à la suite d’un malentendu, il n’y a pas d’autre mot), je suis obligé d’assumer. J’avais fait un effort pour ne pas arriver trop en avance, seulement voilà, je m’étais fié à une annonce erronée publiée sur un réseau social, je dois donc quand même attendre une heure avant que ça commence… Je dois être condamné par une vieille malédiction à vivre de longues heures d’attente stérile ! En tout cas, ça prouve qu’on ne peut pas se fier aux réseaux sociaux…
Les musiciens en pleine répétition
20h : Le public commence déjà à arriver. On me propose de commencer : j’interprète « Tout commence en Finistère », It sucks to be Santa Claus et « Le retour de la mamie de Léonce ». J’ai mon petit succès. Certaines personnes me disent que mes textes mériteraient d’être mis en musique : j’en suis convaincu, mais je désespère de trouver des musiciens intéressés ! D’autre me parlent une énième fois de mon débit oratoire soutenu et me suggèrent de faire de la relaxation ou de la sophrologie : je réponds que rien qu’à y penser, je m’énerve encore davantage ! Et je ne mens pas…
20h10 : J’installe mon matériel pour faire le caricaturiste : je n’aurai en tout et pour tout que deux clients, tous deux lourdement handicapés, dont un qui n’a pas compris que c’était payant et n’a pas un sou sur lui… Je n’insiste pas, d’autant que je ne tiens pas à devoir engager une discussion avec une personne qui peut à peine parler, qui plus est dans une ambiance déjà bruyante !
21h15 : Après un sketch d’un des deux « gogols » (auquel je n’ai rien compris) et un second tour de piste de ma part, la scène est investie par une grande brune qui fait la rappeuse, accompagnée par les musiciens du café : du rap sur du violon, il faut avoir vu ça avant de mourir ! Une certaine effervescence règne dans la salle, une maman funky danse avec sa ravissante petite fille… Mon seuil de tolérance sensoriel n’est pas loin d’être dépassé ! Je me félicite néanmoins de la synergie qui se crée entre les artistes, même si je trouve qu’il manque à cette scène ouverte un animateur qui assurerait les transitions et rendrait le spectacle plus structuré… Non, je ne suis pas volontaire !
22h : Il est l’heure de prendre congé. Je ne m’attarde pas, je suis épuisé. Je reçois encore quelques félicitations pour mon tour de slam, dont celles d’un gazier qui me définit déjà comme… Le nouveau Coluche ! J’ironise en lui disant, montrant ma marinière, que mes rayures ne sont pas dans le bon sens. N’empêche : d’abord un punk, ensuite Coluche… Je vais finir par ne plus savoir qui je suis !
Vendredi 28 avril
15h15 : Voilà plus de six heures que je suis à la PAM et c’est le bide complet ! J’ai vendu pour six euros de marchandise et pas une seule caricature ! Les gens ne font même pas semblant de s’intéresser à mon travail et me demandent, pour la plupart, de leur indiquer où trouver ceci ou cela dans le bâtiment, comme si j’étais l’hôtesse d’accueil, ce qui ajouter l’humiliation à la déception…
Quand je suis de mauvaise humeur, ça me rend injuste et irritable...
20h15 : Retour au bercail. J’ai gagné à peine de quoi payer l’emplacement et je m’aperçois, en rangeant mes affaires, que j’ai perdu les marque-pages que je proposais à la vente : j’étais tellement abattu que j’avais mal refermé ma valise et je ne m’en étais aperçu qu’en pleine rue, il est donc miraculeux que je n’aie pas perdu davantage d’objets… Hier, je me demandais qui je suis ; aujourd’hui, j’ai la réponse : une merde !
Un gros câlin d'un gentil papy aurait bien arrangé des choses. Malheureusement, tous mes grands-parents sont morts...
Ce dessin, qui illustre bien mon besoin de réconfort, me représente dans les bras de Jojo, le petit bonhomme à casquette créé par André Geerts, tel que je l'imagine à l'âge d'être grand-père. Voici un autre hommage à cette bande dessinée qui a bercé mon enfance et que je relis sans honte à l'âge adulte :
Samedi 29 avril
10h15 : Je descends aux Capucins pour assister à une démonstration de danse orientale qui m’a été signalée par une amie, organisée dans le cadre de la journée mondiale de la danse – je ne suis pas spécialement féru de l’art de Terpsichore[1] mais il faut être curieux de tout. Comme j’ai de l’avance, j’en profite pour passer à la PAM histoire de voir s’ils n’auraient pas retrouvé mes marque-pages. Ils n’en ont trouvé qu’un, mais quand je ressors, je retrouve tous les autres sur le trottoir d’en face ! C’est un miracle que personne ne les ait ramassés ! Faut-il y voir un bon signe ? De toute façon, ma journée ne peut pas être pire que celle d’hier…
10h30 : Je suis arrivé aux Capucins. Une fois encore, j’ai beaucoup trop d’avance, la démonstration ne commencera que dans une demi-heure. J’en profite pour coller une affiche annonçant une conférence que je dois donner la semaine prochaine. Je suis un peu surpris, en circulant, de ne voir aucune installation pour accueillir l’événement qui m’a attiré en ces lieux, même si je sais qu’il sera de petite ampleur.
Voici l'affiche en question - venez nombreux !
10h50 : Je suis assis à l’endroit qui m’avait été indiqué, j’attends gentiment. Je vois arriver un groupe qui enfile des paréos : je laisse passer quelques minutes avant d’oser les approcher. Je leur donner le nom de mon amie : ça ne leur dit rien. Je leur parle de la journée mondiale de la danse : ils ne sont même pas au courant ! De toute évidence, ce ne sont pas eux que j’attends. De fait, je me tourne sur ma droite, et j’aperçois, à l’autre bout du couloir, un autre groupe féminin qui a déjà commencé à faire de la danse orientale ! Je bredouille quelques excuses puis me précipite vers cette démonstration qui est sûrement la bonne…
11h15 : Je suis assis par terre, faisant passer alternativement dans mes mains carnet de croquis et caméra pour garder des traces de cette démonstration menée par Alhouaria El Berkani et ses élèves. À la faveur d’une pause, cette prof qui me semble aussi sympathique que compétente vient me demander ce que je fais : je lui dis le nom de mon amie, elle le connaît, ouf ! Je lui explique qu’on m’avait demandé d’écrire un article sur cette manifestation mais que ça ne va pas être possible et que j’improvise donc un reportage à ma façon : elle m’explique aimablement qu’il vaudra mieux ne pas montrer les visages de ses élèves dans une vidéo. Heureusement que je les ai filmées de dos…
11h30 : Je continue mon manège. Ce qui m’impressionne le plus, ce n’est même pas la dextérité des danseuses : leur prof est de toute évidence hautement qualifiée et puis elles s’appliquent comme le feraient n’importe quelles élèves d’un cours de gymnastique ou de quelque autre danse… Ce n’est même pas la jeunesse de certaines d’entre elles, au sein de ce groupe hétéroclite ou toutes les classes d’âge se côtoient : il y a longtemps que je suis convaincu que les enfants d’aujourd’hui ont du talent. Non, ce qui m’épate, c’est qu’elles arrivent à rester concentrées dans ce lieu ouvert à tous les passages ! Pour ma part, je suis déjà à deux doigts de perdre patience à cause d’un gamin capricieux qui me casse les oreilles…
12h10 : Je prends congé, non sans avoir promis à madame El Berkani de lui envoyer ma vidéo avant de la publier. La danse orientale n’est plus tout à fait une découverte pour moi, mais j’aurai quand même eu droit à une dose d’émerveillement grâce à la chorégraphie d’une charmante petite fille : je lui aurai bien fait un bisou si je ne craignais pas que ce soit mal perçu…
Terminons avec un petit suspense : qu'est-ce que cette vieille dame peut voir sur sa télé pour paraître aussi émue ? Réponse la semaine prochaine...
Samedi 15 avril : quatrième anniversaire de l'incendie de Notre Dame de Paris
On ne rend jamais trop hommage à l'héroïsme des pompiers...
19h : Après le spectacle de Slamity Jane, je m’étais installé au Béaj Kafé pour écrire. Je descends maintenant la rue de Siam, espérant bien dîner à la friterie où j’ai mes habitudes. Chemin faisant, j’entends un mendiant interpeller les passants en leur disant notamment « Si vous savez pas quoi faire de votre monnaie » ! Pas de bol pour lui, il ne m’en reste plus beaucoup et je sais quoi en faire…
22h30 : Ayant entendu « La femme chocolat » hier soir dans N’oubliez pas les paroles, l’envie me prend de découvrir cette chanson dans sa version originale. Je suis fort déçu, la voix d’Olivia Ruiz ne m’enchante pas du tout ! Et pourtant, faire parler une femme qui reconnaît avoir pris un peu de poids mais n’en revendique pas moins sa sensualité, c’était une bonne idée, à la base. C’est le syndrome d’Aznavour : même si les paroles sont belles ou, au moins, intéressantes, si l’interprète n’est pas à la hauteur, ça suffit à tout gâcher ! Siné avait le même problème avec Léo Ferré :
« Ses paroles, ou celles qu’il empruntait à des potes poètes, étaient superbes, paraît-il, mais encore aurait-il fallu que je puisse les écouter jusqu’au bout. Or je n’ai jamais vu l’intérêt de m’ingurgiter de force des sons qui me sont indigestes. Les belles paroles ne font pas supporter les mauvaises notes. »[1]
Mon cas est, je pense, d’autant plus excusable qu’en toute franchise, on ne peut pas dire qu’Olivia Ruiz égale le niveau culturel de Léo Ferré…
Lundi 17 avril
10h30 : Après un dimanche sans histoire, j’ai effectué ma désormais rituelle sortie au bois de la Brasserie. Je suis bien étonné, à la sortie, de trouver toute une troupe de gamins s’égayant sous le regard attentif de quatre ou cinq adultes qui, comme moi, semblent hésiter entre s’emmitoufler ou tomber la veste. J’avais oublié que nous sommes en pleines vacances scolaires : je me renseigne, ce sont effectivement les gosses du centre aéré. Je me faufile pour éviter de me prendre un ballon sur la gueule : non que je pense que les enfants soient malveillants à ce point-là, mais c’est ma hantise depuis tout petit ! Inutile de dire que ça n’a pas arrangé mes relations avec les gens de mon âge. Si j’ai un enfant à jour, j’aurai du mal à lui expliquer pourquoi je ne peux jouer au ballon avec lui… En attendant, puisque ce sont les vacances scolaires, si je lâchais prise un de ces jours ?
Mardi 18 avril
11h : Après une visite à un ami peintre, je me rends au salon de coiffure où j’ai l’habitude de me rendre. Pas de bol : c’est fermé jusqu’au 2 mai « pour raisons de santé ». Tant pis, je garderai les cheveux trop longs d’ici là ! Je n’ai aucune envie de me mettre à la recherche d’un autre salon et surtout pas de prendre le risque de tomber sur un minet à la mode qui voudra à tout prix me faire la boule à zéro qu’arborent la plupart des trentenaires : j’ai la chance d’avoir trouvé une coiffeuse qui se fout de la mode et fait ce qu’on lui demande pour un prix raisonnable, alors je lui reste fidèle jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite ! N’empêche que mon programme de la journée est un peu bousculé…
13h : Après avoir tué le temps chez une amie, peintre elle aussi, je déjeune au Biorek brestois : la semaine commence bien pour Alex qui a quelques clients, tant mieux pour lui. Je repense à mon hôtesse qui m’a parlé d’une personne de son entourage qui a eu le Covid récemment. Et si c’était pour ça que ma coiffeuse a dû fermer boutique ? C’est marrant de constater à quel point ce virus a changé de statut : il y a trois ans, c’était le croquemitaine, il était synonyme de mort dans d’horribles souffrances, et aujourd’hui, on en parle comme d’un simple rhume ! C’était bien la peine de nous angoisser à ce point-là…
Un croquis exécuté sur le vif au Biorek - j'aime bien dessiner les vieilles dames, entre autres parce qu'il y a plus à traiter que chez une demoiselle lisse comme un bébé.
15h : Retour au bercail. Je suis déjà fourbu et, quand j’allume mon ordinateur, je découvre que je suis littéralement assailli de messages ! N’aimant pas laisser les choses en suspens, je mets au clair toutes ces affaires pour pouvoir vider ma messagerie au plus tôt : ça me prend deux bonnes heures et je doute de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre après… Je ne sais plus qui a dit qu’un écrivain qui répondait systématiquement à son courrier aurait intérêt à changer de métier ? En tout cas, c’est valable aussi pour un dessinateur…
Mercredi 19 avril
15h30 : Il y a des jours avec et des jours sans ; aujourd’hui, c’est un jour sans, je rentre bredouille d’Artéis où je n’ai pas trouvé le matériel que je cherchais et où j’ai failli m’engueuler avec les vendeuses qui me demandaient des précisions que je n’étais pas en mesure de fournir. Ça ne va pas arranger mon moral qui est plutôt chancelant en ce moment : si je n’ai pas une éclatante victoire à lui fournir dans les semaines à venir, mon estime de soi va être sérieusement compromise…
Jeudi 20 avril
20h30 : Je pourrais être satisfait de ma journée : j’ai réussi à finir en deux heures le crayonné d’une planche assez exigeante – le commanditaire veut que le graphisme ne soit pas trop caricatural… En fait, j’ai une rapidité d’exécution assez phénoménale : on m’a même comparé à Uderzo il n’y a pas longtemps ! Je serais beaucoup plus productif si je me posais moins de questions…
Commençons avec une vérité : si, à 35 ans, tu n'as toujours pas fait chier un publicitaire, tu as raté ta vie !
Vendredi 7 avril
20h30 : Comme chaque premier vendredi du mois, le Collectif Synergie organise une scène ouverte au Temple du Pharaon. Hélas, ce soir, il y a beaucoup de concurrence en ville et aussi bon nombre d’absences parmi les artistes habitués. Résultat, nous sommes en très petit comité, certes contents de nous retrouver entre créateurs mais frustrés de ne pas avoir plus de deux personnes en guise de public… Tant pis, nous ferons avec, the show must go on ! Si les deux clientes de ce salon de thé et de narguilé prennent du plaisir à nous écouter, ce sera déjà un succès pour nous ! Et tant pis pour le crétin qui, à l’invitation du patron à se faire caricaturer par moi, a osé répondre que ça allait « rester dans un tiroir » ! Il ne s’est pas attardé et tant mieux, je ne travaille pas pour ce genre de blaireau !
Cette soirée nous aura tout de même réservé une belle découverte : le camarade accordéoniste de Bardawen - qui, physiquement, me rappelle à la fois Charlie Schlingo et un truand mexicain de western "spaghetti" !
Ci-dessous, la seule caricature que j'ai vendue ce soir-là, et son heureuse récipiendaire - elle trouve que je la fais ressembler à une sorcière : ça tombe bien, je préfère les magiciennes cultivées et puissantes aux princesses rose bonbon !
23h10 : J’ai remonté la rue de Siam en compagnie d’une amie peintre et poétesse. Nous taillons une bavette, elle me parle de ses galères au boulot, mais je suis obligé de la quitter précipitamment pour ne pas rater le bus qui arrive. Je ne culpabilise pas, mais je regrette d’être obligé d’abréger ainsi la conversation et de laisser prématurément seule cette personne qui semble avoir besoin d’être écoutée… On ne peut pas avoir que des jours de gloire !
Samedi 8 avril
10h30 : J’ai très mal dormi cette nuit : je n’aurai pas dû veiller si tard après mon retour à Lambézellec, mais j’étais impatient de scanner les dessins, trier les photos et monter les vidéos que j’avais ramenées de la scène ouverte, histoire de ne pas rester sur un constat d’échec. Un artiste, c’est quelqu’un qui travaille encore quand le commun des mortels est déjà vautré devant « Touche pas à mon poste » voire blotti sous la couette à rêver à des ébats avec Monica Bellucci ou Margot Robbie (désolé pour celles et ceux qui préfèrent les hommes, aucun exemple ne me vient à l’esprit)… L’art, ce n’est pas un métier de fainéant, mais malheureusement, beaucoup de fainéants croient le contraire et desservent la profession aux yeux de l’opinion.
19h : Bon, d’accord, j'étais en tort, j’ai grillé le feu, j’aurais dû céder le passage au cycliste qui arrivait au lieu d’emprunter benoîtement le passage protégé. Mais était-ce une raison pour qu’il me traite de « connard » ? Si vous comptez sur le vélo pour sauver la planète, vous êtes à côté de vos pompes : les cyclistes ne polluent pas, d’accord, mais ça ne les met pas à l’abri d’être aussi cons et agressifs que les automobilistes ! Je ne mets pas tous les cyclistes dans le même sac, loin s’en faut : je prends juste acte du fait que si la bagnole rend con, le vélo ne rend pas intelligent pour autant et ne suffira pas à mettre les hommes à l’abri de se faire la guerre…
20h : Me voici au Patronage Laïque Le Gouill pour le « Patro chantant » où les finalistes des tréteaux chantants brestois se sont donné rendez-vous pour interpréter deux chansons chacun, accompagnés au clavier par Patrick Péron qui travailla, entre autres, avec Hervé Vilard – qui n’est toujours pas mort, ma p’tite fille ! J’ai été invité à assister à ce concert pour faire des croquis sur le vif de tous ces chanteurs. Évidemment, la moyenne d’âge est assez élevée, y compris dans l’assistance où je dénombre à peine deux ou trois jeunes filles qui, vraisemblablement, accompagnent au moins un de leurs grands-parents. Mais ne comptez pas sur moi pour railler cette manifestation à l’ambiance chaleureuse et familiale : les interprètes qui se succèdent sur scène sont vraiment doués pour la chanson, ce n’est pas pour rien qu’ils ont été bien classés à un concours, je me suis même subjugué par le talent d’Elisabeth qui passe la première. Ont-ils au moins la faiblesse d’avoir mal choisi les titres qu’ils reprennent ? Même pas, je ne décèle aucune faute de goût majeure et je passe un bon moment. De toute façon, comme j’enquille les croquis à la chaîne, je n’ai pas le loisir de m’ennuyer, je n’ai même pas le temps de lâcher mon carnet pour applaudir. Les témoins de mon marathon graphique sont subjugués par ce que j’arrive à faire en si peu de temps ! J’avoue que je m’étonne moi-même…
20h35 : J’ai déjà dû croiser au moins une fois chacun des chanteurs, ne serait-ce qu’à l’édition de l’an dernier, mais la seule personne qui m’est vraiment familière est Yvette Lucas, la bretonnante du groupe. La présence de cette femme qui est pour moi une sorte d’amie me réconforte et me met à l’abri du sentiment d’étrangeté quand je ressens dans les soirées où je ne connais personne. Les animateurs disent que son chant est beau même si on ne comprend rien à la langue bretonne : j’ajouterai que ça n’a aucune importance, on peut très bien aimer les chats sans savoir ce que signifie un miaulement ! Et puis si vous croyez que les jeunes qui gambillent sur les chansons de Rihanna (par exemple) comprennent les paroles…
21h10 : Tous les chanteurs amateurs ont effectué un premier passage : avant l’entracte et la seconde partie, nous avons droit à un tour de chant de l’animateur historique des tréteaux chantants, l’excellent Yvon Étienne. J’écoute ses chansons depuis longtemps, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de l’écouter sur scène en solo, je ne l’avais vu qu’avec les Goristes. Il n’a plus grand’ chose sur le caillou, mais il a toujours autant de talent et il est toujours aussi drôle ! Cela dit, on ne voit souvent en lui qu’un gros rigolo, mais il n’est pas que ça. Si « La jolie Rochelle » est à la hauteur de cette réputation (qui n’a, il est vrai, rien de déshonorant), « La couleur des fleurs », qui est clairement une chansons anti-xénophobie, et « Liberta », qui a été écrite au Corse Dominique Gambini, montrent qu’il est autant un tendre qu’un gros rigolo. Et même quand il fait rire, il n’est jamais débilitant, il y a toujours un fond, une volonté d’exprimer quelque chose d’important : c’est un humoriste, pas un amuseur, c’est ce qui fait toute la différence entre lui et Carlos ou Patrick Sébastien, c’est surtout ce qui fait, depuis déjà longtemps, son succès auprès d’un public populaire mais exigeant. C’est drôle, j’ai l’impression de parler de Pierre Perret ! Pas étonnant : il parait que « La couleurs des fleurs » s’est retrouvée juste derrière « Lily » dans un classement de chansons francophones antiracistes… On a vu plus humiliant, non ?
21h40 : Yvon Étienne a quitté la scène : avant de laisser sortir les fumeurs, les animateurs nous offrent un petit numéro comique avec l’amie Yolande déguisée en cantatrice à la poitrine hypertrophiée ! Bien entendu, son chant rappelle davantage la craie qui crisse que la Callas, et les « vrais » chanteurs, qui ont regagné leur place dans l’assistance et sont bien entendu dans le coup, lui balancent les fruits et légumes en plastique qui leur ont été préalablement distribues, ce que la « Diva » interprète comme des preuves d’amour ! Quand elle enlève sa robe de Castafiore de Prisunic, révélant ainsi qu’elle portait un soutien-gorge au bonnet Z (au moins !) sur ses « vrais » habits, le fou rire du public frise l’apoplexie ! Elle n’a pourtant pas l’air plus con que les super-héros avec leurs slips par-dessus le pantalon… En tout cas, si je vais trouver un « message » caché derrière ce sketch, ce serait celui-là : « Nous sommes des chanteurs populaires, nous n’avons pas la prétention d’égaler les rossignols de la Scala de Milan, mais nous avons toutes les qualités que les divas imbues d’elles-mêmes n’aurons jamais ! » Choisis ton camp, camarade, et n’aie pas de scrupules : il n’y pas de honte à vibrer davantage avec du Brel qu’avec du Wagner et certains opéras prestigieux n’en sont pas moins des monuments de conneries, ne citons que celui, tristement célèbre, de Bizet qui s’est imposé en tant que pièce maîtresse de la mythologie surfaite entourant cette barbarie d’un autre temps que l’on appelle corrida, et qui a été déjà si bien épinglé en son temps par le grand Cavanna :
« Carmen, minable musiquette de bastringue bricolée sur une anecdote d’un sordide fait divers, « opéra le plus joué dans le monde » – pardi, c’est le plus con ! – Carmen, que de mal tu auras fait, triste pute, en réinjectant dans les crânes épais qui n’y pensaient plus la fascination sordide de la corrida ! »[1]
L’un des chanteurs nous a interprété « La corrida » de Francis Cabrel… J’aime le peuple quand il montre qu’il peut être moins con que les riches.
21h55 : Mettant à profit l’entracte, je prends la direction de la station de bus afin de m’assurer que le dernier bus en direction de Lambé part suffisamment tard pour m’éviter de partir avant la fin. Évidemment, je ne peux pas faire trois pas sans qu’on demande à voir mes croquis : je ne proteste pas, ça fait partie du jeu. Pierre, le grand ordonnateur de cette soirée, tient même à me présenter à Yvon Étienne : celui-ci se dit admiratif de ce que je fais, ajoutant qu’il serait incapable de dessiner. Je lui réponds que pour ma part, je chante comme un naze : à chacun sa spécialité, non ? Je finis tout de même par pouvoir atteindre l’arrêt de bus, non sans avoir confié mon carnet à un groupe réuni à la sortie du bâtiment.
22h15 : Le concert reprend, chacun des dix chanteurs de la première partie repasse sur scène, dans le même ordre. Première faute de goût de la soirée : la merveilleuse Elisabeth gâche sa voix d’or en interprétant… « Libérée, délivrée », la chanson de La reine des neiges ! Je crois comprendre que c’est pour faire plaisir à la demoiselle (sa petite-fille ?) qui l’accompagne : ce n’est pas ça qui va arranger le fossé des générations ! Je suis à deux doigts de mettre mon casque anti-bruit, mais je n’en ai pas le loisir : le temps pour moi de finir mon croquis, elle a déjà presque terminé de chanter ! Je ne redirai jamais à quel point le dessin m’aide à surmonter des moments difficiles, même si je dois convenir qu’avec la voix d’Elisabeth, cette rengaine sirupeuse est presque supportable. Il n’empêche qu’elle se sent obligée de s’excuser… Vous êtes toute pardonnée ! Mais il y a assez de chansons Disney plus supportables pour nous épargner ce tube que je qualifierais de… Supercalifragilisticexaspérant !
22h45 : Seconde faute de goût de la soirée : une femme, brune opulente visiblement pleine de joie de vivre, qui avait repris « Les enfants du Pirée » en première partie, nous revient avec une chanson… De Mireille Mathieu ! Autant je peux admettre (sans vraiment approuver) qu’on puisse apprécier Dalida, autant je ne connais aucune personne saine d’esprit capable de supporter plus d’une demi-seconde la voix et les chansons de la « naine avec l’accent du midi qui se prend pour Édith Piaf » (pour reprendre l’expression bienvenue d’Antoine de Caunes et Laurent Chalumeau) ! En tout, ça fait deux fautes de goût sur un spectacle de plus de deux heures où plus de vingt-cinq chansons auront été entendues : autant dire une goutte d’eau dans l’Océan ! On peut passer outre ! De toute façon, vingt minutes plus tard, l’ami Gilles fait oublier tout ça avec son interprétation impeccable du « barbier de Belleville » de Serge Reggiani… Il n’y a pas si longtemps encore, j’avais eu droit à une autre reprise de Reggiani par Miika Bjørn : dois-je en conclure que le « Rital » redevient à la mode ? Ce serait justice, c’était un grand chanteur.
23h30 : C’est fini pour aujourd’hui, les chanteurs ont bouclé la soirée avec deux chansons interprétée en chœur. Ça s’est si bien passé que je me promets de revenir demain après-midi, où une seconde représentation est prévue avec d’autres chanteurs. Les réactions suscitées par mes instantanés graphiques sont si enthousiastes que je sens mon estime de moi gonflée à bloc ! Ça m’aide à supporter le fait de devoir attendre le bus dans le froid nocturne pendant une demi-heure…
Dimanche 9 avril
10h45 : Je me suis couché le ventre vide hier soir : j’étais ravi mais épuisé, entre autres à cause de la mauvaise nuit passée la veille. Aujourd’hui, je suis bien décidé à participer à la chasse aux œufs organisée par le Secours Populaire au bois de Keroual avant de retrouver le Patro chantant. La journée commence mal : à l’arrêt où je dois attraper la correspondance pour Guilers, je monte machinalement dans le bus pour Lambézellec ! Heureusement que je m’en suis aperçu à temps et que je suis tombé sur un chauffeur suffisamment compréhensif pour me laisser descendre au premier feu rouge : le « bon » bus arrive moins de cinq minutes plus tard…
11h : Au niveau de Penfeld, le bus se vide d’un coup des familles qui l’empruntaient. Je me souviens vaguement qu’il est possible d’accéder au bois de Keroual à cet endroit : je descends, mais je ne vois que des banderoles annonçant une course de solex ! Craignant de ne pas trouver mon chemin alors que le temps m’est compté, je préfère remonter dans le bus : le chauffeur, cette fois, rechigne, mais se laisse finalement convaincre. Je continue donc ma route, non sans maugréer contre les imbéciles qui croient intelligent de passer leur week-end pascal à des loisirs aussi imbéciles que des courses de solex… Pourquoi pas des courses à dos d’autruche, tant qu’on y est ! Quoi ? Ça existe aussi ? Mais quel monde de cons…
11h15 : Je descends à Guilers, derrière la mairie, où je retrouve la route que j’avais jadis l’habitude de prendre pour aller au bois. Malgré l’heure méridienne, il y a beaucoup de familles qui prennent la même direction : je suis surtout effaré par le nombre de voitures qui sont déjà sur le parking… Je suis prêt à parier qu’au moins la moitié de ces véhicules appartiennent à des gens qui habitent à Guilers ! Prise de conscience écologique, mon œil ! Leurs maisons seraient submergées par la montée des eaux, ils exigeraient encore d’être transportés dans des bateaux à moteur diesel…
Puisqu'on parle de Guilers, voici deux pointes sur le maire de cette commune, vértiable caricature du politicien local bête et méchant :
11h30 : J’arrive enfin au niveau du manoir de Keroual où la chasse aux œufs est organisée : il y a énormément de monde, il y a au moins six files d’attente pour avoir un ticket ! Heureusement, j’ai mes albums de Jojo pour prendre mon mal en patience. Quand mon tour arrive enfin, je tombe sur une dame peu loquace qui me donne mon ticket sans la moindre explication et je reste comme deux ronds de flanc devant ce bout de papier avec quatre cases à remplir… Je me permets de déranger sa voisine qui m’explique que l’organisation a changé par rapport aux éditions précédentes : la chasse aux œufs proprement dite est réservée aux petits enfants, les enfants les plus âgés et les adultes participant à un jeu d’exploration dont les règles me seront expliquées à un autre stand… Le bruit, la foule, la chaleur et la nouveauté qui me désarçonne : je suis déjà à deux doigts de foutre le camp ! En même temps, ce serait trop bête d’avoir fait tout ce chemin, d’avoir fait la queue et d’avoir dépensé quatre euros pour des prunes… Je m’achète une saucisse grillée pour caler mon estomac vide et en profiter pour peser le pour et le contre.
12h : Manger porte conseil. Tout bien réfléchi, je me dis que ce serait stupide de baisser les bras si vite : je me renseigne donc au stand des « explorateurs », où l’on m’explique que je dois trouver quatre numéros, situés chacun à des endroits précis du bois dont les photos sont affichées sur la toile du stand. Le bénévole qui m’accueille m’exhorte à prendre un cliché de ces clichés (vous suivez ?) pour que je puisse repérer les lieux en question : heureusement que j’ai mon appareil photo sur moi… Encore une trace de la civilisation du « smartphone pour tous » ! Je trouve ça d’autant plus regrettable qu’en principe, si on organise ce genre d’événement dans un cadre champêtre, c’est justement, entre autres, pour déconnecter des écrans, non ?
12h45 : J’ai eu un peu de mal à trouver tous les lieux indiqués : le dernier, un gros arbre, était bien planqué derrière de grands sapins. Mais bon, j’ai tous les numéros, je n’ai plus qu’à me diriger vers le stand où l’on peut retirer les lots. Sur le chemin, une heureuse surprise m’attend : un couple d’amis avec leur petite fille et un autre ami avec ses deux enfants ! Je me joins à eux, assis dans l’herbe, pour tailler le bout de gras et profiter de la présence de leurs charmants bambins pleins de caractère. Rien que pour ça, je ne serai pas venu pour rien !
13h : La file pour retirer le stand des lots est très longue. Derrière moi, une famille de cas sociaux me tape sur les nerfs avec sa conversation minable. Je suis trop couvert, donc j’ai chaud, le soleil m’illumine, l’attente me lime les pieds… Bref, tous les ingrédients sont réunis pour que j’aie une crise à la première étincelle. Ça ne rate pas : l’un des « kassos » prononce le mot « détendre » ! Le champ lexical de la relaxation m’a toujours agacé, surtout si on l’emploie dans un contexte où je n’ai nulle envie de me calmer ! Je pousse un cri : évidemment, celui qui a l’air d’être le chef de cette famille de dégénérés me demande si j’ai un « problème » ; je lui réponds franchement par l’affirmative ! Je n’ose cependant pas lui dire que je suis autiste, me doutant qu’il ne pourrait même pas comprendre ce que ça veut dire, point de vue partagé par la dame qui est devant moi, dont le fils est lui-même en situation de handicap et qui avait compris que j’étais Asperger. C’est bizarre : j’ai eu une crise, ça a causé une altercation, et pourtant, je ne culpabilise pas ! Sans doute parce que je suis trop content d’avoir rencontré quelqu’un qui connait le syndrome d’Asperger et comprend ce que ça représente en société… Ce n’est pas encore si courant que ça, hélas !
13h30 : J’ai quand même fini par récupérer mon lot : une boîte de bouchées au chocolat fourrées à la framboise ou au caramel – non, je ne dirai pas la marque. Au prix du ticket, je suis largement gagnant. Avant de repartir, comme je n’ai pas beaucoup mangé et que j’ai eu quelques émotions fortes, une crêpe m’aurait bien tenté ! Malheureusement, la queue au stand est longue et il y a beaucoup de gens qui commandent pour une famille entière : la peur de rater mon bus (dans les communes périphériques, il n’y en a qu’un toutes les heures, le dimanche !) entame sérieusement ma patience… Ayant eu mon compte de files d’attente pour la journée, je préfère partir, histoire de ne pas me sentir obligé de presser le pas.
Croquis réalisé en attendant le bus : on s'occupe comme on peut !
15h30 : Retour au patro chantant ; les organisateurs sont toujours aussi contents de me voir arriver, je suis accueilli comme une petite vedette. Pierre co-anime l’après-midi avec Yolande, coiffé d’une perruque qui me rappelle Hervé Vilard (encore lui ?) : ça fait peur, un peu… Toujours peu de faute de goût majeure parmi les choix de reprise, excepté « Emmenez-moi » ! Non seulement j’ai toujours détesté Aznavour, qui trouvait le moyen d’être infect même quand il écrivait une bonne chanson, mais j’exècre particulièrement ce texte débile : non, la misère n’est pas moins pénible au soleil, il est même très désagréable de sentir que les éléments ne sont pas au diapason de votre malheur, que la nature vous exhorte à être heureux alors que vous n’avez aucune raison de l’être. Enfin, ne chipotons pas, c’est bien la seule chanson qui me déplait vraiment sur la grosse vingtaine qui est interprétée aujourd’hui…
16h30 : Yvon Étienne revient sur scène, pour faire à peu près le même numéro qu’hier, mis à part une chanson de Font et Val[2] sur une vieille dame indigne. Tant pis pour la redite, on ne se lasse pas de ses chansons ! Pour faire un trait d’humour dont il a le secret, il dit avoir essayé la perruque de Pierre… Mais que ça le faisait ressembler à Bernadette Malgorn ! J’ai un peu de mal à croire à ça : « Bernie la matraque » a plus de moustache que lui !
Le problème, avec Yvon Etienne, c'est que j'ai toujours l'impression de lui dessiner une petite guitare... Heureusement qu'il ne joue pas du ukulélé !
17h : Je profite de l’entracte pour déclamer à Yvon Étienne mon slam sur Bernadette Malgorn. Il l’apprécie, ce qui, venant de lui, me touche, bien entendu. Il me raconte une anecdote sur cette dame que ni lui ni moi n’apprécions beaucoup : un jour, lors de la réunion du conseil municipal de Brest, elle a reproché au maire d’avoir signé le permis de construire pour l’extension du Leclerc de Kergaradec, elle a sorti son couplet galvaudé sur le petit commerce brestois qu’on fait mourir… Mais monsieur Cuillandre n’a pas eu de mal à lui répondre : il lui a rappelé que le permis de construire n’a pas été signé par lui mais par le maire de la commune concernée, donc celui de Gouesnou, lequel, qui plus est, est du même bord politique qu’elle ! La prochaine fois qu’on me demandera de lâcher la grappe à madame Malgorn, je répondrai que je voudrais bien arrêter mais que c’est elle qui n’arrête pas : ce n’est pas de ma faute si elle ne rate pas une occasion de montrer toute l’étendue de sa bêtise et de sa méchanceté ! Je m’étonne que Macron ne l’ait pas déjà nommée ministre…
17h35 : Le spectacle reprend et me ménage une bonne surprise : l’une des chanteuses a eu l’heureuse idée de reprendre « Le jardin extraordinaire » de Charles Trenet, une de mes chansons préférées de ce grand monsieur de la chanson ! Elle se trompe un peu dans les paroles, mais elle retombe bien sur ses pattes, offrant un bel hommage à ce « grand Charles » sans uniforme qui n’avait rien à envier à l’autre : libertaire, pacifiste et écologiste avant l’heure, monsieur Trenet continuera à enchanter des générations de mélomanes quand Tino Rossi et Maurice Chevalier seront tombés dans un oubli mérité ! Du moins je l’espère…
19h : Tout à la joie de mes satisfactions de la journée, je descends à la friterie pour dîner. Une heureuse surprise m’attend : un vieil ami, conteur de son état, y est lui-même attablé ! Décidément, c’est la journée des retrouvailles ! Il semble de bonne humeur, malgré les épreuves que lui ont réservé la vie, à savoir une maladie qui l’a privé de toute activité et a mis sa carrière artistique à l’arrêt pendant quelques mois et, par-dessus le marché, une séparation… Il est visiblement en train de se reconstruire. J’admire son pouvoir de résilience, mais je mesure aussi à quel point la vie d’artiste est à la merci de certains aléas ! Et entre le pouvoir qui nous catalogue « non essentiels », les terroristes qui nous tirent dessus et les contestataires qui souillent les œuvres dans les musées, ça n’est pas parti pour s’arranger… Un homme, attablé juste à côté de nous, finit par se lever mais, avant de partir, nous remercie pour notre conversation, déclarant qu’il s’est régalé à nous écouter ! Mon camarade et moi-même devrions faire payer le droit d’écouter nos discussions…
21h : Je rentre au bercail, content de moi : toutes les satisfactions de ces deniers jours m'ont prendre conscience du fait que je suis un garçon attachant, cultivé, intelligent, talentueux, travailleur, persévérant, passionné, généreux, réactif, efficace, attentif, curieux, organisé, fidèle en amitié et intéressant à écouter. Vous trouvez que j’ai la grosse tête ? Je vous emmerde !
Lundi 10 avril
17h30 : J’ai un peu traîné des pieds, ce lundi de Pâques : je me suis borné à paresser entre deux tâches urgentes à exécuter. Avant de dîner, je m’offre une brève sortie au bois situé en face de chez moi : météo maussade oblige, il y a peu de promeneurs, et ça me fait un bien fou. J’ai une révélation : je me rends compte que j’en ai ras le bol de démarrer chaque journée en allumant mon ordinateur et que ça me coupe les jambes plus qu’autre chose ! Or, je commence à être sollicité en tant que dessinateur, il serait donc grand temps que j’adopte des habitudes plus motivantes… Et si je faisais un tour au bois chaque matin, du moins quand je n’ai pas d’autre raison de sortir de chez moi ?
Mardi 11 avril
10h : Comme prévu, je ressors faire une marche d’une demi-heure au bois : en rentrant, je suis suffisamment motivé pour retravailler le crayonné d’une BD de deux pages et fournir une page histoire à Côté Brest ! Le test est concluant, c’est une bonne habitude à prendre, d’autant qu’elle me permettra d’exploiter pleinement ma rapidité d’exécution dont j’ai pris pleinement conscience grâce au Patro chantant… J’entre peut-être dans la période la plus créative de ma « carrière » !
Mercredi 12 avril
20h30 : Quand les autres élèves du cours du soir m’ont parlé d’une « tempête », je croyais qu’ils exagéraient, même si je reconnaissais que le vent était un peu fort. Mais au Biorek brestois, le petit Alex me confirme que c’est bien de ça qu’il s’agit ! Il est même obligé de bloquer sa porte avec un tabouret : je me dis que ce n’est pas l’idéal pour attirer le client, les passants pourraient penser qu’il est fermé. D’un autre côté, un soir de tempête, il risque de ne pas y avoir beaucoup de passants…
Jeudi 13 avril
18h30 : Je ne comptais pas sortir en ville aujourd’hui ; finalement, j’y ai été contraint, entre autres parce que les cartouches de mon imprimante, que j’avais réussi à maintenir en état de survie artificielle jusqu’à présent, sont bel et bien vides et que j’ai absolument besoin de terminer l’impression de quelques documents. La manif est finie depuis longtemps, mais les bus sont toujours en grève, à raison d’un toutes les vingt minutes sur la ligne que j’ai l’habitude d’emprunter… Le retour est donc laborieux, d’autant que j’ai le malheur de partir en pleine heure de pointe et que le moteur du véhicule cale au moins trois fois ! Heureusement que je suis de bonne humeur en ce moment, mais voilà donc tout ce que j’aurai connu d’un mouvement de protestation qui laissera sûrement des souvenirs exaltants à ceux qui y auront participé ! Ils auront au moins eu la fierté de se battre pour la justice sociale, là où les « Gilets jaunes » avaient lutté, au départ, pour le droit de polluer… Pour ma part, je vais donc mourir idiot, mais après tout, combien de Français ont-ils connu Mai 68 sans se sentir (à tort ou à raison) concernés ?
Sans rapport : un cosmonaute breton plantant le Gwenn ah Du sur Mars - j'ai eu l'idée en entendant le fils d'une amie parler de son ambition de devenir cosmonaute ! Il a un peu changé d'idée depuis...
Vendredi 14 avril
15h : Me voici à Guilers, cette fois chez mes parents. Pourquoi ? Parce qu’une amie a eu la bonne idée de m’inviter à assister au concert du groupe de son nouveau fiancé, qui joue ce soir à l’espace Jean Mobian : c’était donc aussi simple de profiter du passage hebdomadaire de ma mère à mon domicile puis de dormir sur place pour ne pas m’embêter avec les transports en commun… J’en profite pour ressortir des étagères quelques vieux recueils de Spirou afin d’y retrouver des épisodes de Jojo, la série du regretté André Geerts dont je n’ai pas encore tous les albums : j’ai largement atteint l’âge d’être le père de ce sympathique petit bonhomme à casquette (son plombier de père doit être à peine plus âgé que moi), mais je n’ai pas honte d’être resté fidèle à cette bande dessinée qui parle de l’enfance avec justesse, sans l’idéaliser ni la noircir. Geerts montrait à quel point les enfants pouvaient être cruels entre eux et évoquait volontiers les épreuves que le destin peut leur faire prématurément subir (opération chirurgicale, mort prématurée d’un parent, etc.), mais il faisait avec une telle grâce, une telle délicatesse, qu’on ne peut pas être choqué : Jojo peut dire les pires grossièretés, jouer les tours les plus pendables à ses aînés voire pénétrer dans le bar à hôtesses tenu par sa grand’ tante, il n’est jamais vulgaire ! Au pire, on rit du décalage entre sa candeur juvénile et les situations dans lesquelles son créateur le plonge, au mieux, on a une larme parce qu’on s’identifie facilement à lui. Je n’ai pas honte de retomber en enfance en relisant ses aventures : et puis la maison où j’ai grandi est le lieu idéal pour ça, non ? Sans compter qu’avec des parents en (assez) bonne santé et toujours disposés à m’accueillir, je peux encore me le permettre… Merci, monsieur Geerts ! Quel dommage que vous soyez parti si tôt…
18h : Le conseil constitutionnel a validé la réforme des retraites. Je n’en suis pas étonné : Macron a agi de manière scélérate, mais à aucun moment il n’a enfreint les règles de la constitution. Qu’est-ce que ça signifie ? Que la constitution elle-même est scélérate, bien sûr ! Comment pourrait-il en aller autrement de la part d’une constitution rédigée par un crétin réactionnaire, militariste et idolâtre (Michel Debré) dans le but exclusif de satisfaire les ambitions de son Général bien-aimé ? Pas étonnant qu’elle déclenche des aberrations quand le pouvoir tombe dans les mains d’un individu dont la hauteur de vue n’égale pas, il faut bien le dire, celle de l’homme du 18 juin… Mais ne pensez pas trop vite que l’avenir politique de Macron est désormais bouché : il n’y a pas un an qu’il a été réélu, il lui reste encore quatre ans de présidence au cours desquelles bien des choses peuvent arriver (qui aurait pu prévoir la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, à quatre ans des dernières présidentielles ?) et, surtout, il est encore jeune : 45 ans ! En tant que chef d’État, il a encore toute la vie devant lui ! Pourquoi croyez-vous qu’il s’est permis aussi tôt une réforme qui ne pouvait ne pas être impopulaire si ce n’est parce qu’il sait que le temps est de son côté ? Vous me direz qu’il pourrait en être réduit à dissoudre l’assemblée ? Allons ! La cohabitation, ça a plutôt bien réussi à ses prédécesseurs ! Il ne nous le dira jamais, mais ça l’arrangerait plutôt qu’autre chose, de pouvoir décrédibiliser ses adversaires… Notez que ça ne me fait pas du tout plaisir de vous dire ça ! Mais ça m’étonnerait aussi que la colère s’éteigne dans les jours à venir : le ressentiment est énorme, les gens ont de moins en moins à perdre, les syndicats ont repris du poil de la bête… Je ne serais pas surpris que l’agitation sociale rebondisse ! Bref, l’avenir est plus qu’incertain : je ne vais pas sortir de sitôt de ma tour d’ivoire… Et j’espère surtout qu’il n’y aura plus de second tour Macron-Le Pen car je pense que j’aurai du mal à expliquer aux gens qu’il faudra voter contre l’extrême-droite pour sauvegarder leurs libertés !
Il parait que certaines entreprises ont du mal à recruter : ça ne va pas s'arranger...
19h10 : Le concert a déjà commencé, avec la prestation du GONG (Guilers Orchestra New Groove). Je m’étonne de ne pas avoir déjà vu mon amie, même si je sais que les horaires la stressent moins que moi – davantage, ce serait difficile ! Elle arrive enfin, accompagnée de son fils, un bel adolescent taciturne, et, surtout, de son nouveau fiancé, qui joue dans le second groupe qui doit se produire ce soir, le FAT (là, je ne sais pas ce que ça veut dire). Elle s’explique qu’elle a été retardée parce qu’elle a dû laver au dernier moment la tête de son fils… Qui avait attrapé des poux ! Je ne peux m’empêcher de repenser à ce qu’écrivait Cavanna en 1991 :
« Quand j’étais tout môme, les poux, ils appartenaient à la mythologie, comme les loups et les dragons cracheurs de feu. On aurait plutôt trouvé un loup-garou dans le bois de Vincennes qu’un pou sur la tête d’un enfant, même très pauvre ! Des fois, je tombais sur un vieux journal des années moustachues, j’y voyais une réclame pour la « Marie-Rose », « La mort parfumée des poux », j’appelais les copains, ça nous faisait marrer presque autant que les pilules pour faire revenir les règles qu’on trouvait dans les mêmes journaux. Enfin, vous qui êtes sensibles à la symbolique des choses, vous voyez sûrement ce que je veux dire : cette invention inouïe, la télévision, pour vendre un truc à tuer les poux… »[3]
Oui, je vois ce que vous vouliez dire, monsieur Cavanna. Je peux même ajouter qu’aujourd’hui, alors qu’on trouve dans la seconde des milliards pour financer un vaccin contre un virus qui n’est mortel que dans une infime proportion des cas et qu’on dispose d’engins qui mettent tout le savoir du monde à portée de main, on trouve encore des poux sur la tête de l’enfant d’une femme qui est propriétaire de sa maison, et qu’on trouve même des rats dans le hall d’une immeuble neuf dans une grande ville ! Le progrès à deux vitesses, ça ne s’est pas arrangé, trente ans après votre constat et dix après votre mort ! Je pourrais écrire « Revenez, ils sont devenus fous », mais non, vous aviez compris qu’ils l’ont toujours été, et puis si vous pouviez revenir parmi nous, même si vous avez écrit Stop-crève, vous ne voudriez sûrement pas rester…
20h : C’est au tour du FAT de jouer : le nouveau fiancé de mon amie (il a bien de la chance d’avoir conquis le cœur d’une si jolie femme) est batteur au sein de ce « groupe cuivré aux accents funk, jazz, rock festif ». Sincèrement, je passe un bon moment, d’autant que ça me donne l’occasion de m’exercer à dessiner des musiciens jouant des instruments à cuivre, ça me change des sempiternels guitaristes…
21h10 : Le concert est déjà fini, je reste quand même quelques minutes pour profiter de la présence de ma délicieuse amie et lier connaissance avec son nouveau fiancé qui est un batteur talentueux et s’avère bien sympathique. Je retrouve ainsi un homme que j’ai connu quand il travaillait encore à Guilers : il me demande des nouvelles de ma famille, et notamment de mon frère. Ne sachant comment lui annoncer plus clairement que ce dernier s’assume désormais en tant que femme transgenre, je lui dis que « Benjamin est devenu Bénédicte ». Il me répond : « Ah, il est entré dans les ordres ? » Je ne sais pas s’il me fait une blague ou si j’ai mal prononcé… Mais pour croire qu’un membre de ma famille pourrait devenir religieux, il faut bien mal la connaître !
21h30 : Heureusement que mes parents n’habitent pas loin de l’espace Jean Mobian : je dois reconnaître qu’il n’est pas très agréable de rester dehors le soir par ce mois d’avril pourri, surtout à deux pas de ces pavillons où les lumières sont encore allumées, laissant entrevoir au promeneur attardé et transi de froid que certains de ses semblables finissent la soirée à l’abri du froid, dans un chaud cocon familier, en compagnie de ceux qu’ils aiment… Bref, ces félicités domestiques, je les goûte à mon tour avec les auteurs de mes jours devant N’oubliez pas les paroles : ce soir, c’est le « tournoi des maestros ». Je ne suis pas un fou des blagues de Nagui, mais il est encore à cent pieds au-dessus de la plupart des animateurs qui sévissent aujourd’hui sur « l’étrange lucarne » et je ne renie pas qu’il a fait rire l’enfant que j’étais à l’époque de la « brosse à dents ». Quant à l’émission en tant que telle, quitte à voir des inconnus acquérir un certain niveau de notoriété, je préfère que ce soit en chantant et en faisant montre de leur culture générale (car connaître par cœur les paroles d’une chanson, on ne peut pas dire le contraire, c’est avoir une certaine culture) plutôt qu’en s’exhibant en maillot de bain comme les bellâtres et les pétasses de la télé-réalité… Bref, regarder cette émission de divertissement en compagnie de mes chers parents n’est pas la façon la plus détestable de terminer la journée, bien au contraire, même si j’ai bien conscience que je ne regarderais pas ça tout seul et même si je n’apprécie pas toutes les chansons interprétées : quand les candidats doivent chanter du Balavoine, je ne fais aucun commentaire pour ne pas allumer de conflit avec ma mère qui ne partage pas le dédain que m’inspire l’œuvre de cet auteur-compositeur-interprète. Je suis de bonne humeur et j’ai le vent en poupe, je ne vais pas tout gâcher à cause d’un chanteur qui n’en vaut pas la peine, non ?
Puisqu'on parle de télé (c'est la première fois que je dessine Camille Combal) :
Samedi 15 avril : il ya 571 ans naissait Léonard de Vinci
12h30 : Après une bonne nuit de sommeil, mon père m’a reconduit jusqu’à mes pénates. Je n’y suis pas resté longtemps, juste le temps d’y déposer mes affaires et de repartir pour Saint-Martin, plus précisément à L’œil du citron, espace de création poétique ou artistique où Slamity Jane donne la première de son spectacle consacré aux violences faites aux femmes et à leurs combats pour leurs droits : j’ai ainsi l’occasion de découvrir ce lieu un peu spécial dont on m’avait souvent parlé mais où je n’avais encore jamais osé m’arrêter. Slamity se produit dans la vitrine, le public la regarde donc depuis l’extérieur : les responsables de L’œil du citron ont installé des bancs avec des couvertures, mais certains spectateurs préfèrent suivre le spectacle depuis le trottoir d’en face pour pouvoir être au soleil ! Heureusement que la slameuse a la voix qui porte, comme Dalida ! La comparaison s’arrête d’ailleurs là : autant je trouve Iolanda Gigliotti risible malgré sa fin tragique, autant Claire Morin m’émeut. Ses textes sont forts et parlent magnifiquement de ce qu’endurent les femmes bafouées, méprisées, battues ou violées, ils n’ont même pas l’inconvénient d’être agressifs envers les hommes – sauf pour les cons, bien sûr. Je verse quelques larmes et je suis fier d’être ami avec une si grande artiste…
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] CAVANNA François, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 17.
[2] Ce n’est pas parce que ces deux chansonniers ont mal tourné chacun à leur façon qu’il faut oublier tout le plaisir qu’ils nous ont apporté et qu’ils nous apportent encore quand on prend la peine de réécouter leurs chansons.
[3] CAVANNA François, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 238-239.
Samedi 1er avril
16h40 : J’arrive à la Maison Pour Tous de Saint-Pierre pour assister à une conférence sur l’évolution du littoral de cette ancienne commune devenue un quartier de Brest. Une dame me reconnaît tout de suite : bien entendu, je suis incapable de me rappeler dans quel contexte je l’avais rencontrée, encore moins de mettre un nom sur son visage. Malgré cela, elle me félicite pour mes chroniques historiques : et si c’était ça, la notoriété ?
La dame qui m'a accueilli. Renseignement pris, il s'agirait de Nelly Menez, présidente de l'association "Mémoire de Saint-Pierre".
17h : La conférence commence ; c’est une causerie à plusieurs voix, où chaque intervenant revient sur l’histoire d’un secteur bien déterminé de Saint-Pierre-Quilbignon. C’est intéressant, mais un peu trop fragmentaire pour que je puisse vraiment en tirer un article. Je retiens tout de même l’histoire de la « Maison de l’espion » qui est digne d’un roman de cape et d’épée ! L’histoire du quartier est riche en anecdotes diverses, mais on peut lui trouver un « fil conducteur », à savoir la transformation assez radicale de la côte du fait de l’emprise militaire : là où les promeneurs et les baigneurs s’égayaient encore jadis, il n’y a plus que du béton et des ferrailles conçues pour tuer, seule la plage de Sainte-Anne-du-Portzic offre une oasis de vie sur ce littoral dénaturé pour servir l’instinct de mort… À bas toutes les armées !
18h45 : Je me dirige vers l’arrêt de bus : pour une fois, j’ai de la chance, la station est à deux pas du bâtiment et la ligne mène directement à Lambézellec. Mais toute médaille a son revers : à peine me suis-je approché de l’abribus qu’une espèce de cas social, qui a l’air issu d’une union consanguine, me regarde avec agressivité. Ce résidu vivant se fait de plus en plus menaçant et je me précipite vers le panneau d’affichage des horaires : une jeune femme, accompagné d’une petite fille, me dit que le prochain bus arrive dans cinq minutes. Je devrais la remercier, mais hélas, le « kassos » est arrivé au bout de ma patience, déjà entamée par le fait que je rentre presque bredouille de la conférence. Résultat : j’éclate et je lui réponds, un peu trop sèchement, « Je ne vous ai rien demandé » ! Le ton peu amène de ma réponse me vaut la réprimande d’un autre individu qui carbure à la Desperados en pleine rue : dans ces cas-là, je ne réplique jamais. Mais c’est injuste : je m’interdis de répliquer aux gens qui me cassent les pieds, pour peu que je les sente dangereux, je garde donc ma colère pour moi au lieu de l’extérioriser et, au final, ce sont des innocents qui paient pour les autres ! Je présente mes excuses à la jeune femme et je me tiens à distance respectable des deux cas sociaux : par bonheur, le bus arrive effectivement assez vite et ils s’installent loin de moi…
Le 1er avril, c'est aussi l'anniversaire de Fluide Glacial : cette année, l'illustre revue a déjà 48 ans, dont zéro avec pub, bravo à elle !
Cette photo me représente avec le numéro de mon magazine préféré daté du mois de ma naissance : une couverture d'Edika, j'aurais pu tomber plus mal...
Dimanche 2 avril
15h30 : Me voici au Centre Social de Kerangoff pour assister au tour de chant de mon camarade Mikaël Tygréat, alias Miika Bjørn, que je n’avais plus revu depuis trois mois. Il faut dire qu’entre ses articles pour Le Télégramme et la naissance de son deuxième enfant, il a été bien occupé ces derniers temps, surtout s’il a consacré le peu de temps qui lui restait à sa carrière de chanteur. La salle est presque pleine, je suis assis au premier rang, juste à côté de la femme de mon amie, de son fils aîné et, donc, de son petit dernier, un beau bébé joufflu d’un mois et demi… Mikaël chante : au programme, des reprises de Gauvain Sers et de Renaud, ce qui n’est pas nouveau venant de lui, mais aussi, ce qui est encore inhabituel, de Patrick Bruel ! Apparemment, c’est un ami commun qui lui a conseillé de reprendre le répertoire du chanteur pied-noir. Encore de la chance qu’il ne lui ait pas suggéré de reprendre Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman ou, pire, Benjamin Biolay ! Je ne suis pas fan de l’interprète de « Casser la voix », mais je reconnais que son univers correspond bien à mon vieux complice. Cela étant, la chanson qui me fait le plus vibrer est « Si tu me paies un verre », le titre de Serge Reggiani repris récemment par Renaud…
Vous pouvez réécouter la reprise des "Oubliés" par Miika et la merveilleuse Audrey Raguenes :
16h10 : Entracte : Miika a chanté ses sept chansons comme prévu, il va céder la place à la Chorale des Capucins. Je ne suis pas fou des chorales, mais quitte à avoir pris le bus un dimanche, surtout pour traverser la ville d’un bout à l’autre, autant rester jusqu’à la fin, ne serait-ce que pour profiter pleinement de la présence de mon camarade et de sa famille. Avant de laisser le public profiter des gâteaux que les jeunes du quartier ont préparés, les organisateurs rappellent que le concert est gratuit mais qu’une collecte est organisée au profit d’une association qui œuvre pour aider les jeunes migrants à se loger et à s’intégrer. Il est ainsi question d’un jeune garçon qui a dû passer devant le juge pour qu’il soit reconnu comme majeur ! Ce genre d’histoire me choquera toujours… Toutefois, la collecte permettra de récolter presque 500 euros : ça redonne espoir ! Tous les Français ne sont pas xénophobes…
16h45 : La chorale chante. Miika se joint à elle pour trois chansons : curieusement, il préfère rester en retrait, on ne le voit même pas (même si on l’entend) pour la reprise de « La ballade nord-irlandaise » ! On ne pourra pas lui reprocher de tirer la couverture à lui. Le tour de chant de la chorale a au moins le mérite de me faire retrouver un nom que j’avais oublié. Vous vous souvenez de la fameuse pub pour la CNP où l’on voit, en un long travelling, un petit garçon, portant un étui à violon, grandir jusqu’à devenir grand’ père ? Et bien la musique de fond de ce spot devenu culte est une valse composée par Dimitri Chostakovitch – pas étonnant que j’aie du mal à retenir un nom pareil ! Au moins, comme ça, j’ai pu retrouver facilement cette mélodie qui est vraiment magnifique à écouter, sans pour autant me taper la réclame pour la compagnie d’assurances – entre nous, faire croire que la vie est belle, c’est déjà de la pub mensongère !
17h30 : Je repars en bus. Je remarque qu’il y a beaucoup de jeunes avec des valises, il y en avait déjà pas mal à l’aller. Sans doute des lycéens ou des étudiants qui reviennent d’un week-end chez leurs parents : j’avoue que je n’en avais jamais vu, du moins pas autant ! Qu’on ne me dise plus, après ça, que les transports en commun sont moins utiles le dimanche…
Le 2 avril, c'est aussi l'anniversaire de la naissance de Hans Christian Andersen, né il y a exactement 218 ans. Nous lui devons, entre autres, La petite sirène...
Encore une variation sur la rencontre entre Hazel, la sorcière de Chuck Jones, et Miss Red, la pin-up de Tex Avery.
Lundi 3 avril
10h30 : Je sors en ville pour prendre quelques photos ; j’ai eu l’idée de faire une chronique qui complèterait la double page sur les escaliers remarquables sur la ville de Brest parue récemment dans Côté Brest. Au programme de mes pérégrinations photographiques, il y, a entre autres, les vestiges d’un escalier de Recouvrance : ceux-ci sont situés dans une rue que je ne connais pas, derrière un poste de relevage des eaux usées… Heureusement, je trouve assez facilement l’endroit : mais mes recherches me valent tout de même de me faire réprimander par une automobiliste ! Il est vrai que la configuration des lieux est si bizarre que je ne remarquais plus que je marchais sur la voie carrossable… J’ai un peu de mal à trouver un bon angle pour mon cliché : les vestiges ne sont pas vraiment mis en valeur et le lieu est souillé de détritus divers, notamment des bouteilles probablement laissés par des pochards mi-zonards mi-fêtards… La rédactrice en chef m’a dit un jour que je devais faire parler ma féminité pour faire de bonnes photos : le problème, c’est que trop de gens font hurleur leur masculinité à certains endroits !
Les vestiges en question :
Un autre escalier, situé à deux pas de mon immeuble :
Le lavoir auquel il mène :
11h30 : Le dernier escalier que j’avais prévu de photographier relie le Cours Dajot au port de commerce. En le photographiant, je remarque que Le Fourneau, ce haut lieu de création artistique installé sur le port, arbore sur sa façade arrière (la porte d’entrée fait face à la mer) une grande affiche similaire à d’autres, de format plus modeste, qui ont fleuri en ville dernièrement et qui m’ont intrigué : je croyais que cette liste de revendications était liée à l’agitation sociale actuelle, mais je m’étonnais de la retrouver dans le bus ! En bon « journaliste », je me rends donc au Fourneau pour recueillir l’information sur place : on me confirme que ces affiches ont toutes été collées à la suite « d’impromptus » qui ont été joués aux quatre coins de la ville en attendant une grande représentation devant le Quartz en travaux. Il n’y a donc aucun rapport avec le conflit actuel, même si cette expression utopique et poétique est tout de même une belle réponse à la rudesse avec laquelle le peuple est traité depuis quelques années…
L'escalier en question :
L'affiche mystérieuse en question :
Mardi 4 avril
11h : Je suis convoqué à un endroit où je déteste particulièrement aller : au Pôle Emploi… Comme chaque année, on s’assure que je fais bien mon boulot de chômeur ! Fort heureusement, la conseillère qui m’accueille est vivement impressionnée quand j’énumère toutes mes activités : elle m’annonce même que je vais bénéficier d’un changement de catégorie, ce qui veut dire qu’au lieu d’être considéré comme un cas social qu’il faut épauler à tout prix, je vais être officiellement reconnu comme un créateur qui fait tout son possible pour s’en sortir ; ça devrait me mettre à l’abri des travaux forcés et des formations obligatoires… Je compte une admiratrice de plus !
11h45 : Déjeuner au Biorek brestois pour me remettre de cette sortie tout de même peu agréable. J’arrive à l’ouverture, Alexandre m’accueille joyeusement : comme il ferme le lundi, je suis son premier client de la semaine. Tout en savourant mes boreks, je réalise que je suis épuisé, comme à chaque fois que je viens de surmonter une épreuve. Ce n’est pas aujourd’hui que mon travail va avancer de façon spectaculaire…
Mercredi 5 avril
15h : En attendant de sortir en ville et de récupérer un colis avant d’aller au cours du soir, j’ai consacré l’après-midi à un projet de bande dessinée. J’avoue que ce projet m’enthousiasme et m’effraie à la fois car il s’agit tout de même d’un travail à long terme, qui devrait compter une soixantaine de pages ! Comme il y a longtemps que je n’ai plus vraiment fait de BD, je me suis donc demandé si j’allais m’en tirer. Mais je m’étonne moi-même : j’ai crayonné deux pages complètes en deux heures seulement ! En fait, je serais beaucoup plus productif si je me posais moins de questions, si je n’étais pas à ce point persuadé que je vais rater mon coup…
16h30 : J’ai récupéré mon colis : comme j’ai encore de la marge avant l’heure du cours, je m’arrête dans un café pour l’ouvrir tout en sirotant un thé noir. J’ai ainsi l’occasion de retrouver mon vieux copain Jojo. Mais non, pas Jean-Philippe Smet, déconnez pas ! Je parle de Jojo, la bande dessinée du regretté André Geerts. J’avais découvert ce brave petit môme à casquette dans le Spirou des années 1990 et j’essaie de compléter ma collection de ses albums (il m’en manque pas mal) : treize ans après la mort de l’auteur, je reste émerveillé par cette série qui chante l’enfance sans l’idéaliser. Son monde est tendre et poétique, mais il n’est jamais mièvre, Geerts ne passe pas sous silence la cruauté infantile : un album emblématique à cet égard est bien entendu Le mystère Violaine où une petite fille pas très jolie et rejetée par ses camarades en est réduite, pour se faire des amis, à commettre un larcin de poids dans le bureau du directeur… Ayant été victime de harcèlement à l’école, je m’identifie beaucoup à cette fillette malheureuse, mais j’ai aussi un faible pour ce « dirlo » apparemment sévère qui n’est lui-même, en fin de compte qu’un grand enfant... Geerts était un magicien : il arrive encore à m’émouvoir alors que je ne suis pas du tout nostalgique de mon enfance, et ses petits personnages peuvent dire les pires grossièretés sans être vulgaires ! De toute façon, Jojo disant « chiant », « con » ou « merde » sera toujours moins vulgaire qu’Hanouna disant « salut » ! Oups ! Je ne devrais pas parler de cet individu… Ayons plutôt une pensée pour Geerts, ce grand poète parti trop tôt, emporté par le cancer à la veille de ses 55 ans ! Avouez que ce n’est pas… Jojo !
17h30 : Je suis quand même arrivé en avance à l’école ; je taille le bout de gras avec une élève qui arrive plus tôt qu’à son habitude. Celle-ci est comme deux ronds de flanc quand je lui dis que j’ai bientôt 35 ans ! Elle m’en donnait facilement six de moins… Quand j’étais collégien, on me trouvait plus mûr que les autres : je n’explique pas complètement ce renversement qui, certes, ne me déplait pas outre mesure, mais qui m’intrigue tout de même. C’est vrai qu’avec mes cheveux longs, ma barbe, ma marinière mes jeans et, surtout, mon train de vie de cigale, je fais un trentenaire atypique : normalement, à mon âge, je devrais avoir le poil taillé à ras, porter la chemise et le pantalon de lin, et, surtout, mener la vie de dingue de l’employé de bureau standard. Seulement voilà : tout ça, j’ai déjà donné quand j’étais étudiant, quand je n’étais pas encore diagnostiqué ! Alors aujourd’hui, je rattrape le temps perdu….
18h : Au cours, nous essayons de boucler une petite BD de dix images consacrée à une journée particulière : j’ai jeté mon dévolu sur le jour de l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine, où j’avais justement rencontré deux ressortissantes de la nation martyre… Comme pour confirmer la surprise que j’ai eue cet après-midi, j’arrive à boucler mon travail dans les temps : tout le monde n’a pas cette chance. En tout cas, je n’exclus pas de raconter d’autres journées marquantes de cette manière ça pourrait peut-être m’aider à surmonter bien des traumatismes.
En attendant, voici ce que ça donne :
Voici la vidéo réalisée par les Ukrainiennes :
20h45 : Scène ouverte au Café de la Plage. Je fais trois slams dont « Je suis à l’ouest », qui me vaut les applaudissements les plus nourris, et j’arrive à vendre une caricature. Du côté des autres artistes, je retrouve quelques-uns de mes chouchous, dont Carlos l’espagnol qui, pour la première, fois est venu avec son groupe, ou Slamity Jane qui nous interprète son texte portant son nom de scène. Je suis moins convaincu par le duo « Les chaleurs fatales » qui prend un temps fou à se préparer pour un résultat qui n’est pas tellement transcendant… Elles sont de toute façon largement coiffées au poteau par mon autre chouchoute, la délicieuse Morgane, dont la reprise de « La tendresse » de Bourvil arrache des larmes à plus d’un ! Je décide d’ailleurs de partir tout de suite après sa prestation pour être sûr de rester sur un bon souvenir… Et puis je ne vois pas qui pourrait faire mieux qu’elle ce soir !
A gauche : Mequi, le grand ordonnateur des scènes ouvertes au Café de la Plage. A droite: l'excellentissime Carlos.
Les "Chaleurs fatales", un duo qui semble faire l'unanimité - mais je suis moins convaincu.
A gauche : Slamity Jane. A droite : Morgane.
Mequi
Morgane
Vous voulez entendre le slam "Je suis à l'ouest" que j'ai joué ce soir ? Le voilà :
Jeudi 6 avril
Un petit croquis réalisé en attendant mon rendez-vous :
10h30 : À une heure où se poursuit une guerre que le gouvernement a déjà perdue dans l’opinion, y compris au-delà de nos frontières, je préfère retrouver à la PAM un ami photographe que j’ai rencontré au marché de Noël de Plougonvelin. À cette heure-ci, il n’y a pas grand’ monde dans la nef de ce haut lieu brestois, c’est parfait pour avoir une conversation. Je me pose beaucoup (trop) de questions en ce moment, et entendre ce collègue artiste me raconter son parcours me réchauffe le cœur… Au bout de trois quarts d’heure, deux petites filles, vraisemblablement libérées par la grève des enseignants, nous demandent si elles peuvent s’installer sur le canapé où nous nous sommes assis : elles sont trop mignonnes, nous n’osons pas refuser, nous leur laissons la place… Je serais trop sensible pour être père.
12h : Déjeuner à la friterie. De là où je suis assis, je peux voir passer quelques manifestants avec leurs pancartes et leurs drapeaux. C’est tout ce que j’aurai vu du mouvement ! J’avoue que je n’arrive pas à me sentir concerné : il y a eu trop de décès prématurés autour de moi pour que je prenne au sérieux l’inquiétude de ce qu’on deviendra après soixante ans ! J’aurais déjà été bien content si ma tante, qui a été emportée par le cancer il y a exactement dix ans, avait seulement pu atteindre cet âge-là… Mais je ne ferai pas reproches aux protestataires : c’est le gouvernement qui a tort de s’accrocher à un modèle économique d’un autre temps. On dit que cette colère profite au RN : soyez sérieux, vous croyez vraiment que des gens qui luttent pour la justice sociale et la démocratie (car c’est bien de ça qu’il s’agit, non ?) seraient assez stupides pour voter pour l’extrême-droite ? On nous prend vraiment pour des…
13h : J’attends le tram pour aller à Pontanézen, plus précisément à l’espace Kerlivet où je dois rencontrer un jeune homme en situation de handicap qui a besoin d’un illustrateur. J’attends à la station « Jean Jaurès » : en raison de la manifestation, le tramway ne va pas plus loin. De surcroît, il ne passe qu’un tram toutes les vingt minutes : pour une fois, on ne pourra pas me reprocher de partir en avance ! Comme à chaque fois que les choses ne se passent pas comme d’habitude, je suis légèrement perturbé…
14h : Arrive à l’espace Kerlivet, je montre mon travail au jeune handicapé, accompagné de deux professionnels de santé (ces gens sont des seigneurs !) dont une qui me sert d’interprète car je ne comprends rien à ce qu’il dit. Malgré la maladie dégénérative qui est en train de le ronger, il a visiblement toute sa tête, ce qui veut dire qu’il se rend forcément compte de son état, je n’en admire que davantage le pouvoir de résilience dont il fait montre… Comme je sais ce que c’est d’être en situation de handicap et qu’il y a une belle somme pour moi si j’illustre son scénario, je ne laisse rien paraître de la pitié qu’il m’inspire : mais quand je pense à ce garçon qui sera probablement déjà un légume à la quarantaine, je ne me soucie que d’autant moins de la question de l’âge du départ en retraite…
15h30 : Je suis rentré au bercail, épuisé. Je renonce à la scène ouverte de ce soir, où ma participation avait pourtant été annoncée dans la presse : avec la grève, je n’aurai probablement pas pu rentrer chez moi, à moins de traverser la ville à pied, de nuit, avec mon matériel sur le dos et, de surcroît, en tenue de scène… Je prends quand même la précaution de prévenir l’animatrice, au cas où quelqu’un viendrait pour me voir. Malgré ma sympathie spontanée pour le mouvement, je ne peux m’empêcher d’être las de ce contexte agressif, surtout s’il m’empêche de m’amuser… Même pas : d’exercer mon métier !
Avant de vous laisser, voici quelques variations dont j'ai le secret : je vous en ai déjà parlé, j'étais parti de ce dessin représentant un modèle que nous avons eu aux Beaux-arts l'année dernière...
Je me suis donc amusé à l'habiller, à la colorier, à la recoiffer, à l'installer dans des décors... Bref, à lui faire jouer plusieurs personnages. Voici donc une quinzaine de variations - il y en a d'autres que je vous monterai ultérieurement, quand l'occasion se présentera :
En africaine :
En ange :
En Marin quand, dans un délie hallucinatoire, elle se voit devenue une belle adulte dans l'épisode 15 de l'anime Brigadoon - si vous ne comprenez rien à ce que je viens de dire, reportez-vous à la vidéo que vous découvrirez en suivant ce lien.
En diablesse :
En Êve face au serpent :
Dans un harem :
En Laureline, la compagne d'aventures de Valérian - et non, ce n'est pas Jeanne d'Arc !
En Marge Simpson :
En Martienne :
En femme de manège :
En Melmo - si vous ne connaissez pas cette héroïne d'Osamu Tezuka, reportez-vous à la vidéo que je lui ai consacrée et que vous découvrirez en suivant ce lien.
En Moonbeam McSwine, la sublime porchère de Li'l Abner qui préfère les cochons aux humains - si vous ne connaissez pas cette excellente bande dessinée américaine due au génail Al Capp, vous êtes bien à plaindre, mais reportez-vous à la page qui lui est consacrée sur le site BD oubliées.
En Petit chaperon rouge :
En schtroumpfette - et oui, elle n'est pas une vraie blonde ! Je vous rappelle que c'est le grand schtroumpf qui l'a teinte ! Pourtant, les brunes ne schtroumpfent pas pour des prunes...
Et enfin, en Tarzane :
Attendez, ne partez pas ! Il faut encore que je vous montre cette vidéo :
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !