Du 30 avril au 5 mai : La fibre optique, je m'en balance !
Commençons par lever le voile sur le petit mystère de la semaine dernière : cette vieille dame était émue de voir son fils planter le drapeau breton sur Mars ! Et oui, on peut rêver, non ?
Dimanche 30 avril
9h45 : J’étais bien décidé à profiter de ce week-end prolongé pour me prélasser chez moi ; mais en consultant mon agenda, je me rappelle que je me suis inscrit pour une visite guidée du quartier Saint-Martin ! J’avais complètement oublié ! C’est la première fois que ce genre d’omission m’arrive ! Décidément, j’aurais tout eu en avance, dans ma vie : l’accès à la lecture, la puberté, le baccalauréat et même la maladie d’Alzheimer ! Je comprends mieux pourquoi la précocité effrayait autant Cabu…
14h30 : Au niveau de la place de Strasbourg, j’avise une publicité pour un centre de remise en forme avec, pour accroche, « Soyez en forme pour l’été ». C’est quand même paradoxal, non ? En principe, l’été, c’est la saison où on se repose, on n’a donc pas besoin d’être en forme pour ça : c’est à la fin de l’été qu’on est censé avoir retrouvé la forme, pas au début ! Qu’est-ce que ça signifie donc, « Soyez en forme pour l’été » ? Est-ce qu’on reconnait officiellement que la majorité des gens passent leurs vacances de telle façon qu’ils rentrent encore plus fatigués qu’à l’aller ? Et que ce qu’on appelle les vacances, loin de servir à reconstituer nos forces, ne sert qu’à nous faire vivre dans des conditions que l’on jugerait intolérables si elles nous étaient imposées et, ainsi, à nous rendre supportable l’existence mortelle que nous menons le reste de l’année ? Non, ce serait trop beau : il est plus probable que l’on nous exhorte à nous sculpter des corps que nous n’aurons pas honte d’étaler sur les plages et à avoir suffisamment d’énergie pour draguer des Marie-couche-toi-là en dansant sur le « tube de l’été »… En somme, on devrait reformuler ce slogan en « Soyez en forme pour vos vacances à la con » !
14h45 : J’arrive au point de ralliement, devant l’église Saint-Martin. Que certaines personnes me reconnaissent, j’y suis déjà plus ou moins habitué : la guide-conférencière commence à savoir qui je suis et il est logique que j’y retrouve un autre habitué des événements consacrés à l’histoire de Saint-Pierre-Quilbignon. Il est en revanche plus surprenant pour moi d’y retrouver la prof de chinois de la faculté et une élève du cours du soir, accompagnée de son conjoint ! Cette dernière ne connait pas très bien Brest où elle ne réside que depuis peu, sa curiosité est donc légitime ; la prof, en revanche, m’avoue qu’elle ne sait presque rien de cette ville où elle réside pourtant depuis déjà des années. Comme quoi, même les meilleurs d’entre nous ne sont pas à l’abri d’une panne de curiosité ! N’empêche qu’une chercheuse reconnue qui n’a pas le réflexe de s’intéresser à ce qu’elle a à portée de main, ça me rappellera toujours cette phrase : « Les hommes veulent atteindre la lune mais personne ne semble s’intéresser au cœur humain qui bat. » Tiens, à ce propos, savez-vous de qui est cette citation pleine de bon sens[1] ?
15h15 : Alors que nous sortons déjà du lavoir Saint-Martin, tandis que ma jeune camarade du cours de dessin roucoule avec son amoureux, une dame discute avec la prof de chinois et avance qu’avant d’être annexée, la commune de Lambézellec était plus grande que Brest : je prends donc la liberté de préciser que ce n’est pas exact, que « Lambé » n’était « que » la commune rurale la plus étendue de France, ce qui n’est pas exactement la même chose. J’ai dit ça sans malice, simplement pour faire profiter autrui de mes connaissances, mais cette vieille peau a une drôle de façon de me remercier ! « Oui, bon, on va arrêter de bouillir sous la casquette, hein ! » Elle peut penser ce qu’elle veut de mon look, je n’en ai rien à foutre, mais pourquoi se met-elle à être désagréable ? Je me crois presque revenu au temps du collège, quand mes « camarades » me reprochaient de participer trop activement aux cours…
16h30 : La visite se poursuit sur la place Guérin : à mon grand soulagement, je constate que si les engins de chantier ne l’ont pas encore désertée, ce n’est plus le trou béant que j’ai vu il n’y a pas si longtemps encore ! L’organisation de la Foire aux croutes ne devrait donc pas être trop perturbée… Naturellement, la guide est bien obligée de parler du terrain de l’Avenir : la dame qui a été désagréable avec moi en parle avec un tonnage de condescendance intolérable ! Elle en parle comme d’une « friche » ! Une friche ! Cet endroit sur lequel un promoteur véreux (un pléonasme, excusez-moi) a failli déposer un étron de béton qui aurait tourné arrogamment le dos à cette place qui est pourtant un poumon culturel historique de la ville, le collectif qui l’occupe depuis quelques années déjà en a fait un lieu de vie, de culture et de réflexion au cœur de notre civilisation de mort, d’ignorance et de panurgisme ! Et cette idiote le qualifie de « friche » ! Elle doit voter Malgorn…
Lundi 1er mai
10h15 : Alors que des milliers de personnes sont en train de manifester pour défendre la démocratie et la justice sociale et militent pour un avenir meilleur, je suis en train de me promener dans le bois en face de chez moi. Et je n’ai pas honte ? Non ? Même pas un petit peu ? Décidément, on ne se connait jamais assez…
Mardi 2 mai
12h30 : Enfin délesté du surplus de cheveux que je m’étais résigné à garder il y a deux semaines, j’attends le bus pour rentrer à Lambé. Mais celui-ci est en retard et je grille en plein soleil, au milieu d’autres voyageurs tout aussi impatients que moi, avec des gosses surexcités et des blaireaux qui imposent leur musique sur la voie publique. Bruit, chaleur, lumière : le tiercé perdant pour moi ! Ça ne rate pas, j’ai une crise et je hurle « Silence » aux mômes ! Bien sûr, moi qui adore les enfants, je m’en veux aussitôt… Ça y est, je me rappelle pourquoi je déteste les « beaux jours » ! À ma décharge, on ne m’ôtera pas de l’idée que quand j’étais petit, ma mère ne m’aurait jamais laissé… Bon, j’arrête là, on va dire que je radote.
Quelques croquis : chez la coiffeuse...
...et dans une rue de Saint-Martin.
14h10 : Arrivée du jeune stagiaire de quatrième que j’ai accepté de recevoir : ça ne me rapporte rien mais c’est valorisant, y compris en terme d’image de marque. Après lui avoir expliqué comment je travaillais, je l’emmène au bois pour faire du croquis sur le vif, ce qui ne lui était jamais venu à l’esprit ! Je suis fier comme un pou d’être dans le rôle du maître accompagné de son disciple, même si je ne suis pas sûr d’être un excellent pédagogue : l’exemple de Delphine m’est très précieux dans cet exercice encore nouveau pour moi…
Mercredi 3 mai
10h : Il devenait urgent que je rachète du matériel. En me rendant à Artéis, je vois une affiche publicitaire montrant une pin-up rousse au bord d’une piscine : je me demande bien ce qu’on peut vendre avec cette représentation dépassée de la féminité ! Mais en me rapprochant, je découvre que la pin-up en question n’est autre que la magnifique et talentueuse Audrey Fleurot et que le « produit » dont l’affiche fait la réclame est la série HPI dont l’actrice est la vedette… Malgré tout le respect que j’ai pour cette comédienne, je me demande s’il n’y a pas une erreur de casting ! Une femme si belle dans le rôle d’une bonniche, fût-elle à haut potentiel intellectuel, on n’y croit qu’à moitié : ils auraient dû prendre Yolande Moreau, que je trouve ravissante elle aussi, mais qui aurait été mille fois plus crédible ! Maintenant, j’imagine sans peine qu’aux yeux des producteurs, la plastique d’Audrey Fleurot était plus vendeuse : l’exemple de Corinne Masiero jouant le Capitaine Marleau a pourtant montré que le succès n’est pas une affaire de sex-appeal… Y a du boulot, les filles !
10h15 : Une commerçante arrangeante, ça existe encore ? Oui, la preuve : chez Artéis, comme ils n’ont toujours pas de cartouches Pentel vendues sans le feutre-pinceau que je possède déjà, la vendeuse consent à ouvrir un étui contenant un feutre-pinceau et des cartouches afin que je n’aie à acheter qu’une pochette contenant quatre cartouches ! Au vu de l’état de mes finances et de la nécessité absolue dans laquelle je me trouve d’arriver armé à la foire aux croûtes, je ne puis que la recommander auprès d’Hermès ! Ô dieu des commerçants, accorde ta protection à cette femme qui a su préférer le service rendu au client au sordide bénéfice accumulé sur la vente forcée d’un outil dont je n’avais pas besoin !
16h30 : Étant assez chargé, j’ai finalement décidé de prendre le bus pour me rendre au cours du soir. Mauvaise idée : non seulement c’est l’heure de pointe mais, avec toutes les déviations qu’il y a en ville en ce moment, la circulation est un vrai cauchemar ! Au final, je n’arrive pas plus tôt que si j’étais parti à pied et, par-dessus le marché, je suis fatigué et stressé d’avoir dû faire mille détours en compagnie d’une foule d’inconnus agressifs… On ne se méfie jamais assez des solutions de facilité.
20h30 : On est le premier mercredi du mois, c’est le soir de la scène ouverte au Café de la plage : je suis arrivé sur place, non sans mal ! Aux déviations vient s’ajouter la foule en ville, due à un match de football opposant Brest à Nantes : je regrette déjà les manifestations contre la réforme des retraites… Enfin, je suis là, c’est le principal : je m’installe donc à une table avec tout mon matériel habituel et je profite de l’absence de public pour corriger mon dessin réalisé au cours du soir, qui me semble comporter une erreur : quand je sors mon œuvre, celle-ci impressionne vivement une charmante jeune femme qui s’empresse de me poser des questions et me demande si ça m’intéresse de collaborer avec elle sur un projet de bande dessinée. J’accepte évidemment et je lui fais sa caricature dans la foulée. Chaque fois que je montre mon travail, le public semble m’être favorable, du moins la frange qui s’intéresse un tant soit peu au dessin : si on me demande pourquoi je ne suis pas davantage édité, je répondrai que je n’en sais rien et ce ne sera pas une pirouette…
Ma charmante cliente et sa caricature :
21h50 : La scène ouverte a démarré avec un certain retard, le temps pour le public de se décider à délaisser la terrasse et à entrer dans l’arrière-salle. Après un tour de chant de Mequi et le passage de deux jeunes gens (une svelte demoiselle qui déclamait de la poésie et un gros garçon qui jouait un sketch), mon tour est arrivé : j’ai installé ma caméra afin de pouvoir me filmer interprétant trois de mes slams. Est-ce la pression supplémentaire qu’apporte la caméra ou la chaleur encore écrasante qui règne dans le bâtiment ? Toujours est-il que, d’après Mequi, je parlerais plus vite que d’habitude ! J’aurais pourtant du mal, autant imaginer Bernadette Malgorn dire plus de conneries que d’ordinaire ! À ceci près, bien sûr, qu’elle, je l’en crois capable… Comme il me reste un peu de temps et que je ne sais pas trop quoi faire d’autres, je joue mes « Élucubrations ». Je ne sais pas si mon débit oratoire est vraiment plus soutenu, mais de toute façon, le public semble apprécier ! Ou alors, c’est qu’il fait bien semblant…
Quelques croquis réalisés en cours de soirée :
22h30 : Je pars. À part ma gracieuse admiratrice, je n’ai pas eu un client de plus, mais je suis déjà épuisé. Morgane n’était pas là, mais j’ai quand même pu réécouter l’excellentissime Carlos et ses chansons d’outre-Pyrénées. À cause des déviations, je dois descendre jusqu’à la place de la Liberté pour pouvoir prendre le bus : je suis étouffé par la chaleur que l’asphalte a accumulée au cours de cette journée ensoleillée. Une fois arrivé à la station, je vois passer une voiture remplie de crétins qui célèbrent la victoire du Stade Brestois… La planète se réchauffe et ils continuent à se passionner pour des bœufs aux hormones qui courent après une baballe ! Ils n’ont vraiment rien compris…
Jeudi 4 mars
14h45 : Je me suis mis en tête d’envoyer un recommandé à un éditeur qui semblait intéressé par un de mes projets et dont je n’ai plus de nouvelles. Problème : j’avais oublié que la poste de Lambé est fermée le jeudi… Je saute dans le premier bus pour me rendre à celle du centre-ville, non sans maudire tous les gouvernements successifs qui ont planifié la déréliction de ce qui fut un service public magnifique ! Encore heureux que le réseau brestois de transport en communs, malgré ses défaillances que je ne manque jamais de signaler, est tout de même opérationnel…
15h30 : Mon recommandé est en boîte. Quitte à avoir fait le déplacement jusqu’ici, j’en profite pour faire un tour à la Vagabunda : curieusement, la fille de Paty est seule pour tenir la boutique. Je demande donc à cette charmante demoiselle si sa maman a une raison valable pour la laisser seule aux commandes : renseignement pris, oui, le décès d’un proche, c’en est une… Je n’insiste pas mais j’en profite pour jeter un œil à la nouvelle exposition, consacrée aux photos d’une certaine Sophie Patry. On ne peut pas dire qu’elles soient très gaies ! Elles s’accordent donc à merveille à l’air du temps…
18h45 : J’arrive à La Raskette, toujours excessivement tôt pour la scène ouverte du premier jeudi de chaque mois. C’est l’occasion de quelques retrouvailles, non seulement avec la charmante Cécile mais aussi avec Capitaine Paillettes, venue avec ses cerceaux pour nous gratifier de son numéro. Je suis content d’être là, mais j’espère que je trouverai des amateurs pour les caricatures, ça ne ferait pas de mal à mon porte-monnaie…
20h10 : Après un tour de chant de Cécile, la soirée commence en trombe avec le numéro de Capitaine Paillettes : je suis toujours vivement impressionné par ces jongleries qui nécessitent une excellente coordination des mouvements ! Cette artiste étant une compagne de route, je la soutiens à ma façon en écrivant au dos de mon carnet, que je montre aux autres spectateurs : « Faut l’faire, hein ! » Si je disais que ce n’est pas aussi pour me faire remarquer, je mentirais…
Capitaine Paillettes en pleine action et d'autres artistes :
21h15 : La Raskette est pleine comme un œuf ce soir et il y a beaucoup de volontaires pour passer sur scène : Cécile arrive quand même à me trouver un créneau pour que je vienne slamer, juste après une jeune joueuse de ukulélé. Tout comme hier au Café de la plage, j’ai sorti la caméra pour me filmer : mais Capitaine Paillettes, qui était assise juste à côté de moi, se croit obligée de la manipuler, ce qui me distrait, et je bafouille affreusement sur des textes que je connais pourtant presque par cœur ! Renseignement pris, elle voulait non seulement arranger le cadrage mais aussi changer la batterie qui était à plat… Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir voulu m’aider, mais j’avoue que j’ai eu un peu de mal à lui expliquer poliment qu’il ne faut pas me rendre des services que je ne sollicite pas ! Quant à mes bafouillages, je dois bien être le seul à les avoir perçus, au vu des compliments que je reçois ! Il y a même un type qui me trouve un faux air à Boby Lapointe : je n’ai pourtant pas l’impression de faire beaucoup de calembours, mais bon, c’est toujours plus gratifiant qu’être comparé à Maurice Chevalier…
D'autres croquis réalisés en cours de soirée :
22h : Après deux chansons interprétées par une très jolie jeune fille prénommée Zoé, un jeune gland joue un sketch pendant qu’un duo de chateurs s’installe. Pourquoi le traité-je de jeune gland alors que je ne le connais même pas ? Parce qu’il a le culot de commencer son sketch en disant qu’il n’y a pas de patrimoine visible à Brest ! Dire ça devant moi qui, depuis huit ans, écris des chroniques pour faire connaître toutes les traces visibles du passé brestois ! Capitaine Paillettes elle-même fait visiter la ville aux touristes et est quelque peu effarée, même si elle n’est pas, comme moi, sur le point de claquer le beignet à ce petit crétin ! Mais il y a une justice : une défaillance technique l’empêche de poursuivre son sketch… Merci, ô Athéna, déesse du savoir !
22h30 : Un groupe se prépare à jouer. Je décide néanmoins de partir, étant épuisé par le bruit et la chaleur qui règnent dans la salle. Malgré tous les compliments pour mes slams que m’adresse l’assistance, je garde un goût amer dans la bouche : je ne suis pas satisfait de ma prestation, je comprends mieux ce que ressent une amie chanteuse quand elle se trouve des défauts que personne d’autre n’a remarqué. De surcroît, je n’ai pas eu un seul client, même les compliments qui m’ont été adressés par un jeune musicien à la vue du croquis le représentant au moment de son passage sur scène ne suffisent pas à me faire digérer cet échec qui, une semaine après mon expérience décevante à la PAM, arrive au plus mauvais moment… Vivement que je sois rentré dans mon cocon.
Vendredi 5 mai
15h30 : Après la rituelle visite-éclair de mes parents, je reçois deux types qui travaillent pour le réseau fibre optique : ils me font comprendre que mon installation Internet n’est pas aux normes et que je vais devoir accueillir un technicien qui se chargera de mon raccordement… Je suis prêt à parier que je ne verrai aucune différence entre avant et après ! Quand les capitalistes ont besoin que les pauvres leur achètent une nouvelle saloperie, il suffit de décréter que ce qui existait avant et marchait bien n’est plus « aux normes »… Mais je vais me laisser faire, évidemment : je ne vais pas jouer à l’irréductible Gaulois pour une connerie pareille… Les deux types essaient de fraterniser en m’interpelant sur ma date de naissance et ma collection de cartes postales : encore des gens qui ne sont pas formés à s’adresser à un autiste…
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] C’est Marilyn Monroe ! Et oui, jolie mais pas conne…