Ouvrons sur un dessin inspiré par un triste constat : la France n'a pas changé depuis 1940, ça reste un pays de lâches...
Jeudi 21 septembre
17 h : Depuis peu, je n’arrête pas de courir à droite et à gauche pour livrer mes exemplaires de Voyage en Normalaisie à celles et ceux qui en avaient réservé. J’atteins avec soulagement mon dernier objectif de la journée : le Kafkerin où je dois retrouver une bénévole. Seulement voilà, elle a fait une faute de frappe en me fixant rendez-vous : l’établissement n’ouvre que dans une heure… Comme le Kafkerin est le seul lieu de sociabilité digne de ce nom dans ce quartier dévasté, je n’ai rien d’autre à faire que poireauter à l’entrée ! C’est dans des moments comme ça que je me demande ce que je suis en train de foutre de ma vie…
Un croquis exécuté pour passer le temps :
15h45 : Une étape importante vient d’être franchie dans le processus d’organisation de la journée d’étude consacrée à Cavanna qui doit se tenir le 8 février prochain : nous venons de fixer le programme dans ses grandes lignes et de budgétiser l’événement. Il y en aura pour 1.500 euros en tout ! Ça vous paraît beaucoup ? Ce n’est pourtant rien en comparaison de ce que coûtent les grands colloques internationaux : songez que nous ne faisons venir que quatre personnes et qu’aucune ne vient de l’étranger… Mais l’événement n’en sera pas moins à ne rater sous aucun prétexte, faites-moi confiance !
17h : Me revoici à l’espace Keraudy, bien avant l’heure du vernissage, pour remplacer le cadre que j’avais laissé tomber lors de l’installation : je tiens à ce que l’expo soit impeccable pour le vernissage qui doit avoir lieu ce soir ! Sans compter que je n’aimerais pas que des gamins polissons me salissent le dessin qui sera resté sans vitre protectrice pendant trente-six heures…
Quelques photos prises en attendant le début des festivités :
19h45 : Après la présentation de la saison 2023-2024 et un petit spectacle de danse contemporaine inspiré du fest-noz (les danseuses avaient du jarret !), le vernissage proprement dit commence : après un petit mot de monsieur Patrick Prunier, l’adjoint au maire, je fais mon discours. Beaucoup de gens bavardent : ils se plaindront ensuite de la qualité médiocre (ce qui est indiscutable) de la sono. N’empêche que s’ils avaient arrêté de papoter, ils m’auraient peut-être entendu ! Mais ça m’est un peu égal : je ne boude pas mon plaisir d’exposer dans une grande salle, d’avoir beaucoup de monde pour regarder mes travaux et de retrouver quelques amis venus pour l’occasion…
Jean-Marc Kerléo, directeur de l'espace Keraudy, et Patrick Prunier, adjoint à la culture, présentant la saison culturelle :
Un croquis exécuté pendant le spectacle :
Et deux photos :
Mon discours en vidéo :
Samedi 23 septembre
7h : Me voici à la foire Saint-Michel pour vendre quelques vieux bouquins et proposer mes caricatures. Je suis déjà installé depuis une demi-heure et il me tarde que le soleil se lève afin que les gens ne me flinguent plus les yeux avec leurs torches… Et oui, il y a déjà du monde ! La foire Saint-Michel est un peu aux chineurs ce que les soldes sont aux pétasses : un puissant révélateur des instincts de charognard qui sommeillent chez tout un chacun…
Un dessin réalisé pour le plaisir en attendant le client :
11h20 : J’ai déjà eu deux clients pour les caricatures : je vois passer Paty qui m’annonce que La Vagabunda va déménager, la vie sur le boulevard Clemenceau étant devenue trop cauchemardesque à cause des travaux et la mairie refusant de tenir compte de cette donnée pour baisser le loyer… Ce n’est pas la fin de l’aventure, mais il est quand même navrant d’en arriver là ! C’est bien la peine d’avoir le label « Ville d’art et d’histoire » si c’est pour laisser mourir les lieux dédiés aux arts…
Un collage rhabillant Yohann Nédélec, adjoint au maire de Brest :
18h40 : Je quitte la foire, satisfait de ma journée. Je pourrais rentrer de bonne humeur si, à l’arrêt de bus, il n’y avait une folle qui hurle ses malheurs devant tout le monde. Sous l’effet de la fatigue, j’oublie la prudence la plus élémentaire et j’essaie de la faire taire ! Bien entendu, ça ne marche pas, elle ne fait que hurler de plus belle… Comme elle vient du Burundi (elle le crie assez fort pour qu’on le sache), je n’ose pas insister de peur de passer pour un raciste. N’empêche que je n’aurais pas trouvé anormal que les flics l’embarquent, même si j’aurais eu peur de ce qu’ils auraient fait à une noire à leur merci …
Trois de mes clients de la journée en photo :
Dimanche 24 septembre
12h30 : Deuxième jour de foire Saint-Michel. Il y a beaucoup de vent et mon emplacement est à l’ombre : c’est vraiment trop désagréable, je me déplace vers un endroit ensoleillé. Je n’ai pas de mal à en trouver un car il y a beaucoup moins de déballeurs qu’hier. J’ai moins froid, mais le vent n’en souffle pas moins très fort : quelques-unes de mes affaires s’envolent. Une jeune fille se baisse pour ramasser quelque chose : n’aimant pas qu’on m’apporte une aide que je ne sollicite pas et étant trop énervé pour rester diplomate, je lui crie de ne toucher à rien. Un autre déballeur me reproche de lui avoir fait peur : je lui rétorque qu’il n’a pas à me tutoyer alors que nous ne nous connaissons même pas. Une vieille dame, qui m’avait vu ce matin dire fermement à une gamine de ne pas toucher à mes affaires (je l’ai donc sûrement traumatisée à vie, bien sûr), s’approche pour me dire que si je ne veux pas voir du monde, je n’ai qu’à rester chez moi… Je craque et lui balance devant tout le monde : « Ta gueule, vieille conne ! » J’ai eu ma dose de leçons de morale pendant la pandémie…
Une de mes clientes de la journée :
19h30 : Je rentre, satisfait du bilan de ce week-end, au moins du point de vue strictement financier. J’ai vent des déclarations du Pape sur les migrants : il y a des mots durs à dire, mais les curés ne sont pas tous des dégueulasses ! En tout cas, ce bon vieux François a le mérite de rappeler aux imbéciles qui nous rebattent les oreilles des « racines chrétiennes de l’Europe » que le christianisme, c’est aussi l’assistance aux faibles, quelles que soient leurs origines : un vrai chrétien, ça ne devrait pas repousser les mendiants après la messe du matin, ça devrait faire le bien sans regarder à qui… Non, ce n’est même pas un vrai chrétien qui doit agir ainsi : c’est un vrai humain, point barre !
Un petit dessin sur l'attachement que semble éprouver notre président pour l'Eglise catholique :
Lundi 25 septembre
9h15 : On commence à reparler du projet de conditionner le RSA à un certain nombre d’heures d’activités hebdomadaires. Franchement, ce n’est pas du tout une bonne idée : je ne dis pas qu’il n’y a pas des gens qui profitent des aides sociales pour se faire payer à ne rien foutre, mais c’est finalement assez rare… Et quand ça arrive, il s’agit en général de tels cas sociaux qu’il vaut mieux pour tout le monde qu’on continue à les entretenir dans l’oisiveté ! Ils feront moins de connerie devant la télé que dans une entreprise ! D’ailleurs, quand on y pense : que la vie serait belle si on payait les ministres à ne rien foutre ! Je veux dire : à ne VRAIMENT rien foutre, et surtout pas à pondre des réformes inutiles, dangereuses et inadaptées…
Mardi 26 septembre
8h40 : J’attends le car pour aller au Faou où m’attend la journaliste de Radio Évasion. Je suis assis juste à côté d’une jeune fille qui, tout en fumaillant une cigarette, semble me demander quelque chose, mais avec mon casque antibruit, je ne la comprends pas. Je lui demande de répéter sa question, elle me dit : « Je te demandais si la fumée de ma clope ne te dérangeait pas, vu que tu es collé à moi… » Comme je n’étais pas du tout gêné par quoi que ce soit, la formulation de sa phrase me fait penser que c’est en réalité elle qui est incommodée par la trop forte proximité de mon corps adipeux et grotesque : je m’écarte. Elle se sent obligée de s’excuser de plus belle : là, ça m’agace ! Je ramasse ce qu’il me reste de politesse pour lui dire fermement : « Mademoiselle, arrêtez, vous vous enlisez ! » La conversation s’arrête net : je ne saurai jamais si je plaisais (ou non) à cette demoiselle qui aurait simplement pu prendre un prétexte pour entamer des travaux d’approche. Après tout, il n’y pas de raison pour qu’il n’y ait que les hommes qui se fassent rabrouer en draguant maladroitement !
10h30 : Ayant une heure à tuer avant le rendez-vous, je m’arrête à la librairie-café Gwenili qui dispose, au premier étage, d’un salon où l’on peut s’installer pour travailler : une sorte de tiers-lieu à la mesure de la commune du Faou, en somme. Comme quoi il y a encore des commerçants qui ont de bonnes idées !
12h : Je passe sur l’antenne de Radio Évasion où j’ai été invité à parler des idées reçues sur l’histoire de Brest. Grâce à mes antisèches, je n’ai pas trop de difficultés à m’exprimer. Seulement voilà : je parle moins longtemps que prévu et la journaliste en profite pour me demander s’il n’y aurait pas une autre idée reçue dont je pourrais parler ! Comme toujours quand je fais face à un imprévu, je perds un peu mes moyens ! Je m’en sors en parlant de la météo, en disant que Brest n’est pas la ville où il pleut le plus en France et que le nombre de cancers de la peau y est même assez élevé : une fin en queue de poisson pour une intervention radiophonique pourtant réussie dans l’ensemble…
14h : Retour à Brest, plus précisément place de Strasbourg : n’ayant rien mangé à midi, je m’achète un sandwich à « Au bon pain chaud ». J’avais été déçu par un sandwich chaud acheté à cette enseigne, je choisis donc un sandwich froid, à la rosette de Lyon : ce n’est pas meilleur… Je note : oublier cette chaîne dont le nom est déjà une pub mensongère !
16h30 : Rentré chez moi, je relève mes messages : je fais ainsi face aux premières difficultés administratives auxquelles se heurte ma journée d’étude sur Cavanna (ça m’aurait étonné qu’il n’y en ait pas), j’apprends que deux cadres sont tombés et se sont brisés à l’espace Keraudy et qu’une amie que j’attendais pour ce soir s’est finalement décommandée… Une telle accumulation d’imprévus m’aurait mis dans tous mes états il n’y a pas si longtemps encore : je suis étonné du sang-froid dont j’arrive à faire montre… Serais-je en train de mûrir ?
Mercredi 27 septembre
9h30 : J’apprends avec soulagement que les cadres qui sont tombés n’étaient que deux petits modèles à deux euros que je peux remplacer sans me ruiner ni me fatiguer. Comme quoi j’avais raison de ne pas paniquer ! Il n’en faudra pas moins que je les remplace demain…
11h : Le député Jean-Charles Larsonneur annonce sa candidature à la mairie de Brest… On n’est encore qu’à la moitié du mandat de François Cuillandre ! Je ne devrais plus m’étonner de l’indécence des politiciens, y compris à l’échelon local, mais rien à faire, ça continue à me heurter ! Je dois être un idéaliste…
18h : Au cours du soir, la prof a l’idée de nous faire dessiner… Une moule. Plus exactement, une coquille. Ce n’est pas si facile que ça en a l’air, il faut trouver le truc pour donner l’illusion du volume, restituer les nuances de noir, rendre l’objet crédible sur papier … Riez si vous voulez, c’est avec des exercices comme ça qu’on fait des progrès.
Jeudi 28 septembre
11h15 : Après un bref passage à Plougonvelin où j’ai réussi à remplacer les deux cadres cassés sans problème, je passe chez un ami galeriste pour lui présenter la photo que j’ai si péniblement ramenée de Fère-en-Tardenois. Son diagnostic est sans appel : elle est invendable, le voyage l’a trop abîmée. Tout ce qu’il peut faire, c’est me vendre un cadre pour que je puisse au moins l’offrir à quelqu’un. Et oui, je ne veux pas la garder : elle m’a causé trop de soucis… Je me suis vraiment fait chier pour rien, avec cette histoire !
Vendredi 29 septembre
11h30 : L’argent gagné à la foire Saint-Michel ne m’aura pas profité longtemps : ce que je n’avais pas encore dépensé au marché ce matin, je le débourse à la Fnac pour un équipement qui manquait à mon nouvel ordinateur… C’est là qu’on voit que l’inflation n’est pas un mythe ! Paradoxalement, ça me rassure presque : je me dis que les gens dont la situation est (apparemment) moins précaire que la mienne doivent avoir autant de difficultés (sinon plus), alors à quoi bon culpabiliserais-je ?
15h : Thomas Azuélos est à la bibliothèque universitaire pour nous parler de Toute la beauté du monde, une bande dessinée de fiction qui se déroule en 1939 avec pour toile de fond la retirada des républicains espagnols en déroute et la seconde guerre mondiale qui approche… Ce talentueux dessinateur s’était fait connaître par ses BD documentaires, consacrées à des sujets tels que la grève des transbordeuses d’orange au début du XXe siècle ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Sur le premier sujet, il souligne le fait que, malgré la dureté de leur travail, ces femmes n'en ont pas moins tissé une vraie sororité qui leur a été précieuse dans leur lutte. Sur le second, il met l’accent sur le fait que, quand il allait à la rencontre des zadistes, ceux-ci se méfiaient comme de la peste des journalistes mais se confiaient volontiers à un auteur de BD ! J’illustre ces deux idées de façon gentiment iconoclaste : quand je les lui montre, ça le fait rire, de même que les deux caricatures sur le vif que j’ai exécutées pendant qu’il parlait… C’est gratifiant pour moi, bien sûr !
La jeune femme qui présentait Thomas Azuélos au public :
Thomas Azuélos lui-même :
Les deux dessins inspirés par ses propos :
18h45 : J’arrive à la piscine de Recouvrance. Et oui, j’ai enfin décidé d’apprendre à nager ailleurs que dans l’eau de mer. Comme toujours quand je débarque dans un lieu inconnu, je suis un peu perdu. Je dois donc prendre sur moi pour demander aux autres usagers comment ça se passe : heureusement, on me renseigne gentiment. La seule chose qui me surprend vraiment est le fait que nous gardions la clé de notre casier au poignet ! J’espère que ça ne va pas me gêner…
18h50 : Je suis déjà prêt. Je ne veux pas savoir de quoi j’ai l’air avec mon bonnet sur la tête et mon boxer de piscine – une alternative acceptable, et d’ailleurs acceptée par le règlement, au pathétique slip de bain. De toute façon, personne ne se juge : les nageurs confirmés, avec leurs corps de statues grecques, auraient pourtant de quoi se moquer des débutants dont je fais partie ! Je n’ose pas espérer qu’une pratique régulière de la natation me fera ressembler à eux un jour… Ce n’est de toute façon pas le but premier de ma démarche !
19h : Le cours commence. La monitrice semble plutôt gentille et patiente : il en faut avec des gens qui, comme moi, ne savent même pas faire la planche ! Au début, j’ai un peu de mal à mettre la tête sous l’eau : pourtant, très vite, ça ne me pose plus de problèmes… Elle semble satisfaite de que j’arrive à faire : pour l’instant, je progresse à un rythme acceptable… Je me demandais à quoi ressemblerait le public dominant de cours pour débutants : je suis très surpris d’y voir surtout des femmes noires ! Je ne sais pas comment l’interpréter…
20h30 : J’arrive en retard au cinéma Les Studios où se tient un ciné-débat autour du documentaire Au Clemenceau animé par le réalisateur Xavier Gayan et mon ami psychologue Mathieu Favennec. Le documentariste a filmé les clients de ce bar-tabac-PMU de Saint-Raphaël : autant dire qu’on y touche le fond de la « France d’en bas », avec son cortège d’individus blessés par la vie et abandonnés par l’État qui trouvent le refuge dans l’alcool et le jeu… Le Groland en vrai, en somme ! J’avoue avoir quand même un peu de mal à éprouver une vraie empathie pour ces personnages qui ressemblent trop, au mieux aux gros beaufs dont mes caricatures sont remplies, au pire aux cas sociaux qui me pourrissent la vie ! Surtout quand j’en vois un défendre le discours anti-migrants de Marine Le Pen… Pourquoi aurais-je pitié d’un SS en puissance ? Et quand il chante La Marseillaise avec d’autres clients (dont un Maghrébin…), je me bouche les oreilles : c’est au-dessus de mes forces ! Le fim est pourtant intéressant : c’est vrai qu’on ne nait pas poivrot, on le devient…
Quelques croquis représentant les "acteurs" du film...
...puis Mathieu et le réalisateur.
23h : Je rate le bus pour Lambé. Le prochain ne passe que dans une heure… Après avoir craché les jurons d’usage, je décide de rentrer à pied. Encore une réaction dont j’aurais été incapable il n’y a guère. J’ai le sentiment de mettre en pratique une parole pleine de sagesse prononcée par Amélie Nothomb à l’époque de la promo de Riquet à la houppe :
« À tout instant nous avons le choix. Bien sûr, nous sommes condamnés à certaines choses par nos choix de vie, mais on peut décider à tout instant comment on va le vivre. Est-ce qu’on va le vivre avec classe, est-ce qu’on va le vivre avec panache, ou est-ce qu’on va le vivre en s’écrasant ? »[1]
Pour ma part, j’ai décidé de ne plus m’écraser…
Vendredi 8 septembre
21h : Oui, j’ai vu Jean Dujardin ce soir. Non, pas dans le show grotesque organisé pour ouvrir la coupe du monde de rugby, mais sur la chaîne YouTube officielle de Un gars, une fille. J’avoue avoir détesté cette série à l’époque où elle passait sur France 2, les personnages me paraissant alors trop caricaturaux pour être attachants, même si j’avoue que certains sketches étaient très drôles. Puis j’ai appris à apprécier ce petit couple qui, malgré de fréquentes disputes, s’aime sincèrement. Je ne suis pas comme Anaïs, j’aime bien les couples, je ne leur en veux pas de me rappeler que je suis seul : je trouve que s’aimer est un signe d’intelligence, presque une preuve de courage dans ce monde où tout nous exhorte au quotidien à haïr notre prochain ! S’aimer, c’est déjà lutter contre la barbarie qui gagne chaque jour un peu plus de terrain… Alors aujourd’hui, revoir Jean et Alex se bisouiller a quelque chose de rafraîchissant, même s’ils sont tous deux, chacun à leur façon, de parfaits imbéciles immatures ! Cela dit, c’est là qu’on voit qu’il y a encore du boulot pour faire triompher l’égalité entre les sexes : autant jouer un beauf macho et frimeur semble avoir porté chance à Jean Dujardin, autant interpréter une pimbêche capricieuse et jalouse a moins profité à Alexandra Lamy… Le même gag était arrivé à Zoé Félix qui fut la seule vedette de Bienvenue chez les Ch’tis à ne pas bénéficier du carton du film : comme elle y jouait la chieuse de service, les producteurs sont partis du principe qu’elle devait être comme ça dans la vie et lui ont donc tourné le dos… Un homme pourrait donc jouer les connards sans que ça nuise à sa carrière, mais pas une femme ? Pas d’accord ! Allez Jeannot, depuis The Artist, tu es une star internationale, tu as assez fait le con à la télé dans le temps, ne te sens pas obligé d’aller le refaire dans un stade de rugby : non seulement c’est affligeant pour le public mais, de surcroît, c’est « un peu » humiliant pour ton ex-partenaire qui n’en a pas tiré autant profit que toi…
Samedi 9 septembre
11h : De passage en ville, j’apprends que les Français ont battu les Néo-Zélandais. J’ai beau ne pas m’y intéresser, je suis quand même content d’apprendre la défaite des All blacks qui méritent bien, de temps, qu’on leur rabatte un peu leur caquet… À mon avis, le show de Jean Dujardin a dû motiver les Bleus : ils ont vu, comme nous tous, la France se ridiculiser aux yeux monde entier avec un spectacle grotesque, alors ils se sont défoncés pour sauver l’honneur national ! Je n’exagère pas : souvenez-vous le lamentable défilé des géants mécaniques en ouverture de la coupe du monde de foot en 1998 ! Pourquoi croyez-vous qu’après, les footballeurs français ont fait un si beau parcours, si ce n’est parce qu’après un tel ratage, il fallait redorer le blason du pays ? Morale de l’histoire : le bonheur des sportifs fait le malheur des esthètes – mais je m’en doutais déjà un peu avant ! Hé, je viens d’écrire dix lignes sur le sport : c’est un record personnel !
12h : Passage à La Vagabunda pour récupérer les œuvres qui y étaient exposées depuis la mi-juillet. Bien entendu, je n’ai rien vendu. D’un autre côté, comment pouvait-il en aller autrement ? Avec les travaux de la ligne de tram, marcher sur le boulevard Clemenceau est un supplice ! Le vacarme est tel que Paty a attendu le week-end, quand il n’y a plus de travaux, pour rouvrir… Je ne nie pas que l’extension du réseau de tramway soit une bonne chose pour Brest, mais n’y a-t-il vraiment rien que l’on puisse faire pour aider ces lieux de vie et de culture qui mettent de la vie en ville et pâtissent des désagréments du chantier ? Les désagréments sont inévitables, le dépérissement de la vie culturelle brestoise ne l’est peut-être pas…
15h30 : Il fait une chaleur épouvantable, il y a même un risque d’orage. C’est donc avec soulagement que je pique une tête au Moulin Blanc : et oui, les ânes de chez Bibus ont décrété qu’hors saison, la plage de Sainte-Anne n’avait plus besoin d’être desservie correctement, je n’ai donc pas d’autre choix. Tant pis, même si le cadre me plaît moins, renouer avec l’élément liquide n’en reste pas moins une bénédiction. Cela dit, à mon arrivée, un petit grain s’abat sur la plage : il cesse assez rapidement… Par la grâce du dérèglement climatique, la Bretagne ressemble de plus en plus aux tropiques ! Finalement, je n’aurai peut-être pas besoin d’aller en Guadeloupe pour connaître les sensations que mes parents ont eues là-bas… C’est drôle, je n’arrive pas à m’en réjouir !
Un croquis effectué sur la plage :
Dimanche 10 septembre
16h : J’avais bien l’intention de profiter de ce dimanche pour avancer sur mes planches… Mais je m’aperçois que je n’ai plus de gomme ! Jean Roba, le créateur de Boule et Bill, disait que la gomme est l’un des outils les plus employés par le dessinateur de bandes dessinées : je le confirme, sans ce petit objet auquel on ne pense presque jamais, mon champ d’action est incroyablement limité ! Faites l’expérience et vous verrez !
Lundi 11 septembre
8h30 : Après avoir marché à pied depuis Lambé jusqu’au centre-ville, j’arrive devant la porte de Bureau Vallée où je dois acheter du matériel, notamment cette fameuse gomme qui me fait défaut. Le magasin n’ouvre que dans une demi-heure, ça me laisse le temps de faire un croquis et de contacter quelques personnes par SMS… J’avoue que j’éprouve une certaine jouissance à être aussi matinal ! Se sentir en forme dès six heures du matin, c’est quand même plus gratifiant que se lever fatigué à dix heures, non ?
Mardi 12 septembre
8h : N’ayant rien à faire en ville aujourd’hui, je fais mon petit décrassage matinal au bois de la Brasserie. Ce serait le paradis s’il n’y avait tous ces gens qui promènent leurs chiens : je n’arrive absolument pas à m’habituer à croiser tous ces canidés, j’ai toujours peur qu’il se mettent à m’aboyer après – d’ailleurs, certains ne s’en privent pas ! C’est bizarre : j’ai grandi avec une chienne dans la maison de mes parents, et ça ne m’a pas du tout donné le goût de la compagnie canine ! Pour tout dire, elle avait beau être une crème, je n’étais jamais tranquille avec elle, même quand elle nous faisait des joies quand nous rentions de l’école… Y a-t-il un lien entre le syndrome d’Asperger et le rapport aux animaux ? Certainement pas : comment expliquer la relation privilégiée que la délicieuse Julie Dachez entretient avec ses compagnons à quatre pattes ? Non seulement je suis autiste, mais je suis zoophobe ! J’ai tout pour plaire, c’est pas possible !
Mercredi 13 septembre
10h : Je patiente dans la gare : je me suis programmé une escapade à Paris, où j’ai quelques rendez-vous, avec un crocher à Château-Thierry où je dois récupérer la photo de mon cru qui a été exposée au Festival International de la Photo Amateur… Tout en lisant un numéro des Cahiers de l’Iroise, j’hésite à baisser mon casque anti-bruit : une jeune fille joue du piano et profiter de la musique ne serait pas pour me déplaire, mais les autres usagers ne montrent pas beaucoup d’empressement à respecter le morceau… En fin de compte, je ne vois pas vraiment l’utilité d’installer des pianos dans des endroits si bruyants, où l’immense majorité des gens ne pense qu’à partir et n’en a rien à foutre de la musique ! Les pleurs d’un bébé me convainquent définitivement de fermer les écoutilles.
14h : Bien entendu, voyager en première classe, ça revient cher, je dirais même qu’au vu de ma situation actuelle, ce n’est pas raisonnable du tout. Mais tant pis, c’est si agréable, d’être bien assis, de respirer… Et puis le personnel se montre prévenant : il annonce une vente de tickets de métro. Comme je dois changer de gare à Paris, je m’empresse d’en profiter : j’y suis d’autant plus incité que ces braves gens précisent qu’à cause de la coupe du monde de rugby, la capitale est pleine de touristes et que donc, il y a la queue aux distributeurs de tickets… Je risque donc, à Paris, de croiser une faune peu subtile, mais peu me chaut : pour l’heure, tout se passe comme des roulettes et je ne vois pas ce qui pourrait m’atteindre !
15h : Dans la gare Montparnasse, je ne peux m’empêcher de rudoyer un homme qui me bloque le passage vers le métro : j’ai pourtant plus d’une heure devant moi pour gagner la gare de l’Est, mais le souvenir de voyages où je n’avais attrapé la correspondance que de justesse (quand je ne l’avais pas carrément ratée) m’encourage à ne pas traîner en route… Il n’y a pas une demi-heure que je suis à Paris et les autochtones déteignent déjà sur moi !
16h30 : Chaque fois je dois prendre le métro pour changer de gare à Paris, ma tension monte toujours d’au moins deux crans ! Alors, quand j’arrive à attraper la correspondance sans encombre, je ne boude pas mon plaisir : ainsi, une fois dans le train pour Château-Thierry, j’ai déposé ma valise dans l’habitacle prévu à cet effet puis je me suis calé en toute confiance dans le premier fauteuil qui me faisait envie. L’ambiance tamisée du wagon n’est pas pour me déplaire, bien au contraire, je me sens sur un petit nuage, plus rien ne peut m’arriver… Et tout à coup, une fois le train parti, un pressentiment me saisit : je me dirige vers l’endroit où j’ai laissé ma valise… Et elle n’est plus là. Pas besoin de chercher plus loin : un malhonnête a profité du moment où le train était encore à quai et où mon bagage était sans surveillance pour s’en emparer. Dedans, il y avait mes vêtements de rechange, mes affaires de toilette, et plus grave, mon ordinateur ! Mon voyage est déjà gâché… Voilà comment on bascule dans l’horreur en une fraction de seconde alors qu’on se croyait invincible il y a encore vingt-quatre heures ! N’empêche… Voilà plus d’une vingtaine d’années qu’on met les flics et les militaires partout, qu’on ne peut plus aller nulle part sans devoir supporter le regard soupçonneux voire les mains baladeuses de ces porte-flingues, et finalement, est-ce qu’on a au moins progressé en matière de sécurité ? Même pas ! Police partout, sécurité nulle part ! Oh ! Vous, les fachos qui réclamez toujours plus de présence policière : vous ne voyez pas que ça ne fait absolument pas régresser la délinquance ? Il serait peut-être temps de se remettre en question, non ?
21h : Arrivé à Château-Thierry, ville natale de Jean de la Fontaine, je me couche dans le petit appartement que j’ai loué, épuisé à tout point de vue. Le temps est superbe, le cadre est charmant, j’ai fait un bon dîner sur une terrasse au bord de la Marne, le logement est doux et confortable, avec toutes les commodités nécessaires… Mais rien à faire, je suis trop meurtri pour profiter de tout ça. J’essaie de dormir, mais ce n’est pas facile : il fait chaud, je n’ai pas l’habitude de dormir sans pyjama, je suis rongé par la culpabilité d’avoir été imprudent, et une troupe de dégénérés (comme quoi il y en a partout) sème sa zone sous les fenêtres… On dit qu’il n’y a pas de roses sans épines : sauf que là, ce ne sont plus des épines, c’est carrément toute une collection d’épées !
Quelques photos prises à Château-Thierry :
Jeudi 14 septembre
11h : Grâce aux transports en commun de Château-Thierry, j’arrive à Fère-en-Tardenois, ville natale de Camille Claudel. C’est une petite ville comme il y en a des tas en France : ni splendide, ni hideuse, suffisamment vivante pour limiter l’exode et accueillir des événements culturels, pas assez pour prétendre à une desserte plus performante – le bus ne passe qu’une fois toutes les deux heures ! Comme toujours quand je débarque dans un patelin que je ne connais pas, je ne suis pas à mon aise : une habitante le remarque et me demande si j’ai besoin d’aide. J’avoue que ce n’est pas à Brest que ça arriverait ! Les gens du Nord (nous sommes dans les Hauts-de-France) sont donc à la hauteur de leur réputation, mais j’avoue bien mal leur rendre leur amabilité… Quand j’essaie de déchiffrer le plan (pourtant clair) de la commune, je suis apostrophé par un type aux dents pourries et à la diction hésitante : par réflexe, je lui réponds, avec une politesse mitigée, que je n’ai ni cigarette ni monnaie à lui donner ! Mais il y a méprise : il dit travailler pour le syndicat d’initiative de la ville et vouloir m’aider à retrouver mon chemin ! J’ai donc commis un délit de sale gueule et je plaide coupable, avec circonstances atténuantes toutefois : ce mec, qui me renseigne quand même, ressemble VRAIMENT aux cas sociaux qui m’importunent sans arrêt à Brest… Je finis par trouver le troquet tenu par la secrétaire générale du festival : elle me rend ma photo, qui représente un bélier que j’avais vu à Guilers. Je suis un peu surpris, dans mon souvenir, il y avait au moins trois moutons sur mon cliché ! Il est vrai que j’avais proposé plusieurs photos et qu’au final, une seule a été retenue sans que je sache exactement laquelle… Une fois en possession de ce cliché, je n’insiste pas, je ne me propose même pas de rester boire un verre : non seulement je ne me sens pas le bienvenu mais je n’ai vraiment pas le cœur à ça. Je tourne donc en rond dans ce bled, en ressassant le malheur qui m’est tombé dessus, sans même m’arrêter pour déjeuner… La situation est surréaliste : je suis à près de 700 kilomètres de chez moi, loin des gens qui m’aiment, dans un village hostile où rien ne m’attendait à part la photo d’un ovin, et je n’ai rien pour me changer ! Mais qu’est-ce que je suis en train de foutre de ma vie ?
Moi avec la photo récupérée à Fère-en-Tardenois... Est-ce que ça valait vraiment le voyage ?
16h : Je suis de retour à Paris. Je tiens à la main ma photo de bélier, n’ayant pas voulu ouvrir mon sac à dos sur la place publique pour l’y glisser : inutile de prendre des risques avec le peu d’affaires qu’il me reste… C’est donc dans cette situation peu confortable et, pour tout dire, assez ridicule, que je reprends le métro pour gagner mon hôtel où il me tarde de prendre une douche. J’avoue que le métropolitain m’apaise un peu : j’apprécie le fait que le voyage s’effectue sans paysage, ça limite les stimulations sensorielles… Mais quand j’entends retentir les messages de mise en garde contre les pickpockets, il me vient des envies de meurtre !
20h : Dîner au Millau, dans la rue du Rendez-vous, avec le mari de ma meilleure amie, de passage à Paris. Je prends un jambon braisé avec de la purée : c’est réconfortant. Mon commensal accomplit le sensationnel exploit de me remonter le moral : ce mec est formidable, je regrette presque, malgré la virulence de mon hétérosexualité, qu’il soit déjà marié ! On frôle quand même l’incident diplomatique quand le patron m’appelle « jeune homme » : je me sens obligé de lui dire, sans malice ni agressivité, que je n’aime pas ça… Devant le regard gêné de ce restaurateur, pourtant plutôt diligent et sympathique, je me demande si je n’aurais pas dû me taire ! Après tout, il n’était pas censé savoir que je trouve cette appellation condescendante : je dois bien être l’un des rares à ne pas apprécier d’être encore catalogué comme « jeune » à 35 ans… Bon, ce n’est pas très grave, la Bretagne ne va pas faire scission pour si peu ! Il y aurait déjà mille autres bonnes raisons…
Vendredi 15 septembre
9h : Sur les conseils d’une amie à laquelle j’ai conté ma mésaventure, je suis allé au bureau des objets trouvés de la gare de l’Est, à tout hasard : évidemment, ils n’ont rien. Je n’ai plus qu’à porter plainte au commissariat du XIIe… Quel voyage glamour ! C’est déjà la deuxième fois en un an que je suis obligé de pénétrer dans un lieu de ce genre, que j’abhorre au-delà de tout ! Les flics postés à l’entrée me font ouvrir mon sac et me fouillent au corps : je ne proteste pas parce que je suis lâche, mais ça me fait quand même mal d’être traité en suspect alors que je suis une victime ! J’ai bien fait de venir assez tôt, il n’y a pas grand’ monde dans la salle d’attente : une télé est allumée sur France Info, j’apprends ainsi que Macron va se rendre à la messe que le Pape va donner à Marseille… En plus du reste, il est crapaud de bénitier ! Pas besoin de chercher plus loin où il a appris sa méthode de gouvernement : il a dû voir un curé enculer un mioche en toute impunité et il a bâti toute sa carrière sur ce modèle. Au bout d’un quart d’heure, je suis pris en charge par une fliquette : elle est aussi souriante que Buster Keaton et aussi grâcieuse qu’un sac à patates, on repassera pour le fantasme de la policière gaulée comme une déesse… Elle me dit d’enlever mon « béret » : je m’exécute après avoir tout de même précisé qu’il s’agit d’une casquette, mais je ne comprends pas pourquoi le port d’un couvre-chef est contre-indiqué dans un bureau de police ! Anticiperait-on les prochaines décisions de notre pieux président en se préparant à entrer dans un commissariat comme dans une église ? Quand je raconte ma mésaventure, elle ne marque aucun étonnement, elle ne me fait même pas la leçon comme je le craignais : je ne dois pas être le premier dans mon cas qu’elle voit passer, ce qui ne m’est qu’une maigre consolation… Il me tarde de quitter cet endroit, j’étouffe.
10h30 : Je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de voir la Tour Eiffel de près. Quand j’arrive au pied de la dame de fer, je comprends tout de suite que je n’aurai pas le temps de monter dessus, à moins de prendre le risque de rater mon rendez-vous : il y a une file incroyable, et l’accès est filtré « par sécurité », une expression qui me fait presque rire, désormais… Mais il n’y a pas que des murailles autour de la vieille dame : il y a aussi des vendeurs de glaces et de boissons, des joueurs de bonneteau, des marchands de souvenirs qui proposent des miniatures de tous les formats et de toutes les couleurs… Bref, la cohorte habituelle des profiteurs qui profitent à leur façon de la manne touristique : je ne leur jetterai pas la pierre, l’immense majorité des touristes ne mérite que d’être saignée à blanc ! Cela dit, s’ils proposent leurs saloperies, c’est bien parce que ça se vend, non ? Donc, les gens achètent vraiment ces merdes ! Comment croire en l’humanité après ça ?
11h30 : J’ai rendez-vous à proximité de la Maison de la Radio : j’ai décidé d’y aller à pied, le long de la Seine, pensant que la proximité du fleuve m’apporterait un peu de fraîcheur… Bien sûr, il n’en est rien et je crève de chaud sous un soleil de plomb. J’en bave, d’autant que quand je veux traverser au pont de Bir-Hakeim, je suis refoulé par deux types. Le motif ? Un tournage… De tous les arts, il n’y a que le cinéma qui se permette de privatiser ainsi l’espace public ! Si je bloquais la circulation pour peindre, je me ferais embarquer par les flics ! On se demande pourquoi je ne vais pas plus souvent au cinéma : c’est parce que ça me ferait mal de dépenser du fric pour des connards qui entravent ma liberté de circuler !
Quelques photos prises au cours de cette pénible déambulation :
12h : Je rencontre enfin en chair et en os un de mes contacts parisiens, une ancienne de Radio France qui m’offre un verre sur une terrasse ombragée par quelques-uns des rares arbres centenaires à avoir survécu au bétonnage orchestré par Chirac et poursuivi avec assiduité par ses successeurs… Quoi qu’il en soit, je goûte un moment de répit plus que bienvenu en compagnie d’une dame qui semble me respecter : la vie parisienne a ses splendeurs et ses misères…
14h : Après avoir acheté un haut de rechange (je commence à coller dans ma marinière), je me rends rue des écoles où m’attend mon prochain rendez-vous : cette rue foisonnante de librairies et de hauts lieux intellectuels, tels que le Collège de France, est sans doute le premier endroit parisien dont j’apprécie vraiment l’ambiance. En attendant l’heure de l’entrevue dans les locaux de L’Harmattan, je m’arrête sur une terrasse pour siroter un vittel-menthe : il est à 5,20 euros ! C’est presque le prix d’une pinte de bière à Brest ! Ce voyage commence décidément à me coûter cher… Il n’y a pas de roses sans épines, mais là, ce n’est plus une rose que j’ai en main, c’est un porc-épic !
Trois photos prises rue des écoles :
15h : Entrevue avec une responsable « communication » de L’Harmattan pour discuter de la promotion de mon Voyage en Normalaisie : selon elle, mon livre, qui est bon marché, consacré à un sujet qui parle au grand public et orné d’un beau dessin en couverture (merci, c’est moi qui l’ai fait), a du potentiel. Il en a sûrement davantage que le livre sur l’antiquité chez Albert Camus que j’ai sorti chez le même éditeur il y a neuf ans et que j’avais fait publier dans l’espoir insensé d’avoir une crédibilité intellectuelle… Je sors de l’entretien avec la conviction d’avoir laissé une bonne impression et la quasi-assurance de revenir à Paris pour faire de la promo. J’espère que mon voyage se passera mieux la prochaine fois : dans un sens, ça pourra difficilement être pire, à moins que je périsse dans un attentat… Ou que je me fasse violer par une personne particulièrement affamée (et, accessoirement, plus myope qu’un régiment de taupes) !
16h : Sur les conseils de la dame que j’ai rencontrée à midi, je fais une petite halte dans un salon de thé situé à proximité de l’Institut du monde arabe : il est vrai que le cadre est exquis. L’établissement propose aussi des séances de hammam : ça m’aurait probablement fait du bien, mais je préfère m’abstenir pour ne pas rentrer tout à fait ruiné. Je me borne donc à siroter un thé à la menthe trop sucré au milieu d’une foule jacasseuse… Mais c’est délicieux quand même : je suis si malheureux que j’apprécie toutes les pauses, et j’ai si chaud que tout liquide ingurgité me ressuscite !
17h : J’arrive sur les Champs-Élysées : voir apparaître l’Arc de triomphe quand on sort du métro, c’est toujours impressionnant. Je ne peux malheureusement pas m’approcher de l’édifice, je suis refoulé comme sur le pont de ce matin : ayant eu ma dose d’altercations de ce genre, je n’insiste pas, je n’ose même pas demander d’explications et je descends l’artère qui, à mes yeux, ne mérite guère son titre de « plus belle avenue du monde »… Je risque même un tour à la boutique du PSG, espérant trouver quelque chose pour faire un cadeau au garçonnet fan de football d’une femme chère à mon cœur : mais quand je vois le prix d’une simple gourde aux couleurs du club, je préfère m’abstenir ! Et puis je ne suis pas sûr que la charmante maman de ce non moins charmant bambin apprécierait tant que ça que je donne de l’argent au Qatar… Je sors, partant à la recherche d’une brasserie qui m’a été recommandée par une amie : je tourne en rond pendant un certain temps… Je croise un guitariste qui chante le fameux tube de Jo Dassin : je m’étonne moi-même de résister à la tentation de l’étrangler !
Trois photos prises sur les Champs-Élysées - ou à proximité :
18h30 : J’ai enfin trouvé le Franklin : renseignement pris, il s’agirait du lieu de rendez-vous privilégié de toute la clique gouvernementale. Je ne remarque cependant aucun visage suspect. Pour ne pas trop faire souffrir mon porte-monnaie, même si je m’étais promis justement de faire des folies pour profiter enfin de mes économies, je prends le plat moins cher, le burger dit « Franklin ». J’avais pourtant juré de ne plus toucher à ces petits pains mous venus d’outre-Atlantique, mais il faut reconnaître que le statut du hamburger a évolué et n’est plus forcément synonyme de degré zéro de la gastronomie, le titre ayant été raflé depuis par d’autres spécialités encore plus dégueulasses… Je fais tout de même un bon repas réconfortant et, par rapport à l’agitation des Champs-Élysées, la rue Roosevelt procure un répit relatif mais réel…
19h30 : Je prends le métro pour regagner le XIIe ; un accordéoniste s’installe pour jouer. Il me casse les oreilles, je décide de doubler la fermeture de mes esgourdes, pourtant déjà protégées par mon casque antibruit, en me fourrant des boules Quiès dedans ! Quand il me voit fouiller dans mon sac, le musicien me fait un grand sourire, visiblement persuadé que je m’apprête à lui donner de l’argent… J’ai presque honte ! Pas beaucoup, mais un petit peu.
Samedi 16 septembre
8h30 : Encore une fois debout avant que Paris ne s’éveille vraiment, j’ai pris la direction du musée d’Orsay, ce lieu mythique que nous avions raté lors du voyage que j’avais effectué avec ma classe de première il y a bientôt vingt ans déjà. Sortant du métro, je débouche sur la place de la Concorde : coupe du monde oblige, celle-ci est transformée en « village rugby », avec son cortège de banderoles et de gradins destinés à accueillir les gueulantes des supporters… Je croyais avoir assisté au sommet de la goujaterie depuis que j’avais vu les arbres brestois affublés de maillots de cyclistes à l’occasion du passage du Tour de France dans ma ville, mais là, c’est le bouquet ! Je ne comprends pas qu’on puisse afficher un tel mépris du patrimoine : si l’obélisque le pouvait, il baisserait la tête…
Quelques photos prises dans les environs de l'Assemblée nationale :
9h05 : J’arrive au musée. Évidemment, ça n’ouvre que dans une demi-heure. J’ai cependant bien fait de ne pas trop attendre pour venir : il y a déjà la queue et on attend visiblement une file importante de visiteurs. Il faut que je note pour la prochaine fois : éviter les châteaux et les musées le week-end et privilégier les lieux de promenade…
Les statues situées à l'entrée du musée d'Orsay :
9h35 : Dès l’entrée dans le musée, on m’intime l’ordre de déposer toutes mes affaires sur un tapis roulant : persuadé que je ne pourrai les récupérer qu’à la sortie, je proteste pour mon casque antibruit dont j’ai vitalement besoin. Devant l’insistance du vigile, je me dégonfle. Finalement, je récupère tout aussitôt après un passage au scanner : on ne m’ôtera pas de l’idée que scanner une protection auditive, c’est pousser le zèle un peu loin. Pourquoi pas mes lunettes, tant qu’ils y sont ? Cette mauvaise entrée en matière me met dans de non moins mauvaises dispositions : une fois mon ticket d’entrée en main, je ne comprends rien aux indications de la caissière qui est obligée de me guider. Une fois passée la porte, je suis à deux doigts de paniquer, ne sachant pas quelle direction prendre. Je mets quelques minutes à comprendre qu’il n’y a pas de sens imposé pour la visite et que je peux aller « où je veux »… C’est une situation pour le moins inhabituelle et déconcertante !
10h30 : Après avoir passé une heure à faire le tour du deuxième étage, dédié aux sculptures plus quelques salles accueillant des collections de peintures, je décide de monter au cinquième étage pour découvrir ce qui, in fine, attire tout le monde dans ces lieux : les impressionnistes. Il y a une foule incroyable, l’endroit est bourré de touristes qui parlent fort et mitraillent les peintures de leurs smartphones… Mais c’est quand même délicieux de pouvoir admirer les Manet, les Renoir, les Monet, les Morisot, les Sisley… Ça nettoie l’œil et ça console de bien des vicissitudes !
14h : Rendez-vous sur la place Maubert, lieu cher à Cavanna, avec Virginie Vernay, qui fut l’une de ses dernières collaboratrices et inspiratrices – la « petite Virginie » de Lune de miel, c’est elle ! Après cette entrevue, elle me fait un cadeau inestimable : elle me fait découvrir l’endroit mythique de la rue des Trois-Portes, là où se situaient les locaux des éditions du Square ! Les bureaux de Hara-Kiri se trouvaient là, de même que le pied-à-terre parisien de Cavanna, on retrouve même le robinet où celui qui allait devenir « Bison bourré » allait faire sa toilette le matin ! Mon aimable hôtesse m’invite à poser pour la photo devant les anciens locaux du « journal bête et méchant » : je m’amuse à faire semblant de frapper à la porte, comme si je venais présenter mes dessins à Choron… Que j’aurais aimé connaître ce creuset de talents, ce bouillonnement créatif, cette bouffée d’exubérance…
Quelques photos prises à cette adresse mythique :
16h30 : J’arrive à Montmartre. J’ai pensé un instant prendre le funiculaire pour monter sur la butte, mais je n’ai pas envie de faire la queue et ça a l’air surfait. Je profite d’avoir encore du jarret pour me taper les escaliers à pied. Et puis le quartier mérite-t-il que je donne encore deux euros à la RATP ? Au fond, Montmartre, c’est quoi ? Un gigantesque chou-fleur (le Sacré-cœur, quelle horreur !) entouré de boutiques faussement typiques pour touristes crédules qui espèrent probablement pouvoir draguer Amélie Poulain… En fait, Montmartre, c’est Disneyland intra muros ! Mais je tiens à revoir la place du Tertre et à me renseigner sur les possibilités pour moi de venir y installer mon stand de temps à temps…
17h : On m’avait bien prévenu : la place du Tertre, ce n’est plus ce que c’était, les terrasses ont tout bouffé, ne laissant aux artistes qu’une place limitée. J’en trouve un qui ne semble pas débordé et qui accepte de me renseigner : effectivement, chaque emplacement est numéroté, et pour pouvoir en occuper un, il faut disposer d’une carte que l’on doit demander auprès d’un organisme public qu’il accepte de m’indiquer sur mon plan. Inutile d’y aller maintenant, c’est sûrement fermé… Avant de me taper la descente, je m’arrête à la terrasse d’un pub pour boire une Guinness : je me contente d’un demi, la pinte est à presque dix euros… Quelques artistes, m’identifiant comme un des leurs, me demandent si je veux bien me faire tirer le portrait : c’est bien gentil, sauf qu’ils demandent 30 euros chacun… Je réponds poliment que je n’ai pas assez de monnaie. J’échange tout de même quelques mots avec eux en leur expliquant les raisons de mon passage à Paris, non sans en profiter pour glisser deux mots sur mon livre : je tombe sur une femme qui ne sait même pas ce qu’est l’autisme… Je me sens très seul…
18h30 : Après un coup d’œil rapide à l’église Saint-Jean de Montmartre (incomparablement plus jolie que l’horrible basilique qui insulte le souvenir de la Commune), je commande une lasagne sur la terrasse d’Il Duca, sur la rue Yvonne Le Tac. C’est relativement bon marché, le plat est satisfaisant et la serveuse est vraiment charmante… Tout ne peut pas être mauvais, pas vrai ?
L'église Saint-Jean de Montmartre :
Dimanche 17 septembre
11h15 : Sur une terrasse du Ve, je retrouve l’ancienne de Radio France, accompagnée d’un sien ami qui me confirme que ma mésaventure est devenue monnaie courante… Je leur fais feuilleter mon Voyage en Normalaisie dont j’ai pu retirer un exemplaire chez l’éditeur. Je voudrais être fier et je le suis sûrement au fond de moi. Mais je ne peux déjà plus prétendre à l’émotion de la première publication : tout ce que j’éprouve, c’est l’espérance que ce bouquin trouve son public et m’ouvre enfin des portes. J’ai trop souvent entendu dire que j’avais un énorme potentiel pour imaginer que tant de gens apparemment éclairés puissent s’être trompés sur mon compte…
Les deux dernières photos prises à Paris :
19h : Après quatre heures de train et un bref trajet en bus, je suis enfin rentré chez moi, heureux de retrouver le confort et la sécurité de mon cocon, mais déçu de ne pas avoir eu un voyage plus heureux : cette escapade qui devait me galvaniser m’a freiné en plein élan… Je ne m’attarde pas après dîner, je me fais un devoir de me lever tôt demain matin : il me tarde de prendre les dispositions pour sauver ce qui peut l’être.
Lundi 18 septembre
10h30 : Le laboratoire auquel je suis associé a accepté de me prêter un PC en attendant que je m’en procure un autre : je pourrai au moins travailler et parer au plus urgent. Reste la perte irréparable de nombreux documents que je n’avais pas sauvegardés… J’ai beau me raisonner, me dire que l’important n’est pas ce que j’ai fait ces derniers temps mais ce que je vais faire dans un avenir proche, je garde un couteau au cœur et les joues me brûlent comme si j’avais pris quinze millions de baffes. Pour me changer les idées, je passe à la librairie Dialogues : j’y achète le dernier livre d’Amélie Nothomb et le nouveau Léonard que je feuillette en attendant le tram… Et je me marre ! Je suis peut-être le seul, mais je trouve que Zidrou est un vrai génie qui a su redonner un coup de jeune à cette série sans en compromettre l’esprit originel ! Il pourra en tout cas se vanter de m’avoir fait rire alors que j’avais le moral si bas qu’on pouvait marcher dessus…
11h : Au Beaj Kafé, j’entreprends d’utiliser l’ordinateur prêté par le labo : évidemment, il n’y a pas de souris et je suis obligé d’utiliser l’espèce de plaque située devant le clavier… J’ai vite mal aux doigts et je multiplie les fausses manœuvres ! Je ne comprends pas comment font les autres…
18h : Après avoir acheté une souris à la FNAC, je suis rentré chez moi, et je me suis aperçu d’un problème : je n’ai plus le code pour me connecter à ma Freebox ! Seule solution : appeler l’assistance Free… Pour ne pas prendre racine en attendant qu’ils me répondent, je fais l’impensable : je dérange ma voisine de palier pour lui demander l’autorisation de me connecter sur son réseau. Je n’avais encore jamais eu le moindre contact avec elle : je découvre qu’il s’agit d’une vieille dame apparemment peu instruite mais très aimable ; je la surprends même à parler tendrement au téléphone avec son petit-fils… Je suis peut-être injuste, finalement, quand je prétends qu’il n’y a que des cas sociaux dans mon immeuble…
Mardi 19 septembre
9h : Bref passage à la rédaction de Côté Brest pour remettre à l’équipe un exemplaire de Voyage en Normalaisie en vue d’un éventuel article : bien entendu, je leur raconte ma péripétie parisienne, non sans préciser au passage qu’on m’a prêté un ordinateur et que je pourrai donc continuer à leur écrire des chroniques. Je suis soulagé de constater que tout le monde me plaint, que personne ne me reproche mon imprudence, que ma crédibilité n’est même pas amoindrie par l’incident… Ça ne me rendra pas ce que j’ai perdu, mais ça me redonne du courage pour affronter cette épreuve.
Mercredi 20 septembre
9h30 : J’arrive à l’espace Keraudy, à Plougonvelin, pour y accrocher mon exposition. J’ai apporté une trentaine de mes œuvres, ce n’est pas trop pour cette salle plutôt vaste. Les responsables m’apportent une aide précieuse, même quand je laisse tomber un cadre dont le verre se casse… Je surprends une de leurs conversations : apparemment, une huile locale aimerait qu’ils diffusent la finale de la coupe du monde de rugby dans leur salle de spectacle ! C’est une très mauvaise idée : si l’équipe de France n’est pas qualifiée, ils auront peu de monde, et si elle l’est, tous les bistrots de la région ne manqueront pas de diffuser le match et il sera inutile d’en rajouter dans une salle qui n’est pas prévue pour ça ! Je ne dis pas qu’il est honteux de diffuser un match de rugby, mais à chacun son travail, non ?
11h30 : Mon expo est installée, je pense avoir bien géré l’affaire. Satisfait du devoir accompli, je me rends à l’arrêt de car le plus proche : hélas, le véhicule ne passe que dans deux heures… Faisant contre fortune bon cœur et ne boudant pas mon plaisir d’avoir un abri pour me protéger de cette pluie battante, j’en profite pour lire le dernier livre d’Amélie Nothomb que j’avais eu la bonne idée d’emmener. Autant le dire : Psychopompe est un chef-d’œuvre. Après la promenade de santé du Livre des sœurs, la dame en noir de la littérature francophone retrouve le feu sacré de Premier sang et nous livre une réflexion profonde et pertinente, basée sur son expérience, à propos de l’acte d’écrire et du métier d’écrivain : à une heure où tout le monde croit avoir du talent pour la littérature, il n’est pas mauvais de rappeler à quel point l’écriture est une activité difficile et un travail à part entière qui nécessite une longue formation et un investissement complet. Amélie Nothomb s’est souvent racontée, mais là, elle se livre comme jamais elle ne l’a fait sur les traumatismes qu’elle avait subis dans sa jeunesse : on ne pourra plus la traiter de privilégiée et d’enfant gâtée, on sait maintenant qu’elle a touché du doigt le fond de la misère humaine, qu’elle a connu la souffrance extrême et qu’elle a tutoyé la mort… Si vous faites partie de ses détracteurs et souhaitez le rester, ne lisez surtout pas Psychopompe, vous risquez de vous surprendre à dire : « Mais je rêve… Je l’aime, cette femme ! »[1]
13h30 : Enfin dans le car ! Au moment même où je me suis attaché, le chauffeur a démarré un peu trop brusquement, ma valise a glissé et est tombée dans le couloir. Ne voulant pas me mettre en contradiction avec le règlement qui impose le port de la ceinture de sécurité, je préfère attendre qu’un autre passager puisse me rendre le menu service de me la ramasser. À l’arrêt suivant, une femme monte en affirmant son attention de descendre à Brest elle aussi : quand le conducteur lui annonce qu’il faudra prendre une correspondance, elle rouspète parce que ce n’était pas annoncé sur Internet ! Comme elle s’assied non loin de moi, je lui demande quand même poliment (j’en suis capable de temps à autre) de bien vouloir me ramasser ma valise : elle me répond que je peux le faire moi-même et qu’elle a mal au dos ! J’ai beau lui dire que je n’ai pas le droit de me détacher et que cette valise est vide, elle ne veut rien entendre… C’est la première fois que j’ai envie d’imiter Alain Chabat disant dans une fausse pub : « Oh, vous êtes une vraie connasse, vous, là, hein ! »
14h30 : Une fois arrivé à Brest, je récupère le dernier Côté Brest avec, entre autres, une chronique de mon cru sur Jim Sévellec, cet artiste emblématique de la ville qui a été mis à l’honneur ces derniers temps, entre autres avec une expo aux Capucins et un hors-série des Cahiers de l’Iroise. On trouve aussi une interview de Yohann Nédélec, adjoint au maire, qui clame que « le règne de la voiture est terminé » pour justifier la hausse des prix du stationnement en centre-ville. Il a parfaitement raison, mais voilà typiquement le genre de déclaration qui ne rend pas populaire… Sans compter qu’on peut comprendre ces gens qui, pour des raisons diverses, ne peuvent pas se passer de leur bagnole et qui vivent donc cette hausse comme une agression : on devrait pouvoir les aider à trouver une alternative, si on voulait vraiment réussir la transition vers une nouvelle ville où l’automobile n’impose plus sa loi… Pourquoi tout doit-il toujours se faire dans la brutalité, même l’avènement d’une société plus douce ?
18h : Je reprends le cours du soir, toujours animé par l’irremplaçable Delphine, et je retrouve quelques-unes de mes « vieilles canailles » comme j’aime à appeler certaines élèves qui suivent l’atelier depuis déjà quelques années. Pour une première séance, nous sommes invités à nous dessiner de profil les uns les autres : la première élève à me servir de modèle trouve que je la vieillis terriblement ! Ce n’est pourtant pas un effet de ma volonté : quand je lui dis l’âge que je lui donne, je tombe juste ! Elle me dessine à son tour, je lui demande en retour quel âge je dois avoir à ses yeux : elle croyait que j’avais déjà quarante ans ! Gast ! Je poursuis avec d’autres élèves, ce qui me donne l’occasion de constater qu’il y a deux jeunes femmes non francophones : une Thaïlandaise et… Une Ukrainienne. Décidément….
Les quatre profils que j'ai dessinés ce soir-là :
20h30 : Dîner au Biorek. Le jeune patron, auquel je raconte mes mésaventures parisiennes, me dit être allé à la fête de l’humanité où il a pu assister, entre autres, à un débat entre Fabien Roussel et Édouard Philippe : apparemment, il n’y en a pas eu un pour racheter l’autre… On prétend que les gens se désintéressent de la politique : j’ai plutôt l’impression que c’est la politique qui se désintéresse des gens et que ceux-ci le comprennent de mieux en mieux !
22h : Enfin rentré, je relève mon courrier : je trouve dans ma boîte, outre le dernier hors-série de Fluide Glacial, la bagatelle de trois cartes postales et avis de passage m’annonçant qu’un recommandé que j’ai expédié est bien arrivé… Il est tout de même curieux que tout me soit arrivé le même jour ! Je suis à deux doigts de penser que le courrier n’est délivré qu’une fois par semaine dans mon quartier…
23h : Je veille un peu pour répondre à mon courrier et m’assurer que je n’ai aucun mail en souffrance. J’ai laissé ouverte la fenêtre de la salle de bain pour aérer et achever le séchage de mon linge : j’ai ainsi tout le loisir d’entendre des pétarades éclater… Soit ce sont des feux d’artifices non-autorisés, soit ce sont des tirs au mortier comme j’en ai déjà entendu il n’y a pas si longtemps encore. Dans les deux cas, c’est grave et, si le facteur rechigne effectivement à venir dans le quartier, je comprends mieux pourquoi !
Commençons par le dessin de couverture de mon nouveau livre, Voyage en Normalaisie, qui vient de paraître chez L'Harmattan :
Vendredi 1er septembre
23h : Je me doutais bien, après quatre semaines à me faire dorloter par mes parents, que le retour à la réalité serait un peu rude… Mais je ne pensais pas que ce serait brutal à ce point-là ! Je viens de rentrer des Marinades de Recouvrance, où j’avais promis de tenir mon stand de caricaturiste, et en à peine six heures de sortie en ville, j’aurai eu droit à l’éventail à peu près complet de tout ce qui me rend la vie citadine quotidiennement insupportable : les motos qui hurlent, les crétins qui braillent dans leurs smartphones, les cas sociaux qui veulent à tout prix me taxer la monnaie et les cigarettes que je n’ai pas, les vieilles peaux qui s’imaginent que je suis forcément plus à même qu’elles de me servir d’un appareil électronique défectueux… Je ne peux même pas savoir à quelle heure passent les bus car on n’affiche déjà plus que les horaires de rentrée, l’usager étant naturellement supposé détenir un smartphone pour savoir quand passera le prochain véhicule. Le comble, c’est que le bilan de cette dernière « marinade » de la saison n’est même pas tellement positif pour moi : quatre clients seulement, très peu de rencontres, quasiment aucune velléité de discussion de la part du public… Il faut dire que les organisateurs m’avaient placé juste à côté de la scène : pour la première partie, ça allait, nous avons eu droit à une charmante jeune femme qui chantait de façon ravissante en s’accompagnant à la guitare et qui a même eu le bon goût de nous proposer une reprise de « La princesse et le croque-notes », chanson de Brassens injustement occultée… Mais après ce gracieux tour de chant, il a fallu subir le beau-frère de la demoiselle, une espèce de grand dadais à la chevelure peroxydée qui nous a fait subir… Devinez quoi ? Et oui : un DJ set ! Ce qu’il y a de plus bidon, de plus casse-pieds, de plus parasite dans le monde du spectacle ! Qu’on appelle « musique » ce qu’il diffuse, passe encore, il en faut bien pour tous les goûts, que de tels individus soient utiles pour mettre l’ambiance dans certaines soirées, je le conçois aussi, mais il est hors de question que je reconnaisse comme un artiste un individu qui se borne à passer une playlist enregistrée sur une clé USB et qui remue les bras pour faire croire aux naïfs qu’il exécute une chorégraphie ! Bref, le blondinet n’a pas encouragé les gens à s’approcher et m’a sérieusement cassé les oreilles (pour rester poli) : je suis parti une heure et demie plus tôt que prévu, conscient que je n’aurais pas un client de plus… Je me rappelle non seulement pourquoi j’avais besoin de vacances mais aussi pourquoi j’espère que cette saison apportera du changement dans ma vie !
L'une de mes rares clientes :
La jeune chanteuse en pleine action :
Samedi 2 septembre
15h : Me revoici à Sainte-Anne pour profiter de ce week-end ensoleillé avant de me replonger dans le tourbillon de la vie. Entre deux bains de mer et après un casse-croute mérité, j’arrive enfin à finir la lecture de Tarass Boulba de Gogol : j’ai eu un mal de chien à entrer dans cette histoire ! J’avoue ne pas être fou de la littérature russe (toute considération géopolitique mise à part), même si je me doute que ce doit être une langue difficile à traduire en français. Mais même au-delà de ça, je n’arrive pas à m’intéresser à l’histoire de ce vieux fou fanatique qui n’a que les mots « religion », « famille » et « patrie » à la bouche : je n’ai jamais réussi à éprouver un atome de respect pour tous ces sabreurs prêts à se sacrifier (et qui, au passage, sacrifient surtout les autres) au nom de « valeurs » qui puent à plein nez, au mieux, l’ennui, au pire, l’ossuaire. J’aime encore mieux son fils, celui qui trahit « son » camp par amour : on lui impose un camp sous prétexte qu’il est né quelque part, alors même qu’on ne lui a jamais demandé son avis, et il fait le libre choix de le renier pour la plus belle cause qui puisse exister sur terre, les beaux yeux d’une demoiselle… J’adore ce garçon, j’aimerais relire l’histoire réécrite de son point de vue ! Ajoutez à ça que la description qui y est faite des Juifs est absolument abjecte (je comprends mieux pourquoi Gotlib, qui avait dû fuir l’antisémitisme de Vichy, a éprouvé le besoin de tourner ce roman en dérision) et que la conclusion, en promettant un Tsar qui vengera les Cosaques contre les Polonais, exhale une affreuse odeur de propagande nationaliste, et vous comprendrez pourquoi je ne conseille pas cette lecture !
Deux croquis exécutés sur la plage :
Dimanche 3 septembre
15h : Nouvelle journée ensoleillée, nouvelle sortie à Sainte-Anne, nouveaux bains de mer, nouveau pique-nique et nouvelle lecture en attendant que la mer remonte. Cette fois, j’ai emporté le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot et Les révoltés de la Bounty de Jules Verne. Deux auteurs distants d’un siècle entre lesquels je ne peux cependant pas m’empêcher de tisser des passerelles : tous deux, à leur façon, expriment, en se basant sur des faits réels, une critique de la morale chrétienne occidentale et le désir de refonder la vie sur des bases plus saines, l’un par le fameux dialogue entre Orou et l’aumônier (« Mais ma religion ! Mon état ! » Pauvre con...), l’autre par la société que les mutins ont fondée en osant le métissage avec les populations océaniennes… Deux auteurs actuels ? Et comment !
D'autres croquis de plage :
Mercredi 6 septembre
10h15 : Après deux journées consacrées à régler des formalités diverses, j’arrive à la piscine de Recouvrance, bien décidé à m’inscrire pour prendre des cours de natation. Les inscriptions ne débuteront que dans trois quarts d’heure, mais je m’approche tout de même de l’entrée. Bien m’en prend : il y a déjà la file ! J’ai compris : si je ne commence pas tout de suite à faire la queue, il y aura dix fois plus de monde dans une demi-heure… Je me joins donc à la file d’attente, histoire de ne pas compromettre excessivement mes chances d’avoir une place. Pour affronter cette attente, je dispose heureusement d’un attirail complet : mon casque anti-bruit pour ne pas subir les conversations des autres personnes et mon téléphone portable pour envoyer des messages peu urgents mais essentiels à quelques amis…Ce n’est pas la première fois que je vois ça : déjà quand j’avais commencé à m’inscrire aux cours publics des Beaux-arts, j’avais dû anticiper des files démentielles. Il y aurait une étude à écrire sur cette espèce de ruée sur les loisirs que je constate à chaque rentrée… Qu’est-ce que les gens doivent se faire chier dans leurs vies, tout de même !
Un petit dessin sur la rentrée des classes :
19h15 : J’arrive au Comix où doit avoir lieu la première scène ouverte Mic Mac de la saison : kenavo le Café de la plage, la connerie sous-préfectorale nous oblige à quitter la place Guérin et à nous replier dans ce bar qui, il est vrai, était le lieu d’accueil originel de ces soirées. À peine arrivé, je sue déjà à grosses gouttes tant il fait chaud : ce n’est pas fait pour arranger le malaise que j’éprouve à chaque fois que je pénètre dans un endroit auquel je ne suis pas habitué. De prime abord, le site me plait moins que le Café de la plage : la décoration me parait surchargée et il me serait impossible de me mettre à l’écart sans être totalement invisible. Mais je sais qu’on change d’avis. Pour patienter, je fais un croquis d’un jeune couple assis devant moi : la jeune fille me remarque… Heureusement, mon dessin semble lui plaire, mais je me demande encore comment faisait Cabu pour dessiner sur le vif sans se faire repérer.
20h15 : La soirée tarde à démarrer. Quand Mequi arrive, je ne le reconnais même pas : avec les cheveux longs et sans sa casquette (dont le port, il est vrai, aurait été contre-indiqué par cette chaleur), il a l’air déguisé, de sorte que ce n’est qu’après coup que je réalise que j’ai eu tort de répondre aussi froidement à ses salutations… Je sais qu’il ne m’en voudra pas, n’empêche que pour l’heure, c’est un début mitigé.
20h30 : Morgane, qui est une de mes chouchoutes parmi les habituées des scènes ouvertes, est arrivée : elle m’annonce qu’elle ne chantera pas car elle ne se sent pas d’humeur. Mais sa présence m’est tout de même bénéfique : comme je n’ose pas demander aux patrons de l’établissement l’autorisation de déplier mon présentoir signalant mon activité de caricaturiste, elle veut bien s’en charger pour moi, et la proposition est acceptée sans problème… Je n’aurai pas la joie de l’écouter chanter, mais j’aurai eu le plaisir de recevoir de sa part une belle marque d’amitié.
21h30 : Après un tour de chant de Mequi accompagné d’un complice, c’est à mon tour de m’exprimer. La chaleur et le stress de la nouveauté influent négativement sur ma diction, mais je m’accroche tout de même, ne souhaitant pas avoir apporté mon classeur de slams pour rien. J’interprète « Sex symbol junior » pour capter l’attention de l’auditoire avec un mélange d’humour et de provocation ; je poursuis avec « Pourquoi si tôt ? » où je reviens sur le harcèlement dont j’ai été victime à l’école et qui me paraît de circonstance en cette période de rentrée des classes ; je termine avec « Voyage en Normalaisie », histoire de faire une peu de promo pour le livre du même nom. Morgane, rejointe par son compagnon, m’avoue préférer les deux derniers slams qui la touchent personnellement : comme quoi je peux aussi émouvoir les gens…
22h : Passage sur scène d’un autre de mes chouchous, Carlos l’espagnol, qui interprète une première chanson en s’accompagnant… À la table ! Et oui : en Castille, quand les gens étaient pauvres au point que leurs tables ne portaient aucune nourriture et qu’ils ne pouvaient s’acheter d’instruments de musique, ils tentaient d’oublier leur misère en chantant et leurs tables désertes leur tenaient lieu d’instruments à percussions… Après cette performance, Carlos reprend sa guitare et se remet à chanter avec son talent habituel : ce muchacho m’étonnera toujours !
22h30 : J’ai enfin un client : un type qui, de son propre aveu, est déjà trop bourré pour avoir les idées claires. Mais bon, il a de quoi payer, alors je ne fais pas le difficile. Mine de rien, malgré les conditions dans lesquelles je me trouve obligé de travailler, je me surprends à faire une excellente caricature ! Soit le stress est un stimulant, soit je suis plus fort que je ne pensais… Il me tarde cependant de partir pour ne pas rater le dernier bus : j’espère qu’il fera moins chaud la prochaine fois et, surtout, que je me serai déjà habitué à ce nouvel environnement.
Jeudi 7 septembre
7h : Déjà levé. J’ai résolu d’aller à Decathlon afin d’y acheter un maillot pour la piscine. Inutile de partir maintenant, j’arriverais avant l’ouverture. Alors, en attendant, je relis La femme du boulanger de Pagnol… Si j’étais un individu « normal », j’aurais allumé la radio pour écouter les prétentieux qui déblatèrent sur l’actualité dès le matin, ou alors j’aurais ouvert la télé pour regarder Télématin. Être différent, ça a du bon.
Vendredi 8 septembre
8h40 : Qu’y a-t-il de plus désagréable qu’attendre un bus déjà en retard dans une rue encombrée par une circulation monstrueuse, alors qu’on doit absolument prendre les transports en commun pour honorer un rendez-vous chez le médecin, qui plus est avec le vacarme d’un chantier juste en face ? Sûrement beaucoup de choses… Mais sur le coup, je n’arrive pas à voir lesquelles ! La situation est d’autant plus stressante que je ne peux m’empêcher de comparer cette ambiance avec celle de La femme du boulanger dont je viens de terminer la relecture : dans le village dépeint par Pagnol, les gens se détestent entre eux, mais ça ne les empêche pas de se connaître et d’arriver à faire corps quand les circonstances l’exigent. En revanche, dans une rue embouteillée, il est très clair que les gens se détestent sans même se connaître, ce qui est encore pire… L’arrivée du bus est donc plus qu’attendue : je serais moins heureux de voir débarquer Tarzan, Zorro, Superman ou Jésus-Christ ! En attendant, pour prendre mon mal en patience, je m’imagine à la place du berger qui a enlevé la belle boulangère… L’arrivée des villageois qui viennent la ramener à son mari ? Même pas peur ! Pagnol me rappelle les tragiques grecs : comme Eschyle, il n’envenime jamais rien, même le plus dur à accepter.
Pour commencer, un dessin sans rapport avec ce que j'ai à vous raconter : un projet de parc qui sera peut-être concrétisé un jour, mais sous une autre forme... Il m'est interdit d'en dire davantage.
Lundi 28 août
11h30 : Plus que quatre fois dormir avant mon retour dans mon appartement. Résumons la situation : il fait gris et frisquet (ça me console de penser que ce n’est pas mieux ailleurs), je n’ai plus mis les pieds dans l’eau depuis jeudi (ça me manque déjà), je n’entends presque plus rien parce que j’ai eu la malencontreuse idée de vouloir me curer les oreilles avec un coton-tige et ma sœur a eu un accident avec la voiture de mes parents : bonjour l’ambiance… Ah, je m’en souviendrai, de mon été 2023 ! J’aurai beau essayer de me raisonner, me dire que j’ai quand même eu droit à de bons moments, il risque de me laisser le souvenir d’une tâche grisâtre dans ma biographie…
21h10 : Je n’avais encore jamais vu Le domaine des dieux dû aux géniaux Louis Clichy et Alexandre Astier : c’est sans doute une des meilleures adaptations des aventures d’Astérix après le film d’Alain Chabat ! Astier fait sûrement partie des rares individus à avoir vraiment compris l’esprit de Goscinny ; un signe qui ne trompe pas est le fait que, contrairement à d’autres, il n’a pas jugé nécessaire d’encombrer le scénario d’une histoire d’amour : la série n’en a d’ailleurs nullement besoin, elle est déjà entièrement sous-tendue par une histoire d’amour simple et forte, celle qu’Astérix lui-même vit avec son village et son mode de vie, qu’il défend contre vents et marées, même quand ses concitoyens perdent la raison – ce qui, comme aux Gaulois d’aujourd’hui, leur arrive plus souvent qu’à leur tour…
Mardi 29 août
13h30 : Plus que trois fois dormir. La météo ne s’améliore guère. Tant pis, j’en suis quitte pour me prélasser dans la chambre d’amis, histoire d’être bien reposé quand l’heure sera venue d’affronter tous les défis qui m’attendent… Et que je pourrais presque résumer à un seul : être heureux dans la vie !
21h : Faute de mieux, nous nous passons en replay un épisode du Voyageur où Bruno Debrandt remplace avantageusement Éric Cantona : Pierre Arditi y joue, ce qui n’étonnera personne, un séducteur ; mais cette fois, c’est un séducteur sur le retour, qui a déjà ses plus belles années derrière lui : bel exemple de lucidité et d’auto-dérision de sa part… Vous avez été jaloux d’Arditi ? Ne vous embêtez pas à vous venger, il le fait lui-même ! Est-ce que je finis pas prendre goût aux séries que regardent mes parents ? Oui, mais pas au point de vouloir me procurer un téléviseur personnel : il ne faut pas trop m’en demander non plus.
Mercredi 30 août
17h40 : J’aurais presque pu aller à la mer aujourd’hui. Mais « presque », ce n’est pas comme « tout à fait » : le temps a été meilleur qu’hier, certes, mais pas assez pour me motiver à traverser la ville et à aller à Sainte-Anne alors qu’il ne me reste déjà plus que deux malheureux jours pour profiter de la quiétude qui règne chez mes parents. Cette attitude est plutôt bon signe en ce qui me concerne : si je ne ressens plus le bain de mer comme un besoin, c’est que j’en ai déjà bien profité. Alors tant pis : aujourd’hui, j’en aurai été quitte pour jouer une nouvelle fois au Scrabble avec ma mère et continuer à relire les aventures de Yoko Tsuno – l’humanisme de l’héroïne, qui refuse de donner la mort, fût-ce aux pires crapules, est rafraichissante, et même si l’action n’y manque pas, cette bande dessinée est apaisante : Roger Leloup y défend des valeurs essentielles telles que l’amitié, le respect, la tolérance… Je crois que j’en ai ras-le-bol du cynisme.
Jeudi 31 août
8h30 : Lever sous un ciel automnal ; une conclusion foireuse pour un été foireux. Je me raisonne en pensant que la vie continue, que les années se suivent et ne se ressemblent pas, et que je connaîtrai peut-être des jours meilleurs. Je n’ai même pas envie de sortir marcher : dès demain, il me faudra à nouveau affronter la grande ville et ses turpitudes, alors autant profiter de cette dernière journée sous l’aile bienveillante des auteurs de mes jours. Je passe la matinée à me prélasser sur le lit en relisant Riquet à la houppe d’Amélie Nothomb : je n’arrive pas à me lasser de ce roman que je redécouvre à chaque lecture ; rien qu’aujourd’hui, je réalise qu’il n’y a pas qu’à Déodat que je m’identifie : j’ai partagé avec la belle Trémière le douteux privilège d’être catalogué « demeuré » sous prétexte que je ne me comportais pas tout à fait comme tout le monde. Mais j’avoue l’avoir affronté avec beaucoup moins de stoïcisme… J’ai la conviction que je pourrais faire vivre de nouvelles aventures à ce couple qui se redécouvre lui-même chaque jour et ne se lasse jamais l’un de l’autre : leur amour répond à ma soif de tendresse et de compréhension dans ce monde où règnent le cynisme et l’égoïsme…
Le 31 août, c'est aussi le jour de la première du Journal des Nuls sur Canal+, en 1987...
"Chantal, je vous signale que vous avez un tampax sur l'oreille...
- Merde, qu'est-ce que j'ai fait de mon stylo ?"
...et de la mort de Lady Diana Spencer en 1997.
Oui, bon, je sais : quand elle était jeune, sa défunte majesté n'avait pas grand' chose à envier à celle qui allait devenir sa belle-fille...
Vendredi 1er septembre
13h30 : Mes parents me reconduisent à Lambé. C’est drôle, j’ai l’impression de comprendre ce que pouvaient ressentir les gamins de jadis quand on les envoyait au pensionnat… Et pourtant, à l’arrivée, aucun pion en tablier gris ne m’attend avec le poing serré sur une règle en fer pour me taper sur les doigts ! Je n’ai à redouter que les cas sociaux avinés qui voudront me taxer des cigarettes et de l’argent que je n’aurai pas et un chantier qui me cassera les oreilles tous les matins… Tiens ? Je me demande si le pion en tablier gris ne vaudrait pas mieux, finalement !
Mardi 15 août : il y a deux ans, Geneviève Gautier nous quittait...
12h : Le temps semble s’améliorer. Alors que je me prépare déjà à repartir à la plage, ma mère me dit qu’elle n’écoute pas France Culture aujourd’hui… Pour la bonne raison qu’on y passe la messe du 15 août ! Que notre république laïque utilise ses canaux publics pour faire la promotion de la religion catholique, voilà une chose que je ne pourrai jamais admettre. Il faudrait choisir : toutes les religions ou aucune ! Et comme elles sont trop nombreuses pour être toutes satisfaites, la solution est toute trouvée, me semble-t-il…
21h : Nous regardons Alex Hugo : quand on a vu Lionnel Astier dans Kaamelott, ça fait drôle de le voir jouer un personnage sympathique dans une autre série ! Mais surtout, j’ai un coup de foudre pour Marilyne Canto, que je ne connaissais pas et qui est une très belle femme… Je me demande si un psy pourrait me guérir, entre autres, de cette attirance malsaine que j’éprouve pour les femmes dont je pourrais être le fils !
Puisque le 15 août est le jour de la vierge...
Mercredi 16 août
12h : Vous voulez adresser vos sympathies à la veuve de Gérard Leclerc ? Alors un conseil : évitez d’écrire « Toutes nos condoléances à Julie d’Europe 1 ! » Je sais, même deux ans après, on a encore du mal à s’y faire, mais évitez tout de même la gaffe...
Jeudi 17 août : il y a 45 ans, Reiser exhortait le Vatican, en une de Charlie Hebdo, à élire une papesse :
8h40 : Enfin du grand beau temps dès le lever. Bien sûr, je n’ai pas besoin que le ciel soit libre de tout nuage pour me promener et prendre des bains de mer, mais rien à faire : j’ai beau souvent protester le contraire, au fond, j’apprécie l’ambiance un peu légère qui s’installe quand nous avons un temps estival digne de ce nom. Voir des filles en bikini, c’est quand même plus agréable que croiser des vieilles peaux emmitouflées…
Vendredi 18 août
11h30 : Je termine la lecture de la série Caroline Baldwin due à l’excellent André Taymans. C’est ça la vraie virtuosité graphique, celle qui est si évidente qu’elle ne se voit même pas… Cette bande dessinée est d’autant plus passionnante que l’auteur a su éviter le piège de la wonder woman : Caroline n’est pas infaillible, elle peut connaître l’échec, c’est donc une héroïne à visage humain à laquelle on peut s’identifier et s’attacher sans peine. Et elle est si belle…
14h30 : Je repars déjà de Sainte-Anne : trop de vent, trop de pluie, pas un chat sur la plage, je n’ai même pas osé me mettre en maillot. Je m’en veux de ne pas avoir vu venir l’intempérie et de m’être déplacé pour des prunes… Je promets de me venger dès que le beau temps revient.
Samedi 19 août
9h05 : Promesse tenue. Comme j’attends la visite d’un couple d’amis cet après-midi et que la marée haute est prévue pour ce matin, je me suis levé tôt pour ne pas la rater. Me voici donc déjà à Sainte-Anne, sous un ciel clément, avec la plage pour moi tout seul ! Idyllique, le rêve ! Pourquoi la vie ne peut-elle pas nous procurer tous les jours de tels moments de grâce ?
Dimanche 20 août
20h : Mes parents sont partis explorer en camping-car la côté nord de la région : de mon côté, j’ai passé la journée à Plouguerneau avec deux amies. Une journée formidable que nous terminons en beauté à Meneham où nous dînons dans un super restaurant dans un cadre merveilleux… Il y a des jours comme ça qui vous réconcilient avec la vie ! N’en jetez plus, la cour est pleine !
Croquis réalisé au camping où réside l'une des deux amies en question :
Lundi 21 août
13h30 : À l’issue d’un nouveau bain de mer, j’entreprends de faire un croquis de la personne allongée à côté de moi ; une femme choisit précisément ce moment pour s’installer entre nous, je me dépêche donc de finir mon dessin avant qu’elle ne bouche la vue. Hélas, elle me remarque et prend la peine de me demander si elle dérange : pour toute réponse, je lui lance un « chut » vigoureux qui lui fait comprendre que je ne souhaite pas me faire repérer ! Je sais d’expérience que certains modèles involontaires prennent très mal d’être dessinés à leur insu… Et pourtant, je ne fais rien de mal !
Mardi 22 août
23h : Pour cette dernière journée sans mes parents, j’ai pris la liberté d’inviter un couple d’amis et leur petite fille pour faire un barbecue. Ils viennent de partir. Cette petite soirée aura été une réussite d’autant plus satisfaisante pour moi que je sais maintenant que je suis capable de cuire de la viande au barbecue sans me faire aider : j’ai une bonne raison de ne plus me voir comme un empoté et un maladroit…
Mercredi 23 août
17h : Je rentre de la plage où mon bain de mer s’est déroulé sans incident, mis à part une espèce de gros con qui semblait décidé à clamer à qui voulait l’entendre (c’est-à-dire, en fait, personne) qu’une fois qu’on avait réussi à entrer dans l’eau, elle était bonne… Mes parents sont rentrés aussi : je les sens moyennement satisfaits de leur escapade, ils semblent avoir appris à leurs dépens que les camping-cars n’étaient pas les bienvenus partout…
Jeudi 24 août
21h : Encore un peu flapi par le bain de mer que j’ai pris cet après-midi, je regarde le premier épisode du Voyageur avec mes parents. Sincèrement, quand je vois la jeune et jolie brune tomber amoureuse de Cantona, auquel l’âge a donné une dégaine de pilier de bistrot, je commence déjà à ne plus y croire… Et je me demande, à supposer qu’une telle amourette soit réellement possible, ce que je dois avoir de si repoussant pour ne pas en vivre moi-même. Oui, j’avoue : après 35 ans de célibat sans remise en question, j’y pense beaucoup en ce moment ! Ça doit quand même être bien agréable, d’entendre de temps en temps une voix douce et chaude vous appeler « mon amour »…
Vendredi 25 août
13h : Temps trop incertain aujourd’hui. Je ne tiens pas à revivre le même gag que la semaine dernière, je reste à la maison, pour une fois. Il faut que ça tombe justement le jour où mes parents vont faire les courses… Quand je disais que la vie n’est pas faite que de moments de grâce, je n’étais pas si pressé d’en avoir la confirmation !
Samedi 26 août : il y a 43 ans mourait Tex Avery
11h30 : Trop de vent, prévisions pessimistes : je reste au bercail une fois de plus. Bien sûr, je ne peux pas me plaindre, ce n’est pas comme si je n’avais pas déjà bien profité de la plage. Plus que six fois dormir avant de regagner mes pénates : je n’ai jamais été aussi peu pressé de rentrer… Est-ce que je vais reprendre mon cirque habituel ? Non ! Il faut que ça change !