Dimanche 5 novembre
17h : Avant de prendre un car pour Paris, je dois passer dans un café du Moulin Blanc pour y livrer un acheteur qui m’a commandé deux exemplaires de Voyage en Normalaisie. Je cherche donc l’établissement en question : j’ai froid, je suis seul, je suis chargé comme un mulet, et je suis pris en sandwich entre deux peurs, à savoir celle de rater mon car et celle qui me vient à chaque fois que je dois me rendre dans un lieu inconnu. Pour ne rien arranger, je m’étonne de ne pas trouver le café en question : craignant m’être trompé de route, j’interroge une bistrotière qui me répond que je n’ai qu’à aller tout droit. Je découvre ainsi que l’Anse de Moulin Blanc est plus vaste que je ne le croyais et que la zone habitée ne s’arrête pas là où j’avais conclu mes pérégrinations antérieures… J’ai de plus en plus froid et ma peur augmente de plus belle ! C’est dans ces peu heureuses dispositions que je trouve enfin le café, dans lequel je pénètre à l’issue de cette laborieuse exploration : alors que je me remets à peine de mes émotions, j’entends un grand rire éclater dans mon dos ! Surpris, je sursaute, je me retourne… J’ai probablement eu une attitude que je n’ai pas su maîtriser, mais je ne me rappelle ni du regard que j’ai lancé au rieur ni des sons j’ai pu proférer ! Ça devait être très spontané et totalement irréfléchi ! Dans tous les cas, ça ne justifiait absolument pas l’attitude de ce monsieur, qui se trouvait être le patron de l’estaminet, et qui m’a saisi fermement par le bras pour me sermonner ! J’ai eu beau lui expliquer la situation, lui dire que j’étais pressé, lui préciser que j’étais handicapé, il n’a rien voulu entendre : il m’a fait mal, il m’a terrorisé, il m’a relâché au bout de quelques minutes, aussi arbitrairement qu’il m’a arrêté. J’ai trouvé mon commanditaire et l’ai livré puis suis reparti en me demandant si je ne serais pas en droit de porter plainte pour agression injustifiée et attitude discriminatoire à l’encontre d’une personne en situation de handicap !
20h50 : Je monte dans le Blablacar que j’avais réservé. Bien m’en avait pris car aucun train ne dessert Brest pour l’instant, tempête oblige. Je suis d’humeur mitigée : outre le fait que je n’ai pas encore cicatrisé l’agression caractérisée dont je viens d’être la victime, je suis frigorifié d’avoir dû attendre dehors ce car qui avait une demi-heure de retard et, je l’avoue, dormir en voyageant n’est pas une perspective qui m’enchante. Mais quand j’avais planifié mon voyage, le salon du livre était encore maintenu, je n’avais donc pas d’autre choix, si je voulais arriver à l’heure au rendez-vous que me fixait L’Harmattan le lundi matin, de réserver une place dans ce car de nuit. Et comme, de toute façon, il n’y a pas de train… Je croise les doigts pour que les autres voyageurs soient disciplinés : la dernière fois que j’avais pris le car de nuit, c’était avec mes camarades d’hypokhâgne qui, loin de dormir, ont foutu un souk digne d’une bande de collégiens ! Une expérience traumatisante qui m’a cependant ouvert les yeux sur la prétendue dureté des études en CPGE : si les étudiants de ces classes se plaignent d’être débordés de boulot, c’est aussi parce qu’ils ne se donnent pas les moyens d’y faire face…
Lundi 6 novembre
6h : Le car nous dépose à Bercy, comme prévu. Finalement, ça ne s’est pas trop mal passé : faute d’avoir vraiment dormi, j’ai somnolé, suffisamment en tout cas pour tenir le coup au moins jusqu’à ce que je sorte du rendez-vous. Je conviens qu’à moins de conduire soi-même, il est moins fatigant de voyager de nuit plutôt que de jour, ne serait-ce que parce qu’il fait noir et que la sensibilité n’est donc pas sollicitée par le paysage : c’est le même avantage que quand on prend le métro… En attendant, mon rendez-vous est dans plus de trois heures : pour tuer le temps, je décide de faire la route à pied jusqu’à la rue des écoles. Il fait un temps qui ne me dépayse pas de la Bretagne… Je ne peux même pas aller déposer mes bagages à l’auberge de jeunesse, on ne m’y attend qu’à partir de quinze heures… Je suis masochiste, ou quoi ?
7h30 : Je suis arrivé dans le quartier concerné. Prenant le petit déjeuner dans un bistrot, je cherche mon porte-monnaie… Et je ne le trouve pas. Où ai-je pu le perdre ? Aucune idée. Si on me l’a volé, le pickpocket ne pourra pas se vanter d’un butin copieux : il ne contenait que les vingt-six euros qui venaient de m’être payés par mon commanditaire et mon jeton pour le vestiaire de la piscine… N’empêche qu’à chaque fois que je me rends à Paris, je me fais dépouiller : comme si les prix pratiqués dans les bars ne suffisaient pas à me ratiboiser !
8h45 : J’ai fini de lire Haïe, le roman de Geneviève Gautier. Est-ce une œuvre de pure fiction ou un authentique reportage ? Chez elle, les deux étaient toujours plus ou moins liés : l’une de ses dernières nouvelles, « Au Brésil », était basée sur des témoignages recueillis auprès d’une pensionnaire de l’EHPAD où elle résidait… Haïe est consacré à une vieille cuisinière, née au début du XXe siècle, qui témoigne sur ses jeunes années au cours desquelles elle n’a eu de cesse d’essayer de s’émanciper jusqu’à ce qu’une grossesse non désirée la prenne au piège : ce n’est pas le moindre des mérites de Geneviève d’avoir fait parler les femmes de son temps, celles qui n'avaient pour ainsi dire aucun moyen de se défendre contre l’oppression masculine… On ne mesure pas assez le chemin que les femmes ont parcouru depuis cette époque pas si éloignée où l’autonomie financière leur était inaccessible, où l’avortement était interdit et où le droit de vote était un privilège masculin ! Plus grave, on a tendance à s’imaginer que les femmes de ce temps-là n’étaient pas malheureuses, qu’elles s’accommodaient de la situation : il n’est donc pas inutile de rappeler que non, qu’elles aspiraient déjà à plus de liberté et que les droits conquis par leurs descendantes ne doivent donc pas être envisagés comme les caprices d’une génération déviante… Geneviève mériterait vraiment une postérité plus importante…
8h55 : Je pénètre dans les locaux de L’Harmattan où une vidéaste doit me filmer dans le cadre de la promotion de mon livre. Bien sûr, je suis largement en avance : la personne qui m’accueille en profite pour m’annoncer que les ventes de Voyage en Normalaisie connaissent ce qu’il est convenu d’appeler « un bon début » : ça me met du baume au cœur.
10h : Je sors du sous-sol qui sert de studio à l’éditeur : on m’enverra le montage pour validation d’ici deux semaines. Pour l’heure, l’expérience me satisfait déjà : j’ai tellement l’habitude d’être traité comme une merde partout où je vais que je n’allais pas me priver d’une occasion de me sentir valorisé !
11h : Ayant du temps avant d’aller à l’auberge de jeunesse, je me rends à la Direction de l’attractivité et de l’emploi. Le but ? Connaître les formalités à remplir pour pouvoir faire le caricaturiste sur la place du Tertre. Étant donné que l’artiste qui m’avait donné l’adresse ne semblait pas avoir les idées très claires, je prends toutes les précautions oratoires possibles avant de m’adresser à la personne assurant l’accueil : je cherche à capter sa bienveillance, au cas où j’aurais été mal informé. Finalement, il me donne l’adresse mail de la personne à contacter, ouf ! Cette prise de contact attendra car, ne voulant pas revivre la catastrophe de la dernière fois, je n’ai pas emmené mon ordinateur… Je n’ai plus qu’à me mettre en quête d’un endroit où déjeuner. Le moral revient… Jusqu’à la prochaine catastrophe !
12h : Dîner au Maximilien sur le boulevard Diderot, petit bistrot sympathique au rapport qualité-prix honnête. Quand je paie l’addition au comptoir, il m’est impossible d’échapper à l’écran branché sur une chaîne d’information continue dont je préfère taire le nom : un « éditorialiste » aussi sexy qu’un croisement entre une chouette et un panda ergote sur le chômage qui devrait repartir incessamment à la hausse ; dans un coin de l’écran, on annonce un « débat » sur le « laxisme » de la France en matière d’immigration… Et voilà comme, de façon insidieuse, on oriente le Dupont moyen pour le convaincre que s’il pointe à Pôle Emploi, c’est à cause des migrants qui viennent lui piquer son boulot ! Seigneur, ne leur pardonnez surtout pas, car ils savent très bien ce qu’ils font !
13h30 : Je n’allais pas tourner en rond dans les rues, surtout avec le froid qu’il fait : je suis déjà à l’auberge de la jeunesse. Je n’aurai accès à la chambre qu’une heure et demie plus tard. Tant pis, je m’en accommode en me prélassant sur un canapé du hall… Jusqu’à ce qu’un type vaguement habillé en pompier vienne me dire qu’il est interdit de se coucher sur les sofas. Je n’ose pas protester, mais je me demande bien qui je peux gêner ! Certains imbéciles prétendent qu’on ne peut plus rien dire : je dirais plutôt qu’on ne peut plus rien faire et que c’est autrement plus grave !
16h : Après avoir enfin pu déposer mes affaires dans la chambre, je retrouve mon oncle, postier à la retraite et ancien délégué syndical : il a été de toutes les luttes jusqu’au bout, y compris, justement, celle contre la réforme des retraites, et il m’assure que ce n’est pas tout à fait fini. Je ne dirai pas que je suis fier de lui, car après tout, je n’y suis pour rien. Mais quand je pense à lui, à mon grand-père FFL, à mon vieux gaucho de père, ou encore à mon autre oncle qui a écrit un livre où il a réglé ses comptes avec sa hiérarchie, je me dis : chouette, je ne suis pas issu d’une famille de collabos ! C’est quand même une sacrée chance, non ?
18h30 : Je suis sur le boulevard Haussmann, j’ai rendez-vous avec quelqu’un que je n’ai pas vu depuis des années. Le temps est pourri, il y a du bruit et une circulation excessive, j’ose à peine croire que je vais vraiment voir la personne que j’attends. Et pourtant, si ! Elle arrive ! Je n’en reviens pas, mais si : elle est bien là, devant moi ! Mon amie de collège… Oui, vous avez bien lu : pendant les années noires du collège, j’ai eu une amie. UNE amie et une seule. La seule à m’avoir tendu la main. La seule à m’avoir proposé son amitié, à moi dont personne ne voulait être l’ami. Et elle est là, devant moi. Elle n’a pas changé. Toujours aussi mignonne, aussi gentille, aussi souriante que jadis. Je verrais apparaître la Madone, je serais moins émerveillé ! Nous tombons dans les bras l’un de l’autre puis allons dîner dans une Brasserie : c’est la soirée la plus délicieuse que j’aie vécue depuis des mois… Vingt ans après, notre amitié est intacte : elle reste d’une bienveillance que peu de gens m’ont témoigné, c’est peut-être la seule personne au monde face à laquelle je me sens pleinement à l’aise, devant laquelle je ne me sens pas jugé, évalué, critiqué… Comme pour corroborer mes pensées, elle m’offre deux parapluies : elle fait mieux que saint Martin qui aurait offert la moitié de son manteau à pauvre ! Cette fille est formidable… C’est juste une amie, je vous le jure ! Pas n’importe quelle amie, je vous l’accorde : la première vraie amie que j’aie eue dans ma vie, la seule qui ne m’ait jamais déçu… Et c’est déjà énorme ! Je n’ai pas trouvé la femme de ma vie, mais j’ai retrouvé mon ange gardien… C’est encore mieux !
Mardi 7 novembre
10h : Après une bonne marche au cours de laquelle je suis notamment passé à Beaubourg, je visite le musée Carnavalet. C’est un fort bel endroit, rempli d’objets très intéressants sur l’histoire de la France en général et celle de sa capitale en particulier, mais ce qui me plait le plus, ce sont les dessins d’enfants inspirés par les pièces exposées : je trouve l’idée géniale, il n’y aura jamais trop d’initiatives pour inciter les enfants à la curiosité et booster leur créativité. J’aime leur regard gentiment iconoclaste, ils traitent les pièces avec recul et humour, à mi-chemin entre la déférence aveugle et l’irrespect incongru. Les enfants sont passionnants, quand on prend la peine de les écouter et de les respecter, quand on ne leur parle pas comme à des demeurés… Ce n’est pas si facile que ça en a l’air, je vous l’accord ! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer…
Trois photos prises sur le chemin :
Ça fait un peu "œil du cyclone", non ?
Quelques pièces du musée :
Voilà un cerf qui n'est pas de chez Disney : regardez entre ses pattes...
Ces statues sont des caricatures de médecins renommés : Les Guignols chez les carabins, en somme !
Je n'ai pas pu résister au plaisir de prendre en photo ces représentations de sainte... Geneviève !
Un vase qui rejoint une certaine actualité...
Une gargouille qui m'a vivement impressionné !
"L'enfant prodigue et les courtisanes", école flamande
14h30 : On parle beaucoup d’une résurgence de l’antisémitisme. Pourtant, quand je visite le quartier juif, je ne vois aucune inscription haineuse ou insultante, et les gens n’ont pas l’air spécialement inquiet – je sais qu’à force d’être persécutés depuis des millénaires, les Juifs sont généralement courageux et résilients, mais tout de même ! Alors de deux choses l’une : ou bien les journalistes exagèrent, ou bien on assiste à une énième manifestation de l’amalgame dégueulasse entre antisémitisme et soutien à la Palestine – ce qui n’a rien à voir : si on soutient la Palestine occupée et agressée, c’est par amour de l’humanité, ça ne peut donc pas être compatible avec l’antisémitisme. Mais que vais-je faire dans le Pletzl, me direz-vous ? Et bien je cherche le Mémorial de la Shoah pour voir l’exposition des dessins de Riss sur le procès Papon. Et vous savez quoi ? J’ai un mal de chien à le trouver ! J’ai demandé à une dame qui avait l’air de guider des touristes, mais elle m’a donné une fausse indication : résultat, en désespoir de cause, je suis dirigé vers une librairie du quartier pour demander un renseignement à la commerçante… Mais elle est absente pour « quelques minutes » ! Comme je n’ose m’adresser à personne d’autre, j’attends donc son retour, assis devant la porte… Je me retrouve le cul par terre, comme un clodo, comme j’en ai eu cent fois l’habitude à Brest ! J’ai beau voyager, je n’arrête pas de me retrouver dans cette position humiliante ! J’en ai marre, mais marre, mais MARRE !
16h30 : J’ai fini par trouver le mémorial et à y visiter l’exposition. J’avais dix ans au moment des faits, je suis donc content d’avoir l’occasion d’en savoir davantage : je suis frappé de constater la vitalité dont Papon faisait preuve à l’époque alors que la presse n’arrêtait pas de nous dire qu’il avait un pied dans la tombe ! Mais surtout, quand je prends acte de son attitude et de celle de ses « témoins de moralité » (Maurice Druon, Raymond Barre, etc.), un constat s’impose : le procès de ce vieux salaud de Papon, c’était d’abord celui de cette bourgeoisie prête à tout pour sauvegarder ses privilèges (fussent-ils mal acquis) quand elle sent qu’ils sont menacés, y compris au mépris des vies humaines ! Par conséquent, on peut regretter que Papon n’ait écopé que d’une condamnation finalement légère au de l’ignominie de ses actes et n’ait même pas purgé la moitié de sa peine, mais ne boudons pas notre plaisir de l’avoir vu au banc des accusés : c’était déjà une humiliation pour ce vieux salaud encravaté qui se croyait au-dessus des lois (c’est malheureusement un peu vrai) et de notre mépris (ça, c’est râpé) ! Il est mentionné que les commentaires de Riss sont moins virulents dans le hors-série de Charlie Hebdo qu’ils ne l’avaient été dans l’hebdomadaire ; certains mauvais esprits ont dû crier à l’autocensure, mais la réalité a dû, comme souvent, être à la fois plus simple et plus compliquée : la vérité, c’est qu’un commentaire acerbe par semaine dans un journal, c’est moins lourd qu’un par page dans un hors-série qu’on lit d’un seul coup ! Et une chose est sûre : Riss est un grand dessinateur et ses croquis d’audience sont des documents historiques de premier ordre. Et je ne laisserai personne dire le contraire ! Surtout pas ces vieux salauds qui ont osé opposer de façon à peine voilée la « lâcheté » des Juifs qui se seraient laissés déporter au courage des « héros » qui ont pris les armes contre l’occupant : ce discours est un dévoiement absolu des idéaux de la résistance française et j’aurais voulu que Lucie et Raymond Aubrac, qui étaient encore vivants à l’époque, viennent tirer les oreilles aux défenseurs d’une thèse aussi nauséabonde ! Résister au fascisme, c’est d’abord aimer la vie, d’où qu’elle vienne !
17h30 : Il y avait longtemps que je voulais voir ces fameuses arènes de Lutèce. Je suis un peu déçu : à part les gradins, c’est un square comme il y en a des tas, et pas seulement à Paris. En tant que site patrimonial, il mériterait d’être mieux mis en valeur, je peine à me replonger dans l’ambiance qui devait y régner au temps des Romains ! Depuis que je sais qu’il était rare que les gladiateurs meurent au combat, qu’on employait même des médecins pour soigner leurs blessures et qu’ils pouvaient devenir des vedettes respectées du public, je vois ces spectacles différemment : ça ne devait pas être pire que les matches de catch et, à tout prendre, c’était finalement moins pervers que nos émissions de télé-réalité actuelles… Bref, ce n’était peut-être pas très intellectuel, mais ce n’était sûrement pas aussi barbare qu’on l’a longtemps cru ! De toute façon, je pense que j’aurais moins peur des gladiateurs que des ballons avec lesquels jouent les mômes ! Parce qu’un combat de gladiateurs, si je garde mes distances, ne risque pas de me blesser, tandis qu’un ballon, je risque toujours de me le prendre sur la gueule même en m’éloignant…
18h : Après avoir marché toute la journée, je méritais bien de me reposer les jambes : j’ai donc pris le métro pour rentrer à l’auberge de jeunesse, ce qui m’a permis entre autres, de découvrir l’affiche du spectacle d’Alessandra Sublet. J’aime assez cette femme, que je rebaptise parfois Alessandra Sublime, je la trouve aussi belle que spirituelle et j’ai toujours pensé qu’elle avait du potentiel, mais de là à aller voir son one-woman-show… Et puis c’est risqué : est-ce que je serais vraiment le seul à prêter davantage attention à ses courbes qu’à son jeu d’actrice ?
19h : Pour limiter les frais, je dîne à l’auberge de jeunesse : j’ai mangé assez gras à midi et aller au restaurant tout seul, ce n’est pas drôle. Le menu est mitigé, ce qu’on me propose me rappelle le restaurant universitaire avec son triste cortège de mets dégoulinants de sauce… Je choisis un parmentier de patates douces et du riz, c’est encore ce qu’il y a de plus appétissant. Au dessert, les gâteaux étant toujours trop sucrés dans ce genre de cantine, je jette mon dévolu sur du raisin. De toute façon, l’heure n’est pas à la fiesta, il faudra que je me couche tôt si je ne veux pas rater mon train pour rentrer à Brest.
Mercredi 8 novembre
6h : Je sors pour aller aux toilettes : quand je retourne vers la chambre, la porte, qui est censée s’ouvrir à l’aide d’une carte, reste close. Je suis donc obligé de descendre à l’accueil en pyjama… J’ai fière allure, tiens ! Encore heureux que je ne dorme pas en caleçon comme j’avais été réduit à le faire lors de mon précédent voyage ! Le réceptionniste m’arrange mon problème et j’arrive à rentrer : l’occasion faisant le larron, je me lave, m’habille et remballe mes bagages histoire de repartir tout de suite après le petit déjeuner. Le règlement précise que je dois mettre mes draps dans des paniers prévus à cet effet dans le couloir : je sors donc pour m’exécuter, habillé cette fois de pied en cap… Et quand je retourne récupérer mes bagages dans la chambre, la porte refuse à nouveau de s’ouvrir ! Je suis donc obligé de re-déranger le réceptionniste qui me donne carrément une nouvelle carte. Qui ne me servira qu’une seule fois… La journée commence bien !
8h30 : Je suis une nouvelle fois arrivé trop tôt à la gare Montparnasse. On se moque souvent de mon rapport aux horaires, mais chaque fois que j’essaie de la jouer « cool » et de me dire que j’ai le temps, ça tourne à la catastrophe, alors zut. Je monte au salon Grand Voyageur où j’avais patienté la dernière fois, mais cette fois, la dame de l’accueil me refoule ! Apparemment, il faut une carte spéciale pour entrer ! Je ne comprends pas : il y a un mois et demi, on m’avait laissé entrer sans rien me demander ! Mais la fille est une Asiatique mignonne comme un cœur et je ne suis plus à ça près, alors je n’insiste pas. Il n’empêche qu’il fait froid dans la gare et que j’aurais bien aimé patienter dans un cadre plus confortable et… Moins bruyant !
11h30 : C’était trop beau. Grâce à mon oncle parisien d’adoption, je savais que le plus gros des dégâts causés par la tempête était réparé, que le trafic ferroviaire était redevenu à peu près normal en Finistère et que je n’avais donc plus à craindre d’être bloqué à Saint-Brieuc ou à Guingamp. De fait, ce n’est dans aucune de ces riantes communes des Côtes d’Armor que le train est à l’arrêt mais à Rennes ! On annonce une heure de retard à cause d’un train de fret qui est tombé en panne sur la voie ! C’est l’effet Maginot : le danger ne vient jamais de là où on l’attend ! Je ronge mon frein, je me dis que j’en suis quitte pour peaufiner les deux slams que j’ai mis en chantier depuis le départ de Paris…
12h30 : On nous a servi des paniers-repas : une malheureuse ration de taboulé en boîte, une mini-biscotte, de la compote en biberon (je ne sais pas comment l’appeler autrement), une galette industrielle, une sucette… Beurk ! Le menu a sans doute été composé de manière à ne pas vexer les musulmans et les vegans… Je me suis néanmoins résigné à avaler ces horreurs car je n’allais pas rester sans manger, et puis c’était bien la moindre des choses qu’ils nous offrent le repas ! Je laisse cependant la compote à ma voisine : j’aime la compote, mais pas conditionnée ainsi, ça me dégoûte au plus haut point ! Je dirais bien deux mots au malfaiteur qui a eu l’idée d’emballer un aliment innocent dans cette espèce de baxter ! Quant à la sucette, je la mets de côté pour l’offrir à quelqu’un : je ne suis pas un fou des sucreries et je suis déjà assez gras comme ça. Quand je suis à peu près rassasié, on nous annonce que le retard est désormais évalué à deux heures et demie… Là, je n’ai pas pu m’empêcher de crier ! Je n’ai VRAIMENT pas pu !
13h30 : J’ai pensé un instant déclamer mes deux slams aux autres passagers du wagon, histoire de détendre l’atmosphère, qui était un chouïa oppressante, mais je ne sais pas si j’en avais le droit et je n’avais pas envie d’affronter les foudres du personnel. De toute manière, je n’en aurais sans doute pas eu le temps : nous avons reçu l’ordre de descendre du train en attendant que les responsables concernés trouvent une solution au problème ! J’attendais dans l’angoisse, mais au moins, j’étais au chaud et confortablement assis dans un wagon relativement peu bondé : maintenant, à l’attente angoissée s’ajoute l’inconfort d’un quai de gare puant où je me gèle en compagnie d’une foule surexcitée et bavarde ! De mieux en mieux ! J’entre un bref instant dans la gare pour jeter un œil aux nouvelles : la guerre continue à Gaza, en Ukraine aussi, le réchauffement climatique s’aggrave, les discours de haine se banalisent partout… Ce n’est pas ça qui va me remonter le moral ! Le sujet qui fait la « une » est le harcèlement en milieu scolaire : d’après les dernières études, c’est pire que ce qu’on pensait, un jeune Français sur cinq en aurait été victime ! Les conséquences sont souvent dramatiques : dépression, déscolarisation, automutilation… Voire suicide ! Ce sont surtout les collégiens qui sont concernés : je n’en suis pas étonné ! Outre mon expérience personnelle, j’ai discuté avec plusieurs enseignants, retraités ou en voie de l’être, et ils me disent tous que l’instauration du collège unique a été une terrible erreur qui contraint à la cohabitation des jeunes sans points communs et favorise le choc des contraires ! Certains préconisent même de faire sortir les gosses de l’école primaire deux ans plus tard et de les faire rentrer au lycée deux ans plus tôt, autrement dit de supprimer carrément le collège ! Si je devenais ministre de l’éducation nationale, ce serait mon premier geste ! Selon la même étude, ce sont les adolescents timides et isolés qui sont les plus exposés ; je ne m’en étonne pas non plus, mais là, je voudrais signaler une chose : on vit quand même dans une société qui n’a de cesse d’écraser les faibles et où la loi de la jungle est érigée en dogme, alors il ne faut pas s’étonner que des ados se sentent en droit d’appliquer cette logique dès qu’ils commencent à sentir leurs hormones les travailler ! La lutte contre le harcèlement en milieu scolaire restera inefficace tant qu’on ne se donnera pas les moyens de construire une société qui ne soit plus basée sur des rapports de concurrence et de guerre des uns contre les autres ! Et j’ai l’impression que le gouvernement n’en prend pas tout à fait le chemin… Je ne m’attarde pas dans la gare, je m’en voudrais de rater le train si, par miracle, on nous laissait réembarquer…
14h30 : Nous sommes enfin repartis. Maintenant, je ne peux plus espérer arriver à Brest avant cinq heures et demie… Au mieux. Je ne pourrai donc pas être à l’heure au cours du soir, qui commence à dix-huit heures, d’autant que, comme j’aurais dû avoir quatre heures de battement, je n’ai pas sur moi le matériel demandé et suis donc obligé d’aller le chercher chez moi avant d’aller à l’école ! Quand je dis que ça tourne à la catastrophe chaque fois que j’essaie de la jouer « cool »… J’envoie un SMS à la prof pour la prévenir : elle est compréhensive, ça ne devrait pas poser problème… N’empêche que je ne suis pas fier de moi ! Je vais boire un café pour tenir le coup : je m’étonne de ne pas voir grand’ monde au bar, je pensais que nous aurions été plus nombreux à venir chercher un peu de réconfort…
17h30 : Enfin à Brest ! Il y a du monde à la gare, mais le personnel a dégagé le passage pour les voyageurs qui arrivent avec quatre heures de retard : j’ai l’impression qu’on me fait une haie d’honneur, mais je ne suis pas d’humeur à apprécier cette gratification, je suis trop pressé. J’espère au moins que mon trajet gare-appartement-école se déroulera sans encombre…
18h50 : Vous pensez bien que non ! J’avais oublié que la circulation à l’heure de pointe, qui n’est déjà pas drôle en temps normal, relevait carrément du cauchemar à cause des travaux de la deuxième ligne de tram… Pour ne rien arranger, il y a visiblement eu un incident dans mon quartier et la police bloque le passage habituel du bus : ça rallonge encore plus le trajet, déjà passablement tarabiscoté depuis le début du chantier ! Je me mets à hurler : le chauffeur menace de me foutre dehors si je recommence ! Les crétins qui braillent dans leurs smartphones, il ne leur dit rien, en revanche…
19h20 : J’arrive enfin à l’école au terme d’un voyage difficile où les bouchons ont succédé aux erreurs de trajet : j’espère au moins pouvoir entrer en triomphateur, j’ai vaincu tous les obstacles pour être présent avec le matériel demandé… Et je découvre qu’en lieu et place de la séance d’aquarelle annoncée, tout le monde fait du croquis de nu au crayon ! Et oui : distraite comme tous les grands artistes, notre prof avait oublié que nous aurions un modèle ! Je dégaine donc mon carnet et mon crayon… Que j’avais déjà sur moi à mon arrivée à la gare ! En clair, comme si je n’avais pas été assez épuisé par mon voyage en train, je me suis tapé une galère insupportable POUR RIEN ! Je craque pour de bon, je supplie qu’on m’achève ! Vous riez ? J’aimerais vous y voir, tiens !
20h30 : J’avais prévu d’aller à la scène ouverte Mic Mac, mais dans mon état, ce serait du suicide : je préfère donc chercher un peu réconfort au Biorek brestois, j’étais curieux de voir si mon restaurant préféré n’avait pas trop souffert de la tempête. Apparemment, l’enseigne a morflé, mais c’est tout. Alexandre m’explique que ce n’est pas grave, que l’assurance couvrira les dégâts occasionnés par les intempéries mais qu’il fait face à d’autres difficultés, plus sérieuses : je l’encourage à tenir bon malgré tout, j’ai trop besoin de son établissement !
Jeudi 9 novembre
15h : Encore mal remis de toutes mes mésaventures de la veille, je suis tout de même sorti pour m’acquitter de quelques formalités. Pour commencer, je retrouve un lieu dont j’ai longtemps été familier : la salle des doctorants de la fac. D’après une jeune (et jolie) chercheuse, j’y aurais laissé des affaires : j’étais un peu étonné de l’apprendre, je n’avais pas le souvenir de manquer de quoi que ce soit – à part d’amour, bien sûr… Sur place, je découvre qu’il s’agit simplement de mes polycopiés du temps où j’enseignais l’histoire de la BD francophone : comme il n’y avait pas la moitié des étudiants inscrits qui venaient, j’avais toujours un gros surplus et je l’apportais à mes collègues jeunes chercheurs afin qu’ils aient du papier brouillon. Ils ne s’en sont même pas servis ! Ils n’ont même pas songé que c’était destiné à ça ! Évidemment, je refuse de récupérer tout ce papier, je suis déjà assez encombré chez moi : qu’ils en fassent des confettis, des cocottes, qu’ils le brûlent, qu’ils le mangent même si ça leur chante, mais je n’ai jamais eu l’intention de ramener ça chez moi, alors zut, à la fin.
15h15 : Il pleut des cordes et le vent ne décorne plus les bœufs, il les décapite : traverser la place de la Liberté dans ces conditions relève de l’exploit ! Je n’ai pour me protéger que l’un des parapluies offerts par mon amie, je prends gare à ce que le vent ne le retourne pas… Je me souviens de cette histoire de Peyo où le Grand Schtroumpf casse le parapluie du Schtroumpf à lunettes pour en faire un cerf-volant destiné à foudroyer une machine infernale et à l’empêcher de nuire : malgré l’antipathie que m’a toujours inspiré le Schtroumpf moralisateur, cette scène m’a fendu le cœur ! Je n’aimerais pas qu’il arrive un sort semblable au cadeau de mon ange gardien… Je parviens tout de même à accéder au local des Enfants de Dialogues : je viens simplement m’enquérir du résultat de la vente de livres à laquelle j’ai contribué en déposant deux modestes ouvrages. Miracle : ils ont trouvé preneur et j’ai droit, comme promis, à un chèque-cadeau ! Il y a des petites choses qui vous consolent de bien des malheurs.
15h30 : J’arrive à l’école des Beaux-arts. Pas l’annexe où ont lieu les cours du mercredi soir, non, l’école centrale, située rue du Château. Sincèrement, je n’aime pas venir là : je trouve le bâtiment mal situé et difficile d’accès ! Qui plus est, je n’apprécie pas ce quartier que je trouve assez bourgeois (mais je peux me tromper), en décalage avec l’ambiance générale de ma ville bien-aimée. Mais je suis bien obligé de faire le déplacement pour payer mon inscription aux cours publics : je n’arrive pas à payer en ligne et je ne veux pas gaspiller un timbre pour une transaction qui ne sort même pas de Brest, alors je me suis astreint à cette escapade que la météo achève de rendre très désagréable. Quand je donne mon chèque à la secrétaire, une chape de plomb me tombe dessus : je me suis trompé en écrivant le montant ! J’explose. Une responsable, alertée par mes cris, vient voir ce qui se passe : je reprends mes esprits et je me tire, sans donner une seule explication. Je n’ai rien à regretter, je ne suis pas sûr que cette bureaucrate aurait été capable de comprendre que j’ai subi des épreuves qui ont eu raison de mes nerfs…
15h45 : J’inaugure un nouveau commerce : Dialogues Beaux-Arts. Ce sera plus pratique qu’Artéis, ne serait-ce que parce que c’est plus petit et, donc, plus fonctionnel : j’en avais marre de perdre des heures à fouiller un local démesuré et surchauffé. Pour ne rien gâcher, l’une des vendeuses est une ancienne collègue de fac : c’est quand même plus agréable de traiter avec une commerçante qui vous connait… Et ne peut donc pas être surprise par vos réactions !
18h : Après avoir consommé un chocolat chaud dans un bar pour me réconforter, j’arrive au Kafkerin où a lieu le vernissage de l’exposition de Stoven, le secrétaire du Collectif Synergie, qui peint depuis déjà sept ans. J’avoue avoir un peu de mal à trouver les mots pour commenter sa peinture : tant pis, au diable le jargon des critiques d’art, je me fous de savoir ce que l’artiste a voulu exprimer, je ne cherche pas à comprendre, je suis heureux et ça me suffit ! Le buffet est copieux : il faut dire que l’asso a amené une bonne partie de ce qui aurait dû servir à nourrir les exposants au salon du livre qui a été annulé la semaine dernière… J’en profite largement pour ne pas avoir besoin de me faire à manger en rentrant : ne laissons pas l’amertume nous gâcher la soirée…
19h30 : Dans la foulée du vernissage, le collectif a organisé une scène ouverte : un double événement pour fêter dignement le septième anniversaire de l’association. Nous craignions qu’il y ait peu de monde, en raison de la météo peu engageante, mais finalement, beaucoup d’artistes se sont mobilisés : Claire, la présidente de l’asso, qui reste motivée malgré le dur revers du salon littéraire annulé, nous interprète deux slams rendant hommage à l’équipe d’artistes que nous formons. Bardawen, malade comme un chien, a quand même fait l’effort de venir et nous joue un petit air avec une espèce de banjo médiéval. Vient ensuite une ravissante poétesse, suivie d’un vieux guitariste qui nous joue des airs de rock et interprète même du Souchon. Après le passage d’un slameur débutant, Nathalie, accompagnée par Guillaume, nous interprète deux chansons qui me font penser à du Charles Trenet triste. Monica, plus belle que jamais, s’essaie à la trompette et à la chanson en espagnol, Michel nous raconte des histoires drôles, deux jeunes rappeurs nous font une démonstration de leur talent, Manuèle déclame ses poèmes sur les fleurs, un certain « Docteur Noir » chante avec l’aisance d’un véritable artiste de variétés… Bref, nous passons une excellente soirée qui rend pleinement justice au nom de notre association : Collectif Synergie. Et moi, là-dedans ? J’ai pu interpréter huit slams, dont les deux inédits que je viens de finaliser : actualité oblige, j’ai privilégié les textes axés sur l’autisme et le harcèlement en milieu scolaire, mais j’ai tout de même interprété « Charlotte Corday » histoire de rebondir sur la chanson de Nathalie consacrée à une autre figure féminine de la révolution, Olympe de Gouges. Avant de laisser la place, puisque nous célébrons un anniversaire, j’offre publiquement à Claire un collier dû aux mains expertes de Bernadette Guillermin : enchantée, elle le met aussitôt ; ainsi, le bijou est là où est sa juste place, c’est-à-dire autour du cou de cygne d’une jolie femme… Cette soirée est une réussite totale ! Seul petit bémol : une jeune fille, charmante au demeurant, s’est crue obligée de monter sur scène pour exhorter les artistes à cesser de s’excuser et à être fiers d’avoir le courage de s’exprimer en public… Je la retrouve à la fin pour lui dire que ce genre de précepte de pensée positive est justement ce qui est tourné en dérision dans le dernier Astérix : elle ne l’a pas lu…
J'ai bien entendu dessiné la plupart des artistes ayant participé à la scène ouverte ; sauf Claire, que j'ai déjà dessinée dix mille fois... Et moi-même, bien sûr !
Vous voulez entendre les deux slams de Claire ? Les voilà :
Voici mon slam sur Charlotte Corday :
Un autre poème sur Charlotte Corday :
Et puisqu'on parle d'Olympe de Gouges :
Vendredi 10 novembre
10h30 : Retour à l’école des Beaux-arts pour ENFIN régler mon dû. Cette fois, pour éviter de me déplacer à nouveau pour rien, j’ai signé un chèque en blanc. J’ai la possibilité de payer en deux fois : j’y renonce pour ne pas devoir revenir, la secrétaire reconnaît que venir jusqu’ici est difficile. Elle ajoute cependant que je pourrais envoyer mon chèque par la poste : je rétorque que les timbres sont très chers ; elle ne trouve rien à répondre… Après l’esclandre d’hier, je savoure comme elle le mérite la petite satisfaction que l’on éprouve quand on cloue le bec à son interlocuteur ! Ça ne m’arrive pas souvent…
17h30 : Voilà plus d’une heure que j’attends au Beaj Kafé un acheteur de mon Voyage en Normalaisie : ce retard est d’autant plus désagréable que je ne sais pas à quoi ressemble ce client, ce qui m’oblige à être attentif aux gens qui entrent dans l’établissement tout en continuant à travailler, et vu que j’ai une peur bleue qu’on se rate, je ne suis pas dans l’arrière-salle comme j’en ai l’habitude, de sorte que la lumière et le bruit qui règnent dans le café me donnent la migraine ! N’y tenant plus, je demande le silence à une troupe de rigolards assise juste derrière moi… Encore des gens qui vont me détester sans me connaître !
18h20 : Mon client est finalement arrivé, ouf ! Après avoir avalé un doliprane, je me rends à la piscine Foch : la monitrice habituelle est absente, alors, pour ne pas rompre le rythme de l’entraînement, je retourne nager là où j’allais pendant les vacances scolaires. J’y reste trois quarts d’heure et je me surprends à être fier de mes progrès, que ce soit dans la vitesse à laquelle je brasse l’eau avec mes jambes ou dans ma prise d’air, qui n’interrompt presque plus mes mouvements natatoires… Sensation étrange et inhabituelle, je suis presque fier de moi ! Et puis le contact avec l’eau me procure un bien-être bienvenu après toutes les épreuves que j’ai subies ces derniers temps… En sortant, je demande quand même à un maître-nageur s’il sait ce qui arrive à ma monitrice : il ne peut pas me renseigner. J’espère que ce n’est pas grave…
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Samedi 28 octobre
14h30 : De passage sur la place de la Liberté, je croise un groupe de manifestants : apparemment, ils défilent pour réclamer la paix à Gaza et soutenir les victimes des bombardements israéliens. Je les trouve courageux de soutenir une cause aussi impopulaire : entre les bonnes âmes qui doivent les accuser de défendre le Hamas et les imbéciles pour lesquels le seul bon Arabe est un Arabe mort, ils sont pris en sandwich entre deux tranches de connerie ! Je ne me joins pas à eux, la peur de recevoir des coups d’additionnant à l’angoisse que m’inspire inévitablement la foule, aussi bien inspirée soit-elle de prime abord. Je croise un artiste de mes connaissances qui se plaint de petits soucis domestiques : je l’invite à relativiser son malheur qui est sûrement peu de choses en comparaison de ce que subissent actuellement les Palestiniens… D’habitude, je ne crois pas trop à ce genre de consolation, mais ce sont les seules paroles qui me viennent : on ne peut pas toujours être hyper-inspiré.
14h45 : Je risque un tour à la foire aux livres organisée par Dialogues : je m’étais promis d’être raisonnable, mais je n’ai pas pu résister à l’envie de me procurer Attentat, l’un des rares romans d’Amélie Nothomb que je n’ai pas encore lus, ainsi que le livre de Nora Fraisse qui ne peut que m’intéresser (contrairement à Marion, j’ai eu la chance de survivre, mais je me traine six ans de traumatismes comme un boulet) et, surtout, Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ?, la BD de Véronique Cazot et Madeleine Martin sur la difficulté à faire admettre à la société le non-désir d’enfant – même la plupart des défenseurs de l’IVG remettent rarement en cause l’idée suivant laquelle toute femme ne peut que désirer avoir des enfants et envisagent l’avortement, consciemment ou inconsciemment comme un moyen de différer un événement qui doit nécessairement avoir lieu mais qu’il vaut mieux reporter pour peu que les conditions idéales ne soient pas encore réunies : bref, aussi curieux et paradoxal que cela puisse paraître, la défense de l’avortement est finalement au service de la propagande nataliste qui réduit la femme au rôle de mère, ne serait-ce que parce qu’elle suppose qu’il y aurait forcément, dans une vie de femme, un moment plus opportun qu’un autre pour se reproduire ! Pour en revenir à la bande dessinée, elle traite de façon pertinente, au-delà du cas particulier du non-désir d’enfant, de la pression sociale qui s’exerce sur les individus dont les aspirations diffèrent de celles de la majorité : on pourrait parler de la même façon des gens qui ne veulent pas posséder de smartphone, qui n’ont pas envie de voyager, qui ne s’intéressent pas aux séries télé, qui n’aiment pas le foot, qui ne veulent pas forcément devenir propriétaires, etc.
15h30 : Je rends visite à Myriam Guillaume qui a loué un kiosque à la PAM pour y faire la promotion de Flot Raison – elle le partage avec une autre créatrice qui fait partie de ses amies. Apparemment, elle a déjà réussi à amortir son emplacement, ce qui confirme ce que je pensais : ce n’est intéressant que le week-end. Elle me précise qu’il vaut mieux aussi éviter d’y aller seul, afin de limiter l’ennui et de réduire les frais : message reçu, je tâcherai d’être accompagné d’une voire deux personnes la prochaine fois ! Quant aux questions sans rapport avec mon activité, qui émanaient de personnes me prenant pour l’hôtesse d’accueil, Myriam n’y a pas échappé non plus. Ce n’était donc pas moi qui étais en cause, ce qui est plutôt une bonne nouvelle… En tout cas, ça me fera une raison supplémentaire pour me trouver au moins un(e) ou deux acolytes : s’il y en a que ça amuse d’indiquer la route du bar ou de dire où se trouvent les chiottes, c’est leur problème… Mais ce n’est plus le mien !
17h : Après avoir profité de la PAM pour prendre une petite pause, me voici à Saint-Pierre où j’ai un rendez-vous dans une demi-heure : en descendant du bus, je me retrouve pile… Devant la permanence du RN. Celle-ci est fermée : pour être franc, il y a longtemps que je ne l’ai plus vue ouverte ! Il est vrai que le mot « ouverture » n’est pas ce qui définit le mieux les gens de ce parti… Il se trouve que j’éprouve le besoin de me vider la vessie… Alors qu’est-ce que je fais ? Et bien oui ! Ça ne sert à rien, mais ça soulage et c’est bien tout ce que méritent leurs idées pourries, non ?
17h05 : Ayant du temps et la météo étant peu clémente, je me réfugie dans le premier bar-tabac venu et je commande un café. J’ai la surprise d’y retrouver un compagnon de route que j’avais un peu perdu de vue : nous discutons de choses et d’autres, nous en arrivons à parler des élections de l’an dernier. Je fais observer à mon interlocuteur qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que le second tour se passe différemment et que ce cheveu s’appelait Fabien Roussel. Je ne voudrais pas personnaliser la défaite, mais c’est pourtant la vérité : si le candidat communiste s’était désisté, Mélenchon aurait peut-être pu être au second tour et on n’aurait pas eu à trancher une seconde fois entre le roquet du capital et la chienne de Buchenwald… Mon interlocuteur me répond qu’il n’aime pas Mélenchon : sentant que je mets le pied sur un terrain miné, je réponds que moi non plus, mais que je n’aimais pas non plus Mitterrand et Jospin… Il me coupe : il dit que Jospin a fait de bonnes choses… Il y avait longtemps que je n’avais pas entendu dire du bien d’un gouvernant, passé ou présent ! Et celui qui me dit ça n’est pas précisément un nanti ni même un intellectuel de haute volée : cet homme issu d’un milieu populaire, dont le train de vie reste assez précaire, a quand même trouvé un ancien premier ministre qui trouve grâce à ses yeux. Et pour une fois que j’entends un homme du peuple parler en bien d’un homme qui a exercé le pouvoir en France, il s’agit de celui que les électeurs ont désavoué au profit d’un truand et d’un tortionnaire ! Alors je pose la question : puisque Lionel Jospin est l’homme politique dont j’entends dire le moins de mal en tant que gouvernant, pourquoi les électeurs l’ont-ils rejeté si violemment ? Je ne vois qu’une explication logique : les Français aiment qu’on les escroque. On n’a jamais que les dirigeants qu’on mérite !
17h30 : Je suis reçu par chez un monsieur qui exerce l’honorable profession de chef de cuisine et qui a bien connu Geneviève Gautier : il ne m’apprend pas grand-chose que je ne sache déjà sur la personnalité unique de ma défunte amie, mais je suis quand même heureux de le rencontrer, ainsi que son épouse : je me sens même étrangement à l’aise chez eux, au point d’oser ma confier sur ma vie comme j’ose rarement le faire face à la majorité des gens que j’interviewe. Peut-être ce couple de quinquagénaires, qui a encore sur les bras son fils adolescent, me rappelle-t-il mes propres parents… Si j’étais pessimiste, je dirais bien que je dois avoir la nostalgie de l’époque où j’habitais encore chez les auteurs de mes jours. Mais je ne suis pas pessimiste : je suis hyper-pessimiste !
Lundi 30 octobre
9h30 : Après un dimanche sans histoire, je suis reparti à pied jusqu’au centre-ville. Objectif : l’école des Beaux-arts. Je dois payer mon inscription aux cours publics et je préfère remettre le chèque directement à la secrétaire, histoire d’économiser un timbre. Mais j’avais oublié une chose : cet école-là AUSSI est fermée pendant les vacances scolaires… Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi le mail m’annonçant qu’on attendait mon paiement m’est arrivé vendredi dernier ! La logique administrative m’a fait me déplacer pour rien…
13h : Devant me procurer quelques petits cadres bon marché pour remplacer ceux que j’ai cassés dernièrement, je me rends à C’est 2 euros. Je jette un coup d’œil sur les livres et je ne peux résister à l’envie d’acheter le tome 1 d’Ange et Démon, la BD de Mirka Andolfo. Le graphisme ne casse pas des briques, je le trouve un peu trop chargé, mais je suis quand même charmé par le couple mis en scène, qui n’est pas aussi simpliste qu’il peut y paraître : sous ses airs candides, la craquante Angèle est une petite maline, et Damon cache un cœur tendre sous une apparence rugueuse. En fait, à force de fréquenter son fougueux rocker de diablotin, Angèle finit par cesser de diaboliser le sexe et, inversement, grâce à sa douce chérubine d’institutrice, Damon découvre l’amour basé sur le respect mutuel et y puise des satisfactions cent fois supérieures à celles que lui ont procuré les cinq à sept qu’il a pu accorder à ses groupies et autres conquêtes d’un soir – il suffit de le voir avouer son amour pour Angèle alors qu’il s’apprêtait à baisouiller une fan... En fait, ils réussissent à découvrir et, surtout, à assumer, une part de leur personnalité qu’ils n’osaient pas voir en face : l’amour ne change pas les gens, il les révèle tels qu’ils sont vraiment.
13h30 : D’habitude, l’ambiance musicale du Beaj Kafé me plaît : je ne comprends pas pourquoi, aujourd’hui, on a le droit à tous les ringards qui m’ont tant pourri les oreilles quand ma mère m’imposait l’audition de Radio Nostalgie… En moins d’une demi-heure, j’ai subi deux chansons de Balavoine ! Mais qu’est-ce qu’on lui trouve, à la fin ? Je suis seul sur terre à ne pas supporter ses chansons, ou quoi ? Je suis à deux doigts de craquer !
14h30 : Grâce à une autre de ses anciennes fréquentations, je récupère un roman de Geneviève Gautier : il s’intitule Haïe et est consacré à une jeune aventurière qui cherche constamment à sortir de sa condition de prisonnière… Ça lui ressemble tellement !
22h30 : Je regarde quelques vidéos sur YouTube et je tombe sur un os : il n’est désormais plus possible de laisser le bloqueur de publicités actif sur ce site, ça bloque le lecteur ! La façon dont YouTube justifie cette pratique est plus qu’agressive : le message accuse les bloqueurs de publicités de ne pas respecter les règles de YouTube ! Ainsi, c’est l’utilisateur qui ne veut pas être submergé de réclames qui se retrouve en position de coupable ! C’est tout juste si on ne me menace pas d’un procès…
Jeudi 2 novembre
9h30 : Je l’avoue : je n’ai pris au sérieux les avertissements relatifs à la tempête. Pas plus que je n’avais pris au sérieux les bruits relatifs au Covid avant qu’on nous confine. C’est l’éternelle histoire de l’enfant qui crie au loup : à force d’entendre les médias nous annoncer les pires catastrophes à l’approche du moindre coup de tabac, j’avais fini par ne plus y croire, qu’une tempête pouvait vraiment occasionner des dégâts chez nous ! D’ailleurs, je n’ai rien entendu de la nuit, ça ne m’a pas empêché de dormir, et quand je me suis levé, j’ai bien vu que l’eau, le gaz et l’électricité fonctionnaient parfaitement ! J’ai donc eu un choc en voyant que l’arbre de la maison située en face de mon immeuble avait été déraciné et avait écrasé une barrière… Peu après, j’ai reçu un message m’annonçant que mon rendez-vous d’aujourd’hui était annulé à cause des conditions météorologiques ! Voilà qui me rappelle de biens mauvais souvenirs…
11h35 : Ayant prévu d’aller à la piscine aujourd’hui, je me poste à l’arrêt de bus, sans même savoir si les transports en commun fonctionnent. Un arbre de la place des FFI a été esquinté, une grosse branche traîne par terre, certains commerces sont fermés, leurs vitres ayant été brisées. Le pire de la tempête est passé, mais le vent et la pluie sont toujours là… C’est dans cette ambiance peu glamour qu’un type vient me demander s’il y a des bus : je lui réponds que je n’en sais rien et que je n’ai pas envie de parler ! Ce n’est peut-être pas aimable, mais c’est la vérité.
11h50 : Aucun bus ne se présente. J’abandonne, mais je décide de mettre ma sortie à profit en renouvelant mon abonnement au bus dans un bureau de tabac. Le buraliste me demande comment s’appelle « ma recharge » : j’ai du mal à comprendre qu’il parle du nom de mon abonnement… Et j’en ai encore davantage à me rappeler de la réponse ! Quand je le prie poliment de parler un peu moins fort parce qu’il me met mal à l’aise, il m’envoie paître… Les commerçants aimables sont en voie d’extinction et c’est à moi qu’on reproche de perdre patience !
13h15 : Ayant reçu la triste confirmation qu’il n’y aurait pas de bus aujourd’hui, je prends mon courage à deux mains et j’emmitoufle pour pouvoir affronter les intempéries et marcher jusqu’à la piscine. J’emporte mon appareil photo pour prendre des clichés des dégâts provoqués par la tempête : je pourrai en faire profiter le journal et, ainsi, dans le pire des cas, je ne serai pas sorti pour rien. J’avoue que j’ai presque honte : ces morceaux de toit, ces poteaux tombés, ces arbres déracinés, ce sont pour moi des sujets de reportage, mais pour les habitants concernés, ce sont des semaines d’emmerdes en perspective… J’espère de tout mon cœur que je ne vais pas trouver un cadavre sous les décombres car, dans ce cas, je vais VRAIMENT avoir un problème de conscience…
14h30 : Bien entendu, la piscine est fermée. Tout ça me rappelle décidément une ambiance que j’espérais révolue… Puisque les commerces « essentiels » (comme disait le méprisant de la république il y a trois ans) sont tout de même ouverts, j’entre dans la première supérette venue afin d’avoir de quoi faire face à la visite de quelques amis, prévue pour demain soir. À peine me suis-je approché que je suis agressé par le chien d’un des clodos postés devant l’entrée ! Évidemment, le maître m’assure que le clébard est gentil, que je ne dois pas lui faire sentir que j’ai peur de lui, que je n’ai qu’à lui faire renifler le dos de la main… Bref, il me sort tous les arguments débiles que me servent tous les propriétaires de chiens chaque fois je vois déjà mes couilles entre les crocs de leur animal ! Il finit par se décider à le tenir en respect. Peu après, je le retrouve dans le magasin : il a confié son monstre à un de ses collègues et est entré acheter sa 8-6, que sa recette de la journée lui permet d’acquérir. Il me présente ses excuses, mais je refuse de les entendre, et je menace de donner un coup de pied dans la mâchoire du chien s’il recommence à m’aboyer dessus ! Évidemment, je dis ça parce que l’accumulation des contrariétés me met les nerfs à vif, et de toute façon, c’est du bluff : je n’aurai jamais le courage de répliquer face à un chien agressif, d’autant que je ne veux pas me mettre la SPA à dos ! Toujours est-il qu’il me menace de me poignarder si je m’en prends à son chien qui, dit-il, est tout ce qu’il a dans sa vie… Toute ma vie est résumée par cette anecdote : je suis agressé de partout et on me reproche de me défendre ! Je sais bien que je ne devrais pas accabler ce pauvre bougre qui vit dans la misère et semble même avoir tout perdu tout espoir de s’en sortir, mais rien à faire, je ne supporte pas qu’on laisse un chien m’aboyer dessus ! S’il avait été un nanti roulant en 4x4 et dressant son chien pour la chasse, j’aurai réagi exactement de la même façon ! Quand on est con, on est con, qu’on couche dans des draps de soie ou sous les ponts !
15h45 : Une fois rentré chez moi et à peu près remis de cette rencontre plus que désagréable, je relève mes messages : j’avais envoyé un mail à plusieurs personnes pour demander des témoignages écrits sur la tempête et ses conséquences… Et j’ai surtout reçu des photos. J’avais aussi indiqué clairement à la personne que je devais voir aujourd’hui quand j’allais être disponible pour un autre rendez-vous… Et elle me propose un autre jour, où je ne serai même pas à Brest. Je ne me suis jamais senti aussi solitaire et incompris : pourquoi les gens ne comprennent-ils que ce qu’ils ont envie d’entendre ?
Vendredi 3 novembre
10h : Ayant dû sortir acheter du pain frais pour ce soir, j’ai bien sûr vu comment les journaux traitaient les récentes intempéries : à les lire, la Bretagne ressemblerait presque à l’Ukraine, à l’heure qu’il est ! Cette présentation des faits m’agaçant quelque peu, je décide d’apporter une note d’ironie pour relativiser les choses : je poste sur Facebook un message disant en substance que je n’ai subi aucun dommage et qu’il faut donc croire que je n’habite plus en Bretagne, à croire que la tempête m’a transporté dans une autre région ! La première personne à réagir est une femme que je ne connais pas et qui me met sous le nez les dégâts occasionnés dans son voisinage : je comprends bien, au ton qu’elle emploie, que mon message ne la fait pas rire et qu’elle juge que je fais fi du malheur des autres… Je supprime aussitôt mon post : je ne tiens pas à m’empêtrer dans une polémique bidon. Ça y est, je me rappelle pourquoi je ne postais plus de messages de ce genre sur les réseaux sociaux ! Visiblement, la tempête a aussi emporte le sens de l’humour de certaines personnes…
18h : Malgré ma petite réception de ce soir, je suis quand même sorti pour m’entraîner à la piscine et suivre une visite guidée du quartier Saint-Pierre. J’ai organisé une raclette, je n’ai donc pas beaucoup de préparatifs, ce qui me permet notamment de consulter mes messages. La sentence tombe : le salon du livre auquel je devais participer ce week-end est annulé et reporté (vraisemblablement en février prochain), le local ayant été endommagé par les intempéries… Le cauchemar continue ! Ce n’est pas grave, me direz-vous ? Compte tenu que j’avais fait venir un stock d’exemplaires de Voyage en Normalaisie spécialement pour cette occasion, que j’avais bloqué tout mon week-end pour ce salon et que je comptais sur cette manifestation pour remplumer mon porte-monnaie qui est plutôt mal en point en ce moment, je vous répondrai : un peu quand même ! Et puis il n’y a pas que ma petite personne : il y a aussi tous les autres exposants qui se sont retrouvés la queue entre les jambes et, surtout, les bénévoles qui se sont mobilisés pour que cet événement ait enfin lieu après avoir été sans cesse reporté à cause d’une certaine épidémie… Le virus nous laissait enfin à peu près tranquilles, et voilà que le ciel nous tombe sur la tête ! Le pire, c’est que dans l’absolu, le salon aurait pu se tenir quand même, mais ce sont les bureaucrates qui en ont décidé autrement : à force de crier haro sur l’incurie des pouvoirs publics chaque fois que quelqu’un se retourne un ongle dans la rue, on en est arrivé à nous cloîtrer dans des abris antiatomiques dès que les feuilles tombent des arbres…
La vieille gare de Saint-Pierre, malgré un état de délabrement avancé, a bien résisté à la tempête...
Samedi 4 novembre
9h : Exceptionnellement, j’ai traîné un peu au lit avant d’effectuer les petits rangements qui s’imposent à la suite de ma petite réception d’hier soir. Recevoir mes amis m’a mis du baume au cœur, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’à l’heure qu’il est, je devrais être en train d’installer mon stand… Il n’y a rien à faire, je suis incapable d’accepter d’être freiné en plein élan ! Même si c’est à cause d’un incident où nulle volonté humaine n’est en cause ? SURTOUT dans ces cas-là ! Pourquoi m’angoissé-je pour des choses qui ne dépendent pas de moi ? Je m’angoisse pour ces choses PARCE QU’ELLES ne dépendent pas de moi ! Encore que… Il ne faut pas oublier que ce genre de phénomène climatique extrême est très certainement une conséquence du réchauffement climatique ! Et oui, bande de cons, ce n’est pas parce que le phénomène s’appelle « réchauffement » qu’il se traduit forcément par un temps chaud et ensoleillé toute l’année, bien au contraire ! Si vous aviez écouté les écolos quand il en était encore temps, on n’en serait pas là ! Je suis fou de rage…
Terminons sur un autre fait qui m'indigne :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Puisqu'on fête bientôt Halloween, voici un dessin de circonstance. J'avoue que je rêve de sortir avec une sorcière ! Je préfère les sorcières cultivées aux princesses qui parlent chiffons...
Vendredi 20 octobre
22h : Ne me dites pas que vous ne vous êtes jamais dit « Si j’avais su » ! Une petite phrase aussi amère qu’inutile mais qu’on ne peut s’empêcher de mobiliser quand on se retrouve dans une situation pénible qu’on aurait pu éviter. Pour ma part, si j’avais su, je serais rentré chez moi tout de suite après le cours de natation : seulement, il y avait longtemps que je n’étais plus retourné au Temple du pharaon, alors je tenais à participer à la scène ouverte que le Collectif Synergie y organisait ce soir-là. Hélas, en ce moment, Claire préfère communiquer autour du salon du livre prévu pour le week-end du 5 novembre (c’est bien normal, c’est l’événement phare de l’automne pour l’asso) et, quand je suis arrivé, il n’y avait pour ainsi dire presque personne… Je suis néanmoins resté pour boire un coup er discuter un brin avec Claire… Ce qui m’a attiré des propos menaçants de la part de l’homme assis à côté d’elle, qui m’a accusé de lui voler son interlocutrice ! Alors que je suis incapable de m’immiscer dans une conversation en cours ! Il a perdu de sa superbe quand je lui ai précisé que j’étais handicapé… Il est parti, nous laissant, Claire et moi, en compagnie… D’un informaticien qui a donné à mon amie des conseils pour gérer l’un des groupes Facebook qu’elle a créé ! Une conversation sur l’informatique ! Au secours ! La scène ouverte ne pouvant pas avoir lieu, je me suis résolu à partir vers dix heures moins le quart pour ne pas rater le bus… Et je l’ai raté quand même ! Et le prochain ne passe que dans une heure ! Résultat, je poireaute de nuit, dans le froid, sous la pluie et dans le vent, avec pour seule compagnie les crétins qui font brailler leurs airs de rap de merde sur la place de la Liberté : je n’ai toujours pas pris de vraie douche (celle que je suis obligé de prendre avant de quitter la piscine ne compte pas), je meurs de faim et de fatigue, et je n’ai même pas eu l’occasion de faire du slam. Non, je confirme, si j’avais su… Je ne serais pas venu au monde ! Bon, j’exagère peut-être un peu, mais je vous mets au défi de vous retrouver dans une situation semblable et de ne pas vous demander ce que vous êtes en train de faire de votre vie !
Samedi 21 octobre
Portrait d'une petite fille rencontrée ce jour-là :
14h15 : Alors que je feuillette une BD à la librairie Dialogues en attendant l’arrivée de Julien Solé qui doit venir dédicacer le recueil de ses planches consacrées à son installation à Brest, je suis interpellé par un type qui doit avoir à peu près mon âge mais qui, contrairement à moi, ressemble vraiment à une caricature de trentenaire. Il me donne son nom : c’est un de mes anciens tourmenteurs ! Quand il me demande si je me souviens de lui, je lui réponds du tac au tac : « Malheureusement, oui ! » Je m’en tiens là, je ne m’abaisse pas à être insultant ou agressif à son égard : ce serait trop facile et puis il est accompagné de son petit garçon qui n’est pas responsable… D’ailleurs, je n’en ai pas besoin, mon regard dur suffit à lui faire comprendre qu’il n’est plus le bienvenu dans ma vie ! Il me bredouille les excuses habituelles : « J’étais jeune, je ne me rendais pas compte… » Heureusement qu’il ne me sort pas le sempiternel « J’ai suivi le mouvement » qui, à mes yeux, ne fait qu’ajouter une faute à une autre : au harcèlement s’ajoute le suivisme ! Il s’en va, pas fier de lui. Quand ce cher monsieur Solé me fera une dédicace, il me demandera si je préfère qu’elle soit au nom de Benoît ou à celui de Blequin ; je lui répondrai : « Peu importe, tant que vous ne m’appelez pas « Bertrand » ou « René » comme j’y ai eu droit au collège ! Il y a même une époque où je me suis demandé si mon prénom n’était pas « Ferme ta gueule Quinquis ou j’vais t’péta » ! »
Dimanche 22 octobre
00h30 : Je sors du concours du chant organisé par Amasic, quelque peu dépité. J’ai beau avoir retrouvé avec plaisir Jeanne, la petite championne de l’an dernier, ainsi qu’Aline, notre gloire nationale, je ne peux m’empêcher d’être déçu de ma prestation : je me suis trompé dans les paroles de « Mistral gagnant » et j’ai eu la nette impression, en me comparant aux autres candidats, d’avoir le charisme d’une huître… À la limite, ma principale satisfaction fut la découverte de la chanson « L’effet de masse » de Maëlle, interprétée par un homme d’âge mûr : c’est que finalement, les gens qui prennent ce problème au sérieux ne sont pas si nombreux que ça ! Qui se soucie du sort du loser boutonneux et binoclard dont tout le monde se moque ? Presque personne et surtout pas les profs, croyez-moi ! Je peux donc compter sur une autre chanson que celle d’Indochine : ça n’a l’air de rien, mais quand le clip de « College boy » était sorti, les imbéciles bien-pensants s’étaient insurgés contre la violence des images (qui étaient pourtant à la hauteur de ce que les paroles dénonçaient) et les imbéciles progressistes avaient refusé de soutenir le groupe parce qu’ils étaient incapables de surmonter la répulsion (que je peux comprendre même si je ne la partage pas) que leur inspiraient Nicolas Sirkis et ses acolytes… Seulement voilà : de même que dire « Je ne suis pas Charlie » au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 revenait à dire « Vive les terroristes et mort aux dessinateurs », persister à dire « À bas Indochine » dans ce contexte-là revenait à dire « Vive les harceleurs et mort aux harcelés » ! Alors heureusement qu’il y a la chanson de Maëlle pour essayer de convaincre les anti-Indochine primaires de prendre part au combat ! Je dis bien « essayer » car ils sont capables de faire la fine bouche sous prétexte que cette chanteuse s’est illustrée grâce à The Voice… Et que le harcèlement, en fin de compte, je suis sûr qu’ils s’en foutent ! Et voilà : j’étais parti pour parler de ce concours de chant auquel j’ai participé avec un succès mitigé, et finalement, j’aurai surtout parlé, une nouvelle fois, du harcèlement en milieu scolaire… Ce que j’ai vécu m’a vraiment meurtri dans ma chair ! Le premier qui me dit encore que ça m’a « forgé le caractère », je le meurtris à son tour…
Quelques croquis réalisés durant la soirée :
Et deux photos :
1h35 : Dans notre série « Quand c’est bien, il faut le dire », aujourd’hui, le Noctybus. Pour la première fois, je profite de cette ligne de nuit, mise en place depuis peu : je m’attendais soit à un bus presque désert soit, au contraire, à un bus bourré à bloc de joyeux lurons braillards ! Et bien ce n’est ni l’un ni l’autre : le véhicule n’est ni plus ni moins bondé ou bruyant que n’importe quel bus de jour dans lequel je serais monté à mi-parcours. Conclusion : le public de ce genre de ligne est tout à fait respectable et la création de ce bus de nuit n’était pas un luxe. Des fois, les décideurs ne se trompent pas ! Des fois…
16h30 : Je reçois la visite d’un couple d’amis qui m’informe, entre autres, de la mort de cet acteur de Plus belle la vie qui s’est suicidé parce qu’il croyait avoir tué quelqu’un avec sa voiture et ne supportait pas cette idée… En fait, la femme accidentée n’était que blessée, mais le comédien ne voulait pas jouer un remake de l’affaire Palmade. Il n’avait qu’un an de moins que moi… J’ai souvent pensé au suicide, et j’y penserai probablement à nouveau au moins une fois, mais pour l’heure, cette triste histoire m’en fait voir l’horreur et l’inutilité… Toutes mes pensées vont aux proches de ce comédien. Mais pas au point de regarder Plus belle la vie : il ne faut pas trop m’en demander non plus !
Mardi 23 octobre
14h55 : Après un lundi assez poussif où j’ai surtout essayé de me reposer de la fatigue accumulée au cours du week-end, je reçois, alors que je m’apprête à partir pour un rendez-vous en ville, une visite inattendue : celle d’un sondeur de la Sofres. Le type est vieux et semble ne pas avoir été gâté par la vie, j’ai pitié de lui : j’accepte de répondre à ses questions. Le thème du sondage, en tant que tel, n’aurait d’intérêt que pour un con bien élevé, mais deux questions apparemment anodines, du moins dans la façon où elles sont posées, me paraissent révélatrices : premièrement, quand il doit me demander si je me définis comme un homme ou comme une femme, il ajoute « ça me fera toujours marrer, ça » ! Je ne peux m’empêcher de lui parler de ma cousine lesbienne et de ma sœur transgenre et de lui faire comprendre que sa remarque a donc toutes les raisons de me faire tiquer ! Encore un vieux con qui doit envisager les études de genre comme un caprice de « bobo » et regrette le bon temps où les femmes faisaient de la couture pendant que les hommes allaient à la guerre… Je m’en veux déjà d’avoir eu pitié de lui quand il me demande comment je me situe politiquement, sur une échelle de 1 (Mélenchon) à 10 (Le Pen) : je répond 2 car je ne veux pas être assimilé au leader de La France Insoumise, mais si j’avais pu, j’aurais probablement répondu -1… Considérer un ancien ministre de Mitterrand et de Jospin comme un représentant de l’extrême-gauche, je n’arriverai jamais à l’admettre ! Avant de partir, il me demande mon numéro de téléphone, m’annonçant que je vais recevoir un coup de fil de la Sofres pour s’assurer qu’il est bien venu chez moi : je me promets que si ça arrive, je leur dirai que s’ils tiennent à fliquer leurs employés, ça les regarde, mais qu’au moins ils paient des agents pour ça au lieu de me le faire faire gratuitement !
15h15 : Mon sondeur ayant enfin pris congé, je descends pour ne pas rater mon rendez-vous. J’en profite pour relever mon courrier… Et je retire de la boîte deux enveloppes toutes collantes et poisseuses ! Quelqu’un a mis de l’huile dans ma boîte aux lettres ! À tous les coups, c’est la folle qui revient de temps à autre hurler des injures dans les couloirs à l’attention de je ne sais qui et qui arrive à entrer parce que les autres locataires ont la sale manie de laisser la porte de l’immeuble grand ouverte ! On n'a pas voulu m’écouter quand je disais que cette habitude nous exposait à recevoir la visite de vandales, voilà le résultat…
Mercredi 25 octobre
18h : Vacances scolaires obligent, il n’y a pas de cours aux Beaux-arts cette semaine. J’en profite pour aller écouter Monique Pinçon-Charlot à Dialogues. Malheureusement, je ne suis pas dans les meilleures dispositions : j’ai essuyé plusieurs déceptions en peu de temps, dont une qui confine à l’affront injustifié pur et simple, je suis donc extrêmement fatigué et énervé ! Quand j’arrive, j’entre par la porte principale du café de la librairie : un animateur me fait savoir que je dois emprunter une autre entrée… Comme à chaque fois que je fais face à une consigne inattendue, il me faut quelques secondes pour l’assimiler et réagir : devant mon attitude, l’animateur croit que je n’ai pas compris et entreprend de réexpliquer ce qu’il vient de me dire, ce dont j’ai horreur ! Je l’éconduis donc en lui reprochant de me prendre pour un débile, ce qui n’était pourtant pas son propos… La salle est pleine : après mille difficultés, j’en suis réduit à rester debout, appuyé contre un muret, ce qui n’arrange évidemment pas mon humeur. Monique Pinçon-Charlot est venue pour présenter son livre Le méprisant de la république qui explique que le mépris dont fait montre Macron à l’encontre des classes moyennes et populaires, loin d’être un simple trait de caractère, participe d’une stratégie de délégitimation totale de la parole émanant de la majorité de la population : le capitalisme est en train d’atteindre ses limites, ne serait-ce que parce que l’expansion ne peut être infinie, les ultra-riches sont donc aux abois et font tout, notamment par politiciens ou par éditorialistes interposés, pour convaincre les citoyens qu’ils ne sont rien et leur faire accepter de se laisser piller sans réagir ! Seul remède aux yeux de la sociologue : l’unité. Celle-ci est possible : les syndicats ont fait front contre la réforme des retraites, les partis de gauche en ont fait autant aux législatives. En clair, il n’y a pas d’alternative : ou bien les pauvres s’unissent ou bien les riches les exterminent ! Seulement, à cette époque où chacun est plus ou moins en guerre contre son prochain, ça m’étonnerait qu’on évite le pire… Bref, ce que j’entends n’est pas fait pour me remonter le moral ! Aussi, quand, lors des échanges avec l’auditoire, un vieux type qui a déjà eu la parole (et a d’ailleurs proféré des âneries) la reprend d’autorité alors qu’un jeune homme a déjà le micro en main, je réagis au quart de tour : je lui hurle « C’est pas toi qui as la parole » ! Évidemment, les gens croient que je m’adresse au jeune homme et, pour finir, c’est moi qui encaisse les reproches ! Le vieux con qui croit que son âge lui donne tous les droits, on ne lui dira rien… J’arrive quand même à offrir un exemplaire de Voyage en Normalaisie à madame Pinçon-Charlot et à lui montrer le croquis que j’ai fait d’elle pendant sa présentation : « Vous êtes adorable », me dit cette petite dame affable ; elle doit bien être la seule à penser ça de moi ce soir…
Monique Pinçon-Charlot vue par moi :
19h30 : On m’avait parlé des jam sessions qui ont lieu chaque mercredi soir à L’Horizon, le bar tenu jadis par le regretté Kim. On m’avait aussi assuré que je pouvais venir slamer sur la musique : hélas, je suis tellement miné par mes déceptions et mes crises que je ne suis pas en état d’apprécier l’ambiance chaleureuse de l’établissement. De toute façon, je ne suis pas à l’aise, comme à chaque fois que je débarque dans un lieu inconnu sans même un ami pour m’épauler dans la découverte, et, quand les musiciens se décident à jouer, je ne suis pas long à comprendre que tout se fait de façon très informelle et que je n’arriverai donc jamais à trouver ma place… Je préfère partir assez vite, non sans hurler « Ta gueule, kassos ! » à un pauvre type décharné qui chantait dans un coin… Non, je ne suis pas fier de moi, mais je ne le suis jamais, de toute façon…
Jeudi 26 octobre
13h30 : Après un déjeuner avec un ami qui m’a réconforté, je m’apprête à prendre le car pour Plougonvelin afin d’aller y décrocher mon exposition. En attendant, je risque un tour à la gare et je remarque le nouvel Astérix qui vient de sortir : j’avais vaguement entendu parler d’un changement de scénariste, mais j’ignorais que Jean-Yves Ferri, qui a fait un travail remarquable, avait été remplacé par l’excellent Fabcaro ! Certains imbéciles ont dû crier à la récupération : personnellement, je ne trouve pas scandaleux que le génie humoristique de Fabcaro soit reconnu comme il le mérite et, quitte à ce que les aventures du petit Gaulois survivent à leurs illustres créateurs, j’aime autant que ce soit sous les plumes de gens de talents plutôt que sous celles de tâcherons tout juste bons à faire une habile imitation, comme ça s’est vu trop souvent … Je n’ai pas le temps de lire l’album en détail, mais je comprends qu’il taille un costard en règle aux charlatans du « développement personnel » (si leurs conseils étaient vraiment efficaces, il n’y aurait pas autant de gens déprimés !) et, de façon générale, à tous les casse-bonbons moralisateurs qui nous abreuvent de bons conseils : rien que pour ça, cet album me plait déjà ! À la fin de cette année marquée par le film de Guillaume Canet, il fallait frapper un grand coup pour sauver l’honneur de nos Gaulois, non ?
16h : Mon expo est déjà décrochée, mais le car pour Brest ne passe pas avant 18h45 ! Je m’en ouvre au régisseur, non sans caresser secrètement l’espoir qu’il me trouve un volontaire pour me voiturer au moins jusqu’à la station de tramway. À défaut, il me donne un plan de Plougonvelin pour que j’aille y faire une promenade : je m’en contente. Si j’avais su plus tôt qu’il était si facile d’aller jusqu’au Trez Hir en partant du bourg (le premier lieu étant nettement plus vivant que le second), j’aurais évité bien des moments d’attente stérile dans cette commune… Vous pouvez rire, mais ce n’est toute de même pas de ma faute si j’ai peur d’errer dans les bleds inconnus sans même l’aide d’un plan ! C’est humain, non ?
18h : L’espace Keraudy ferme ses portes. Je pars, avec ton mon attirail sur le dos. À peine suis-je sorti que je me prends une averse de grêle ! Je gagne péniblement l’arrêt de car, où il n’y a même pas d’abri : j’ai froid, je suis épuisé, et j’ai peur de m’être trompé, tant les horaires sont biscornus et l’itinéraire absurde… Je poireaute donc dans des conditions plus que précaires, sans même réussir à être sûr que je passerai la nuit dans ma chambre ! Il y a sûrement des sorts plus pénibles que le mien… Mais sur le coup, je ne vois pas lesquels !
18h55 : Le car arrive enfin. En retard. J’ai été à deux doigts de téléphoner pour appeler au secours, ce dont j’ai horreur. Le chauffeur me prend pour quelqu’un d’autre qu’il a vu hier, seul sous la pluie et attendant le car alors qu’il n’y en avait plus : je n’apprécie que modérément car j’ai vraiment eu peur de me trouver réellement dans cette situation des plus désagréables ! Je m’avance dans l’allée alors que le car démarre déjà : je casse un de mes cadres… À l’espace Keraudy, la dame de l’accueil me disait qu’elle n’aimait pas les fins d’expo : et moi, je les déteste !
Vendredi 27 octobre
10h45 : En attendant un nouveau rendez-vous, je feuillette Le Télégramme qui a consacré une page entière à mon Voyage en Normalaisie. J’apprends ainsi quelque chose qui me choque au plus haut point : des logements étudiants vont être réquisitionnés en vue des jeux olympiques ! Et leurs occupants seront indemnisés à hauteur de 150 euros, autant dire une misère… Plus des places pour les épreuves ! On méprise les étudiants et le sport passe au-devant de toute autre considération : voilà la France d’aujourd’hui ! J’ai failli dégobiller sur mon journal mais je me suis retenu pour ne pas salir l’article qui m’est consacré.
Terminons avec un petit dessin réalisé pour une vidéo rendant hommage aux Monsieur-Madame de Roger Hargreaves :
La vidéo en question :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Vendredi 13 octobre
19h : À la piscine, je suis reconnu par un autre apprenti nageur qui m’a vu à l’œuvre sur le Cours Dajot. Décidément, je suis devenu une personnalité. La monitrice nous fait nager dans le grand bassin pour la première fois : l’eau y est un peu plus fraîche que dans le petit mais ça reste chaud pour moi qui ai l’habitude de me baigner dans la rade de Brest ! D’autres élèves trouvent quand même le moyen d’avoir froid : je me demande si c’est aussi le cas pour celle qui porte un burkini… Cette vêture m’intrigue mais ne me choque pas : c’est finalement très proche de ce que portaient nos arrière-grand-mères pour aller aux bains de mer ! Certains imbéciles objecteront que c’est une marque de domination masculine : je leur répondrai qu’un vrai islamiste ne laisserait même pas une femme aller seule à la piscine ! Si une femme tient à ne pas exposer son corps, c’est son problème, après tout. De toute façon, j’ai autre chose à faire que mater : j’ai un mal de chien à reprendre ma respiration tout en continuant à nager ! Chaque fois que je sors la tête de l’eau, j’interromps spontanément mes gestes natatoires… Ce n’est pas demain que je serai sélectionné pour les jeux olympiques ! Tant mieux, d’ailleurs…
Dimanche 15 octobre
14h30 : Après un samedi de repos, où je me suis même offert le luxe d’une grasse matinée, je ressors en ville pour assister à une visite guidée de la gare. À l’entrée du bâtiment, je suis à nouveau reconnu, cette fois par une lectrice de Voyage en Normalaisie. Il y a des gens qui se prennent pour des stars pour moins que ça ! Je suis flatté mais je ne m’attarde pas : il faut que je retrouve le belvédère qui a été indiqué comme point de rendez-vous… Ce qui est d’autant plus difficile que je n’ai jamais su exactement ce qu’était un belvédère !
14h45 : Je retrouve finalement la guide : le belvédère en question est une petite terrasse surplombant le port de commerce d’où l’on a une vue magnifique sur la rade ! J’avoue que je ne connaissais pas cet endroit, mais mon cas n’est pas isolé, et pour cause ! La gare de Brest est une gare de terminus, les voyageurs ne s’attardent donc pas dans les alentours : ou bien ils y attendent leur train et toute leur attention est concentrée sur cet objectif, ou bien ils descendent et de se dépêchent de partir ! Toutefois, il parait que certaines personnes font des selfies sur le belvédère pour que leurs followers sachent qu’elles sont bien arrivées à Brest : on m’excusera de n’avoir que mépris pour cet exhibitionnisme narcissique… En attendant, la guide m’avertit qu’à l’avenir, si je m’inspire encore d’une visite guidée pour écrire mes articles, il faudra que je le signale dans les sources, arguant que leur commentaire leur « appartient » ! Je trouve ça un peu gonflé : l’histoire n’est la propriété de personne ! Mais j’obtempère tout de même car je ne tiens pas à me faire des ennemis pour des broutilles…
15h15 : La visite a déjà commencé ; l’une des visiteuses est une bavarde impénitente qui ne peut s’empêcher d’apporter son grain de sel, elle reconnait elle-même être une « chieuse » ! On en arrive à parler des ornements brestois qui se trouvent actuellement à Paris, telles certaines statues : l’assistance s’accorde à dire que la municipalité devrait réclamer leur restitution ! Cela dit, parmi ce que la capitale a pris à Brest, on trouve aussi Béatrice Dalle et Laury Thilleman… Et celles-là, les Parisiens peuvent se les garder !
19h : Je me décide enfin à me passer le film L’an 01, dont une amie m’avait prêté le DVD. Gébé, qui était à l’initiative du projet, était un visionnaire : qui, aujourd’hui, oserait nier l’absurdité de notre train de vie basé sur la surproduction et la surconsommation ? D’ailleurs, de plus en plus de jeunes diplômés font l’an 01 à leur échelle en tournant le dos aux carrières « brillantes » qui leur étaient promises pour s’orienter vers des professions qui ont du sens, même si elles sont a priori moins rémunératrices… La scène de la découverte inespérée d’un poisson dans une rivière s’est même révélée en-dessous de la vérité : pendant le confinement, quand Venise s’est vidée de ses touristes, les eaux des canaux se sont clarifiées et repeuplées ! Il ne faut pas grand-chose pour que la nature reprenne ses droits ! Il faudrait vraiment projeter ce film aux jeunes pour leur décrasser la tête de toute la poussière accumulée par les réseaux sociaux ! De toute façon, si nous ne faisons pas l’an 01, la nature nous forcera à le faire… Et ce sera un peu plus triste que prévu !
Lundi 16 octobre
9h : La une d’un quotidien local m’apprend que les rugbymen français se sont inclinés face aux Sud-Africains. Tant mieux, on ne nous cassera plus les pieds avec cette coupe du monde ! Déjà que l’an prochain, il va falloir se taper coup sur coup l’euro 2024 et les jeux olympiques de Paris… Si les supporters de rugby deviennent aussi chiants que ceux de football, on va vraiment arriver à saturation !
12h : Au Beaj Kafé, je jette un coup d’œil distrait sur les journaux. Je résume : un prof s’est fait dessouder à Arras, le pilonnage de Gaza continue et on reproche à la gauche française de ne pas condamner assez sévèrement le Hamas… Il n’y a pas si longtemps, j’aurais ramené ma gueule sur les réseaux sociaux, mais j’en ai eu marre d’encaisser des insultes et des leçons de morales de gens que je ne connais même pas ! De façon générale, le peu que je sais des débats actuels ne me donne pas envie de m’y mêler…
Mardi 17 octobre
11h : On reproche à la gauche rennaise de s’être opposée à l’expulsion de la famille du présumé terroriste d’Arras… Mais celui-ci avait onze ans, à l’époque ! Le patron du RN breton est dans son rôle quand il profère ce genre d’insanité… Mais, il n’y a pas si longtemps encore, il n’aurait pas osé le dire, de peur de faire une mauvaise publicité à son parti ! Aujourd’hui, ce genre de discours est totalement banalisé et quiconque a le malheur de naître au sein d’une famille immigrée (ou supposée comme telle) est présumé terroriste dès la naissance… L’an 01, rappelez-moi, c’est quoi ? « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste ». J’ajouterais : et c’est une urgence !
Et pour ceux qui s'étonnent encore de voir des jeunes céder aux sirènes du terrorisme :
Mercredi 18 octobre
10h30 : Quatrième et avant-dernière entrevue avec une ancienne amie de la regrettée Geneviève Gautier. Globalement, les témoins que j’interroge me disent tous à peu près la même chose à son sujet : une curiosité toujours en éveil, un appétit de vivre sans cesse renouvelé, un pouvoir de séduction hors du commun… Bref, pour Geneviève, l’âge n’était qu’un chiffre : à 95 ans, elle était plus vivante que bien des femmes qui n’en ont que vingt… Je ne devrai pas avoir de mal à faire la synthèse de ce que j’aurai recueilli. En attendant, mon interlocutrice m’apprend une anecdote savoureuse : un jour, Geneviève s’était installée dans un bar pour y faire des croquis des gens, et deux messieurs qu’elle avait dessinés, sans même qu’il y ait eu la moindre interaction supplémentaire, lui ont payé sa consommation ! À leur place, je leur aurais carrément laissé mon numéro de téléphone… D’ailleurs, c’est ce que j’avais fait.
18h : Comme chaque année, Delphine fait poser quelques élèves pour qu’ils servent de modèle au reste du groupe. En tout, sept personnes passent à la casserole : j’y échappe, à mon grand soulagement ! Non que je déteste poser à ce point, mais le temps que je passe à poser, je ne le passe pas à dessiner et c’est toujours une grande frustration pour moi. De surcroît, j’ai toujours aussi mal aux genoux et je ne peux donc pas me contorsionner dans n’importe quelle position…
Les croquis que j'ai réalisés ce soir-là :
Deux portraits d'élèves, réalisés pour le plaisir :
Jeudi 19 octobre
10h : Après une très mauvaise nuit, bref détour par Bellevue pour encaisser un chèque et acheter une nouvelle montre. Quand je reprends le bus pour le centre-ville, je suis importuné par deux grenouilles de bénitier qui viennent prêcher l’amour de Jésus. À bout de patience, je leur hurle de se taire ! Quand elles me tendent leurs tracts, je crache dessus ! Je sais que ce n’est pas très diplomate, mais les récents événements me confortent dans la conviction que la religion est un poison pour l’humanité et je ne tolère plus aucune manifestation de prosélytisme ! L’une d’elles, me reconnaissant, dit à sa camarade que je suis malade et qu’il ne faut pas insister : mais je t’emmerde, calotine, l’autisme n’est PAS une maladie et c’est toi qui es malade de persister à continuer à croire à ces balivernes d’un autre temps ! De toute façon, ça ne suffit pas à faire taire sa copine qui continue à débiter ses sornettes bondieusardes… Je crie de plus belle : « À bas toutes les religions ! Les curés en prison ! » Au final, c’est moi qui encaisse les reproches des autres passagers… Émile Combes, revenez, ils sont devenus fous !
Un collage qui tombe à pic :
17h45 : Je me rends à la fac Segalen pour assister à une conférence dont j’ai oublié le thème ! Mais il doit s’agir d’un sujet que je n’ai jamais traité, sinon je n’aurais pas noté la date et l’heure. Quand j’arrive à l’entrée de la salle Yves Moraud où doit se tenir la causerie, je suis bien surpris de voir les principaux membres de la société organisatrice se tenir debout dans le couloir, avec d’autres personnes : renseignements pris, un colloque est en train de s’y terminer avec retard… Je ne suis pas étonné de cette situation : moi-même, cet après-midi, j’ai reçu un coup de fil m’annonçant qu’une autre personne organisait une manifestation le jour même de ma journée d’étude sur Cavanna et convoitait cette salle que j’ai déjà réservée. Mais j’ai refusé formellement de me désister, j’étais là avant, non mais sans blague ! Pour l’heure, donc, nous poireautons devant la salle en attendant que ce colloque qui aurait dû déjà prendre fin nous laisse la place… Il y a encore des cons qui disent qu’il ne passe rien à Brest : c’est faux, il se passe même tellement de choses que les équipements disponibles ne suffisent pas !
18h : L’heure, c’est l’heure ! Il a fallu pousser la sortie les gens qui nous ont précédés. Nous aurons quand même eu le temps d’assister à une scène surréaliste : un public plus que clairsemé assistant à la prestation en visioconférence d’une oratrice asiatique débitant en anglais, sur un rythme de mitrailleuse, son laïus sur un média « officiel » et les satires dont il fait l’objet dans son pays… Nous ne nous sommes pas faits des amis en les chassant ainsi, mais il n’y a pas de raison ! Bref, nous pouvons écouter à l’heure prévue Jean-Yves Guengant, venu parler de l’action des trotskistes brestois dans la résistance : apparemment, par fidélité envers l’idéal internationaliste, ils ont tenté de convaincre les soldats allemands de se rebeller contre leurs chefs et ça leur a valu d’être raflés, vraisemblablement à cause d’un troufion du Reich auquel ils avaient fait une confiance excessive… Franchement, une telle stratégie me rappelle ces gauchistes qui pensent pouvoir fraterniser avec les jeunes musulmans radicalisés parce qu’ils sont eux aussi contre le grand capital ! Les beaux idéaux ne suffisent pas pour gagner un combat !
Pour terminer, un autre collage : c'est peut-être un peu facile, mais ils m'ont tendu la perche, en montrant la photo d'une jeune femme en bleu pour annoncer un job dating...
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Commençons par un dessin d'actualité :
Vendredi 6 octobre
16h : Ayant pris congé de ce cher Pod, je me suis installé à la PAM, qui est juste en face de la galerie, pour écrire en attendant l’heure de la leçon de natation… L’endroit est trop éclairé et trop bruyant à mon goût, mais je ne vais pas remonter au Beaj Kafé alors que je dois descendre à Recouvrance dans deux heures. J’ai la bonne surprise de revoir mon professeur d’histoire-géo de terminale : à ma grande surprise, il n’est pas encore à la retraite et il ne semble même pas spécialement démotivé. Comme quoi toute la profession n’est pas touchée par le malaise ! D’un autre côté, cet estimable monsieur a assez d’expérience pour encaisser les coups durs et il est plus facile d’accepter les misères d’une profession quand on n’en a plus que pour un an ou deux à l’exercer : dans l’état où se trouve aujourd’hui l’école de la République, si je devais y travailler pendant trente ans, je pense que je déprimerais…
19h : À la piscine, j’essaie les mouvements de brasse pour la première fois. Je me surprends à être assez à l’aise même si, faisant mes exercices sur le dos, je ne peux éviter les collisions répétées avec les autres élèves qui, heureusement, ne s’en formalisent pas. L’une d’elle m’adresse même des sourires que je pourrais surinterpréter si j’étais optimiste… Évidemment, on sent travailler ses muscles ! Mais je ne me fais pas d’illusion : même au bout d’un an de natation régulière, je ressemblerai toujours plus à Alban Ivanov qu’à Ryan Gosling. Ce qui tombe très bien car je préfère de loin le premier au second !
Samedi 7 octobre
12h30 : Tout en déjeunant, je me passe les dessins animés des Monsieur-Madame. Régressif ? Peut-être, et alors ? Renouer avec ce qui vous a rendu l’enfance agréable, il n’y a pas meilleur anti-stress. Personnellement, je craque pour l’adorable madame Timide : quand elle rencontre un lion échappé d’un cirque, elle s’avère assez clairvoyante pour comprendre que ce pauvre animal n’est pas fait pour le spectacle et décide de prendre sa défense ; elle prouve ainsi qu’elle a le sens de l’autre, ce qui devrait la seule intelligence vraiment digne d’estime. Les aventures des personnages créées par Roger Hargreaves peuvent être relues sans honte à l’âge adulte : le monde des Monsieur-Madame n’est jamais mièvre, il met en scène avec acuité la difficulté de s’insérer dans la société et la nécessité de s’accepter pour mieux accepter les autres, leurs histoires parlent de façon récurrente de l’estime de soi, de la recherche d’emploi, du respect d’autrui… Ces problématiques ne concernent pas que les gosses, que je sache ! Il parait que plusieurs histoires « pour adultes » ont été publiées : sincèrement, leur univers me paraissait déjà assez mature en tant que tel… Il n’y a pas si longtemps, je m’étais amusé à réaliser une BD mettant en scène ces personnages dans des situations que je croyais subversives : en réalité, en imaginant monsieur Malpoli ruiné, madame Chance marié à monsieur Malchance ou encore madame Dodue qui assume ses rondeurs grâce à la mode des mannequins grande taille, j’étais totalement dans l’esprit de la série qui est beaucoup plus audacieuse qu’on ne le croit ! Et puis n’oublions pas l’essentiel : au-delà de toute considération, les Monsieur-Madame, c’est vachement marrant !
Dimanche 8 octobre
11h30 : Je me passerai bien de sortir un dimanche matin, mais je n’ai plus une croûte de pain. En allant me réapprovisionner à la boulangerie, je croise à l’entrée la patronne qui discute avec un autre habitant du quartier : apparemment, elle aurait eu peu de clients aujourd’hui, vu que presque tout le monde est parti profiter du temps estival qui persiste ! Je me précipite vers le comptoir pour être servi par la vendeuse le plus vite possible : je n’ai aucune envie de m’attarder dehors pour « profiter » de ce « temps magnifique » qui ne me rappelle que trop l’imminence de la catastrophe écologique annoncée… Certains diront que j’ai tort de ne pas profiter du soleil : j’ai plutôt l’impression d’avoir raison de profiter d’encore trouver du pain !
Lundi 9 octobre
18h : Il y a longtemps que ça ne m’était plus arrivé : je suis resté cloîtré chez moi à écrire toute la journée. Je ne pouvais pas faire autrement : ayant perdu presque tous mes fichiers numériques, je dois bien m’appuyer sur ma documentation papier et celle dont j’ai besoin était trop encombrante pour que je l’emmène en ville. J’avais oublié à quel point il était pénible de passer la journée sans s’aérer, sans se dégourdir les jambes… C’est d’autant plus désagréable que j’étouffe : à cause du chantier devant mon immeuble, je ne peux même pas ouvrir ma fenêtre ! Vivement que les températures baissent enfin… En attendant la fournaise permanente !
Mardi 10 octobre
9h : Retour au Beaj Kafé pour y exécuter quelques tâches peu agréables dans un cadre qui l’est davantage – cette arrière-salle sans fenêtre et néanmoins aérée est un endroit idéal pour travailler. Un coup d’œil rapide sur les journaux me confirme ce que j’avais vaguement entendu dire à propos Proche-Orient… Je suis consterné, horrifié, écœuré, épouvanté. Je n’ai même plus la force de m’indigner. Bientôt 80 ans que ça dure ! L’immense majorité des Palestiniens et des Israéliens n’aura jamais connu que cet état de guerre perpétuel ! Et ces cons osent encore baptiser « terre promise » ce bled qui ne leur a rapporté à ce jour que du sang, de la sueur et des larmes… Ce dieu assez pervers pour dire à deux peuples que le même territoire leur était adjugé, je souhaite vivement qu’il n’existe pas ! D’ailleurs, je n’ai pas à le souhaiter : il n’existe pas, et tant mieux ! Les hommes sont déjà bien assez pervers sans qu’un monsieur-je-sais-tout omnipotent y rajoute ses conneries ! Comme pour toutes les guerres, les motifs spirituels ne sont que des prétextes : tout n’est qu’histoire de gros sous et de lutte pour le pouvoir ! Chez nous, on va avoir droit au sempiternel débat bidon entre ceux qui refusent de défendre Israël parce qu’il est le plus fort contre ceux qui refusent de défendre le Hamas parce que ce sont des terroristes : si, pour une fois, on pouvait entendre aussi ceux qui voudraient seulement défendre les victimes innocentes, ça nous changerait un peu ! Les gens qui ne demandent qu’à vivre et n’en ont rien foutre de savoir si la prochaine déclaration d’impôts sera rédigée en arabe ou en hébreux, ce sont eux les plus nombreux, au cas où vous ne le sauriez pas…
Mercredi 11 octobre
18h : En ouverture du cours du soir, nous avons droit à la désormais traditionnelle présentation des dessins réalisés à la maison suivant des consignes formulées par la prof : cette année, cette enseignante pleine d’esprit nous a demandé d’inclure dans nos dessins des photos découpées et recollées. L’un des élèves a eu l’idée de saisir l’occasion pour faire une allusion aux punaises de lit : s’ensuit une conversation sur ce « fléau » ! Je ne peux m’empêcher d’intervenir vigoureusement, jugeant qu’on en fait beaucoup avec cette affaire certes gênante mais sûrement pas dramatique. D’accord, il peut paraître invraisemblable de devoir encore lutter contre les rats et les punaises à l’époque des smartphones et des tablettes numériques, mais le progrès à deux vitesses n’est plus une surprise : dans les années 1980, Cavanna exprimait déjà l’ahurissement que lui inspirait le retour des poux à une époque où les transmissions hertziennes, qui l’avaient tant fasciné dans son enfance, étaient totalement banalisées… Mais surtout, il faut relativiser ce « fléau » : après tout, je reviens récemment d’un voyage au cours duquel j’ai couché dans deux lits différents, qui plus est presque nu à chaque fois parce qu’on m’avait volé mon pyjama (en même temps que le reste) et je n’ai jamais été gêné par les punaises ; en revanche, ça va bientôt faire un mois que je suis gêné par le réchauffement climatique ! Autant on peut ne pas se sentir concerné par les punaises, autant il est impossible d’échapper à la hausse des températures ! Mais surtout, le fait que nous considérions les punaises comme un fléau prouve que, malgré les problèmes dont nous nous plaignons, nous n’en restons pas moins des Occidentaux pourris-gâtés : ceux qui essaient d’échapper aux bombes, que ce soit en Ukraine, au Mali ou dans la bande de Gaza aimeraient être à notre place ! Ça va, quoi, les petites bêtes ne mangent pas les grosses ! Le pire prédateur de l’homme… C’est l’homme !
Le collage que j'ai présenté : Kris, le scénariste de BD, relooké en Popeye.
Quelques portraits d'élèves réalisés pendant le cours :
20h30 : Dîner au Biorek brestois. La déco d’Halloween est déjà en place, ce cher Alexandre craignant de n’avoir plus le temps de l’installer s’il attend. À tout prendre, c’est moins choquant que les supermarchés qui ont déjà mis les produits de Noël en rayon ! Il devient difficile de pouvoir discuter avec Alex : depuis peu, à chaque fois que je viens, son établissement est presque plein ! Il est même obligé de refuser du monde ! Bien sûr, ce n’est que justice que son restaurant trouve son public – que ça ne vous décourage surtout pas d’y aller ! Comme il faut être un peu plus patient que jadis pour être servi (mais Alex, qui a l’avantage d’être jeune, n’en reste pas moins efficace), j’en profite pour réaliser deux dessins d’actualité sur le pouce : je ne peux pas rester totalement insensible à ce qui se passe à Gaza… Mon activité attire l’attention d’un autre client et de sa petite fille : ce que je dessine n’est pourtant pas trop destiné aux enfants ! Alexandre est assez impressionné par ma vitesse d’exécution : c’est vrai que je pourrais être encore plus productif si je n’avais pas tant de blocages psychologiques… Dehors, il pleut : on peut le voir aux gouttes qui sont tombées sur les vitres des voitures. Je n’aurai qu’un mot à ce sujet : enfin !
Jeudi 12 octobre
10h30 : J’avais rendez-vous à la médiathèque de Pontanézen avec le jeune homme en situation de handicap lourd dont j’illustre actuellement le scénario : mais sa psychomotricienne n’a pas réfléchi, elle a choisi une heure où le bâtiment est fermé… Quand elle arrive, accompagnée d’une stagiaire et poussant le fauteuil roulant de mon jeune scénariste, j’ai bien du mal à cacher mon impatience : je ne devais pas réagir comme ça, mais je n’en peux vraiment plus de me retrouver en rade dans des lieux déserts… Fort heureusement, le jeune homme semble satisfait de mon travail, ce qui m’aide à décolérer. J’ai pour principe de ne pas le regarder avec pitié, en dépit de sa difficulté à s’exprimer et à exécuter certains gestes élémentaires : que veulent les gens dans sa situation si ce n’est être reconnus comme des personnes à part entière ? Sa collaboration avec votre serviteur semble lui avoir redonné le goût de la vie : nul ne peut réveiller les morts mais, avec un peu de bonne volonté, on peut aider un individu diminué à accéder à une forme de vie…
17h : Retour au bercail. J’ouvre mon courrier : je n’ai qu’une lettre de mon fournisseur d’accès à Internet qui m’informe que la fibre optique est disponible à mon adresse. Franchement, ça me fait une belle jambe ! Depuis que j’ai failli être victime d’une arnaque à la fibre optique, j’ai eu le temps de m’informer et d’apprendre que cet équipement n’était pas obligatoire, alors pourquoi m’embêterais-je avec ça ? Leurs arguments sont-ils au moins de nature à me convaincre ? Tu parles ! Selon eux, la fibre me permettrait de « passer [mes] appels en visio avec [mes] proches », d’envoyer « les vidéos de [mes] enfants ou petits-enfants » et de « regarder [mes] films et séries sur [ma] TV pendant que les plus petits regardent leurs dessins animés sur leur tablette et les ados surfent sur leur smartphone » ! C’est vraiment crétin : je n’ai ni téléviseur, ni smartphone ni tablette et je n’ai aucune envie d’en avoir, d’autant que je ne regarde presque jamais de films ni de séries, et je n’ai pas non plus d’enfant ni de chérie pour en faire (j’estime que je serais presque en droit de me plaindre de leur indélicatesse) ! Ah, mais oui, je sais, j’ai 35 ans, donc je suis présumé avoir tout ça aux yeux de l’équipe Marketing que mon fournisseur d’accès doit payer une fortune, notamment grâce aux économies réalisées en ne versant que des salaires de misère aux pauvres types qui assurent le bon fonctionnement du réseau… J’ai Free, ILS n’ont rien compris !
Vendredi 13 octobre
8h : Tôt levé une fois de plus, je m’apprête à sortir pour faire mon marché et je réalise qu’on est vendredi 13. Un vendredi 13 à moins de trois semaines d’Halloween… Je ne suis pas superstitieux mais, symboliquement, ce n’est pas anodin, surtout dans l’ambiance actuelle. Je me demande tout à coup pourquoi on continue à fêter Halloween alors que la réalité est déjà bien assez épouvantable sans qu’on doive s’amuser à se faire peur ! Et puis l’évidence me saute aux yeux : si on fête Halloween, ce n’est pas pour se faire peur… C’est pour se réconforter, au contraire ! Et oui : les vampires prêts à vous pomper le sang ne peuvent pas être pires que les huissiers de justice qui viendront saisir votre mobilier quand vous ne pourrez plus payer vos dettes à cause de l’inflation ! Les zombies bouffeurs de cerveaux sont moins redoutables que les militaires russes ou chinois qui se voient déjà violer de l’occidentale à tour de bras ! Les savants fous qui donnent la vie à des créatures monstrueuses sont moins nuisibles que les industriels qui ont permis à l’humanité de pourrir la planète avec des engins polluants et énergivores ! Dans le monde d’aujourd’hui, le film d’horreur le plus violent fait désormais figure de réconfort : dans cette société où tant de choses que nous pensions bénéfiques ou, au moins, inoffensives s’avèrent épouvantablement nuisibles, il fait bon se plonger dans un monde fictif où la frontière entre le bien et le mal est à nouveau claire. Quand on joue au monstre, au fantôme ou à la sorcière, on est un méchant et c’est clair, net et sans bavures et puis c’est marre, tandis que que le monde réel est bourré d’authentiques nuisibles qui prétendent faire le bien (policiers, contrôleurs de titres de transport, président de la République, etc.) et, de ce fait brouillent les pistes… Fêter Halloween, en somme, c’est se raccrocher au rêve inaccessible d’un monde où le bien est le bien et où le mal est le mal : pas étonnant que ça ne plaise pas qu’aux enfants !
10h45 : Entrevue avec la patronne du Pacha qui fut elle aussi une amie de la regrettée Geneviève Gautier : c’est une septuagénaire fort aimable, qui aime les livres, l’histoire, les artistes, les vieilles pierres et la culture en général… Elle n’a pas le profil auquel on s’attend spontanément de la part d’une propriétaire de bar-tabac-PMU ! Quand je lui demande comment je dois désigner sa profession dans mon article, elle me donne le mot « commerçante » : elle me fait visiter l’arrière-salle, me présentant les toiles accrochées au mur et insistant sur l’ambiance « familiale » qu’elle a voulu installer ici. Elle me met en confiance, à tel point que je ne peux m’empêcher de serrer contre moi l’un des deux Sylvestre en peluche qui ornent la pièce… Sapristi saucisse ! Elle cherche un repreneur pour son établissement : le Covid et la guerre en Ukraine ont retardé sine die les éventuels rachats… Souhaitons-lui bon courage !
12h : Retour au Beaj Kafé. Un rapide coup d’œil sur les journaux m’apprend que Macron a parlé hier. Au fond, cet énième pilonnage de la bande de Gaza l’arrange bien : il se retrouve dans le rôle qu’il avait joué au début de la guerre en Ukraine et qui avait fait faire un bond à sa popularité et, surtout, on ne parle plus de la réforme injuste et inadaptée du RSA, ni même de la crise climatique qu’on-ne-sait-pas-qui-c’est-qui-aurait-pu-la-prévoir ! Son allocution ? Encore un moment de télévision que je ne vais pas regretter d’avoir raté…
Terminons avec une nature morte qui tombe à point maintenant que l'automne arrive enfin :
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !