Commençons par un hommage à Jacques Delors :
Dimanche 7 janvier
21h : En ce jour de triste mémoire, je termine de visionner la saison 2 d’Astrid et Raphaëlle. J’ai honte de l’avouer, mais j’ai été plus traumatisé de voir Raphaëlle les menottes aux poignets dans le dernier épisode que par la vision du corps éventré que l’on découvre en ouverture de l’épisode 5 ! Pourquoi ? Parce que me retrouver menotté est un de mes pires cauchemars, en concurrence avec le rasage de mon crâne et l’écrasement de mes testicules… Sans doute est-ce dû aux récits de déportation qui m’ont marqué. Pour le reste, j’avoue m’être trompé sur le compte du commissaire qui est finalement un brave type ; en revanche, au moment où le procureur se prend un pain dans la gueule, j’ai poussé un soupir de soulagement ! J’aimerais avoir le courage d’en faire autant avec tous les arrivistes bouffis d’orgueil qu’il m’est donné de rencontrer… Mais à force, je risquerais d’avoir des cals au main !
Sans rapport : le 7 janvier, c'était aussi le jour de la sortie du film Titanic...
Ce dessin a paru, sous un autre format, en quatrième de couverture du numéro 3 de la revue L’éponge.
Lundi 8 janvier
9h : Je sors assez tôt de chez moi pour ne pas rater les réinscriptions à la piscine Recouvrance. Je peux vois ainsi la « une » du dernier numéro de la nouvelle formule d’Entrevue qui fait dans le Hidalgo bashing… Franchement, je vois mal l’intérêt ! Pourquoi s’acharner sur le PS qui n’a plus d’avenir, du moins en tant que force motrice de la gauche à l’échelle nationale ? Et en quoi ce qui arrive à la maire de Paris peut-il intéresser les millions de Français qui, comme moi, ne vivent pas à la capitale et n’en auront probablement jamais les moyens (ni même l’envie) ? Les patrons d’Entrevue s’imaginent probablement être à contre-courant des « bobos parisiens » mais ils en sont l’incarnation ultime ! Et de la pire espèce qui soit : celle qui s’ignore…
9h30 : Je suis déjà arrivé à la piscine. Les réinscriptions n’ouvrent que dans une heure et demie ! Comme il fait froid dehors et que je ne veux pas déranger le personnel, je m’assieds sur le paillasson en attendant l’heure : ayant mon PC sur moi, je mets l’attente à profit pour écrire une nouvelle chronique historique. Un monsieur s’approche : je m’attends à ce qu’il me demande pourquoi je suis là et me dise que je ne peux pas rester. Mais non : il me propose de venir m’asseoir sur les gradins de la piscine où je serai, pense-t-il, plus à l’aise. C’est bien aimable de sa part, mais je préfère décliner pour être sûr de ne pas rater l’ouverture des inscriptions et éviter de faire la queue trop longtemps… Sa sollicitude me touche néanmoins car ce n’est vraiment pas fréquent !
9h45 : Je reçois un SMS m’annonçant que le département autorise à cumuler le RSA avec un emploi… Ils n’ont rien compris, ou quoi ? Si on cherche un emploi, c’est justement pour ne plus avoir besoin des aides sociales ! Visiblement, ils y croient eux-mêmes, à cette légende des feignasses qui refusent de travailler pour ne pas perdre le RSA ! En tout cas, si ça existe, ne comptez pas sur moi pour leur faire des reproches : quand je pense à ces hommes d’affaires véreux qui accumulent les millions sans rien faire de leurs dix doigts, je ne vois pas ce qu’il y a de scandaleux à que de pauvres types sans le sou ramassent quelques miettes, fût-ce sans travailler ! Et de toute façon, à tout prendre, les vrais fainéants, mieux vaut les payer à ne rien faire, ils feront moins de dégâts chez eux que dans les entreprises ou les administrations ! Déjà qu’elles sont pleines de jean-foutre…
11h15 : Je m’attendais à tout en venant me réinscrire à la piscine, sauf à ce que ce soit le paiement qui prenne le plus de temps ! Je suis déjà en train de bouillir ! J’avais laissé passer trois personnes devant moi, je pensais naïvement que ce serait vite expédié… Quand je disais qu’il y a déjà suffisamment de jean-foutre dans les administrations ! Je remarque, sur la vitre du guichet, qu’il est indiqué que les handicapés sont prioritaires sur présentation de leur carte : je me demande si je ne devrais pas en demander une, tant faire la queue m’est insupportable ! Pas tellement à cause de l’attente en elle-même, dont on peut s’accommoder, qu’à cause de la sale manie des neurotypiques de vouloir à tout prix passer le temps en papotant…
12h : Passage à la cafétéria de la fac. Je retrouve ma vieille serveuse, fidèle au rendez-vous mais visiblement lasse de ce que son travail est devenu : elle qui aimait la dimension sociale de son métier, elle ne se retrouve plus dans ce lieu où il n’y a même plus de comptoir et qui tient plus de la supérette que d’une vraie cafétéria… Elle était une barista avec laquelle les étudiants échangeaient avec respect, elle n’est plus qu’une caissière devant laquelle les gens passent sans même la regarder ! Tout ça à cause de décideurs qui ont pris des décisions aberrantes sur le devenir de cette cafétéria sans avoir la moindre idée de ce qu’est la vie étudiante… D’ailleurs, à bien à y réfléchir, tous nos malheurs viennent de là : du fait que les décisions qui engagent nos vies soient prises par des individus qui n’ont aucune idée de ce dont lesdites vies sont faites. On ne peut pas connaître autrui en le maintenant à distance : il faut sentir le monde avant de le penser. Même Platon, ce prétendu ennemi du sensible, l’envisageait pourtant, dans le Banquet, comme un passage obligé vers la connaissance : c’est une étape certes insuffisante mais nécessaire.
13h45 : Rendez-vous avec les deux secrétaires du laboratoire HCTI pour préparer la journée d’étude sur Cavanna. Mine de rien, celle-ci aura lieu dans un mois ! L’une de ces deux dames m’exhorte à me reposer sur elles, m’assurant qu’elles prendront en charge toute la logistique et que je n’aurai à m’occuper que de la partie scientifique : je n’en doute pas une seconde, mais j’estime qu’en tant que créateur de l’événement, je suis directement concerné par cet aspect pratique et je n’ai pas le droit de l’envisager comme une basse besogne que je pourrais négligemment déléguer. Bref, je tiens à m’assurer à ce que la prise en charge des déplacements, de l’hébergement et des repas des intervenants soit optimale : non que je remette en cause la compétence de nos deux secrétaires qui sont de véritables perles, mais ça relève aussi de ma responsabilité.
14h15 : Après l’entretien, l’une des deux secrétaires consent à rester avec moi pour me parler de son grand-père, belge immigré à Brest qui s’est illustré dans la résistance et est resté jusqu’à sa mort une figure brestoise notoire, au point d’avoir aujourd’hui une rue à son nom. On lui en parle encore aujourd’hui et elle m’avoue que, plus jeune, elle se sentait souvent étouffée d’être sans cesse interpellée à propos de cet aïeul très charismatique. Je la comprends : il arrive régulièrement que je sois hélé dans la rue par des individus qui m’ont rencontré au cours d’événement publics et qui s’imaginent que c’est suffisant pour créer un lien d’intimité. Ces braves gens pensent sûrement me faire plaisir et ne se rendent pas compte à quel point ils me mettent mal à l’aise…
Mardi 9 janvier
9h30 : Malgré le froid de canard, je sors livrer mes albums à leurs pré-acheteurs. Je commence par un client habitant une zone qui a tout de la banlieue pas sensible du tout mais tout de même peu riante : ce n’est plus vraiment Brest même, mais ce n’est pas encore tout à fait Bohars. Je fais doublement chou blanc : mon commanditaire n’est pas là et la fente de sa boîte aux lettres est trop étroite pour que j’y glisse son livre. Tant pis, je vais lui demander de venir retirer son bien chez moi, après tout, il n’habite pas si loin de mon domicile. J’en suis quitte pour attendre le prochain bus avec la correspondance de Gustave Courbet. Juste à côté de l’arrêt, une maison porte l’enseigne d’un bar, mais à la vue du digicode installé à la porte, je comprends sans peine qu’on ne sert plus à boire dans ce bâtiment… Quelle tristesse !
11h : Je poursuis mes livraisons, au Relecq-Kerhuon, cette fois. S’aventurer dans cette commune, c’est toujours une expédition ! Les rues y ont été tracées en dépit du bon sens, même le trajet du bus y est tarabiscoté à souhait ! Heureusement, mon commanditaire, qui prenait le frais à sa fenêtre, me reconnaît : ainsi, j’évite de devoir tourner pendant deux heures pour le retrouver. Ce vieux Kerhorre m’explique qu’effectivement, les rues ont été conçues de manière à ce que les habitants ne soient pas gênés par la circulation : voilà qui doit faire le bonheur des retraités, un peu moins celui des visiteurs occasionnels !
12h : Pause bienvenue dans le doux et chaud cocon du Biorek brestois. Alexandre, fidèle au poste, m’apprend que Gabriel Attal a été nommé premier ministre. Et bien voilà, c’est arrivé ! Je savais bien que j’y aurais droit un jour, mais je ne m’attendais pas à ce que ça se produise aussi tôt : un homme plus jeune que moi va entrer à Matignon ! Oh, pas beaucoup plus jeune, s’entend, il n’a qu’un an de moins que moi. Mais quand même, ça donne un coup de vieux ! Je peux me tromper, mais je pense que l’une des choses qu’il est le plus difficile d’accepter quand on vieillit, du moins sur le plan strictement moral, est de devoir obéir à quelqu’un dont on pourrait être le père ou la mère… Alors, bien sûr, si j’étais optimiste, je ne bouderais pas mon plaisir d’avoir des gouvernants plutôt jeunes tandis que les Américains, eux, vont devoir à nouveau trancher entre deux fossiles qui devraient être à la retraite depuis longtemps ! Mais même sans être pessimiste, force est de reconnaître qu’en dépit de leur relatif jeune âge, on ne peut pas dire que Macron et Attal soient représentatifs de cette jeunesse ardente et généreuse dont j’ai si souvent souhaité l’accession au pouvoir afin qu’elle balaie toute la crasse laissée par tous ces cacochymes ennemis de la vie qui ne font que notre malheur depuis au moins cinquante ans ! Non, on est plutôt dans la configuration des « étudiants propres sur eux et non-violents » qui trimballent « dans leurs cartables la connerie de leurs aînés » pour reprendre les paroles d’une chanson de Renaud toujours d’actualité ! En même temps, cette jeunesse ardente et généreuse, où la trouver à notre époque ? De nos jours, les jeunes votent RN, font le service militaire volontaire et se marient à l’église ! On a les élus et la jeunesse qu’on mérite, mais tout de même, je me demande ce qu’on a fait pour mériter ça…
12h30 : Alors que je tente de me réchauffer avec un thé en attendant qu’Alexandre me serve mon borek (le restaurant s’est rempli depuis mon arrivée, je ne peux pas lui tenir rigueur de me faire un peu attendre), je n’en crois pas mes yeux : il neige ! Mer oblige, c’est rarissime à Brest ! Alors, bien sûr, ça ne tient pas, il ne fait pas assez froid pour qu’elle tienne au sol… Mais c’est joli quand même. Je ne peux m’empêcher de repenser à l’épisode neigeux d’il y a deux ans, quand la neige était venue apporter une note de poésie et de beauté dans un contexte plombé par les restrictions sanitaires… Regarder tomber la neige m’occupe le cerveau et suffit à me faire patienter. Je voudrais que ça ne s’arrête jamais.
14h : Passage à Saint-Pierre pour prendre des photos destinées à illustrer ma prochaine chronique. Comme prévu, la neige n’a pas tenu. Dommage : si j’avais pu prendre des clichés de ce quartier enneigé, j’aurais eu mon petit succès ! En attendant, je suis déjà très étonné de réussir à trouver si facilement ce que je voulais photographier : je ne suis pas vraiment habitué à ce que ce genre d’expédition se déroule sans problème !
Quelques photos prises à Saint-Pierre :
17h30 : Voilà une heure et demie que je suis rentré chez moi. Ma connexion Internet m’a lâché alors que j’étais en train de répondre à mes mails et que je n’avais pas encore envoyé mes photos à la rédaction. Les deux opérations ne souffrant aucun retard, je décide de sortir dîner au Beaj Kafé où j’espère trouver une connexion en bon état de marche.
18h15 : Au Beaj, j’ai du réseau, mais je n’arrive à ouvrir aucun site ! Je commence sérieusement à paniquer ! La responsable de l’animation, qui me connait, vient à mon secours : comme j’avais laissé mon PC en veille sur la route qui mène de mon domicile à l’établissement, elle me suggère de redémarrer la bécane… Et ça marche ! L’informatique me tuera…
Mercredi 10 janvier
11h15 : Je retrouve une amie qui s’était absentée dans son pays lyonnais natal le temps des fêtes : elle m’apprend qu’elle a été retardée sur le chemin du retour à cause d’un type qui a raté de peu le TGV pour Brest… Et s’est accroché au train ! Bien sûr, il n’a pas survécu à cette folie… Je préfère ne pas commenter ! Mon hôtesse me montre aussi des photos prises lors de son escapade : il avait neigé ! Mais VRAIMENT neigé, le paysage était véritablement blanc ! On était loin des petites miettes de neige dont on a dû se contenter à Brest… Mine de rien, cette brève entrevue avec ma voisine m’aura fait voir deux aspects de la vie : d’une part, la beauté de la nature, d’autre part la connerie humaine qui gâche toujours tout…
18h : Au cours du soir, j’arrive avec une bonne dizaine de collages réalisés à la maison ainsi que quatre travaux de peintures inspirés d’exercices antérieurs : je triomphe pendant quelques minutes ! Pas davantage ? Oui, car Delphine a eu l’idée de nous faire faire du « dessin automatique » avec, pour première étape, un mouillage généreux du papier afin que l’encre échappe à notre contrôle. Bien sûr, je prends la consigne au pied de la lettre et je mets dix fois trop d’eau : j’ai une véritable mare à mes pieds et même le papier qui protège ma planche est transformé en charpie… Dire que je suis un peu ridicule relève de l’euphémisme ! Quelques minutes à peine après un moment de gloire ! Sic transit gloria mundi…
Mes collages :
Le dernier a été réalisé AVANT l'annonce de la démission d'Elisabeth Borne...
Dans le même ordre d'idées, mes peintures réalisées à la maison :
La dernière, réalisée sur le thème "Unir" pour répondre à un appel à projet, a été scannée à trois étapes de sa réalisation :
Voici enfin un dessin "automatique" réalisé pendant le cours :
Jeudi 11 janvier
13h30 : J’ai rendez-vous chez la psychologue, mais le bus tarde à venir. Je m’impatiente, d’autant qu’il fait froid et que les piaillements des gosses de l’école voisine me tapent sur les nerfs. Je me résous donc à téléphoner à Bibus : le premier réflexe de mon interlocuteur est de m’asséner qu’on trouve toutes les informations sur « l’appli » ! Je me retiens de lui hurler que je n’ai pas de smartphone afin qu’il puisse me répondre : effectivement, mon arrêt est provisoirement privé de desserte (ah ! ah !) à cause d’une fuite d’eau… Fou de rage, je me précipite vers un autre arrêt pour emprunter une autre ligne : dans ma course, je perds ma carte de bus… Finalement, j’aurai des choses à dire à ma psy !
15h15 : Ayant vidé mon sac chez la psychologue, je m’attarde en centre-ville pour exécuter quelques tâches, dont l’encaissement d’un chèque. Déjà épuisé par mes récentes mésaventures, j’ai du mal à supporter la présence de gens qui rient dans la banque. Je me retiens de les traiter d’imbéciles heureux !
15h30 : Passage à la boutique Bibus pour me faire faire une nouvelle carte de bus. On en profite pour me soutirer huit euros ! Il se confirme que nous vivons dans un monde où la distraction est sanctionnée et même punie d’amende…
16h : J’arrive avec soulagement à Lambézellec : à peine suis-je descendu du bus que trois jeunes filles occupées à glousser s’aviser que le véhicule est en train de leur passer sous le nez ! Elles font tellement de boucan que je ne peux m’empêcher de leur crier « Bien fait » ! Ce n’est pas très charitable, mais je n’en peux vraiment plus…
18h30 : Je reçois la visite de l’acheteur que je n’ai pu livrer hier. Celui-ci m’apprend qu’il va participer à un marathon aux Jeux Olympiques ! Je lui dis franchement que je ne viendrai pas l’applaudir : nous entamons ainsi un échange sur les grandes compétitions sportives, qui sont pour moi des calamités. Je regrette de ne jamais réussir à me rappeler exactement du raisonnement du regretté Bernard Maris qui expliquait que ces grandes compétitions provoquent toujours un désastre économique dans le pays organisateur ; il semble que c’est parce que les retombées sont toujours surévaluées et se révèlent donc toujours décevantes pour les investisseurs qui retirent leurs billes… Bref : on est dans la crotte et il ne faut pas compter sur les J.O. pour nous en sortir ! Préparez plutôt vos tubas, nous allons nous enfoncer de plus belle !
Vendredi 12 janvier
10h15 : C’est en entrant du marché que j’apprends la nouvelle : Rachida Dati est notre nouvelle ministre de la culture… Cette fois, c’est définitivement confirmé : Macron veut la peau des artistes ! Je me fous de savoir si cette nomination est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les Républicains ou pour quelque autre association de malfaiteurs ! Même Sarkozy, le pygmalion de la mère Dati, n’aurait pas osé aller aussi loin dans un tel mépris de la culture ! C’est à vous faire regretter Frédéric Mitterrand ! De l’air, j’étouffe !
Terminons avec un petit croquis préparatoire :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Mercredi 3 janvier 2024
11h45 : Après une semaine de repos chez mes parents et un réveillon chez ma meilleure amie, l’heure est venue de reprendre pied dans la vie brestoise : histoire de commencer du bon pied, j’avais décidé d’aller nager à la piscine Foch qui fait partie des rares équipements dont les horaires deviennent plus avantageux pendant les vacances scolaires. Malheureusement, depuis que les auteurs de mes jours m’ont fait découvrir la série Astrid et Raphaëlle, j’ai tendance à veiller un peu tard pour profiter pleinement de la sublissime beauté de Lola Dewaere et de la justesse avec laquelle Sara Mortensen campe une jeune femme autiste… Je comptais arriver à la piscine à l’heure d’ouverture, quand il n’y a pas beaucoup de public : au vu de l’heure à laquelle je sors de chez moi, le moins qu’on puisse dire est que c’est un peu raté ! Je fais néanmoins contre mauvaise fortune bon cœur… Et c’est seulement dans le bus que je m’aperçois que je n’ai ni jeton ni pièce d’un euro me permettant d’utiliser les casiers du vestiaire ! Je descends donc au premier arrêt, situé sur le boulevard Léon Blum, dans l’espoir d’y trouver une banque où retrier du liquide et un commerce pour faire de la monnaie : sous la pluie, dans le vent, avec mon sac de piscine à la main… Un début d’année glamour, en somme ! Mais si on fournissait des jetons aux usagers de la piscine (on paie pour entrer, après tout, non ?), ça n’arriverait pas…
11h50 : Je trouve une agence bancaire tout au bout du boulevard… Mais celle-ci n’a pas de distributeur ! Si, si, ça existe encore, au plein cœur d’une métropole française. Je retourne à l’arrêt de bus, toujours dans les mêmes conditions déplorables : j’ai le temps d’échafauder un autre plan, je décide de descendre à Kerinou où je devrais avoir plus de chance. En attendant, je repense à Astrid qui compte des haricots pour évaluer sa jauge énergétique : je ne serais pas étonné d’en avoir déjà perdu au moins trois sur dix…
11h55 : Je descends à Kerinou. Je me dirige vers le bureau de poste : l’écran du distributeur est tout noir. Il va donc falloir explorer ce quartier semi-moribond qui ne reprend un semblant de vie que les jours de marché ou aux heures d’ouverture du Kafkerin… Cinq sur dix.
12h : J’ai enfin pu retirer quelques billets. Je me précipite vers le bureau de tabac. Le temps est toujours aussi lamentable et j’en ai déjà plein les bottes, il n’est donc pas impossible que l’expression de mon visage ne soit pas des plus enjouées et que le ton de ma voix ne soit guère plus amène. Mais ça n’en atténue pas moins le caractère surréaliste de mon dialogue avec la buraliste :
- Bonjour madame, pourriez-vous me changer 20 euros, s’il vous plaît ?
- Pardon ?
Cette vieille dame me regarde avec des yeux ronds comme si j’avais proféré une énormité. J’insiste donc :
- J’ai besoin de monnaie, pouvez-vous bien m’en faire ?
- Oui ben vous pourriez le demander de façon plus explicite et plus aimable, parce que je fais de la monnaie si je veux !
Je ne comprends pas : je n’ai pas l’impression d’avoir été obscur ou grossier ! Elle finit quand même par me changer mon billet, avec une mauvaise grâce évidente. Pour tenter de décrisper la situation, j’entreprends de m’expliquer :
- Écoutez, je m’excuse, mais je viens de faire plusieurs allers-retours infructueux sous la pluie et dans le vent…
- Ce n’est pas mon problème !
Elle vient de prononcer la phrase que je déteste le plus au monde après « Je ne veux pas le savoir » : je comprends qu’il n’y a rien à tirer de cette vieille harpie égoïste. Enfin nanti de la pièce d’un euro, je pars, furieux, en lui disant « Adieu » ! Huit sur dix…
12h10 : J’arrive enfin à la piscine, mais je tombe sur un os : j’avais oublié que le petit bain était fermé de midi à treize heures le mercredi ! Ce n’était pas précisé sur la page web des piscines brestoises… J’utilise mon dernier haricot pour aller à Bureau Vallée où je dois faire quelques achats.
12h30 : J’arrive à Bureau Vallée… Et je trouve porte close. Pendant les congés de Noël, ça ferme de 12h30 à 14h ! Rectification : la piscine Foch est VRAIMENT la seule infrastructure dont les horaires deviennent plus commodes en période de vacances scolaires. J’ai épuisé tous mes haricots : de rage, je me tape la tête contre le mur ! Inutile de retourner à la piscine : le temps que j’arrive, la caisse ne sera pas encore rouverte et, de toute façon, je n’en peux vraiment plus. Heureusement, il y a le Beaj Kafé juste à côté : je m’y rends pour consommer un bol de soupe et refaire mon plein.
12h45 : Tout en mangeant ma soupe, je feuillette un album de Gaston Lagaffe que j’ai trouvé sur les étagères du café : difficile de ne pas repenser au récent retour du héros sans emploi créé par le grand Franquin en 1957. Ce que j’en pense ? Delaf, jusqu’alors connu en tant que dessinateur des Nombrils, a réussi un tour de force graphique hors du commun en se coulant dans le style de son illustre prédécesseur : même l’observateur le plus pointilleux pourrait croire à du Franquin, même Bar2, le créateur de Joe Bar Team, n’aurait pas atteint un mimétisme aussi convaincant. D’un point de vue scénaristique, j’accord aussi un satisfecit, il n’y a que quand Gaston est à deux doigts de démissionner que je suis un peu plus réservé, je n’arrive pas à le croire capable de ce genre d’introspection lucide. Mais je pinaille : sur l’ensemble de l’album, c’est vraiment un détail, l’esprit de Franquin est bel et bien au rendez-vous ! On célèbre cette année le centenaire de ce grand créateur : vingt-sept ans après sa mort, il n’a pas fini de nous faire rire – on peut le louer autant qu’on veut, il n’est plus là pour protester !
14h10 : J’ai enfin pu accéder à la piscine. Me calant sur le rythme des leçons prises à Recouvrance, j’y passe trois quarts d’heure : je n’ai donc plus que cinq minutes à y passer. Il était temps : les gamins commencent à envahir le bassin. N’ayant pas vraiment eu le temps de me reconstituer une jauge complète, ces chers petits entament quelque peu ma patience et je reconnais que je ne fais pas preuve de diplomatie quand je fais « oh » à une petite fille qui me barre le chemin… Mais je ne vois pas pourquoi l’un des maîtres-nageurs se sent obligé de venir me morigéner ! C’est un enfant, qu’il me dit : je le sais, et alors ? Quand j’étais petit, mon père n’arrêtait pas de me reprocher de me mettre en travers de son passage ! Je ne voudrais pas insister lourdement sur l’évolution du statut de l’enfant dans nos sociétés, mais…
Encore une carte de vœux, avec Déodat et Trémière, les héros du Riquet à la houppe d'Amélie Nothomb :
Jeudi 4 janvier
9h : Je ne rêve pas : c’est bel et bien un orage d’hiver qui s’abat sur la ville alors que je suis déjà sorti pour ne pas rater un rendez-vous avec un amie. Pour sortir avec une météo aussi pourrie alors que la région se remet à peine du traumatisme de la tempête Ciaran, il faut être un peu maso ou très motivé : je dois être les deux à la fois ! Mon amie, qui n’est pas au mieux de sa santé, m’envoie un texto pour m’avertir que dans ces conditions, elle préfère ne pas sortir et reporter notre sortie au port du Moulin Blanc : c’est typiquement ce qu’Astrid appelle un « imprévu prévisible »… Je suis déçu mais je fais face : j’ai de toute façon quelques affaires à régler en ville, je ne serai donc pas sorti pour rien. Je croise néanmoins les doigts pour que le ciel ne nous tombe pas une nouvelle fois sur la tête…
12h30 : J’ai finalement rejoint mon amie chez elle pour déjeuner. Une fois encore, je suis arrivé trop tôt : mon hôtesse doit procéder à quelques ablutions et me laisser seul pendant quelques minutes avec son petit garçon. Elle me propose de faire patienter ce petit bout de chou en poursuivant avec lui une partie d’un jeu de société qu’ils disputent ensemble depuis quelques jours : je suis obligé de décliner car je ne comprends rien aux règles ! Je l’avoue : à part le Scrabble et le Labyrinthe, la plupart des jeux de société me stressent et me perturbent ! S’il y a trop de règles à assimiler, je suis vite perturbé ! Nous optons alors pour un pis-aller, à savoir un boîtier contenant des cartes de questions-réponses sur le football : je pose les questions et le petit mignon y répond. Dans 95% des cas, il trouve ! N »ayant aucune affinité avec le monde du ballon rond, je suis impressionné et je comprends ce que doivent ressentir mes proches quand (par exemple) je cite les noms des neuf muses…
13h30 : Tout en déjeunant, je bois les paroles de mon aimable hôtesse qui me révèle que depuis la pandémie, certains commerces ont condamné l’accès à leurs toilettes pour le public ! Je l’ignorais pour la bonne et simple raison qu’il ne me viendrait pas à l’idée de faire mes besoins dans un magasin. En tout cas, c’est un non-sens absolu : dans un contexte où les règles d’hygiène sont renforcées, comment peut-on interdire l’accès à un lieu où l’on peut se laver les mains ? Et maintenant que le pire de la pandémie est derrière nous, qu’est-ce qui les empêche de rouvrir ces lieux qui peuvent s’avérer impérieusement nécessaires pour qui fait ses courses en compagnie d’enfants en bas âge ? Plus ça va et plus je me dis que mon Voyage en Normalaisie, qui fait l’inventaire des absurdités de ce monde, est en-dessous de la vérité…
Encore des vœux, en chanson cette fois :
Vendredi 5 janvier
11h : On m’avait dit que certains traits autistiques s’atténuent avec l’âge et que d’autres, au contraire, s’accentuent. Je le confirme. Ce qui s’atténue chez moi, c’est la difficulté à faire face à l’imprévu : l’expérience aidant, je parviens presque à ne plus paniquer quand je dois affronter un changement de dernière minute. Ce qui s’accentue, en revanche, c’est l’hypersensibilité sensorielle : au marché, ce n’est pas la grosse foule, et pourtant, je suis déjà à deux doigts de faire un malaise, le peu de conversation que j’entends suffisant à me faire presque tourner de l’œil… Je me demande pourquoi les gens ont à ce point besoin de parler, qui plus est pour ne rien dire dans la plupart des cas.
15h : Bref passage de mes parents qui m’apportent, entre autres, un colis contenant trente exemplaires de mon troisième recueil de dessin, colis qui avait été déposé dans un magasin de Kergaradec. Je peux donc l’annoncer officiellement : MON TROISIÈME ALBUM EST ENFIN DISPONIBLE ! Finalement, l’année commence bien.
Voici la couverture de l'album :
Samedi 6 janvier
10h30 : Retour à la piscine Foch : cette fois, j’ai réussi à venir assez tôt pour qu’il y ait peu de monde. Je me surprends à nager avec plus d’aisance et à appliquer plus facilement les leçons de la monitrice. Certains de mes amis m’ont fait remarquer que ma silhouette tendait à être plus affutée : si ça se trouve, dans six mois, je pourrai postuler pour jouer dans Alerte à Malibu !
C'est tout pour cette semaine, je vous laisse avec une page de croquis en guise de post-scriptum. A la prochaine !
Précision à l'attention des lecteurs non-comprenants : la belle Alcmène est la mère d'Héraclès (Hercule pour les romains) qui, entre autres travaux, captura Cerbère, le chien à trois têtes gardien des Enfers.
Vendredi 15 décembre
14h30 : Pour résoudre mon problème de transport, je fais un aller-retour à la gare afin d’acheter un nouveau billet directement au guichet. On y accepte les paiements par chèque, ouf ! Pour éviter que ça ne tourne au vilain, je précise tout de suite à la guichetière que je suis autiste Asperger et que j’ai du mal à expliquer certaines situations. La dame se montre très compréhensive. Un peu trop même : elle se croit obligée d’expliquer, sur un ton qui se veut pédagogique, des choses que je sais déjà depuis longtemps. Mais oui, je sais qu’il faut arriver quelques minutes avant le départ ! Mais oui, je sais que mon billet est incessible ! J’ai dit que j’avais du mal à expliquer les choses, pas à les comprendre ! Je repars avec l’impression d’avoir été pris pour un débile mental et un billet qui m’a coûté beaucoup plus cher que celui que j’avais initialement acheté : je risque une baffe si je dis que c’est plutôt désagréable ?
15h30 : De retour au Beaj Kafé, j’interviewe Francis Jaouen qui vient de soutenir sa thèse sur les récits de maladie à l’âge de 71 ans ! C’est d’autant plus méritoire que s’il a choisi ce sujet, c’est justement parce qu’il a eu un gros souci de santé dont il est sorti partiellement paralysé : il marche avec une béquille et il lui manque une main, mutilation dont je n’ose pas lui demander l’origine. Quand je pense que certaines de mes connaissances qui n’ont même pas atteint la soixantaine se plaignent sans arrêt d’avoir mal partout et d’apprendre plus difficilement ! Bon, je ne les accable pas : nous ne sommes pas tous égaux face au vieillissement…
17h : En attendant d’aller à la piscine, je prends une pause dans la boutique de piercings et de tatouages où j’ai déjà été invité à venir m’arrêter quand je perds mes billes : j’y lis le tome 20 de la série Rantanplan, paru en 2011, et que je viens d’acquérir pour compléter ma collection. Cet album complétait lui-même une autre collection, celle des gags en deux bandes du « chien le plus bête de l’ouest » : je ne comprendrai jamais pourquoi, à l’époque, on n’avait pas tout de suite commencé par le premier gag ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! À part ça, que dire ? On peut chipoter, dire que ce n’est pas ce que Morris a fait de mieux… Mais moi, je me régale ! Les bêtises de Rantanplan me font rire et je n’ai aucune envie d’accabler ce chien attachant : les humains qui l’entourent sont finalement plus idiots que lui et n’ont même pas l’excuse d’être des animaux ! Lui, au moins fait l’effort de réfléchir, ce qui est de moins en moins le cas de mes semblables… De toute façon, peut-il vraiment être plus stupide qu’un éditeur qui publie une série sans commencer par le début ?
20h50 : Après la leçon de natation, je retrouve mes camarades du Collectif Synergie pour la dernière scène ouverte de l’année : nous ne sommes pas nombreux, nous sommes même à la limite de l’entre-nous, mais bon, the show must go on ! Je me surprends à déclamer SANS bafouiller, je repars donc content de moi : je ne m’attarde malheureusement pas, je dois me lever tôt demain matin…
Samedi 16 décembre
9h : Dans le train pour Paris, je ne peux m’empêcher d’interpeler une dame accompagnée d’un petit enfant assez bruyant : bien que mal réveillé, j’arrive à rester diplomate et me contente donc de lui dire poliment que si ça doit se poursuivre ainsi jusqu’au terminus, ça risque d’être assez pénible pour les autres voyageurs. J’aurais mieux fait de me taire : sans le vouloir, j’ai donné aux autres passagers l’autorisation tacite de faire la leçon à cette pauvre femme ! Cette dernière finit par me flinguer du regard en me disant « Vous êtes content, maintenant ? » Je n’ose pas lui répondre que je n’ai pas voulu ça : il n’empêche que j’ai ouvert la boîte de Pandore de la connerie humaine…
12h : Le train s’arrête à Laval : un homme s’assied à côté de moi, prenant la place de la dame qui était montée à Rennes et qui est déjà partie – ne voyant rien d’incongru à ce que l’on prenne le train pour aller de Rennes à Laval, je n’y ai pas accordé d’importance. Je suis obligé de déranger mon nouveau voisin pour aller au bar où j’espère pouvoir acheter des tickets de métro en échange d’un chèque : en se levant, il remarque un sac abandonné ! Et en bon crétin mal élevé, il se sent obligé de le signaler ! Je tente de l’en dissuader, n’ayant aucune envie de prendre deux heures de retard à cause d’une dame inattentive à ses affaires. Mais il s’obstine : je me vois déjà cloué en gare de Laval en attendant que les flics se soient assurés qu’il n’y ait pas de bombe dans le sac… Mais l’explication s’avère plus simple : la dame n’était pas descendue ! Elle s’était trompée de place en s’asseyant à côté de moi, elle s’était ensuite absentée en laissant son sac, et l’autre passager s’est installé entretemps à cette place qui est bien celle qui lui avait été assignée – vous suivez, j’espère ? Quant à moi, on m’a fait comprendre qu’on ne prenait pas les chèques au bar.
15h : Me voici à Paris. Grâce au peu de monnaie qui me restait, j’ai pu prendre le métro pour atteindre l’auberge de jeunesse du XXe arrondissement où j’avais réservé un lit. Économie oblige, celui-ci est situé dans un dortoir de neuf couchages : quand je peux y entrer, huit jeunes gens y roupillent encore, se remettant vraisemblablement d’une soirée où ils n’ont pas bu que de l’eau… Contrairement à la chambre où j’avais dormi lors de mon précédent passage à Paris, celle-ci n’est pas munie de casiers : j’ai donc emporté mon cadenas de lycéen pour rien… En tout cas, une chose est sûre : hors de question pour moi de laisser mes bagages ici ! Le larcin dont j’ai été victime en septembre m’a suffi ! Je fais donc le tri entre les affaires dont j’aurai besoin ce soir et celles que je peux laisser à l’auberge, avec la ferme attention de demander à la réception comment je peux mettre ma valise à l’abri…
15h15 : En attendant de solliciter le réceptionniste et de repartir à l’aventure dans Paris, je profite d’avoir un lit à ma disposition pour souffler en finissant la lecture du dernier Cahier de l’Iroise consacré pour la seconde fois aux photographes brestois – l’accent étant mis cette fois sur ceux d’aujourd’hui, dont mon ami Pod. La photographie n’est pas un art qui me passionne, mais je sens que j’aurais des choses à raconter sur cet officier de marine de la seconde moitié du XIXe siècle qui a ramené de nombreux clichés d’Afrique et d’Asie ou encore sur Louis Blonce qui nous a quittés il n’y a pas si longtemps encore et avait su capter comme personne l’ambiance des événements festifs brestois, notamment dans le quartier Saint-Martin…
15h45 : Je m’apprête à repartir. Le réceptionniste m’informe qu’à défaut de casiers, l’auberge dispose d’une bagagerie sise à l’étage en-dessous. Je m’y rends, mais je ne comprends pas : quel intérêt aurais-je à mettre ma valise dans cette pièce qui, visiblement, ne ferme même pas à clé ? Je remonte pour exprimer mon incrédulité au réceptionniste : il explique qu’en fait, c’est lui qui ouvre la bagagerie depuis son poste et que, grâce à une caméra, il voit lui-même quand le résident a fini d’y déposer son bagage, ce qui lui permet de la refermer… Mais pourquoi ne me l’a-t-il pas expliqué tout de suite ? J’étais censé le deviner ?
17h : Après plus d’une heure de marche, j’ai repéré la galerie d’art du IIIe arrondissement où doit avoir lieu la présentation du numéro de la revue L’éponge où deux de mes dessins ont été publiés. Il me reste une heure, je n’ai pas un sou sur moi, je me mets en quête d’un bar qui accepterait les chèques : je n’en trouve aucun. En désespoir de cause, je m’assieds sur un banc, par ce temps froid et humide, dans ce quartier bruyant, et je reprends mon exemplaire des Cahiers de l’Iroise pour y lire l’article hors-thème de Gérard Cissé sur l’hôtel d’Aché, un édifice qui a connu bien des fonctions diverses avant d’être détruit par les bombardements de 1944… Bien sûr, je ne boude pas mon plaisir de lire monsieur Cissé qui est un brillant historien et dont la plume a une grâce incomparable : encore un vieux monsieur inspirant ! Il n’empêche que comme début de soirée, ce n’est pas très glamour…
18h45 : La présentation démarre enfin. La galerie expose des peintures qui sentent leur snobisme à plein nez. Au buffet, il n’y a que du vin rouge en cubi et des amuse-gueule achetés au Monoprix. Je n’ai même pas d’espace pour présenter mes livres, j’improvise en les disposant sur une chaise. Je ne peux évidemment pas en vouloir aux organisateurs qui ne roulent pas sur l’or et sont de toute évidence de bonne volonté, mais j’espérais mieux en venant à la capitale : là, ça ne dépayse pas de Brest ! N’ayant pas de texte à lire, contrairement aux autres auteurs présents qui sont poètes ou nouvellistes, j’interprète « Les Saint-Marcois », une chanson brestoise que j’avais découverte grâce aux Goristes : j’aurai au moins la satisfaction d’avoir fait découvrir le patrimoine musical brestois à des Parisiens car je ne vends pas un seul bouquin ! Je comptais là-dessus pour pouvoir m’acheter des tickets de métro… Je m’en ouvre à Aurélie, l’une des responsables de la revue, qui accepte, fort heureusement, de me dépanner : je ne me voyais pas refaire la randonnée que je viens d’effectuer, surtout de nuit ! Bref : ce n’est pas la soirée du siècle, mais j’ai au moins fait la connaissance d’une personne sur laquelle je peux compter, je n’ai donc pas tout perdu !
22h : De retour à l’auberge, j’ai récupéré ma valise. Ayant emporte mon PC, je relève mes mails : j’avais quelques messages, dont un qui m’a été adressé via le site de L’Harmattan ! Mon premier « vrai » courrier de lecteur… Je me suis installé dans le bar : dans la foulée, je tente de remanier un manuscrit. Trois jeunes, un garçon et deux filles, se sont assis à côté de moi pour taper le carton : le mec parle comme une « caillera », il n’est pas fichu d’aligne deux mots sans menacer ses deux partenaires féminines, ça me gonfle tellement la pastèque que j’ai envie de lui foutre mon pied dans la figure… Décidément, Idiocracy, ce n’est pas de la science-fiction ! Ce voyage ne me laissera pas un souvenir impérissable…
Dimanche 17 décembre
6h : Je me lève déjà : je ne tiens pas à rater le petit déjeuner et je dois l’avoir fini assez tôt pour ne pas rater le train. De toute façon, j’ai affreusement mal dormi dans cette chambre surchauffée et sans volets, où j’ai dû supporter les ronflements de huit jeunes glands, le tout sur un lit surélevé où j’avais continuellement peur de faire tomber mes affaires et de me cogner au plafond ! La prochaine fois, je réserve une chambre particulière, quoi qu’il en coûte ! Tiens, ça me rappelle quelque chose ?
7h : La salle de restauration ouvre. Comme j’avais un peu de marge, j’avais branché mon ordinateur à une prise située dans le hall pour pouvoir jeter un œil sur Internet. Je débranche donc le chargeur… Et la prise part avec ! Je le signale au type de l’accueil, un homme obèse en tenue de pompier, qui n’a pas l’air de vraiment comprendre ce que je lui dis et qui ne semble même pas tellement étonné quand je lui montre ce qui vient d’arriver : visiblement, ce n’est pas la première fois que ça se produit ! Je craignais qu’on ne me force à rembourser cette dégradation involontaire, mais le type ne me dit rien : le jour où l’auberge s’effondrera sur lui, il restera tout aussi stoïque !
12h30 : Le train est arrivé à Brest. Il y avait longtemps que je n’avais pas été aussi soulagé de retrouver ma bonne vieille ville du Ponant ! Ce retour s’est cependant mieux passé que l’aller, surtout à partir du moment où un gros type, du genre à côté duquel j’ai l’air d’un danseur étoile (même si une vieille amie de ma mère m’a fait remarquer dernièrement que j’avais minci), a pu quitter le siège situé à côté du mien, me donnant l’impression de gagner de la place d’un seul coup… Cette fois, au moins, je n’ai rien perdu ! À part du temps et quelques illusions, bien sûr…
Lundi 18 décembre
13h : Ma nouvelle carte bancaire est arrivée : je n’en ai été privé que pendant moins d’une semaine, et c’est fou comme ça a suffi à m’handicaper ! Encore une preuve que dématérialisation ne rime pas forcément avec sécurisation…
14h : À l’Assemblée Générale du laboratoire HCTI, la nouvelle tombe : toutes les demandes de subvention adressées aux collectivités territoriales ont été refusées ! Y compris celles que j’avais déposées pour ma journée d’étude sur Cavanna. Ce n’est certes pas un drame absolu puisque j’ai obtenu assez de financements pour boucler le budget, mais c’est quand même une nouvelle qui fait mal, ne serait-ce que parce qu’elle est symptomatique de la situation financière des municipalités et des départements…
Mardi 19 décembre
12h : Je passe une nouvelle fois sur l’antenne de Transistoc’h (anciennement Radio Évasion), cette fois pour parler des femmes remarquables de l’histoire de Brest. On en a retenu une quinzaine, ce qui est forcément non exhaustif ! L’interview dure 26 minutes, c’est bien sûr insuffisant pour entrer dans le détail : heureusement pour moi d’ailleurs, car j’ai du mal à rassembler mes souvenirs concernant certaines femmes de lettres un peu oubliées… Malgré tout, la journaliste est finalement satisfaite de mon intervention. Je me félicite néanmoins intérieurement de ne pas passer tous les mois sur cette antenne comme on me l’avait suggéré : la radio me stresse, sans doute bien au-delà de ce que ça vaut…
Mercredi 20 décembre
13h : J’avais été averti que j’allais recevoir un colis : je m’attendais à ce qu’il s’agisse soit du second tirage de mes calendriers 2024 soit de mon troisième recueil de dessins satiriques. Perdu : ce n’est ni l’un ni l’autre, ce sont les contreparties qui m’avaient été promises en échange de ma participation à la campagne organisée par Blast ! pour financer la production des « Marioles », ce programme satirique censé pallier l’absence des Guignols de l’info. Il faut laisser ça à Denis Robert : il tient parole. J’ai dû attendre longtemps, mais je les ai ! Dans le paquet, il y a, entre autres, une affiche représentant la marionnette de Vincent Bolloré disant « T’es viré ! » J’ai pensé un instant la mettre dans mes WC, mais je crains que ça ne me constipe et je ne tiens pas à faire peur aux enfants quand des amis viennent me rendre visite avec leur progéniture. Alors je l’ai mise dans mon débarras : comme ça, chaque fois que je prendrai mes affaires pour le ménage, je me rappellerai qu’il n’y a pas que dans mon appartement qu’il y a du nettoyage à faire…
Deux dessins réalisés au cours du soir et à la mine de plomb :
Jeudi 21 décembre
17h30 : Après une séance de natation et un tour au marché de Noël où je me suis exceptionnellement accordé un copieux goûter, je me retrouve au Kafkérin où je sirote un thé en attendant l’heure d’ouverture de la crêperie Diwali dans laquelle doit se produire un duo que j’ai rencontré à la Raskette et que je souhaite revoir. Sur les étagères de ce café associatif, il y a, entre autres jeux de société, une boîte Burger Quiz : n’ayant rien d’autre à faire pour patienter, je ne résiste pas à l’envie de m’en saisir et de lire les cartes une par une. Mine de rien, on apprend beaucoup de choses : je savais déjà que Nostradamus avait écrit un traité sur la confiture qui fait toujours autorité et que les Romains prêtaient serment sur leurs testicules pour témoigner au tribunal, mais j’ignorais que le médecin d’Hitler était juif et que « Blédina » signifie « prostituée » en russe ! Vous trouvez que ces connaissances ne sont pas très utiles ? Et bien vous vous trompez ! Elles ont une vertu et non des moindres : celle de nous rappeler que le monde est encore plus étrange qu’on ne le croit…
19h : J’entre à Diwali mais, au vu de la grimace avec laquelle on m’accueille, je subodore que je ne suis pas tout à fait le bienvenu. Bien vu, l’aveugle : c’est complet, j’aurais dû réserver. Je n’ose même pas m’approcher des deux musiciens que je souhaitais revoir, je préfère partir tout de suite. Dans Un gars, une fille, Alexandra dit parfois à Jean, quand celui-ci la déçoit, « T’es nul, tu sers à rien » : c’est ce que je me dis à moi-même en ce moment ! Il est finalement heureux que je sois célibataire et sans enfants : au moins, je suis seul à avoir honte de moi.
Vendredi 22 décembre
22h30 : Les Marinades d’hiver ont pris fin : j’y proposais mes caricatures et mes produits dérivés. Le bilan n’est pas négatif, mais j’ai un peu de mal à savourer pleinement mon petit succès car, en ce moment, j’attends un bus qui n’arrivera que dans une demi-heure. Il fait nuit, il fait froid, j’ai le cul par terre… J’en ai marre de ce genre de situation ! Ça ne m’arriverait pas si on respectait un minium les gens qui n’ont pas de bagnole… Ni si tout n’était pas déjà fermé après vingt-deux heures !
Samedi 23 décembre
15h30 : Je viens d’arriver chez mes parents où je vais séjourner une semaine histoire de fêter Noël en famille et de me délasser un peu… Oublier ce monde pourri pendant quelques jours ne me fera pas de mal !
Commençons par une petite pointe contre un être abject :
Lundi 11 décembre
16h : Après avoir effectué quelques achats à Bureau Vallée, je me dirige vers une agence bancaire pour y encaisser un chèque : le lundi, il n’y a personne pour me recevoir, mais il doit y a une urne pour déposer les chèques et tout ce qui va avec. Ce n’est qu’une fois arrivé sur place que je découvre qu’effectivement, il y a tout… Sauf des enveloppes ! Ne voulant pas différer davantage cet encaissement, je retourne à Bureau Vallée pour acheter des enveloppes : je prends les moins chères, même s’il est vrai qu’avec moi, cette denrée est assez vite rentabilisée. Une fois cet achat accompli, je repars vers la banque… Et je me rends compte que mon acheteur n’a pas libellé le chèque à mon ordre : l’espace prévu à cet effet est resté vierge ! Et je n’ai pas de stylo sur moi ! Alors j’entre au Beaj Kafé où je dérange une jeune fille pour lui demander de m’en prêter un. Ce n’est qu’après tout ce manège que je peux enfin glisser mon chèque dans l’urne avec une relative confiance… Voilà le genre de série de désagréments que je n’aurais pas si la banque en question mettait à la disposition de ces clients un stylo et des enveloppes ! Je ne voudrais pas insister lourdement sur la mesquinerie des banquiers, mais…
Mardi 12 décembre
11h : Je n’ai plus de carte bancaire. J’ai commis l’erreur de vouloir utiliser la mienne sur les automates de la poste en tapant le code : comme je n’en ai plus l’habitude, je me suis trompé deux fois… C’était suffisant pour que ma carte soit désactivée ! Ma nouvelle carte arrivera dans une semaine : en attendant, je ne peux même plus retirer de liquide ! Mon chéquier va être rentabilisé… Comme quoi il n’y a pas que les escroqueries de grande dimension : la mesquinerie bancaire nous pourrit vraiment la vie au quotidien !
17h : Je donne une conférence sur le siège de Brest à la demande de l’association « Mémoire de Lambé ». Je dis à peu près tout ce que je sais sur cet épisode malheureux de l’histoire local, c’est-à-dire, en fait, pas grand’ chose. Plus exactement, pas grand’ chose de plus que ce que le grand public connaît déjà. La salle est bien remplie : selon les organisatrices, il n’y a pas toujours autant de monde à leurs événements ! La moyenne d’âge est assez élevée et s’il n’y avait pas trois ou quatre personnes de ma génération, on pourrait presque se croire dans un EHPAD ! Certaines personnes étaient déjà de ce monde quand les bombes se sont abattues sur Brest : ça n’arrange pas mon malaise, je sens que l’assistance en saura plus que moi-même sur cette époque ! D’ailleurs, ça ne rate pas : je parle à peine une demi-heure et la discussion avec le public dure presque plus longtemps ! Je devrais plutôt dire « la discussion du public » puisque les gens parlent entre eux et je suis presque obligé de m’imposer pour apporter un élément ! Les hostilités ont été notamment déclenchées par un type qui m’a dit carrément que les chiffres que j’avançais concernant le nombre de victimes de l’explosion de l’abri Sadi-Carnot étaient « totalement faux » ! Alors que je n’ai fait que citer les chiffres officiels, ceux que tout le monde reprend ! S’il a une autre version des faits, ce n’est pas à moi qu’il doit s’adresser ! Et surtout pas avec une telle agressivité ! Pourtant, au moment où je repars, on me remet mon chèque comme prévu et on me félicite même pour mon discours qui a « appris beaucoup de choses » aux gens… De deux chose l’une : ou bien on ne voulait pas me vexer, ou bien je me sous-estime et je prends les choses trop à cœur…
Mercredi 13 décembre
16h : Il n’y a pas si longtemps encore, j’étais intervenu dans un cours de psychologie pour revenir sur mon parcours de personne avec autisme. Une étudiante m’avait posé une drôle de question à laquelle je n’ai pas su répondre : j’ai donc suggéré à la prof, pour en avoir le cœur net, que nous examinions ensemble le rapport qui m’avait été remis à l’issue de mon diagnostic. Après une relecture attentive de tout ce bazar, nous découvrons le pot aux roses : et oui ! Le psychiatre qui m’a diagnostiqué a bel et bien conclu que j’étais autiste « à haut potentiel intellectuel ! » En somme, non content d’être aspie, je suis HPI ! Surpris ?
Quelques exercices réalisés en cours du soir :
Jeudi 14 décembre
18h : À l’heure qu’il est, je devrais assister à une conférence organisée par la SEBL : mais mes parents sont en ville et m’ont invité à les rejoindre pour faire un tour au marché de Noël et boire un verre dans un bistrot. Je n’ai pas osé refuser : de toute façon, je n’ai pas besoin de chercher de nouveaux sujets à traiter pour le journal, j’ai déjà un mois d’avance sur le planning ! Et j’avoue que suite à ma conférence de mardi dernier, j’en ai un peu marre de tous ces chercheurs bouffis d’orgueil : je me demande même si les amateurs ne sont pas pires ! Je me retrouve donc à La Petite Poésie avec les auteurs de mes jours : cela fera bientôt cinq ans que j’ai quitté le domicile familial et j’apprécie sincèrement ces moments privilégiés ; j’ai de la chance d’avoir des parents comme les miens, je ne pense pas que tout le monde aurait la même bienveillance vis-à-vis d’un fils qui mènerait la vie d’artiste et serait encore célibataire à mon âge…
Vendredi 15 décembre
13h : J’écris depuis le Beaj Kafé où j’attends un particulier que je dois interviewer. D’après mon horoscope, je devrais passer une excellente journée. Or, je suis censé faire un aller-retour entre Brest et Paris ce week-end… Et je viens d’apprendre que mon billet de retour était annulé à cause d’un « mouvement social local » ! Et je n’ai toujours pas de nouvelle carte bancaire, donc pas moyen de faire une nouvelle réservation en ligne ! En somme, si je ne trouve pas rapidement une solution, dimanche soir, je risque de me retrouver en rade à Paris, sans train pour rentrer et sans même un toit au-dessus de la tête… Il faudrait vraiment que j’arrête de lire les horoscopes !
Lundi 4 décembre
9h30 : Après un week-end laborieux, je retrouve mes nouveaux amis les psychomotriciens dans leur institut, récemment ouvert en ville : l’un des organisateurs des journées nationales dont j’ai été une sorte de vedette a décidé de m’acheter trois des dessins réalisés à cette occasion, je viens donc le retrouver pour le livrer et me faire payer. J’ai un peu de mal à trouver l’immeuble, qui est plutôt discret. Sur place, mon hôte m’explique qu’il s’agit d’un local prêté par la région… Et qu’il est trop exigu pour y accueillir tous les étudiants. Néanmoins, je sens qu’on travaille ici dans une bonne ambiance : j’admire sincèrement cette résilience face à la mesquinerie des pouvoirs publics !
13h15 : Alors que je déambule rue Jean Jaurès avec un parapluie, celui-ci est retourné par un coup de vent : je parviens à remettre l’objet dans une position plus adaptée à sa destination, mais la scène a fait éclater de rire un crétin qui me lance « un parapluie, ça sert à rien » ! Je me sens doublement outragé car ce parapluie est un cadeau d’une amie très chère et je n’apprécie donc pas qu’on en minimise l’utilité. Je commets l’erreur de lui hurler « ta gueule » ! Évidemment, ça ne l’impressionne pas du tout et il me couvre d’une bordée d’injures nettement moins inventives que celles du capitaine Haddock… Je vais finir par m’acheter un spray répulsif pour faire fuir ces kassos que même la pluie ne dissuade pas de sortir !
14h : Vous connaissez le cliché de la mère célibataire qui lutte de tout ses forces pour le bien de ses enfants et qui se heurte à l’hostilité de la société ? Ce n’est pas un cliché : mon hôtesse me raconte ses mille et un démêlés avec l’administration pour la prise en charge de son fils aîné en décrochage scolaire. Je fais le rapprochement avec ce que j’ai découvert ce matin à l’institut de psychomotricité et la mauvaise rencontre de tout à l’heure… En une seule journée, je me suis pris en pleine gueule la déréliction de l’État et l’abandon des services publics : plus de moyens pour former les soignants, les cas sociaux livrés à eux-mêmes en plein centre-ville, aucune aide pour les mères en détresse… C’est à pleurer ! Je couvre mon hôtesse de cadeaux, et je ne sais pas si, face à tous ses ennuis, je dois me sentir providentiel… Ou ridicule.
17h : Ayant pris congé de ma délicieuse amie et de son charmant fils cadet, je rentre chez moi : je suis bien surpris de découvrir que ma boîte aux lettres est pleine à craquer ! Je vais finir par croire que le courrier est distribué une fois par semaine dans mon quartier ! Je le dépouille et je constate qu’il y a dans le tas une lettre du Salon des Artiste Français : je me rappelle que j’y avais candidaté, sur les conseils d’une amie. Je m’attends donc à essuyer un refus poli mais ferme. Surprise : je suis sélectionné ! Une de mes œuvres va donc être exposée au Grand Palais Ephémère à Paris, en février prochain ! Est-ce que je suis fier de moi ? Franchement, je suis surtout surpris…
Mercredi 6 décembre
10h : Après un mardi consacré à avancer sur mes bandes dessinées, je me rends en ville pour régler quelques affaires. Première étape : Dialogues Beaux Arts pour acheter une mine de plomb. L’une des vendeuses est une ancienne collègue de fac : je n’ose pas lui dire que je la trouve plus jolie aujourd’hui que quand elle était étudiante. Je dois être le seul mais je trouve que la maturité va mieux aux femmes qu’aux hommes. De toute façon, je ne suis pas là pour marivauder : au moment de régler mon achat, je lui explique que j’ai besoin de cette mine pour le cours du soir. Elle me demande si j’ai une carte d’étudiant aux Beaux-Arts : je lui réponds que non et que je ne suis même pas sûr d’avoir droit d’en avoir une, étant inscrit aux cours publics. Elle me répond que de toute façon, ils ne font de réduction qu’aux étudiants proprement dits et que s’ils commencent à étendre leurs largesses, ils devront fermer boutique ! Peu me chaut : je n'en suis pas non plus à courir après les promos et les réductions. Cela étant, elle a tort de s’en faire : ce sont plutôt les autres boutiques d’articles pour artistes qui peuvent compter leurs abattis, maintenant que Dialogues a ouvert ce magasin ! Le pire, c’est que je n’aurai aucune raison de les pleurer : chez Dialogues, au moins, c’est simple, net et fonctionnel, je sais que je serai bien accueilli et j’ai ma carte de fidélité : pourquoi voudriez-vous que je retourne errer pendant des heures dans des rayons où je ne peux rien trouver sans demander de l’aide (ce dont j’ai horreur), où le personnel n’a qu’indifférence pour ma pauvre personne et où je peux retourner mille fois sans obtenir le moindre avantage ? Ce n’est pas parce qu’on est artiste qu’on est tenu de faire la charité…
10h15 : Petite escale au Fil O Bar où j’espère pouvoir exposer – tous les artistes brestois l’ont fait au moins une fois, je ne voudrais pas être en reste. Le patron me répond que ce n’est pas lui qui gère ça et que je dois demander à Glaoda Jaouen ! Le vieux céramiste doit me connaître, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il peut penser de moi, j’espère que la prise de contact ne sera pas trop houleuse… En attendant, histoire de me réchauffer un peu, je consomme une boisson chaude au comptoir. Le patron est plutôt embarrassé par un acte de vandalisme dont il a été victime et pour lequel il a appelé la police : à son âge, je m’étonne qu’il fasse encore confiance à la police pour le protéger de quoi que ce soit ! Enfin, c’est son affaire… Deux piliers de bar, du genre chômeurs professionnels, noient leur misère dans le vin : l’un d’eux, dont le rire se situe à mi-chemin entre une craie qui crisse sur le tableau et le braiment d’une ânesse en rut, dégoise sur les formations à n’en plus finir et leur inutilité. Il a un peu raison : au temps des mes parents, c’était quelques années de formation pour une vie de travail, tandis qu’aujourd’hui, c’est plutôt une vie de formation pour quelques années de travail… Je feuillette le Télégramme d’aujourd’hui : rien de bien passionnant à part la quatrième de couverture consacrée à Mona Ozouf, cette femme en tout point admirable qui vient d’être honorée aux Victoires de la Bretagne… Je n’avais qu’une vague idée de ce qu’avait été sa vie et je n’étais même pas sûr qu’elle était encore vivante ! En découvrant un peu mieux son parcours, je me sens bien peu de chose… Et ce n’est pas en buvant aux côtés de personnages dignes de Reiser ou de Cabu (voire de Vuillemin !) que ça va s’arranger ! Je me demande si j’ai encore envie d’exposer ici…
10h30 : Arrêt dans une boutique d’informatique pour y recharger les cartouches de mon imprimante. Il règne dans ce magasin dont je suis relativement familier une agitation inhabituelle, entretenue notamment par un type qui hurle dans son téléphone ! Visiblement, il n’est pas nécessaire de prendre les transports en commun pour tomber sur ce genre d’emmerdeur ! Je comprends, à l’entendre, qu’il est voyant : quand il a fini, je me permets de demander à ce charlatan si son prétendu don ne lui permet pas de s’apercevoir qu’il casse les oreilles des gens ! Il me reproche de ne pas être « diplomate »… Je rêve ! Ce sont aux gens incommodés par les bavardages intempestifs que l’on reproche d’être incorrects ! Je ne suis pas voyant, mais je peux déjà prédire que je ne consulterai pas ce type-là ! Ni aucun autre de ses collègues, d’ailleurs…
11h : En vue du Salon des Artistes Français, il me faut un cadre : je me rends donc chez Cadréa où je n’avais encore jamais mis les pieds. J’explique la raison de ma venue, et c’est seulement maintenant que je me rappelle que le salon a des exigences précises concernant l’encadrement des œuvres. Bien entendu, je ne parviens pas à me souvenir desquelles et je repars bredouille… Mais cette sortie n’aura pas été vaine : au moins, maintenant, l’endroit ne m’est plus farouchement étranger et je serai déjà plus à l’aise quand j’y retournerai.
11h30 : Comme je ne pourrai pas aller à la piscine de Recouvrance vendredi, je me rends aujourd’hui à celle de la piscine Foch. Je tombe sur un os : le petit bassin, que le débutant que je suis encore persiste à fréquenter, sera fermé au public dans une demi-heure pour accueillir un cours d’aquagym ! Je ne me décourage pas : je décide de sortir déjeuner et de revenir après la réouverture, prévue à treize heures…
11h45 : Après une courte marche, j’arrive à L’ambassade bretonne, sur la place de la Liberté. Je tombe sur un autre os : le crêpier me demande si je ne peux pas revenir dans vingt minutes, arguant qu’il est seul aux manettes et qu’il doit prendre sa pause pour déjeuner ! Je ressors, furieux : vous apprécieriez d’entrer dans un restaurant et de vous entendre dire, à mots à peine couverts, que vous êtes de trop ? Je ne vais pas m’amuser à poireauter dehors avec le temps qu’il fait, je décide de prendre le tram et de monter jusqu’à l’Octroi pour tester une autre crêperie dont on m’a dit du bien. Le véhicule n'arrivera que dans dix minutes : ce délai a beau être très court, je le trouve interminable avec le froid qu’il fait et la faim qui me tenaille, d’autant que je ne suis pas habitué à devoir attendre plus de cinq minutes en journée… Bref, je craque et je pousse un cri ! Un type qui avait l’air de faire les poubelles me demande si c’est à lui que je parle : je réponds que non, et que de toute façon, je ne parlais pas, je criais ! Il me sort le sermon habituel sur les ennuis que mon attitude pourrait m’apporter et patati et patata… Mais il trouve quand même le moyen de me déconcerter en ajoutant « surtout quand on est barbu » ! Précision importante : il est barbu lui-même… Dix contre un qu’on a dû le soupçonner d’être un islamiste ! Pour l’instant, j’y ai échappé…
12h : Me voici à la Crêperie de Cornouaille, qui m’a été présentée comme la meilleure crêperie de Brest. Je suis déjà tellement las de mes récentes mésaventures que je décide de garder mon casque anti-bruit. Mon premier geste avant de m’attabler est d’aller aux toilettes : celles-ci ne sont pas totalement inoccupées, il y a un serveur qui y fait du ménage ! Il me demande si je ne peux pas attendre : la réponse est non et je ne mens pas ! Alors il est obligé de s’interrompre en plein travail et je fais ce que j’ai à faire dans une cuvette où ce pauvre garçon vient de mettre de l’eau de Javel… Je ne suis pas fier de moi, ça non ! Mais si je m’étais pissé dessus, est-ce que ça aurait été meilleur pour la réputation du restaurant ?
12h45 : J’ai déjà fini de manger. C’est vrai que c’est bon. Juste en face de moi, un couple avec deux enfants s’est attablé pour fêter l’anniversaire d’une des fillettes. Je suis à la fois agacé et charmé : agacé parce que les gamines parlent fort et charmé parce que je ne résiste jamais au charme délicat d’une petite fille… Je repense à cette scène de la BD Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? où le compagnon de la jeune femme qui ne veut pas avoir d’enfants ne peut s’empêcher d’être ému en voyant des parents fêter l’anniversaire de leur fille au restaurant, au point d’en oublier ce que sa compagne lui dit… J’ai presque envie d’aller faire un guili-guili à ces petites cocottes et de proposer à leurs parents que je leur tire le portrait : évidemment, je n’ose pas… Je demande un thé et l’addition.
13h15 : Retour à la piscine Foch… Où il n’y a personne pour m’accueillir. Pourtant, c’est ouvert et le cours d’aquagym est censément terminé. Décidément, tout le monde a décidé de ne pas en foutre une, aujourd’hui ! Je ronge mon frein pendant un quart d’heure, non sans penser bien sincèrement que cette situation ridicule confirme ce que je constatais lundi sur l’état des services publics…
13h45 : Ayant pu enfin accéder au bassin, je tente de nager sans planche (mais avec mes palmes quand même). Surprise : ça marche ! C’est la première fois que j’arrive à nager dans l’eau douce quasiment sans assistance ! Les leçons de la monitrice n’auront pas été vaines ! Je serais très heureux… Si le bassin n’était pas rempli de mômes qui me cassent les oreilles et me barrent le chemin plus souvent qu’à mon tour ! Je note : ne plus aller à la piscine le mercredi…
22h45 : Après le cours du soir où la prof nous a initiés à la mine de plomb, je me suis rendu au Comix pour la scène ouverte Mic Mac. J’en sors à l’instant, plutôt satisfait : les retours sur mes slams sont plutôt bons, j’ai eu trois clients pour mes caricautres… Mais ma plus grande joie aura été de pouvoir écouter l’une de mes chouchoutes, la merveilleuse Morgane, qui nous a notamment interprété « La solitude » de Barbara ! Avant de partir, je réponds à une jeune femme intriguée par le casque que je portais : je lui explique que j’en avais besoin pour pouvoir profiter de l’ambiance sonore sans que le volume n’atteigne des proportions déraisonnables pour moi. C’est ça, avoir une différence invisible : c’est être obligé de s’expliquer en permanence…
Un dessin de mon cru à la mine de plomb :
Quelquse croquis réalisés au Comix :
Jeudi 7 décembre
14h : Je viens de faire ma déco de Noël : je suis assez content de moi, même si je suis un peu triste à l’idée que je vais être le seul à en profiter…
14h45 : Retour à Cadréa, muni cette fois des directives formulées par le Salon des Artistes Français. Je manque une ou deux fois de perdre patience, comme à chaque fois que je fais face à une commerçante qui n’a pas l’air de comprendre que je ne suis pas décisionnaire de ce que je viens demander. On finit quand même par tomber d’accord : ma commande sera prête d’ici une vingtaine de jours ; je dois quand même débourser quatre-vingt balles ! J’accepte de payer en deux fois : coup de pot, j’ai la somme en liquide sur moi ! C’est dans des moments comme ça qu’on se félicite d’être économe…
15h : Je descends la rue Jean Jaurès à pied ce qui me permet de découvrir, sur la façade d’un bar-tabac, la couverture d’Entrevue qui vient de changer de propriétaire et de maquette. Que m’importe, il m’en faudrait plus pour que je gaspille mes sous dans l’achat de ce torchon ! Et par-dessus le marché, qui fait la « une » du magazine ? Laurent Baffie ! On aurait mis un épouvantail à la place, je reculerais moins ! Je déteste ce type et ses provocations à deux balles, je ne vois en lui qu’un arriviste sans humour, je suis sûr qu’il a été harceleur à l’école. En plus, il a le culot de déclarer qu’avec son grand copain Ardisson, il a fait une télé « qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui » ! Il est mal renseigné, Hanouna fait exactement la même merde !
15h30 : Devant récupérer mes cartouches et racheter un feutre-pinceau, je décide de couper par la place de la Liberté pour atteindre la rue de Siam. Seulement voilà : sur la place de la Liberté, il y a le marché de Noël. Et pour passer par le marché de Noël, même si vous ne faites que traverser la place, vous êtes obligé de passer devant le vigile, de lui ouvrir vos sacs et de lever vos bras… Vous ne voyez pas un problème ? Non ? Ça ne vous choque pas, qu’on vous force à monter patte blanche pour circuler dans l’espace public ? « Ah mais c’est pour notre sécurité ! » Pauvres naïfs ! Vous croyez vraiment qu’un terroriste ou un malfrat va gentiment ouvrir son sac si on le lui demande ? Vous croyez vraiment qu’il va poliment faire la queue pour qu’on le contrôle comme vous le faites ? Les pouvoirs publics le savent bien, eux, que ce malheureux vigile ne pourrait rien face à un individu vraiment dangereux ! C’est juste pour vous fliquer, pauvres volailles ! Et vous vous laissez faire ! Pas un mot de protestation, rien ! Alors qu’il est tout seul ! Qu’il n’est même pas armé ! Qu’à cinq seulement, vous pourriez l’envoyer chier ! Et ne croyez pas qu’ils en resteront là : vous avez accepté dans broncher qu’ils regardent dans vos sacs, demain, ils vous feront mettre à poil ! Et avec les températures qu’il fait en ce moment, vous allez le sentir passer ! Vous allez choper la crève, et vous ne pourrez même pas vous soigner vu que le gouvernement aura supprimé la sécurité sociale dans le plus grand calme vu que personne n’aura osé protester…
16h30 : Avant de rentrer chez moi pour récupérer ce dont j’ai besoin en vue de la scène ouverte que le Collectif Synergie organise ce soit au Kafkerin, je m’arrête chez Pod : je n’avais toujours pas vu l’exposition de Julien Solé. Évidemment, étant donnée la relative exiguïté de l’espace, on ne peut avoir qu’un petit aperçu de l’œuvre de ce dessinateur. Je connaissais la plupart des planches parues dans Fluide Glacial, mais je découvre ses illustrations consacrées à la vie brestoise : il est devenu à sa façon un nouveau Jim Sévellec ! Après avoir taillé une bavette avec Pod, je ne m’attarde pas : devant les dessins de Julien, je me sens peu de chose encore une fois…
19h30 : J’arrive au Kafkerin. Ça commence assez mal : sur scène, l’éclairage est à fond, ce qui m’incommode sérieusement et Bardawen est en train d’accorder sa vielle, produisant des sons insupportables. J’entreprends d’étendre ma banderole : il m’est impossible de la fixer au mur qui est très dur et recouvert d’un crépi sur lequel rien n’adhère ! Après un bon quart d’heure de tentatives infructueuses au cours duquel j’ai envoyé paître des bénévoles qui voulaient m’aider (j’ai HORREUR qu’on m’apporte une aide que je ne sollicite pas), je change de méthode et je me saisis de deux chaises dont je me sers comme poteaux : une fois encore, il me faut un bon quart d’heure pour réussir à la faire tenir ! J’arrive au bout de ma patience, d’autant que la scène ouverte n’est pas animée par notre présidente-fondatrice bien-aimée mais par un vieux type qui s’improvise chanteur depuis sa retraite et dont je suis visiblement le seul à ne pas apprécier les prestations : je pourrais encore m’en accommoder s’il ne s’obstinait pas à maintenir un éclairage infernal (visiblement, il ne partage pas mon hypersensibilité à la lumière, qui est aussi le fait de Claire) et à faire passer sur scène des gens sans talent qui bafouillent maladroitement les tubes de merde de Johnny Hallyday, Stone et Charden, Jean-Jacques Goldman et autres ringards… Bref, je suis à bout ! Quand un type au look de facho et au parler hésitant se met à pousser un cri, je craque et je lui hurle « Ta gueule, kassos ! » Ça jette un froid et ce qui nous tient lieu d’animateur menace d’appeler les flics si je ne me calme pas… Je sais déjà que je m’en souviendrai, de cette soirée !
20h15 : La soirée décolle enfin grâce à l’arrivée de vrais artistes dont l’adorable Nathalie Od’ile auprès de laquelle je me sens si bien. Je ne décolère pas contre l’animateur qui serait plus à sa place, à mon sens, dans un baloche de retraités ! Le type que j’ai engueulé me fiche la trouille, je le sens prêt à me casser la figure à tout moment ! Je n’ose pas commander au bar, je suis si peu fier de mon esclandre que je suis persuadé que les bénévoles refuseront de me servir… Il y avait longtemps que je n’avais pas eu une crise de ce type-là et ça ne m’avait pas manqué.
21h30 : La soirée est déjà finie. Christophe, le secrétaire général de l’asso, qui est arrivé entretemps, est bien surpris que ça se termine aussi tôt ! Il accepte gentiment de me reconduire à Lambé : ma seule satisfaction de la soirée aura été de vendre un exemplaire de Voyage en Normalaisie à un musicien qui m’avait demandé de lui en mettre un de côté… Je me sens amer.
Vendredi 8 décembre
9h40 : Au marché, j’achète des pommes de terre, ce qui n’est pas dans mes habitudes : je ne sais pas trop combien en demander, je précise donc à la vendeuse qu’il m’en faut pour deux personnes mais que je n’ai pas le sens des proportions. Elle rit : croyant qu’elle se moque de moi, je lui demande la raison de cette hilarité. Elle me répond qu’elle n’a pas non plus le sens des proportions… Je ne vois vraiment aucune raison de rigoler ! « Mieux vaut rire que pleurer » dirait le premier imbécile venu : mais on n’est pas obligé de rire OU de pleurer, on peut rester neutre face à ses petites faiblesses ! On est comme on est, il n’y a aucune raison d’en faire un motif de lamentation ou d’hilarité ! Je réitère mon constat : c’est très facile de faire rire les gens ! On m’attribue un don pour faire rire : je ne vois pas en quoi c’est un don, les gens sont tellement stupides qu’ils rient pour un rien !
10h : Faisant la queue pour le charcutier, je commence sérieusement à m’impatienter : pas tellement à cause de l’attente, mais à cause de l’ambiance générale. Je trouve les gens étrangement agités, en ce moment ! C’est déjà assez désagréable de faire la queue, pourquoi rendent-ils la chose encore plus pénible en parlant fort, en s’esclaffant à tout bout de champ, en s’agitant dans tous les sens…
10h30 : J’achète du pain. La boulangère est désolée : l’affiche que j’avais fait mettre hier dans sa boutique a pris l’humidité et est réduite en charpie… Je profite qu’il n’y ait pas d’autre client dans sa boutique pour lui faire part de mon sentiment sur l’ambiance actuelle : elle le partage car elle a elle-même des troubles autistiques et des enfants dans le même cas ! Quatre ans que je fournis chez elle et je ne le savais pas ! C’est d’autant plus extraordinaire qu’il se passe exactement la même chose dans La différence invisible : quand je dis que les « aspies » ont des parcours fort similaires…
14h : Avant d’aller aux marinades de Recouvrance, passage à la boutique de piercings et de tatouages tenue par le compagnon d’une amie pour livrer un calendrier qu’elle m’a commandé. Je repars quand les clients de l’après-midi arrivent, dont une jeune femme qui retrousse le bas de son short pour montrer l’endroit où elle veut se faire tatouer : j’ai peut-être raté ma vocation…
14h15 : Descendant la rue Pasteur, je tombe sur une Kangoo au dos de laquelle sont affichés un autocollant « Différence invisible » ainsi qu’un papier sur lequel je peux lire ce petit texte :
« Je n’exagère pas
Je ne cherche pas à attirer l’attention
Je ne suis pas hypocondriaque
Je ne suis pas paresseuse
Je ne fais pas semblant
Je ne suis pas faible
Je ne manque pas de fiabilité
Je ne l’ai pas choisi »
Le texte n’est pas signé, mais je dis bravo à l’auteur : en huit petites phrases, il a résumé tous les soupçons qui pèsent sur moi au quotidien… Je ne résiste pas à l’envie de prendre une photo. Une artiste de mes connaissances, voyant mon manège, me demande si le véhicule est à moi : je réponds que non, mais je le regrette !
14h40 : Je suis déjà à Recouvrance, largement en avance comme d’habitude. Alors, pour patienter, je vais consommer une boisson chaude au Pacha, le bar-tabac PMU tenu par une amie de feue Geneviève. La patronne n’est pas là mais je passe quand même un bon moment dans la lumière tamisée de l’arrière-salle, notamment grâce à deux amis. Le premier est un personnage de dessin animé : c’est Sylvestre le Chat dont deux effigies en peluche trônent dans l’estaminet. J’ai pris la plus petite et je la sers contre moi : j’ai toujours eu beaucoup de sympathie pour ce pauvre imbécile de Sylvestre, qui est assurément plus bête que méchant et dont j’avais toujours pitié quand je voyais cette vieille conne de grand-mère lui donner des coups de parapluie parce qu’il voulait bouffer un canari… Vas-y, hé, vieille conne, si tu voulais pas avoir d’ennuis de ce genre, ‘fallait pas prendre un chat ET un oiseau ! ‘Fallait choisir ! Si encore tu nourrissais correctement ce pauvre chat, il n’en serait pas réduit à vouloir manger ce minuscule canari ! C’est pour ça que je me sens proche de Sylvestre : comme lui, j’ai été une victime qu’on a voulu rendre responsable de son malheur… Et le caresser m’apaise : j’ai l’impression de me consoler moi-même de tout ce que j’ai enduré. Le deuxième ami est une grande femme de lettres : c’est Amélie Nothomb dont je lis Attentat. Et oui, je n’ai pas encore lu tous ses livres ! Celui-ci n’a rien à envier aux autres, mais j’éprouve des sentiments ambivalents pour son héros nommé Épiphane : d’un côté, je l’admire, parce qu’il fait montre d’une force de caractère qui lui permet de surmonter le handicap que représente sa monstruosité physique, mais de l’autre, il est tellement cynique et méprisant que j’ai du mal à éprouver da la sympathie pour lui – je parie d’ailleurs que ce n’était pas le but recherché par l’auteur. Épiphane fait partie d’une longue lignée de héros « nothombiens » qui font violence à la réalité dans l’espoir de la façonner suivant leurs fantasmes et qui finissent par le payer au prix fort… Vingt après la sortie d’Attentat, madame Nothomb a fait entrer en scène un autre personnage au physique repoussant dans Riquet à la houppe, mais la grosse différence entre Épiphane et Déodat se situe dans le fait que là où le premier est perpétuellement frustré de ne pas trouver le sublime absolu, le second, de son côté, est convaincu de l’avoir déjà trouvé dans l’admiration des oiseaux : c’est ainsi qu’il évite de se condamner au solipsisme dans lequel Épiphane finit par s’enfermer. Déodat garde le sens de l’autre, pas Épiphane qui, non content d’être hideux, s’avère être un idiot intelligent. Un idiot intelligent de grande classe sans doute, mais un idiot quand même.
17h : Les organisateurs des Marinades ont une drôle de façon de travailler : alors qu’il avait été annoncé que les festivités commenceraient à 16 heures, on en est encore à l’installation à 17 heures ! Je m’étonne que la lumière ne soit pas déjà branchée sous le barnum où je suis installé, ce qui entame quelque peu ma patience. Je ne devrais pourtant pas : ils n’en sont pas à leur coup d’essai et je devrais avoir confiance. Je suis pourtant presque indigné qu’ils arrivent à faire une fête réussie avec une méthode apparemment aussi peu rigoureuse. Alors de deux choses l’une : ou bien je les juge mal, ou bien je me retrouve dans la même situation que ce jour où, au lycée, j’ai failli m’étrangler de rage en voyant le cancre de service obtenir une note presque aussi bonne que la mienne pour un exposé qu’il avait improvisé au dernier moment…
19h30 : Il fait froid, il fait humide, les clients ne se bousculent pas au portillon. Heureusement que j’ai le livre de madame Nothomb pour me tenir compagnie. J’en suis déjà à me demander si je reviendrai aux prochaines marinades quand, tout à coup, je reçois la visite d’un groupe complet : cinq musiciens qui me demandent de tous les caricaturer ! Naturellement, je ne me fais pas prier : cinquante euros en poche, ça fait une soirée bien gagnée ! Tout en dessinant, je leur demande des renseignements : ils me disent qu’ils étaient venus jouer à Rennes et qu’ils profitent d’être dans la région pour proposer un autre concert à Brest. Leur groupe s’appelle « Marcel » et ils sont… Belges ! Décidément, la Belgique aura doublement sauvé ma soirée ! Je dirais bien « vive le roi » si je n’étais pas farouchement républicain… Quand je leur demande quel est leur style de musique, ils me disent jouer du « post-punk »… Décidément, le préfixe « post » est partout en ce moment, à croire que notre époque est incapable de proposer quelques chose de nouveau…
20h : J’ai fini de lire Attentat. Que dire ? Il est à la hauteur des autres romans d’Amélie Nothomb. C’est une tragédie au sens fort du mot : la belle Éthel n’a pas tort de repousser le monstrueux et vaniteux Épiphane, mais ce dernier n’a pas tort non plus de revendiquer son droit d’aimer. Son amour n’est pas impossible : c’est sa vie qui l’est… Curieusement, je me reconnais dans ce personnage pourtant fort peu sympathique ! Et je prends soudain conscience d’une chose : je suis mou, gras et moche, je touche les aides sociales, je n’ai jamais vraiment travaillé, je ne sais pas conduire une voiture, je n’ai jamais connu l’amour… Et pourtant, on m’aime, on m’admire même ! Les gens sont idiots, ou quoi ?
22h : Je plie les gaules. J’ai eu d’autres clients, dont deux adorables jeunes filles, ça me fait quatre-vingts euros de gagnés en une soirée, c’est honorable. Je ne suis cependant pas fier de moi, d’autant que j’ai à nouveau craqué : j’ai envoyé paître un cas social qui me demandait une cigarette. J’ai de plus en plus de mal à éconduire poliment les individus de ce genre : j’ai peur d’être assimilé à eux ! Je sais bien que je ne devrais pas traiter ainsi des gens qui ne sont pas responsables de ce qu’ils sont, mais c’est plus fort que moi. Et puis merde, à la fin ! Je suis un artiste, pas une assistante sociale !
Samedi 9 décembre
15h20 : J’arrive sur la place de Strasbourg où j’espérais pouvoir prendre le tram jusqu’à Recouvrance. Mauvaise surprise : le tram ne descend pas au-delà de la station Jean Jaurès. La cause ? Une manif… Il va donc falloir dévaler toute la rue de Siam et traverser le grand pont à pied, chargé comme un mulet et par une météo mitigée. J’ai connu plus dramatique, mais j’enrage quand même.
15h30 : Au niveau de la place de la Liberté, je vois s’ébrouer le cortège. Le motif de la manifestation me parait peu clair : de toute façon, il y a une manif chaque samedi, maintenant ! Je me demande si les gens savent encore eux-mêmes pourquoi ils défilent ! Je presse le pas, je me dépêche pour arriver à l’heure à mon rendez-vous… Je me défoule en engueulant les scouts femelles qui vendent leurs calendriers dans leurs tenues ridicules. Quand j’atteins enfin le pont de Recouvrance, des rafales de vent manquent de faire s’envoler mon casque antibruit (je n’exagère pas) ! Tu parles d’une promenade… Je me souviens d’une conversation avec un ami avec qui j’étais tombé d’accord pour dire que les manifs représentaient une technique de lutte d’un autre temps : j’aurais pu ajouter les propos de Siné, qui appelait les protestataires à faire preuve d’imagination et à cesser d’emmerder majoritairement de pauvres types hors du coup comme moi, ou encore la phrase de Cabu : « Manifester, c’est déjà défiler »…
17h : Je me trouve à la librairie Sapristi où je viens de faire une causerie sur mon parcours de personne avec autisme, depuis mes premiers pas jusqu’à la publication de Voyage en Normalaisie. Les échanges avec la petite dizaine de personnes venue m’écouter sont assez animés (bien que courtois) : on me cuisine pas mal sur l’aversion que m’inspire le football ! Le plus surprenant, c’est que les gens qui me posent des questions sur ce sujet m’avouent détester le foot eux aussi ! Ils défendent le foot comme les paysans de jadis défendaient le bon Dieu : sans y croire mais parce que ne pas y adhérer leur paraît inconcevable… De façon générale, on s’étonne de la colère que j’exprime, de ma vision négative des choses : mais ce n’est pas de ma faute si le monde est ce qu’il est… Enfin bon, ils m’achètent tous un livre, c’est le principal.
Dimanche 10 février
17h : Je rentre chez moi après une brève escapade chez les auteurs de mes jours qui inauguraient leur nouveau salon avec leurs amis. Retrouver ce groupe d’anciens jeunes gens qui me connaissent depuis ma naissance m’a fait du bien : pendant un court laps de temps, j’ai pu cesser d’être un « artiste », un « écrivain », un « philosophe » ou quelque autre titre pompeux dont on m’a affublé ces derniers temps et redevenir le fils de mes parents, peu sûr de lui et demandeur tout simplement d’amour…
Deux dessins réalisés pour le plaisir, pour conclure :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !