Samedi 15 avril : quatrième anniversaire de l'incendie de Notre Dame de Paris
On ne rend jamais trop hommage à l'héroïsme des pompiers...
19h : Après le spectacle de Slamity Jane, je m’étais installé au Béaj Kafé pour écrire. Je descends maintenant la rue de Siam, espérant bien dîner à la friterie où j’ai mes habitudes. Chemin faisant, j’entends un mendiant interpeller les passants en leur disant notamment « Si vous savez pas quoi faire de votre monnaie » ! Pas de bol pour lui, il ne m’en reste plus beaucoup et je sais quoi en faire…
22h30 : Ayant entendu « La femme chocolat » hier soir dans N’oubliez pas les paroles, l’envie me prend de découvrir cette chanson dans sa version originale. Je suis fort déçu, la voix d’Olivia Ruiz ne m’enchante pas du tout ! Et pourtant, faire parler une femme qui reconnaît avoir pris un peu de poids mais n’en revendique pas moins sa sensualité, c’était une bonne idée, à la base. C’est le syndrome d’Aznavour : même si les paroles sont belles ou, au moins, intéressantes, si l’interprète n’est pas à la hauteur, ça suffit à tout gâcher ! Siné avait le même problème avec Léo Ferré :
« Ses paroles, ou celles qu’il empruntait à des potes poètes, étaient superbes, paraît-il, mais encore aurait-il fallu que je puisse les écouter jusqu’au bout. Or je n’ai jamais vu l’intérêt de m’ingurgiter de force des sons qui me sont indigestes. Les belles paroles ne font pas supporter les mauvaises notes. »[1]
Mon cas est, je pense, d’autant plus excusable qu’en toute franchise, on ne peut pas dire qu’Olivia Ruiz égale le niveau culturel de Léo Ferré…
Lundi 17 avril
10h30 : Après un dimanche sans histoire, j’ai effectué ma désormais rituelle sortie au bois de la Brasserie. Je suis bien étonné, à la sortie, de trouver toute une troupe de gamins s’égayant sous le regard attentif de quatre ou cinq adultes qui, comme moi, semblent hésiter entre s’emmitoufler ou tomber la veste. J’avais oublié que nous sommes en pleines vacances scolaires : je me renseigne, ce sont effectivement les gosses du centre aéré. Je me faufile pour éviter de me prendre un ballon sur la gueule : non que je pense que les enfants soient malveillants à ce point-là, mais c’est ma hantise depuis tout petit ! Inutile de dire que ça n’a pas arrangé mes relations avec les gens de mon âge. Si j’ai un enfant à jour, j’aurai du mal à lui expliquer pourquoi je ne peux jouer au ballon avec lui… En attendant, puisque ce sont les vacances scolaires, si je lâchais prise un de ces jours ?
Mardi 18 avril
11h : Après une visite à un ami peintre, je me rends au salon de coiffure où j’ai l’habitude de me rendre. Pas de bol : c’est fermé jusqu’au 2 mai « pour raisons de santé ». Tant pis, je garderai les cheveux trop longs d’ici là ! Je n’ai aucune envie de me mettre à la recherche d’un autre salon et surtout pas de prendre le risque de tomber sur un minet à la mode qui voudra à tout prix me faire la boule à zéro qu’arborent la plupart des trentenaires : j’ai la chance d’avoir trouvé une coiffeuse qui se fout de la mode et fait ce qu’on lui demande pour un prix raisonnable, alors je lui reste fidèle jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite ! N’empêche que mon programme de la journée est un peu bousculé…
13h : Après avoir tué le temps chez une amie, peintre elle aussi, je déjeune au Biorek brestois : la semaine commence bien pour Alex qui a quelques clients, tant mieux pour lui. Je repense à mon hôtesse qui m’a parlé d’une personne de son entourage qui a eu le Covid récemment. Et si c’était pour ça que ma coiffeuse a dû fermer boutique ? C’est marrant de constater à quel point ce virus a changé de statut : il y a trois ans, c’était le croquemitaine, il était synonyme de mort dans d’horribles souffrances, et aujourd’hui, on en parle comme d’un simple rhume ! C’était bien la peine de nous angoisser à ce point-là…
Un croquis exécuté sur le vif au Biorek - j'aime bien dessiner les vieilles dames, entre autres parce qu'il y a plus à traiter que chez une demoiselle lisse comme un bébé.
15h : Retour au bercail. Je suis déjà fourbu et, quand j’allume mon ordinateur, je découvre que je suis littéralement assailli de messages ! N’aimant pas laisser les choses en suspens, je mets au clair toutes ces affaires pour pouvoir vider ma messagerie au plus tôt : ça me prend deux bonnes heures et je doute de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre après… Je ne sais plus qui a dit qu’un écrivain qui répondait systématiquement à son courrier aurait intérêt à changer de métier ? En tout cas, c’est valable aussi pour un dessinateur…
Mercredi 19 avril
15h30 : Il y a des jours avec et des jours sans ; aujourd’hui, c’est un jour sans, je rentre bredouille d’Artéis où je n’ai pas trouvé le matériel que je cherchais et où j’ai failli m’engueuler avec les vendeuses qui me demandaient des précisions que je n’étais pas en mesure de fournir. Ça ne va pas arranger mon moral qui est plutôt chancelant en ce moment : si je n’ai pas une éclatante victoire à lui fournir dans les semaines à venir, mon estime de soi va être sérieusement compromise…
Jeudi 20 avril
20h30 : Je pourrais être satisfait de ma journée : j’ai réussi à finir en deux heures le crayonné d’une planche assez exigeante – le commanditaire veut que le graphisme ne soit pas trop caricatural… En fait, j’ai une rapidité d’exécution assez phénoménale : on m’a même comparé à Uderzo il n’y a pas longtemps ! Je serais beaucoup plus productif si je me posais moins de questions…
Commençons avec une vérité : si, à 35 ans, tu n'as toujours pas fait chier un publicitaire, tu as raté ta vie !
Vendredi 7 avril
20h30 : Comme chaque premier vendredi du mois, le Collectif Synergie organise une scène ouverte au Temple du Pharaon. Hélas, ce soir, il y a beaucoup de concurrence en ville et aussi bon nombre d’absences parmi les artistes habitués. Résultat, nous sommes en très petit comité, certes contents de nous retrouver entre créateurs mais frustrés de ne pas avoir plus de deux personnes en guise de public… Tant pis, nous ferons avec, the show must go on ! Si les deux clientes de ce salon de thé et de narguilé prennent du plaisir à nous écouter, ce sera déjà un succès pour nous ! Et tant pis pour le crétin qui, à l’invitation du patron à se faire caricaturer par moi, a osé répondre que ça allait « rester dans un tiroir » ! Il ne s’est pas attardé et tant mieux, je ne travaille pas pour ce genre de blaireau !
Cette soirée nous aura tout de même réservé une belle découverte : le camarade accordéoniste de Bardawen - qui, physiquement, me rappelle à la fois Charlie Schlingo et un truand mexicain de western "spaghetti" !
Ci-dessous, la seule caricature que j'ai vendue ce soir-là, et son heureuse récipiendaire - elle trouve que je la fais ressembler à une sorcière : ça tombe bien, je préfère les magiciennes cultivées et puissantes aux princesses rose bonbon !
23h10 : J’ai remonté la rue de Siam en compagnie d’une amie peintre et poétesse. Nous taillons une bavette, elle me parle de ses galères au boulot, mais je suis obligé de la quitter précipitamment pour ne pas rater le bus qui arrive. Je ne culpabilise pas, mais je regrette d’être obligé d’abréger ainsi la conversation et de laisser prématurément seule cette personne qui semble avoir besoin d’être écoutée… On ne peut pas avoir que des jours de gloire !
Samedi 8 avril
10h30 : J’ai très mal dormi cette nuit : je n’aurai pas dû veiller si tard après mon retour à Lambézellec, mais j’étais impatient de scanner les dessins, trier les photos et monter les vidéos que j’avais ramenées de la scène ouverte, histoire de ne pas rester sur un constat d’échec. Un artiste, c’est quelqu’un qui travaille encore quand le commun des mortels est déjà vautré devant « Touche pas à mon poste » voire blotti sous la couette à rêver à des ébats avec Monica Bellucci ou Margot Robbie (désolé pour celles et ceux qui préfèrent les hommes, aucun exemple ne me vient à l’esprit)… L’art, ce n’est pas un métier de fainéant, mais malheureusement, beaucoup de fainéants croient le contraire et desservent la profession aux yeux de l’opinion.
19h : Bon, d’accord, j'étais en tort, j’ai grillé le feu, j’aurais dû céder le passage au cycliste qui arrivait au lieu d’emprunter benoîtement le passage protégé. Mais était-ce une raison pour qu’il me traite de « connard » ? Si vous comptez sur le vélo pour sauver la planète, vous êtes à côté de vos pompes : les cyclistes ne polluent pas, d’accord, mais ça ne les met pas à l’abri d’être aussi cons et agressifs que les automobilistes ! Je ne mets pas tous les cyclistes dans le même sac, loin s’en faut : je prends juste acte du fait que si la bagnole rend con, le vélo ne rend pas intelligent pour autant et ne suffira pas à mettre les hommes à l’abri de se faire la guerre…
20h : Me voici au Patronage Laïque Le Gouill pour le « Patro chantant » où les finalistes des tréteaux chantants brestois se sont donné rendez-vous pour interpréter deux chansons chacun, accompagnés au clavier par Patrick Péron qui travailla, entre autres, avec Hervé Vilard – qui n’est toujours pas mort, ma p’tite fille ! J’ai été invité à assister à ce concert pour faire des croquis sur le vif de tous ces chanteurs. Évidemment, la moyenne d’âge est assez élevée, y compris dans l’assistance où je dénombre à peine deux ou trois jeunes filles qui, vraisemblablement, accompagnent au moins un de leurs grands-parents. Mais ne comptez pas sur moi pour railler cette manifestation à l’ambiance chaleureuse et familiale : les interprètes qui se succèdent sur scène sont vraiment doués pour la chanson, ce n’est pas pour rien qu’ils ont été bien classés à un concours, je me suis même subjugué par le talent d’Elisabeth qui passe la première. Ont-ils au moins la faiblesse d’avoir mal choisi les titres qu’ils reprennent ? Même pas, je ne décèle aucune faute de goût majeure et je passe un bon moment. De toute façon, comme j’enquille les croquis à la chaîne, je n’ai pas le loisir de m’ennuyer, je n’ai même pas le temps de lâcher mon carnet pour applaudir. Les témoins de mon marathon graphique sont subjugués par ce que j’arrive à faire en si peu de temps ! J’avoue que je m’étonne moi-même…
20h35 : J’ai déjà dû croiser au moins une fois chacun des chanteurs, ne serait-ce qu’à l’édition de l’an dernier, mais la seule personne qui m’est vraiment familière est Yvette Lucas, la bretonnante du groupe. La présence de cette femme qui est pour moi une sorte d’amie me réconforte et me met à l’abri du sentiment d’étrangeté quand je ressens dans les soirées où je ne connais personne. Les animateurs disent que son chant est beau même si on ne comprend rien à la langue bretonne : j’ajouterai que ça n’a aucune importance, on peut très bien aimer les chats sans savoir ce que signifie un miaulement ! Et puis si vous croyez que les jeunes qui gambillent sur les chansons de Rihanna (par exemple) comprennent les paroles…
21h10 : Tous les chanteurs amateurs ont effectué un premier passage : avant l’entracte et la seconde partie, nous avons droit à un tour de chant de l’animateur historique des tréteaux chantants, l’excellent Yvon Étienne. J’écoute ses chansons depuis longtemps, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de l’écouter sur scène en solo, je ne l’avais vu qu’avec les Goristes. Il n’a plus grand’ chose sur le caillou, mais il a toujours autant de talent et il est toujours aussi drôle ! Cela dit, on ne voit souvent en lui qu’un gros rigolo, mais il n’est pas que ça. Si « La jolie Rochelle » est à la hauteur de cette réputation (qui n’a, il est vrai, rien de déshonorant), « La couleur des fleurs », qui est clairement une chansons anti-xénophobie, et « Liberta », qui a été écrite au Corse Dominique Gambini, montrent qu’il est autant un tendre qu’un gros rigolo. Et même quand il fait rire, il n’est jamais débilitant, il y a toujours un fond, une volonté d’exprimer quelque chose d’important : c’est un humoriste, pas un amuseur, c’est ce qui fait toute la différence entre lui et Carlos ou Patrick Sébastien, c’est surtout ce qui fait, depuis déjà longtemps, son succès auprès d’un public populaire mais exigeant. C’est drôle, j’ai l’impression de parler de Pierre Perret ! Pas étonnant : il parait que « La couleurs des fleurs » s’est retrouvée juste derrière « Lily » dans un classement de chansons francophones antiracistes… On a vu plus humiliant, non ?
21h40 : Yvon Étienne a quitté la scène : avant de laisser sortir les fumeurs, les animateurs nous offrent un petit numéro comique avec l’amie Yolande déguisée en cantatrice à la poitrine hypertrophiée ! Bien entendu, son chant rappelle davantage la craie qui crisse que la Callas, et les « vrais » chanteurs, qui ont regagné leur place dans l’assistance et sont bien entendu dans le coup, lui balancent les fruits et légumes en plastique qui leur ont été préalablement distribues, ce que la « Diva » interprète comme des preuves d’amour ! Quand elle enlève sa robe de Castafiore de Prisunic, révélant ainsi qu’elle portait un soutien-gorge au bonnet Z (au moins !) sur ses « vrais » habits, le fou rire du public frise l’apoplexie ! Elle n’a pourtant pas l’air plus con que les super-héros avec leurs slips par-dessus le pantalon… En tout cas, si je vais trouver un « message » caché derrière ce sketch, ce serait celui-là : « Nous sommes des chanteurs populaires, nous n’avons pas la prétention d’égaler les rossignols de la Scala de Milan, mais nous avons toutes les qualités que les divas imbues d’elles-mêmes n’aurons jamais ! » Choisis ton camp, camarade, et n’aie pas de scrupules : il n’y pas de honte à vibrer davantage avec du Brel qu’avec du Wagner et certains opéras prestigieux n’en sont pas moins des monuments de conneries, ne citons que celui, tristement célèbre, de Bizet qui s’est imposé en tant que pièce maîtresse de la mythologie surfaite entourant cette barbarie d’un autre temps que l’on appelle corrida, et qui a été déjà si bien épinglé en son temps par le grand Cavanna :
« Carmen, minable musiquette de bastringue bricolée sur une anecdote d’un sordide fait divers, « opéra le plus joué dans le monde » – pardi, c’est le plus con ! – Carmen, que de mal tu auras fait, triste pute, en réinjectant dans les crânes épais qui n’y pensaient plus la fascination sordide de la corrida ! »[1]
L’un des chanteurs nous a interprété « La corrida » de Francis Cabrel… J’aime le peuple quand il montre qu’il peut être moins con que les riches.
21h55 : Mettant à profit l’entracte, je prends la direction de la station de bus afin de m’assurer que le dernier bus en direction de Lambé part suffisamment tard pour m’éviter de partir avant la fin. Évidemment, je ne peux pas faire trois pas sans qu’on demande à voir mes croquis : je ne proteste pas, ça fait partie du jeu. Pierre, le grand ordonnateur de cette soirée, tient même à me présenter à Yvon Étienne : celui-ci se dit admiratif de ce que je fais, ajoutant qu’il serait incapable de dessiner. Je lui réponds que pour ma part, je chante comme un naze : à chacun sa spécialité, non ? Je finis tout de même par pouvoir atteindre l’arrêt de bus, non sans avoir confié mon carnet à un groupe réuni à la sortie du bâtiment.
22h15 : Le concert reprend, chacun des dix chanteurs de la première partie repasse sur scène, dans le même ordre. Première faute de goût de la soirée : la merveilleuse Elisabeth gâche sa voix d’or en interprétant… « Libérée, délivrée », la chanson de La reine des neiges ! Je crois comprendre que c’est pour faire plaisir à la demoiselle (sa petite-fille ?) qui l’accompagne : ce n’est pas ça qui va arranger le fossé des générations ! Je suis à deux doigts de mettre mon casque anti-bruit, mais je n’en ai pas le loisir : le temps pour moi de finir mon croquis, elle a déjà presque terminé de chanter ! Je ne redirai jamais à quel point le dessin m’aide à surmonter des moments difficiles, même si je dois convenir qu’avec la voix d’Elisabeth, cette rengaine sirupeuse est presque supportable. Il n’empêche qu’elle se sent obligée de s’excuser… Vous êtes toute pardonnée ! Mais il y a assez de chansons Disney plus supportables pour nous épargner ce tube que je qualifierais de… Supercalifragilisticexaspérant !
22h45 : Seconde faute de goût de la soirée : une femme, brune opulente visiblement pleine de joie de vivre, qui avait repris « Les enfants du Pirée » en première partie, nous revient avec une chanson… De Mireille Mathieu ! Autant je peux admettre (sans vraiment approuver) qu’on puisse apprécier Dalida, autant je ne connais aucune personne saine d’esprit capable de supporter plus d’une demi-seconde la voix et les chansons de la « naine avec l’accent du midi qui se prend pour Édith Piaf » (pour reprendre l’expression bienvenue d’Antoine de Caunes et Laurent Chalumeau) ! En tout, ça fait deux fautes de goût sur un spectacle de plus de deux heures où plus de vingt-cinq chansons auront été entendues : autant dire une goutte d’eau dans l’Océan ! On peut passer outre ! De toute façon, vingt minutes plus tard, l’ami Gilles fait oublier tout ça avec son interprétation impeccable du « barbier de Belleville » de Serge Reggiani… Il n’y a pas si longtemps encore, j’avais eu droit à une autre reprise de Reggiani par Miika Bjørn : dois-je en conclure que le « Rital » redevient à la mode ? Ce serait justice, c’était un grand chanteur.
23h30 : C’est fini pour aujourd’hui, les chanteurs ont bouclé la soirée avec deux chansons interprétée en chœur. Ça s’est si bien passé que je me promets de revenir demain après-midi, où une seconde représentation est prévue avec d’autres chanteurs. Les réactions suscitées par mes instantanés graphiques sont si enthousiastes que je sens mon estime de moi gonflée à bloc ! Ça m’aide à supporter le fait de devoir attendre le bus dans le froid nocturne pendant une demi-heure…
Dimanche 9 avril
10h45 : Je me suis couché le ventre vide hier soir : j’étais ravi mais épuisé, entre autres à cause de la mauvaise nuit passée la veille. Aujourd’hui, je suis bien décidé à participer à la chasse aux œufs organisée par le Secours Populaire au bois de Keroual avant de retrouver le Patro chantant. La journée commence mal : à l’arrêt où je dois attraper la correspondance pour Guilers, je monte machinalement dans le bus pour Lambézellec ! Heureusement que je m’en suis aperçu à temps et que je suis tombé sur un chauffeur suffisamment compréhensif pour me laisser descendre au premier feu rouge : le « bon » bus arrive moins de cinq minutes plus tard…
11h : Au niveau de Penfeld, le bus se vide d’un coup des familles qui l’empruntaient. Je me souviens vaguement qu’il est possible d’accéder au bois de Keroual à cet endroit : je descends, mais je ne vois que des banderoles annonçant une course de solex ! Craignant de ne pas trouver mon chemin alors que le temps m’est compté, je préfère remonter dans le bus : le chauffeur, cette fois, rechigne, mais se laisse finalement convaincre. Je continue donc ma route, non sans maugréer contre les imbéciles qui croient intelligent de passer leur week-end pascal à des loisirs aussi imbéciles que des courses de solex… Pourquoi pas des courses à dos d’autruche, tant qu’on y est ! Quoi ? Ça existe aussi ? Mais quel monde de cons…
11h15 : Je descends à Guilers, derrière la mairie, où je retrouve la route que j’avais jadis l’habitude de prendre pour aller au bois. Malgré l’heure méridienne, il y a beaucoup de familles qui prennent la même direction : je suis surtout effaré par le nombre de voitures qui sont déjà sur le parking… Je suis prêt à parier qu’au moins la moitié de ces véhicules appartiennent à des gens qui habitent à Guilers ! Prise de conscience écologique, mon œil ! Leurs maisons seraient submergées par la montée des eaux, ils exigeraient encore d’être transportés dans des bateaux à moteur diesel…
Puisqu'on parle de Guilers, voici deux pointes sur le maire de cette commune, vértiable caricature du politicien local bête et méchant :
11h30 : J’arrive enfin au niveau du manoir de Keroual où la chasse aux œufs est organisée : il y a énormément de monde, il y a au moins six files d’attente pour avoir un ticket ! Heureusement, j’ai mes albums de Jojo pour prendre mon mal en patience. Quand mon tour arrive enfin, je tombe sur une dame peu loquace qui me donne mon ticket sans la moindre explication et je reste comme deux ronds de flanc devant ce bout de papier avec quatre cases à remplir… Je me permets de déranger sa voisine qui m’explique que l’organisation a changé par rapport aux éditions précédentes : la chasse aux œufs proprement dite est réservée aux petits enfants, les enfants les plus âgés et les adultes participant à un jeu d’exploration dont les règles me seront expliquées à un autre stand… Le bruit, la foule, la chaleur et la nouveauté qui me désarçonne : je suis déjà à deux doigts de foutre le camp ! En même temps, ce serait trop bête d’avoir fait tout ce chemin, d’avoir fait la queue et d’avoir dépensé quatre euros pour des prunes… Je m’achète une saucisse grillée pour caler mon estomac vide et en profiter pour peser le pour et le contre.
12h : Manger porte conseil. Tout bien réfléchi, je me dis que ce serait stupide de baisser les bras si vite : je me renseigne donc au stand des « explorateurs », où l’on m’explique que je dois trouver quatre numéros, situés chacun à des endroits précis du bois dont les photos sont affichées sur la toile du stand. Le bénévole qui m’accueille m’exhorte à prendre un cliché de ces clichés (vous suivez ?) pour que je puisse repérer les lieux en question : heureusement que j’ai mon appareil photo sur moi… Encore une trace de la civilisation du « smartphone pour tous » ! Je trouve ça d’autant plus regrettable qu’en principe, si on organise ce genre d’événement dans un cadre champêtre, c’est justement, entre autres, pour déconnecter des écrans, non ?
12h45 : J’ai eu un peu de mal à trouver tous les lieux indiqués : le dernier, un gros arbre, était bien planqué derrière de grands sapins. Mais bon, j’ai tous les numéros, je n’ai plus qu’à me diriger vers le stand où l’on peut retirer les lots. Sur le chemin, une heureuse surprise m’attend : un couple d’amis avec leur petite fille et un autre ami avec ses deux enfants ! Je me joins à eux, assis dans l’herbe, pour tailler le bout de gras et profiter de la présence de leurs charmants bambins pleins de caractère. Rien que pour ça, je ne serai pas venu pour rien !
13h : La file pour retirer le stand des lots est très longue. Derrière moi, une famille de cas sociaux me tape sur les nerfs avec sa conversation minable. Je suis trop couvert, donc j’ai chaud, le soleil m’illumine, l’attente me lime les pieds… Bref, tous les ingrédients sont réunis pour que j’aie une crise à la première étincelle. Ça ne rate pas : l’un des « kassos » prononce le mot « détendre » ! Le champ lexical de la relaxation m’a toujours agacé, surtout si on l’emploie dans un contexte où je n’ai nulle envie de me calmer ! Je pousse un cri : évidemment, celui qui a l’air d’être le chef de cette famille de dégénérés me demande si j’ai un « problème » ; je lui réponds franchement par l’affirmative ! Je n’ose cependant pas lui dire que je suis autiste, me doutant qu’il ne pourrait même pas comprendre ce que ça veut dire, point de vue partagé par la dame qui est devant moi, dont le fils est lui-même en situation de handicap et qui avait compris que j’étais Asperger. C’est bizarre : j’ai eu une crise, ça a causé une altercation, et pourtant, je ne culpabilise pas ! Sans doute parce que je suis trop content d’avoir rencontré quelqu’un qui connait le syndrome d’Asperger et comprend ce que ça représente en société… Ce n’est pas encore si courant que ça, hélas !
13h30 : J’ai quand même fini par récupérer mon lot : une boîte de bouchées au chocolat fourrées à la framboise ou au caramel – non, je ne dirai pas la marque. Au prix du ticket, je suis largement gagnant. Avant de repartir, comme je n’ai pas beaucoup mangé et que j’ai eu quelques émotions fortes, une crêpe m’aurait bien tenté ! Malheureusement, la queue au stand est longue et il y a beaucoup de gens qui commandent pour une famille entière : la peur de rater mon bus (dans les communes périphériques, il n’y en a qu’un toutes les heures, le dimanche !) entame sérieusement ma patience… Ayant eu mon compte de files d’attente pour la journée, je préfère partir, histoire de ne pas me sentir obligé de presser le pas.
Croquis réalisé en attendant le bus : on s'occupe comme on peut !
15h30 : Retour au patro chantant ; les organisateurs sont toujours aussi contents de me voir arriver, je suis accueilli comme une petite vedette. Pierre co-anime l’après-midi avec Yolande, coiffé d’une perruque qui me rappelle Hervé Vilard (encore lui ?) : ça fait peur, un peu… Toujours peu de faute de goût majeure parmi les choix de reprise, excepté « Emmenez-moi » ! Non seulement j’ai toujours détesté Aznavour, qui trouvait le moyen d’être infect même quand il écrivait une bonne chanson, mais j’exècre particulièrement ce texte débile : non, la misère n’est pas moins pénible au soleil, il est même très désagréable de sentir que les éléments ne sont pas au diapason de votre malheur, que la nature vous exhorte à être heureux alors que vous n’avez aucune raison de l’être. Enfin, ne chipotons pas, c’est bien la seule chanson qui me déplait vraiment sur la grosse vingtaine qui est interprétée aujourd’hui…
16h30 : Yvon Étienne revient sur scène, pour faire à peu près le même numéro qu’hier, mis à part une chanson de Font et Val[2] sur une vieille dame indigne. Tant pis pour la redite, on ne se lasse pas de ses chansons ! Pour faire un trait d’humour dont il a le secret, il dit avoir essayé la perruque de Pierre… Mais que ça le faisait ressembler à Bernadette Malgorn ! J’ai un peu de mal à croire à ça : « Bernie la matraque » a plus de moustache que lui !
Le problème, avec Yvon Etienne, c'est que j'ai toujours l'impression de lui dessiner une petite guitare... Heureusement qu'il ne joue pas du ukulélé !
17h : Je profite de l’entracte pour déclamer à Yvon Étienne mon slam sur Bernadette Malgorn. Il l’apprécie, ce qui, venant de lui, me touche, bien entendu. Il me raconte une anecdote sur cette dame que ni lui ni moi n’apprécions beaucoup : un jour, lors de la réunion du conseil municipal de Brest, elle a reproché au maire d’avoir signé le permis de construire pour l’extension du Leclerc de Kergaradec, elle a sorti son couplet galvaudé sur le petit commerce brestois qu’on fait mourir… Mais monsieur Cuillandre n’a pas eu de mal à lui répondre : il lui a rappelé que le permis de construire n’a pas été signé par lui mais par le maire de la commune concernée, donc celui de Gouesnou, lequel, qui plus est, est du même bord politique qu’elle ! La prochaine fois qu’on me demandera de lâcher la grappe à madame Malgorn, je répondrai que je voudrais bien arrêter mais que c’est elle qui n’arrête pas : ce n’est pas de ma faute si elle ne rate pas une occasion de montrer toute l’étendue de sa bêtise et de sa méchanceté ! Je m’étonne que Macron ne l’ait pas déjà nommée ministre…
17h35 : Le spectacle reprend et me ménage une bonne surprise : l’une des chanteuses a eu l’heureuse idée de reprendre « Le jardin extraordinaire » de Charles Trenet, une de mes chansons préférées de ce grand monsieur de la chanson ! Elle se trompe un peu dans les paroles, mais elle retombe bien sur ses pattes, offrant un bel hommage à ce « grand Charles » sans uniforme qui n’avait rien à envier à l’autre : libertaire, pacifiste et écologiste avant l’heure, monsieur Trenet continuera à enchanter des générations de mélomanes quand Tino Rossi et Maurice Chevalier seront tombés dans un oubli mérité ! Du moins je l’espère…
19h : Tout à la joie de mes satisfactions de la journée, je descends à la friterie pour dîner. Une heureuse surprise m’attend : un vieil ami, conteur de son état, y est lui-même attablé ! Décidément, c’est la journée des retrouvailles ! Il semble de bonne humeur, malgré les épreuves que lui ont réservé la vie, à savoir une maladie qui l’a privé de toute activité et a mis sa carrière artistique à l’arrêt pendant quelques mois et, par-dessus le marché, une séparation… Il est visiblement en train de se reconstruire. J’admire son pouvoir de résilience, mais je mesure aussi à quel point la vie d’artiste est à la merci de certains aléas ! Et entre le pouvoir qui nous catalogue « non essentiels », les terroristes qui nous tirent dessus et les contestataires qui souillent les œuvres dans les musées, ça n’est pas parti pour s’arranger… Un homme, attablé juste à côté de nous, finit par se lever mais, avant de partir, nous remercie pour notre conversation, déclarant qu’il s’est régalé à nous écouter ! Mon camarade et moi-même devrions faire payer le droit d’écouter nos discussions…
21h : Je rentre au bercail, content de moi : toutes les satisfactions de ces deniers jours m'ont prendre conscience du fait que je suis un garçon attachant, cultivé, intelligent, talentueux, travailleur, persévérant, passionné, généreux, réactif, efficace, attentif, curieux, organisé, fidèle en amitié et intéressant à écouter. Vous trouvez que j’ai la grosse tête ? Je vous emmerde !
Lundi 10 avril
17h30 : J’ai un peu traîné des pieds, ce lundi de Pâques : je me suis borné à paresser entre deux tâches urgentes à exécuter. Avant de dîner, je m’offre une brève sortie au bois situé en face de chez moi : météo maussade oblige, il y a peu de promeneurs, et ça me fait un bien fou. J’ai une révélation : je me rends compte que j’en ai ras le bol de démarrer chaque journée en allumant mon ordinateur et que ça me coupe les jambes plus qu’autre chose ! Or, je commence à être sollicité en tant que dessinateur, il serait donc grand temps que j’adopte des habitudes plus motivantes… Et si je faisais un tour au bois chaque matin, du moins quand je n’ai pas d’autre raison de sortir de chez moi ?
Mardi 11 avril
10h : Comme prévu, je ressors faire une marche d’une demi-heure au bois : en rentrant, je suis suffisamment motivé pour retravailler le crayonné d’une BD de deux pages et fournir une page histoire à Côté Brest ! Le test est concluant, c’est une bonne habitude à prendre, d’autant qu’elle me permettra d’exploiter pleinement ma rapidité d’exécution dont j’ai pris pleinement conscience grâce au Patro chantant… J’entre peut-être dans la période la plus créative de ma « carrière » !
Mercredi 12 avril
20h30 : Quand les autres élèves du cours du soir m’ont parlé d’une « tempête », je croyais qu’ils exagéraient, même si je reconnaissais que le vent était un peu fort. Mais au Biorek brestois, le petit Alex me confirme que c’est bien de ça qu’il s’agit ! Il est même obligé de bloquer sa porte avec un tabouret : je me dis que ce n’est pas l’idéal pour attirer le client, les passants pourraient penser qu’il est fermé. D’un autre côté, un soir de tempête, il risque de ne pas y avoir beaucoup de passants…
Jeudi 13 avril
18h30 : Je ne comptais pas sortir en ville aujourd’hui ; finalement, j’y ai été contraint, entre autres parce que les cartouches de mon imprimante, que j’avais réussi à maintenir en état de survie artificielle jusqu’à présent, sont bel et bien vides et que j’ai absolument besoin de terminer l’impression de quelques documents. La manif est finie depuis longtemps, mais les bus sont toujours en grève, à raison d’un toutes les vingt minutes sur la ligne que j’ai l’habitude d’emprunter… Le retour est donc laborieux, d’autant que j’ai le malheur de partir en pleine heure de pointe et que le moteur du véhicule cale au moins trois fois ! Heureusement que je suis de bonne humeur en ce moment, mais voilà donc tout ce que j’aurai connu d’un mouvement de protestation qui laissera sûrement des souvenirs exaltants à ceux qui y auront participé ! Ils auront au moins eu la fierté de se battre pour la justice sociale, là où les « Gilets jaunes » avaient lutté, au départ, pour le droit de polluer… Pour ma part, je vais donc mourir idiot, mais après tout, combien de Français ont-ils connu Mai 68 sans se sentir (à tort ou à raison) concernés ?
Sans rapport : un cosmonaute breton plantant le Gwenn ah Du sur Mars - j'ai eu l'idée en entendant le fils d'une amie parler de son ambition de devenir cosmonaute ! Il a un peu changé d'idée depuis...
Vendredi 14 avril
15h : Me voici à Guilers, cette fois chez mes parents. Pourquoi ? Parce qu’une amie a eu la bonne idée de m’inviter à assister au concert du groupe de son nouveau fiancé, qui joue ce soir à l’espace Jean Mobian : c’était donc aussi simple de profiter du passage hebdomadaire de ma mère à mon domicile puis de dormir sur place pour ne pas m’embêter avec les transports en commun… J’en profite pour ressortir des étagères quelques vieux recueils de Spirou afin d’y retrouver des épisodes de Jojo, la série du regretté André Geerts dont je n’ai pas encore tous les albums : j’ai largement atteint l’âge d’être le père de ce sympathique petit bonhomme à casquette (son plombier de père doit être à peine plus âgé que moi), mais je n’ai pas honte d’être resté fidèle à cette bande dessinée qui parle de l’enfance avec justesse, sans l’idéaliser ni la noircir. Geerts montrait à quel point les enfants pouvaient être cruels entre eux et évoquait volontiers les épreuves que le destin peut leur faire prématurément subir (opération chirurgicale, mort prématurée d’un parent, etc.), mais il faisait avec une telle grâce, une telle délicatesse, qu’on ne peut pas être choqué : Jojo peut dire les pires grossièretés, jouer les tours les plus pendables à ses aînés voire pénétrer dans le bar à hôtesses tenu par sa grand’ tante, il n’est jamais vulgaire ! Au pire, on rit du décalage entre sa candeur juvénile et les situations dans lesquelles son créateur le plonge, au mieux, on a une larme parce qu’on s’identifie facilement à lui. Je n’ai pas honte de retomber en enfance en relisant ses aventures : et puis la maison où j’ai grandi est le lieu idéal pour ça, non ? Sans compter qu’avec des parents en (assez) bonne santé et toujours disposés à m’accueillir, je peux encore me le permettre… Merci, monsieur Geerts ! Quel dommage que vous soyez parti si tôt…
18h : Le conseil constitutionnel a validé la réforme des retraites. Je n’en suis pas étonné : Macron a agi de manière scélérate, mais à aucun moment il n’a enfreint les règles de la constitution. Qu’est-ce que ça signifie ? Que la constitution elle-même est scélérate, bien sûr ! Comment pourrait-il en aller autrement de la part d’une constitution rédigée par un crétin réactionnaire, militariste et idolâtre (Michel Debré) dans le but exclusif de satisfaire les ambitions de son Général bien-aimé ? Pas étonnant qu’elle déclenche des aberrations quand le pouvoir tombe dans les mains d’un individu dont la hauteur de vue n’égale pas, il faut bien le dire, celle de l’homme du 18 juin… Mais ne pensez pas trop vite que l’avenir politique de Macron est désormais bouché : il n’y a pas un an qu’il a été réélu, il lui reste encore quatre ans de présidence au cours desquelles bien des choses peuvent arriver (qui aurait pu prévoir la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, à quatre ans des dernières présidentielles ?) et, surtout, il est encore jeune : 45 ans ! En tant que chef d’État, il a encore toute la vie devant lui ! Pourquoi croyez-vous qu’il s’est permis aussi tôt une réforme qui ne pouvait ne pas être impopulaire si ce n’est parce qu’il sait que le temps est de son côté ? Vous me direz qu’il pourrait en être réduit à dissoudre l’assemblée ? Allons ! La cohabitation, ça a plutôt bien réussi à ses prédécesseurs ! Il ne nous le dira jamais, mais ça l’arrangerait plutôt qu’autre chose, de pouvoir décrédibiliser ses adversaires… Notez que ça ne me fait pas du tout plaisir de vous dire ça ! Mais ça m’étonnerait aussi que la colère s’éteigne dans les jours à venir : le ressentiment est énorme, les gens ont de moins en moins à perdre, les syndicats ont repris du poil de la bête… Je ne serais pas surpris que l’agitation sociale rebondisse ! Bref, l’avenir est plus qu’incertain : je ne vais pas sortir de sitôt de ma tour d’ivoire… Et j’espère surtout qu’il n’y aura plus de second tour Macron-Le Pen car je pense que j’aurai du mal à expliquer aux gens qu’il faudra voter contre l’extrême-droite pour sauvegarder leurs libertés !
Il parait que certaines entreprises ont du mal à recruter : ça ne va pas s'arranger...
19h10 : Le concert a déjà commencé, avec la prestation du GONG (Guilers Orchestra New Groove). Je m’étonne de ne pas avoir déjà vu mon amie, même si je sais que les horaires la stressent moins que moi – davantage, ce serait difficile ! Elle arrive enfin, accompagnée de son fils, un bel adolescent taciturne, et, surtout, de son nouveau fiancé, qui joue dans le second groupe qui doit se produire ce soir, le FAT (là, je ne sais pas ce que ça veut dire). Elle s’explique qu’elle a été retardée parce qu’elle a dû laver au dernier moment la tête de son fils… Qui avait attrapé des poux ! Je ne peux m’empêcher de repenser à ce qu’écrivait Cavanna en 1991 :
« Quand j’étais tout môme, les poux, ils appartenaient à la mythologie, comme les loups et les dragons cracheurs de feu. On aurait plutôt trouvé un loup-garou dans le bois de Vincennes qu’un pou sur la tête d’un enfant, même très pauvre ! Des fois, je tombais sur un vieux journal des années moustachues, j’y voyais une réclame pour la « Marie-Rose », « La mort parfumée des poux », j’appelais les copains, ça nous faisait marrer presque autant que les pilules pour faire revenir les règles qu’on trouvait dans les mêmes journaux. Enfin, vous qui êtes sensibles à la symbolique des choses, vous voyez sûrement ce que je veux dire : cette invention inouïe, la télévision, pour vendre un truc à tuer les poux… »[3]
Oui, je vois ce que vous vouliez dire, monsieur Cavanna. Je peux même ajouter qu’aujourd’hui, alors qu’on trouve dans la seconde des milliards pour financer un vaccin contre un virus qui n’est mortel que dans une infime proportion des cas et qu’on dispose d’engins qui mettent tout le savoir du monde à portée de main, on trouve encore des poux sur la tête de l’enfant d’une femme qui est propriétaire de sa maison, et qu’on trouve même des rats dans le hall d’une immeuble neuf dans une grande ville ! Le progrès à deux vitesses, ça ne s’est pas arrangé, trente ans après votre constat et dix après votre mort ! Je pourrais écrire « Revenez, ils sont devenus fous », mais non, vous aviez compris qu’ils l’ont toujours été, et puis si vous pouviez revenir parmi nous, même si vous avez écrit Stop-crève, vous ne voudriez sûrement pas rester…
20h : C’est au tour du FAT de jouer : le nouveau fiancé de mon amie (il a bien de la chance d’avoir conquis le cœur d’une si jolie femme) est batteur au sein de ce « groupe cuivré aux accents funk, jazz, rock festif ». Sincèrement, je passe un bon moment, d’autant que ça me donne l’occasion de m’exercer à dessiner des musiciens jouant des instruments à cuivre, ça me change des sempiternels guitaristes…
21h10 : Le concert est déjà fini, je reste quand même quelques minutes pour profiter de la présence de ma délicieuse amie et lier connaissance avec son nouveau fiancé qui est un batteur talentueux et s’avère bien sympathique. Je retrouve ainsi un homme que j’ai connu quand il travaillait encore à Guilers : il me demande des nouvelles de ma famille, et notamment de mon frère. Ne sachant comment lui annoncer plus clairement que ce dernier s’assume désormais en tant que femme transgenre, je lui dis que « Benjamin est devenu Bénédicte ». Il me répond : « Ah, il est entré dans les ordres ? » Je ne sais pas s’il me fait une blague ou si j’ai mal prononcé… Mais pour croire qu’un membre de ma famille pourrait devenir religieux, il faut bien mal la connaître !
21h30 : Heureusement que mes parents n’habitent pas loin de l’espace Jean Mobian : je dois reconnaître qu’il n’est pas très agréable de rester dehors le soir par ce mois d’avril pourri, surtout à deux pas de ces pavillons où les lumières sont encore allumées, laissant entrevoir au promeneur attardé et transi de froid que certains de ses semblables finissent la soirée à l’abri du froid, dans un chaud cocon familier, en compagnie de ceux qu’ils aiment… Bref, ces félicités domestiques, je les goûte à mon tour avec les auteurs de mes jours devant N’oubliez pas les paroles : ce soir, c’est le « tournoi des maestros ». Je ne suis pas un fou des blagues de Nagui, mais il est encore à cent pieds au-dessus de la plupart des animateurs qui sévissent aujourd’hui sur « l’étrange lucarne » et je ne renie pas qu’il a fait rire l’enfant que j’étais à l’époque de la « brosse à dents ». Quant à l’émission en tant que telle, quitte à voir des inconnus acquérir un certain niveau de notoriété, je préfère que ce soit en chantant et en faisant montre de leur culture générale (car connaître par cœur les paroles d’une chanson, on ne peut pas dire le contraire, c’est avoir une certaine culture) plutôt qu’en s’exhibant en maillot de bain comme les bellâtres et les pétasses de la télé-réalité… Bref, regarder cette émission de divertissement en compagnie de mes chers parents n’est pas la façon la plus détestable de terminer la journée, bien au contraire, même si j’ai bien conscience que je ne regarderais pas ça tout seul et même si je n’apprécie pas toutes les chansons interprétées : quand les candidats doivent chanter du Balavoine, je ne fais aucun commentaire pour ne pas allumer de conflit avec ma mère qui ne partage pas le dédain que m’inspire l’œuvre de cet auteur-compositeur-interprète. Je suis de bonne humeur et j’ai le vent en poupe, je ne vais pas tout gâcher à cause d’un chanteur qui n’en vaut pas la peine, non ?
Puisqu'on parle de télé (c'est la première fois que je dessine Camille Combal) :
Samedi 15 avril : il ya 571 ans naissait Léonard de Vinci
12h30 : Après une bonne nuit de sommeil, mon père m’a reconduit jusqu’à mes pénates. Je n’y suis pas resté longtemps, juste le temps d’y déposer mes affaires et de repartir pour Saint-Martin, plus précisément à L’œil du citron, espace de création poétique ou artistique où Slamity Jane donne la première de son spectacle consacré aux violences faites aux femmes et à leurs combats pour leurs droits : j’ai ainsi l’occasion de découvrir ce lieu un peu spécial dont on m’avait souvent parlé mais où je n’avais encore jamais osé m’arrêter. Slamity se produit dans la vitrine, le public la regarde donc depuis l’extérieur : les responsables de L’œil du citron ont installé des bancs avec des couvertures, mais certains spectateurs préfèrent suivre le spectacle depuis le trottoir d’en face pour pouvoir être au soleil ! Heureusement que la slameuse a la voix qui porte, comme Dalida ! La comparaison s’arrête d’ailleurs là : autant je trouve Iolanda Gigliotti risible malgré sa fin tragique, autant Claire Morin m’émeut. Ses textes sont forts et parlent magnifiquement de ce qu’endurent les femmes bafouées, méprisées, battues ou violées, ils n’ont même pas l’inconvénient d’être agressifs envers les hommes – sauf pour les cons, bien sûr. Je verse quelques larmes et je suis fier d’être ami avec une si grande artiste…
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] CAVANNA François, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 17.
[2] Ce n’est pas parce que ces deux chansonniers ont mal tourné chacun à leur façon qu’il faut oublier tout le plaisir qu’ils nous ont apporté et qu’ils nous apportent encore quand on prend la peine de réécouter leurs chansons.
[3] CAVANNA François, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 238-239.
Samedi 1er avril
16h40 : J’arrive à la Maison Pour Tous de Saint-Pierre pour assister à une conférence sur l’évolution du littoral de cette ancienne commune devenue un quartier de Brest. Une dame me reconnaît tout de suite : bien entendu, je suis incapable de me rappeler dans quel contexte je l’avais rencontrée, encore moins de mettre un nom sur son visage. Malgré cela, elle me félicite pour mes chroniques historiques : et si c’était ça, la notoriété ?
La dame qui m'a accueilli. Renseignement pris, il s'agirait de Nelly Menez, présidente de l'association "Mémoire de Saint-Pierre".
17h : La conférence commence ; c’est une causerie à plusieurs voix, où chaque intervenant revient sur l’histoire d’un secteur bien déterminé de Saint-Pierre-Quilbignon. C’est intéressant, mais un peu trop fragmentaire pour que je puisse vraiment en tirer un article. Je retiens tout de même l’histoire de la « Maison de l’espion » qui est digne d’un roman de cape et d’épée ! L’histoire du quartier est riche en anecdotes diverses, mais on peut lui trouver un « fil conducteur », à savoir la transformation assez radicale de la côte du fait de l’emprise militaire : là où les promeneurs et les baigneurs s’égayaient encore jadis, il n’y a plus que du béton et des ferrailles conçues pour tuer, seule la plage de Sainte-Anne-du-Portzic offre une oasis de vie sur ce littoral dénaturé pour servir l’instinct de mort… À bas toutes les armées !
18h45 : Je me dirige vers l’arrêt de bus : pour une fois, j’ai de la chance, la station est à deux pas du bâtiment et la ligne mène directement à Lambézellec. Mais toute médaille a son revers : à peine me suis-je approché de l’abribus qu’une espèce de cas social, qui a l’air issu d’une union consanguine, me regarde avec agressivité. Ce résidu vivant se fait de plus en plus menaçant et je me précipite vers le panneau d’affichage des horaires : une jeune femme, accompagné d’une petite fille, me dit que le prochain bus arrive dans cinq minutes. Je devrais la remercier, mais hélas, le « kassos » est arrivé au bout de ma patience, déjà entamée par le fait que je rentre presque bredouille de la conférence. Résultat : j’éclate et je lui réponds, un peu trop sèchement, « Je ne vous ai rien demandé » ! Le ton peu amène de ma réponse me vaut la réprimande d’un autre individu qui carbure à la Desperados en pleine rue : dans ces cas-là, je ne réplique jamais. Mais c’est injuste : je m’interdis de répliquer aux gens qui me cassent les pieds, pour peu que je les sente dangereux, je garde donc ma colère pour moi au lieu de l’extérioriser et, au final, ce sont des innocents qui paient pour les autres ! Je présente mes excuses à la jeune femme et je me tiens à distance respectable des deux cas sociaux : par bonheur, le bus arrive effectivement assez vite et ils s’installent loin de moi…
Le 1er avril, c'est aussi l'anniversaire de Fluide Glacial : cette année, l'illustre revue a déjà 48 ans, dont zéro avec pub, bravo à elle !
Cette photo me représente avec le numéro de mon magazine préféré daté du mois de ma naissance : une couverture d'Edika, j'aurais pu tomber plus mal...
Dimanche 2 avril
15h30 : Me voici au Centre Social de Kerangoff pour assister au tour de chant de mon camarade Mikaël Tygréat, alias Miika Bjørn, que je n’avais plus revu depuis trois mois. Il faut dire qu’entre ses articles pour Le Télégramme et la naissance de son deuxième enfant, il a été bien occupé ces derniers temps, surtout s’il a consacré le peu de temps qui lui restait à sa carrière de chanteur. La salle est presque pleine, je suis assis au premier rang, juste à côté de la femme de mon amie, de son fils aîné et, donc, de son petit dernier, un beau bébé joufflu d’un mois et demi… Mikaël chante : au programme, des reprises de Gauvain Sers et de Renaud, ce qui n’est pas nouveau venant de lui, mais aussi, ce qui est encore inhabituel, de Patrick Bruel ! Apparemment, c’est un ami commun qui lui a conseillé de reprendre le répertoire du chanteur pied-noir. Encore de la chance qu’il ne lui ait pas suggéré de reprendre Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman ou, pire, Benjamin Biolay ! Je ne suis pas fan de l’interprète de « Casser la voix », mais je reconnais que son univers correspond bien à mon vieux complice. Cela étant, la chanson qui me fait le plus vibrer est « Si tu me paies un verre », le titre de Serge Reggiani repris récemment par Renaud…
Vous pouvez réécouter la reprise des "Oubliés" par Miika et la merveilleuse Audrey Raguenes :
16h10 : Entracte : Miika a chanté ses sept chansons comme prévu, il va céder la place à la Chorale des Capucins. Je ne suis pas fou des chorales, mais quitte à avoir pris le bus un dimanche, surtout pour traverser la ville d’un bout à l’autre, autant rester jusqu’à la fin, ne serait-ce que pour profiter pleinement de la présence de mon camarade et de sa famille. Avant de laisser le public profiter des gâteaux que les jeunes du quartier ont préparés, les organisateurs rappellent que le concert est gratuit mais qu’une collecte est organisée au profit d’une association qui œuvre pour aider les jeunes migrants à se loger et à s’intégrer. Il est ainsi question d’un jeune garçon qui a dû passer devant le juge pour qu’il soit reconnu comme majeur ! Ce genre d’histoire me choquera toujours… Toutefois, la collecte permettra de récolter presque 500 euros : ça redonne espoir ! Tous les Français ne sont pas xénophobes…
16h45 : La chorale chante. Miika se joint à elle pour trois chansons : curieusement, il préfère rester en retrait, on ne le voit même pas (même si on l’entend) pour la reprise de « La ballade nord-irlandaise » ! On ne pourra pas lui reprocher de tirer la couverture à lui. Le tour de chant de la chorale a au moins le mérite de me faire retrouver un nom que j’avais oublié. Vous vous souvenez de la fameuse pub pour la CNP où l’on voit, en un long travelling, un petit garçon, portant un étui à violon, grandir jusqu’à devenir grand’ père ? Et bien la musique de fond de ce spot devenu culte est une valse composée par Dimitri Chostakovitch – pas étonnant que j’aie du mal à retenir un nom pareil ! Au moins, comme ça, j’ai pu retrouver facilement cette mélodie qui est vraiment magnifique à écouter, sans pour autant me taper la réclame pour la compagnie d’assurances – entre nous, faire croire que la vie est belle, c’est déjà de la pub mensongère !
17h30 : Je repars en bus. Je remarque qu’il y a beaucoup de jeunes avec des valises, il y en avait déjà pas mal à l’aller. Sans doute des lycéens ou des étudiants qui reviennent d’un week-end chez leurs parents : j’avoue que je n’en avais jamais vu, du moins pas autant ! Qu’on ne me dise plus, après ça, que les transports en commun sont moins utiles le dimanche…
Le 2 avril, c'est aussi l'anniversaire de la naissance de Hans Christian Andersen, né il y a exactement 218 ans. Nous lui devons, entre autres, La petite sirène...
Encore une variation sur la rencontre entre Hazel, la sorcière de Chuck Jones, et Miss Red, la pin-up de Tex Avery.
Lundi 3 avril
10h30 : Je sors en ville pour prendre quelques photos ; j’ai eu l’idée de faire une chronique qui complèterait la double page sur les escaliers remarquables sur la ville de Brest parue récemment dans Côté Brest. Au programme de mes pérégrinations photographiques, il y, a entre autres, les vestiges d’un escalier de Recouvrance : ceux-ci sont situés dans une rue que je ne connais pas, derrière un poste de relevage des eaux usées… Heureusement, je trouve assez facilement l’endroit : mais mes recherches me valent tout de même de me faire réprimander par une automobiliste ! Il est vrai que la configuration des lieux est si bizarre que je ne remarquais plus que je marchais sur la voie carrossable… J’ai un peu de mal à trouver un bon angle pour mon cliché : les vestiges ne sont pas vraiment mis en valeur et le lieu est souillé de détritus divers, notamment des bouteilles probablement laissés par des pochards mi-zonards mi-fêtards… La rédactrice en chef m’a dit un jour que je devais faire parler ma féminité pour faire de bonnes photos : le problème, c’est que trop de gens font hurleur leur masculinité à certains endroits !
Les vestiges en question :
Un autre escalier, situé à deux pas de mon immeuble :
Le lavoir auquel il mène :
11h30 : Le dernier escalier que j’avais prévu de photographier relie le Cours Dajot au port de commerce. En le photographiant, je remarque que Le Fourneau, ce haut lieu de création artistique installé sur le port, arbore sur sa façade arrière (la porte d’entrée fait face à la mer) une grande affiche similaire à d’autres, de format plus modeste, qui ont fleuri en ville dernièrement et qui m’ont intrigué : je croyais que cette liste de revendications était liée à l’agitation sociale actuelle, mais je m’étonnais de la retrouver dans le bus ! En bon « journaliste », je me rends donc au Fourneau pour recueillir l’information sur place : on me confirme que ces affiches ont toutes été collées à la suite « d’impromptus » qui ont été joués aux quatre coins de la ville en attendant une grande représentation devant le Quartz en travaux. Il n’y a donc aucun rapport avec le conflit actuel, même si cette expression utopique et poétique est tout de même une belle réponse à la rudesse avec laquelle le peuple est traité depuis quelques années…
L'escalier en question :
L'affiche mystérieuse en question :
Mardi 4 avril
11h : Je suis convoqué à un endroit où je déteste particulièrement aller : au Pôle Emploi… Comme chaque année, on s’assure que je fais bien mon boulot de chômeur ! Fort heureusement, la conseillère qui m’accueille est vivement impressionnée quand j’énumère toutes mes activités : elle m’annonce même que je vais bénéficier d’un changement de catégorie, ce qui veut dire qu’au lieu d’être considéré comme un cas social qu’il faut épauler à tout prix, je vais être officiellement reconnu comme un créateur qui fait tout son possible pour s’en sortir ; ça devrait me mettre à l’abri des travaux forcés et des formations obligatoires… Je compte une admiratrice de plus !
11h45 : Déjeuner au Biorek brestois pour me remettre de cette sortie tout de même peu agréable. J’arrive à l’ouverture, Alexandre m’accueille joyeusement : comme il ferme le lundi, je suis son premier client de la semaine. Tout en savourant mes boreks, je réalise que je suis épuisé, comme à chaque fois que je viens de surmonter une épreuve. Ce n’est pas aujourd’hui que mon travail va avancer de façon spectaculaire…
Mercredi 5 avril
15h : En attendant de sortir en ville et de récupérer un colis avant d’aller au cours du soir, j’ai consacré l’après-midi à un projet de bande dessinée. J’avoue que ce projet m’enthousiasme et m’effraie à la fois car il s’agit tout de même d’un travail à long terme, qui devrait compter une soixantaine de pages ! Comme il y a longtemps que je n’ai plus vraiment fait de BD, je me suis donc demandé si j’allais m’en tirer. Mais je m’étonne moi-même : j’ai crayonné deux pages complètes en deux heures seulement ! En fait, je serais beaucoup plus productif si je me posais moins de questions, si je n’étais pas à ce point persuadé que je vais rater mon coup…
16h30 : J’ai récupéré mon colis : comme j’ai encore de la marge avant l’heure du cours, je m’arrête dans un café pour l’ouvrir tout en sirotant un thé noir. J’ai ainsi l’occasion de retrouver mon vieux copain Jojo. Mais non, pas Jean-Philippe Smet, déconnez pas ! Je parle de Jojo, la bande dessinée du regretté André Geerts. J’avais découvert ce brave petit môme à casquette dans le Spirou des années 1990 et j’essaie de compléter ma collection de ses albums (il m’en manque pas mal) : treize ans après la mort de l’auteur, je reste émerveillé par cette série qui chante l’enfance sans l’idéaliser. Son monde est tendre et poétique, mais il n’est jamais mièvre, Geerts ne passe pas sous silence la cruauté infantile : un album emblématique à cet égard est bien entendu Le mystère Violaine où une petite fille pas très jolie et rejetée par ses camarades en est réduite, pour se faire des amis, à commettre un larcin de poids dans le bureau du directeur… Ayant été victime de harcèlement à l’école, je m’identifie beaucoup à cette fillette malheureuse, mais j’ai aussi un faible pour ce « dirlo » apparemment sévère qui n’est lui-même, en fin de compte qu’un grand enfant... Geerts était un magicien : il arrive encore à m’émouvoir alors que je ne suis pas du tout nostalgique de mon enfance, et ses petits personnages peuvent dire les pires grossièretés sans être vulgaires ! De toute façon, Jojo disant « chiant », « con » ou « merde » sera toujours moins vulgaire qu’Hanouna disant « salut » ! Oups ! Je ne devrais pas parler de cet individu… Ayons plutôt une pensée pour Geerts, ce grand poète parti trop tôt, emporté par le cancer à la veille de ses 55 ans ! Avouez que ce n’est pas… Jojo !
17h30 : Je suis quand même arrivé en avance à l’école ; je taille le bout de gras avec une élève qui arrive plus tôt qu’à son habitude. Celle-ci est comme deux ronds de flanc quand je lui dis que j’ai bientôt 35 ans ! Elle m’en donnait facilement six de moins… Quand j’étais collégien, on me trouvait plus mûr que les autres : je n’explique pas complètement ce renversement qui, certes, ne me déplait pas outre mesure, mais qui m’intrigue tout de même. C’est vrai qu’avec mes cheveux longs, ma barbe, ma marinière mes jeans et, surtout, mon train de vie de cigale, je fais un trentenaire atypique : normalement, à mon âge, je devrais avoir le poil taillé à ras, porter la chemise et le pantalon de lin, et, surtout, mener la vie de dingue de l’employé de bureau standard. Seulement voilà : tout ça, j’ai déjà donné quand j’étais étudiant, quand je n’étais pas encore diagnostiqué ! Alors aujourd’hui, je rattrape le temps perdu….
18h : Au cours, nous essayons de boucler une petite BD de dix images consacrée à une journée particulière : j’ai jeté mon dévolu sur le jour de l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine, où j’avais justement rencontré deux ressortissantes de la nation martyre… Comme pour confirmer la surprise que j’ai eue cet après-midi, j’arrive à boucler mon travail dans les temps : tout le monde n’a pas cette chance. En tout cas, je n’exclus pas de raconter d’autres journées marquantes de cette manière ça pourrait peut-être m’aider à surmonter bien des traumatismes.
En attendant, voici ce que ça donne :
Voici la vidéo réalisée par les Ukrainiennes :
20h45 : Scène ouverte au Café de la Plage. Je fais trois slams dont « Je suis à l’ouest », qui me vaut les applaudissements les plus nourris, et j’arrive à vendre une caricature. Du côté des autres artistes, je retrouve quelques-uns de mes chouchous, dont Carlos l’espagnol qui, pour la première, fois est venu avec son groupe, ou Slamity Jane qui nous interprète son texte portant son nom de scène. Je suis moins convaincu par le duo « Les chaleurs fatales » qui prend un temps fou à se préparer pour un résultat qui n’est pas tellement transcendant… Elles sont de toute façon largement coiffées au poteau par mon autre chouchoute, la délicieuse Morgane, dont la reprise de « La tendresse » de Bourvil arrache des larmes à plus d’un ! Je décide d’ailleurs de partir tout de suite après sa prestation pour être sûr de rester sur un bon souvenir… Et puis je ne vois pas qui pourrait faire mieux qu’elle ce soir !
A gauche : Mequi, le grand ordonnateur des scènes ouvertes au Café de la Plage. A droite: l'excellentissime Carlos.
Les "Chaleurs fatales", un duo qui semble faire l'unanimité - mais je suis moins convaincu.
A gauche : Slamity Jane. A droite : Morgane.
Mequi
Morgane
Vous voulez entendre le slam "Je suis à l'ouest" que j'ai joué ce soir ? Le voilà :
Jeudi 6 avril
Un petit croquis réalisé en attendant mon rendez-vous :
10h30 : À une heure où se poursuit une guerre que le gouvernement a déjà perdue dans l’opinion, y compris au-delà de nos frontières, je préfère retrouver à la PAM un ami photographe que j’ai rencontré au marché de Noël de Plougonvelin. À cette heure-ci, il n’y a pas grand’ monde dans la nef de ce haut lieu brestois, c’est parfait pour avoir une conversation. Je me pose beaucoup (trop) de questions en ce moment, et entendre ce collègue artiste me raconter son parcours me réchauffe le cœur… Au bout de trois quarts d’heure, deux petites filles, vraisemblablement libérées par la grève des enseignants, nous demandent si elles peuvent s’installer sur le canapé où nous nous sommes assis : elles sont trop mignonnes, nous n’osons pas refuser, nous leur laissons la place… Je serais trop sensible pour être père.
12h : Déjeuner à la friterie. De là où je suis assis, je peux voir passer quelques manifestants avec leurs pancartes et leurs drapeaux. C’est tout ce que j’aurai vu du mouvement ! J’avoue que je n’arrive pas à me sentir concerné : il y a eu trop de décès prématurés autour de moi pour que je prenne au sérieux l’inquiétude de ce qu’on deviendra après soixante ans ! J’aurais déjà été bien content si ma tante, qui a été emportée par le cancer il y a exactement dix ans, avait seulement pu atteindre cet âge-là… Mais je ne ferai pas reproches aux protestataires : c’est le gouvernement qui a tort de s’accrocher à un modèle économique d’un autre temps. On dit que cette colère profite au RN : soyez sérieux, vous croyez vraiment que des gens qui luttent pour la justice sociale et la démocratie (car c’est bien de ça qu’il s’agit, non ?) seraient assez stupides pour voter pour l’extrême-droite ? On nous prend vraiment pour des…
13h : J’attends le tram pour aller à Pontanézen, plus précisément à l’espace Kerlivet où je dois rencontrer un jeune homme en situation de handicap qui a besoin d’un illustrateur. J’attends à la station « Jean Jaurès » : en raison de la manifestation, le tramway ne va pas plus loin. De surcroît, il ne passe qu’un tram toutes les vingt minutes : pour une fois, on ne pourra pas me reprocher de partir en avance ! Comme à chaque fois que les choses ne se passent pas comme d’habitude, je suis légèrement perturbé…
14h : Arrive à l’espace Kerlivet, je montre mon travail au jeune handicapé, accompagné de deux professionnels de santé (ces gens sont des seigneurs !) dont une qui me sert d’interprète car je ne comprends rien à ce qu’il dit. Malgré la maladie dégénérative qui est en train de le ronger, il a visiblement toute sa tête, ce qui veut dire qu’il se rend forcément compte de son état, je n’en admire que davantage le pouvoir de résilience dont il fait montre… Comme je sais ce que c’est d’être en situation de handicap et qu’il y a une belle somme pour moi si j’illustre son scénario, je ne laisse rien paraître de la pitié qu’il m’inspire : mais quand je pense à ce garçon qui sera probablement déjà un légume à la quarantaine, je ne me soucie que d’autant moins de la question de l’âge du départ en retraite…
15h30 : Je suis rentré au bercail, épuisé. Je renonce à la scène ouverte de ce soir, où ma participation avait pourtant été annoncée dans la presse : avec la grève, je n’aurai probablement pas pu rentrer chez moi, à moins de traverser la ville à pied, de nuit, avec mon matériel sur le dos et, de surcroît, en tenue de scène… Je prends quand même la précaution de prévenir l’animatrice, au cas où quelqu’un viendrait pour me voir. Malgré ma sympathie spontanée pour le mouvement, je ne peux m’empêcher d’être las de ce contexte agressif, surtout s’il m’empêche de m’amuser… Même pas : d’exercer mon métier !
Avant de vous laisser, voici quelques variations dont j'ai le secret : je vous en ai déjà parlé, j'étais parti de ce dessin représentant un modèle que nous avons eu aux Beaux-arts l'année dernière...
Je me suis donc amusé à l'habiller, à la colorier, à la recoiffer, à l'installer dans des décors... Bref, à lui faire jouer plusieurs personnages. Voici donc une quinzaine de variations - il y en a d'autres que je vous monterai ultérieurement, quand l'occasion se présentera :
En africaine :
En ange :
En Marin quand, dans un délie hallucinatoire, elle se voit devenue une belle adulte dans l'épisode 15 de l'anime Brigadoon - si vous ne comprenez rien à ce que je viens de dire, reportez-vous à la vidéo que vous découvrirez en suivant ce lien.
En diablesse :
En Êve face au serpent :
Dans un harem :
En Laureline, la compagne d'aventures de Valérian - et non, ce n'est pas Jeanne d'Arc !
En Marge Simpson :
En Martienne :
En femme de manège :
En Melmo - si vous ne connaissez pas cette héroïne d'Osamu Tezuka, reportez-vous à la vidéo que je lui ai consacrée et que vous découvrirez en suivant ce lien.
En Moonbeam McSwine, la sublime porchère de Li'l Abner qui préfère les cochons aux humains - si vous ne connaissez pas cette excellente bande dessinée américaine due au génail Al Capp, vous êtes bien à plaindre, mais reportez-vous à la page qui lui est consacrée sur le site BD oubliées.
En Petit chaperon rouge :
En schtroumpfette - et oui, elle n'est pas une vraie blonde ! Je vous rappelle que c'est le grand schtroumpf qui l'a teinte ! Pourtant, les brunes ne schtroumpfent pas pour des prunes...
Et enfin, en Tarzane :
Attendez, ne partez pas ! Il faut encore que je vous montre cette vidéo :
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
Jeudi 23 mars
17h : Il parait que c’est le printemps depuis trois jours. Il faut le savoir, avec le temps qu’il fait ! Je ne m’en plains pas, je n’ai jamais tellement aimé ce qu’on appelle « les beaux jours » et ça m’arrange plutôt bien de pouvoir faire abstraction du monde extérieur en me concentrant corps et âme sur mon œuvre. Toutefois, je plains les manifestants qui doivent être trempés jusqu’à la moelle, à croire que même Dieu est de droite… Plus sérieusement, j’imagine à quel point les puissants, bien au chaud, bien au sec, bien calés au fond de leurs grands fauteuils dans leurs bureaux climatisés, doivent se gausser des prolos qui attrapent la crève et des ampoules pour défendre les lambeaux de droits que leur laisse le grand Capital… Et on s’étonne que je n’aie pas le moral en ce moment !
Vendredi 24 mars
10h : On dit que les gens ne rient pas assez : j’ai l’impression contraire quand je fais mon marché, j’ai le sentiment que les gens rigolent plutôt facilement ! Je me demande pourquoi les humoristes se cassent la nénette à trouver des idées marrantes alors qu’il suffit d’âneries insondables pour provoquer l’hilarité du commun des mortels… En fait, les humoristes sont en grande majorité, dans la vie, des gens tristes qui cherchent d’abord à se faire rire eux-mêmes, et c’est justement parce que c’est difficile qu’ils sont obligés de trouver d’excellentes idées qui surpassent les balourdises qui suffisent à faire rire le premier venu. C’est en tout cas ce qui distingue un humoriste d’un amuseur qui, lui, justement, se contente desdites balourdises : c’est ce qui distingue François Morel d’un Jean-Marie Bigard, par exemple… Telle est la pensée qui me vient en subissant ces rires que je ne supporte plus ! Je relis mes vieux Pif en ce moment et je me sens d’humeur Tristus…
La commode de ma chambre :
13h40 : Ne pouvant plus supporter les angoisses avec lesquelles je me réveille chaque matin, je m’en ouvre à mon médecin traitant. Celui-ci est rassurant et me prescrit un petit traitement qui devrait m’aider à gérer cette mauvaise passe. J’ai pris la peine de mettre un masque, plus précisément une de ces visières transparentes qui ont l’avantage de ne pas m’étouffer et que j’avais découvertes grâce à mon amie Aurélie : quand le port du masque était encore obligatoire dans les transports publics, les chauffeurs de car m’ont plusieurs fois menacé de m’interdire d’embarquer à bord de leurs véhicules si je ne mettais pas un masque chirurgical, mais le docteur, lui, ne me dit rien… Cela dit, ma précaution était peut-être superflue : outre le fait que le médecin n’a pas eu besoin de m’ausculter et qu’il n’y a donc pas eu de contact, quand je sors, je vois deux petits vieux qui attendent leur tour… Et qui n’ont pas de masque. Comme les lieux de soins sont les seuls endroits où le port du masque me parait justifié en période d’épidémie, il serait peut-être bon de préciser clairement si l’obligation y est toujours en vigueur, ce qui serait, à mon sens, vouloir être plus royaliste que Ségolène maintenant que la dangerosité du Covid-19 est en train de rejoindre celle de la grippe saisonnière… Pfff, j’en ai marre d’ergoter sur cette histoire qui nous a pourri la vie pour finalement peu de choses ! Pas vous ?
La fenêtre de ma chambre (avec le volet baissé) :
Samedi 25 mars
13h30 : Le Collectif Synergie organise une lecture de poèmes sur le thème « Frontières » à l’occasion du Printemps des poètes ; bien entendu, je suis largement en avance en centre-ville, heureusement que je suis en bons termes avec certains lieux d’exposition où je peux ainsi passer le temps. Je commence par une halte à La Vagabunda où je retrouve Paty et sa fille en plein préparatifs : elles vont tenir un stand à l’espace Léo Ferré, à Bellevue, et sélectionnent donc les disques qu’elles proposeront à la vente. Elles embarquent non seulement des vinyles, dont j’ai plusieurs fois constaté le regain, mais aussi des CD qui, disent-elles, retrouvent également une certaine popularité et même des cassettes audio ! Je ne suis pas étonné de constater qu’on se lasse du virtuel : outre le fait que les fichiers numériques sont épouvantablement fragiles en comparaison des supports analogiques, je pense que le public, pour peu qu’il ait les moyens, aime posséder un bel objet palpable et bien apprêté et ne pas se contenter d’un fichier stocké sur son disque dur comme un vieux slip dans une armoire et dont on peut se débarrasser aussi facilement qu’une crotte de nez... Pourquoi je dis ça ? Parce que je fais partie du public, pardi !
Sans rapport : voici la Vénus de Milo et celle d'Arles relookées comme une héroïne d'Osamu Tezuka...
14h30 : Ayant encore du temps devant moi, je passe à la galerie de mon copain Pod : il met actuellement à l’honneur un photographe qui rajoute des éléments picturaux à ses clichés afin de questionner notre rapport à la nature dans un monde de plus en plus artificiel, c’est du moins ce que m’explique l’artiste qui est justement présent. Sa démarche est intelligente mais je n’ose pas lui dire que je ne suis pas emballé outre mesure par le résultat : bien sûr, on n’est pas obligé de chercher à produire quelque chose de beau à tout prix, mais si on néglige l’aspect esthétique au profit du sens que l’on cherche à donner à une image, on risque de lasser l’œil du spectateur. C’est à cause de ce genre d’erreur que tant de braves gens croient que les artistes se foutent de leur gueule, mais la vérité est plus simple : c’est tout simplement que tout le monde ne peut pas être génial…
Puisqu'on parle d'art, voici une caricature de... Non, vous l'avez reconnu, tout de même !
15h15 : J’arrive aux Enracinés, sur la place Wilson : nous sommes quatre à nous relayer sur la « scène », Claire, Nathalie, moi-même et un petit nouveau appelé Maël ; je dois avoir l’air un peu nouille voire franchement pataud, à passer tout de suite après ce jeune homme à l’allure romantique, mais bon, le public est plutôt clairsemé et puis, au sein de l’association, personne ne se juge. Bref, nous nous relayons pour lire les poèmes que le Collectif a reçus à la suite de son appel à textes sur le thème « Frontières ». Bien entendu, il est beaucoup question de l’Ukraine… Le recueil de ces textes devrait paraître bientôt : en attendant, nos lectures sont filmées et les vidéos seront diffusées prochainement. Une fois que tous les textes sont lus, je ne m’attarde pas, j’ai promis à une voisine, créatrice de bijoux, de passer chez elle pour retirer ce que je lui ai commandé. Mine de rien, j’ai des fréquentations intéressantes, c’est à se demander pourquoi je fais des déprimes…
A droite : Olivier, qui a assuré la prise de vue.
Nathalie s'est fait accompagner par le musicien Guillaume sur un texte.
Christophe peignait au pastel pendant la scène ouverte.
Dimanche 26 mars
16h : Ne me sentant pas en veine d’inspiration, je risque un tour au bois, comme la semaine dernière. Hélas, cette sortie ne me laisse pas du tout la même impression : cette fois, il ne pleut pas, il y a même un rayon de soleil de temps à autre, et bien entendu, les familles sont de sortie… Il ne m’en faut pas plus pour que je trouve l’ambiance vulgaire ! Pour l’apaisement régénérant, je repasserai !
Un profil d'oiseau de proie fait avec une bougie et de la cire fondue :
Lundi 27 mars
16h : Je m’informe si peu que je ne savais même pas qu’une nouvelle journée d’action était prévue pour demain : je l’apprends grâce à la psychologue avec laquelle je corresponds régulièrement. Comme j’ai un courrier à expédier, je décide donc d’aller le poster immédiatement tant que le bureau de poste est ouvert. J’achète un carnet de timbres, et, mine de rien, cette transaction anodine donne un aperçu saisissant de ce que la technologie a fait de notre société : jadis, quand vous demandiez des timbres, on vous les donnait, vous les payiez, la postière vous rendait la monnaie et puis c’était marre ; aujourd’hui, il faut aussi préciser si vous réglez par carte ou en espèces, on vous demande si vous prenez des timbres standard avec Marianne ou des timbres de collection, puis on vous redemande si vous souhaitez le ticket de caisse et on vous re-redemande si vous voulez le ticket de carte bleue… Le tout avec un sourire crispé, vraisemblablement travaillé lors de stages ineptes sous la conduite d’un coach-bourreau repeint en rose bonbon, et qui, au final, me rappelle davantage le rictus de Patrick Sabatier sous cocaïne que l’expression d’une personne vraiment contente de vous voir ! J’en arrive à regretter les postières aimables comme des portes de prison chantées par Pierre Perret…
Mardi 28 mars : Lady Gaga a 37 ans, happy birthday Stefani !
19h : Le traitement qui m’a été prescrit commençant à me faire de l’effet, j’essaie de me remettre en selle. J’ai donc passé la journée à travailler à une de mes séries de « variations » où je représente un ou deux personnages dans une même position sur plusieurs images avec, à chaque fois, un décor et un costume différents. Cette fois, j’ai choisi comme base une pose prise l’année dernière par la magnifique Eva lorsqu’elle nous servait de modèle au cours du soir. Puisque j’en parle, je vous mets en garde : si vous êtes tentés de faire comme moi, je vous déconseille vivement, même si votre modèle est nu, de l’imprimer à la machine pour repeindre par-dessus. En effet, l’encre d’imprimante est une matière diabolique qui ne se laisse pas recouvrir facilement : si vous étalez de la gouache dessus, il vous faudra tellement de couches qu’elle finira par craqueler et si vous utilisez un matériau liquide, l’encre bavera ! Mieux vaut tout redessiner à la main ou alors, si vous tenez vraiment à utiliser l’imprimante, faire des collages pour rhabiller votre modèle.
Sur les manifs d'aujourd'hui :
Puisqu'on en parle :
Mercredi 29 mars
11h : On vit vraiment une époque de grand n’importe quoi ! Je savais que le magazine Pif avait été relancé en 2020, mais j’ignorais que c’était par un ancien ministre de Sarkozy ! Jusqu’ici, admettons : quitte à ce qu’il fasse du fric, j’aime autant que ce soit comme ça qu’en vendant des pesticides, et puis il a bien le droit d’avoir gardé une âme d’enfant. Mais qu’une interview de Macron y soit publiée, ça, c’est quand même extravagant ! Je vois quand même mal les propos de De Gaulle ou de Mitterrand repris entre un gag de Placid et Muzo et une aventure de Rahan… Cela dit, si je devais comparer notre président à un personnage de Pif, ce serait Agagax, ce bébé si goulu qu’il a recours au crime pour assouvir son appétit… Et comme gadget, on a droit à une retraite décente ?
Puisqu'on parle de publications pour enfants, voici un projet d'illustration non retenu pour un livre destiné aux petits :
15h15 : Je sors. Je relève mon courrier avant de partir et j’ai la bonne surprise de découvrir dans ma boîte aux lettres le dernier Fluide Glacial ainsi qu’un exemplaire de l’ouvrage Étudier l’Empire auquel j’ai eu le privilège de contribuer avec un article sur la vie du Macron du 1er siècle, l’empereur Caligula[1], telle qu’elle a été racontée par ce vieux râleur de Suétone. Comme le local à poubelles est juste à côté, je décide d’en profiter pour jeter tout de suite les enveloppes : j’ouvre la porte et je découvre non seulement que la lumière est allumée mais aussi que trois ados, qui ont le profil-type du « jeune de banlieue », mais pas trop « caillera » non plus, ont choisi ce lieu peu engageant pour se réunir ! L’un d’eux fumaille une cigarette qui n’a pas l’air suspecte, les deux autres matent leurs smartphones. Ils ne sont pas impolis, ils me disent même « bonjour monsieur », mais ma stupeur est impossible à cacher, c’est sans doute pour ça qu’ils se sentent obligés de se justifier, et l’un d’eux me dit : « On est éboueurs » ! Vexé, je réponds : « C’est ça, et moi, je suis le roi d’Angleterre ! » Qu’ils se réunissent dans un cloaque pareil, c’est leur affaire, ce qu’ils y font, je m’en fiche comme de la première culotte de ma sœur, mais qu’ils ne me prennent pas pour un idiot alors que je ne leur demande rien !
Puisqu'on parle des jeunes :
18h30 : Au cours du soir, notre professeur a une de ces idées originales dont elle a le secret : nous avons un modèle, qui pose nu devant nous, et nous disposons, en guise de supports, de très grandes feuilles dont la hauteur et la largeur égalent à peu près ma taille, qui sont disposées à même le sol et sur lesquelles nous devons essayer de représenter ce garçon à l’aide de pinceaux attachés au bout de baguettes et trempés dans de l’encre de couleur verte ou terre de sienne ! Et nous avons huit minutes pour ça : quatre minutes avec une couleur, quatre minutes avec l’autre ! La contrainte vous parait folle ? Je vous assure pourtant que ça donne d’excellents résultats ! Je ne suis même pas perturbé : quand on me donne une consigne claire, je m’adapte facilement, et puis avec Delphine, je sais qu’il faut s’attendre à tout, je ne suis donc pas surpris.
Voilà ce que ça a donné pour moi :
19h30 : Trois dessins chacun (nous sommes une dizaine d’élèves) avec de telles consignes, c’est suffisant : Delphine nous fait terminer le cours avec d’autres croquis de nu, au feutre, et sur un format nettement plus modeste, proche du A4. Mais cette fois, les poses n’excèdent pas une minute voire trente secondes ! Avec un délai aussi bref, évidemment, on ne peut pas faire du Dürer et il faut se concentrer sur l’allure générale du modèle. L’exercice n’est cependant pas frustrant, d’autant que le modèle est hirsute et légèrement bedonnant, ce qui nous change des Adonis quasiment imberbes auxquels nous avons eu droit jusqu’à présent…
20h15 : J’arrive au Biorek brestois pour dîner. Je demande à Alex pourquoi il était fermé la semaine dernière : il était allé au concert de Pomme à la Carène… Vous ne trouvez pas ça sérieux de la part d’un restaurateur ? Alors, pour commencer, il fait ce qu’il veut : si on se met à son compte, c’est justement pouvoir gérer sa vie comme on le souhaite et ne pas devoir obéir aux caprices d’un patron qui se prend pour Dieu le père ! Ensuite, ce cher Alexandre travaille dur depuis déjà plus d’un an et a droit à toutes les galères qui attendent les jeunes qui essaient de se lancer, alors on ne va pas lui reprocher d’avoir pris UNE pause en treize mois d’activité ! Enfin, il faut savoir que le concert de Pomme était prévu de longue date mais avait été sans cesse reporté pour cause de Covid : maintenant qu’on sait à quel point la vie culturelle est à la merci des caprices et des crises de panique de nos dirigeants, il ne faut pas se priver d’une occasion d’aller voir les artistes qu’on admire… Bref, les explications d’Alex me font pousser un soupir de soulagement : optimiste comme je suis, j’avais imaginé que sa fermeture était due à un drame familial, alors je préfère de loin savoir qu’il avait passé du bon temps !
Puisqu'on parle, voici une caricature de Jack Lang :
20h20 : Tout en attendant mon borek, je feuillette le dernier Fluide et je tombe assez sur « Le futur est proche », la rubrique de Fioretto qui, ce mois-ci, a décidé de plancher sur les statistiques établissant que les jeunes font de moins en moins confiance à la science… Dans l’absolu, il est difficile de leur en vouloir : leurs parents et leurs grands-parents ont trop cru à la science, ils ont donc accepté ce que les autorités leur ont vendu comme tel, à savoir le nucléaire, le Médiator, les manipulations génétiques et autres joyeusetés… C’est le retour de balancier : les jeunes ne veulent pas faire les mêmes conneries que leurs aînés et c’est bien normal, mais le problème, c’est qu’ils jettent bébé avec l’eau du bain et tombent pieds et poings liés dans d’autres attrape-nigauds dont les réseaux sociaux sont littéralement truffés… Et oui, la jeunesse, ça ne peut pas être que des Greta Thunberg par milliers ! Chaque génération a ses boulets ! Mais Fioretto est très fort pour réussir à écrire des trucs drôles à ce sujet…
20h45 : J’ai terminé mon repas avec un borek au caramel beurre salé : bien m’en a pris, il y avait déjà quelques jours que j’avais envie de retrouver une saveur sans réussir à mettre un nom dessus, et c’était exactement celle-là ! Franchement, Alexandre me comble tellement que je ne peux définitivement pas lui en vouloir d’avoir pris une soirée de repos : je jure même que tant qu’il sera aussi bon, je lui pardonnerai à peu près tout !
Jeudi 30 mars : Robert Badinter a 95 ans. Bon anniversaire, maître !
18h : L’association qui gère le Kafkérin a eu la bonne idée d’organiser ses propres scènes ouvertes le dernier jeudi de chaque mois : je me rends donc à la première, à pied, malgré la pluie battante – c’est en ligne droite quand on sort du bourg de Lambé. J’avoue que je ne déteste pas ça, je me sens plus vivant sous l’averse que sous la canicule ! Et dans le pire des cas, ça réapprend à apprécier sa chance d’avoir un toit au-dessus de la tête…
19h : J’arrive au Kafkérin, trempé comme une soupe mais ravi de l’accueil qui m’est fait : les gens me connaissent et ne semblent pas se forcer pour avoir l’air contents de me voir, il y a même une dame qui affirme me connaître « de réputation ». Visiblement, j’ai une certaine notoriété à Brest, désormais… En attendant, la scène est occupée par trois musiciens, un guitariste, une bassiste et un bouzoukiste (mine de rien, cet instrument tend à se populariser) qui mettent une ambiance chaleureuse.
19h30 : Après avoir savouré un casse-croûte que j’avais emporté pour me sustenter et englouti un thé que j’ai acheté sur place pour me réchauffer, je monte sur scène et je fais trois slams dont « Ça m’intéresse pas » : j’en profite pour faire le procès de la notion d’intérêt spécifique dont on se sert pour pathologiser les passions des autistes Asperger. Où est le mal à avoir une passion et à s’y donner tout entier ? On peut en parler pendant des heures, et alors ? C’est bien pour ça que ce sont de vraies passions et non pas de simples tocades passagères ! S’il y en a que ça ennuie tellement de nous entendre parler d’histoire ou de littérature, ils n’ont qu’à ne pas écouter et allumer leur radio où on leur parlera de choses passionnantes comme le salaire des chroniqueurs d’Hanouna ou le stérilet de la reine d’Espagne ! Certains « aspies » en oublient de boire et de manger ? Allons ! Aucun n’est assez stupide pour se laisser mourir de faim et de soif ! Quand les nécessités corporelles se rappellent à nous, il faut bien s’y résoudre, fût-ce à contrecœur ! Malgé tout le respect et l’admiration que j’éprouve pour Julie Dachez, quand elle écrit qu’un « enfant qui parle des dinosaures pendant des heures sera toujours mieux perçu qu’un adulte »[2], je ne suis absolument pas d’accord : s’intéresser aux dinosaures à l’âge adulte, c’est s’intéresser à la zoologie, à la paléontologie, à l’histoire de la planète, à la science, c’est toujours mieux que s’intéresser aux séries télé ou aux jeux vidéo comme n’importe quel imbécile standard. C’est d’ailleurs là le fond du problème : quand on qualifie une passion « d’intérêt spécifique », on stigmatise, consciemment ou inconsciemment, le fait de ne pas s’intéresser aux mêmes choses que la majorité : ce n’est pas tant l’intensité de la passion qui est reprochée que son contenu, le fait qu’elle ne coïncide pas avec des intérêts considérés comme « normaux » car plus fréquents, on met en avant le fait que la personne concernée ne parvient pas à « décoller » de ce qui la passionne pour se pencher cinq minutes à ce qui est censé intéresser tout le monde. Je me souviendrai longtemps du jour où une doctorante m’a demandé comment je m’y prenais pour faire autant de choses : venant d’une autre personne, j’aurais traduit sa question par « Mais quand trouves-tu le temps de regarder Touche pas à mon poste » ! Alors, vous, mes sœurs et mes frères qui n’arrivez pas à vous intéresser au foot, à la mode ou aux bagnoles, ne soyez plus honteux, revendiquez votre droit de vous passionner pour ce qui ne tient pas forcément en haleine la majorité, et adoptez cette autre citation de Julie Dachez : « Votre différence ne fait pas partie du problème, mais de la solution. C’est un remède à notre société, malade de la normalité. »[3]
20h15 : J’ai été bien inspiré de venir : l’une des bénévoles avait apporté deux gâteaux pour célébrer l’anniversaire de Daniel qui s’occupe de la régie de la scène. Tout en en dégustant un morceau, je discute avec un jeune homme venu participer lui aussi à la scène : par réflexe, je le vouvoie, j’en fais autant avec les étudiants, mais il me dit que venant de moi, ça lui fait mal ! Je ne comprends pas et je lui explique que j’ai bientôt 35 ans : il me répond qu’il en a 19 et qu’il m’a cru plus jeune que moi ! Il n’est pas la premier à me dire que je parais moins âgé que je le suis, mais je m’en étonne : ce n’est certainement pas ma silhouette d’ours qui doit donner cette impression ! Ce sont peut-être mes cheveux longs ? Mais je ne comprends toujours pas : y a-t-il un âge à partir duquel on devrait s’interdire de dépasser une certaine longueur capillaire ? C’est vrai que la plupart des trentenaires, de nos jours, se font couper les cheveux et la barbe à la limite de la boule à zéro, mais je n’apprécie pas cette mode : j’estime que c’est tout ou rien, ou bien on laisse pousser (à condition de se laver régulièrement, bien sûr) ou bien on rase tout comme le faisait Choron, pas de demi-mesure. Pour ma part je porte les cheveux longs parce que je trouve que ça me va mieux que coupé court et aussi parce que ça me fait un rempart supplémentaire entre moi et ce monde qui m’angoissera toujours un peu : d’ailleurs, avant d’avoir les cheveux longs, je ne montais pas si facilement sur scène ! Et puis si ça me rajeunit, ce n’est pas vraiment un mal…
22h15 : Je passe une deuxième fois sur scène, bien décidé à rentrer aussitôt après. L’ambiance est agréable, mais je commence à fatiguer. Pour laisser la salle, qui m’est plutôt favorable, sur un bon souvenir, j’interprète « La mamie de Léonce », un de mes textes les plus « rock’n’roll » qui racontent l’histoire de trois collégiens fous de désir pour la grand’mère d’un camarade – j’ai eu l’idée en voyant des photos de Yazemeenah Rossi, le top-model de 67 ans dont la beauté éclipse bien des jeunettes. Je repars sous les félicitations du public, une jeune femme me dit qu’elle espère qu’il y aura un livre de mes slams. Une autre personne me dit « Quel verbe ! Quelle verve » ! Je rajoute : « Vu le thème de mon dernier texte, vous pouvez aussi dire : quelle verge » ! Et oui, quand on se fignole une réputation de provocateur, il faut assumer…
22h50 : Le retour est assez laborieux : la tempête est là et bien là, pas question de remonter la rue Robespierre à pied, mais prendre le bus n’est pas beaucoup plus confortable. Les horaires sont ce qu’ils sont passée une certaine heure et attendre sous la pluie et dans le vent, même sous un abribus, ce n’est pas très glamour… Quand on vient d’être applaudi pour son talent, ce genre de situation vous rappelle vite fait la rude réalité de l’existence ! Tout de même, j’ai hâte que la ligne de bus à haut niveau de service soit opérationnelle…
Vendredi 31 mars
10h45 : La tempête n’est pas tout à fait terminée : de ce fait, ce n’est pas la crise du logement au marché ! La camionnette du fromager tremble sous l’effet du vent : pour lui donner du courage, je lui cite la devise de la ville de Paris, qui avait redonné du courage à beaucoup de gens après le 13 novembre 2015, fluctuat nec mergitur, « elle tangue, mais ne sombre pas ». Je sens qu’on va avoir besoin de l’espoir que donne cette phrase…
Demain, c'est le premier avril ; à défaut de poisson (il y a trop de vent pour aller pêcher), voici une sirène :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Notons qu’un des proches de Caligula s’appelait Macron ! L’empereur l’a fait exécuter quand il a commencé à sentir qu’il ne pouvait plus lui faire confiance… Je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez.
[2] Julie DACHEZ, La différence invisible, Delcourt, Paris, 2016, p. 190.
[3] Op.cit., p. 3.
Attention, ce dessin totalement immodeste est un gros mensonge : vous vous en rendrez compte en lisant ce qui suit...
Dimanche 12 mars
15h : Je ne suis décidément pas en forme en ce moment, il me faudrait peu de chose pour que je sombre dans la déprime. Je risque un tour au bois de la Brasserie : j’avais oublié à quel point il est bon de marcher sous la pluie ! J’en rentre revitalisé, juste assez en tout cas pour me remettre à dessiner… Et oui, il n’y a pas que les plantes qui ont besoin d’être arrosées !
Dessin inspiré par l'attitude d'une frange du public lors de spectacles auxquels j'ai assisté :
Lundi 13 mars
19h : Le « peu de chose » que je craignais est arrivé : un auteur jeunesse qui m’avait sollicité a finalement jugé que mes dessins ne correspondaient pas à ce qu’il attendait. Je n’insiste pas, mais c’est la goutte d’eau. Complètement abattu, j’ai tout de même rentré une chronique historique pour Côté Brest, consacrée au bâtiment aux lions : comme la rédaction n’a pas de photo récente de cet impressionnant édifice, je sors en prendre une. Les conditions ne sont pas géniales, la nuit commence déjà à tomber et il y a de la brume, mais j’y vais quand même pour ne pas rester chez moi à me morfondre, et puis ça me fait un prétexte pour dîner aux Capucins. Après tout, une photo prise dans de telles circonstances peut présenter un intérêt artistique et, dans le pire des cas, j’en serai quitte pour revenir demain.
Le bâtiment aux lions, photographié par un soir de brume.
Mardi 14 mars
16h : Je m’y attendais un peu : la photo prise hier soir ne convient pas. N’ayant rien d’autre à faire, j’accepte de ressortir prendre un nouveau cliché. Cette fois, je sors plus tôt et le ciel est dégagé, la lumière devrait être meilleure. Sur la corniche qui longe les Capucins et permet aux pauvres civils de profiter un peu de la perspective que l’armée a volée à la ville, j’avise, tout au bout du muret, devant les grilles agressives qui barrent l’accès à la zone militaire, une vieille chatte : je trouve symboliquement forte l’image de cette félidée qui oppose sa beauté, sa liberté et sa nonchalance à ce lieu dédié malgré lui à la mort, à l’enfermement et à l’agressivité… Je regrette de ne pas pouvoir la faire poser devant le bâtiment aux lions : ce serait une magnifique illustration pour mon article et puis on resterait dans le domaine des félins ! Cela dit, peut-être aurais-je du essayer ? Elle n’est pas farouche, elle vient même se frotter contre un badaud… Peut-être la reverrais-je un jour ? Le café « Au coin d’la rue » où Mireille accueille tous les chats du quartier n’est pas loin… En attendant, je la remercie d’avoir illuminé pour moi cette journée sans gloire, sans chance et sans amour…
Mercredi 15 mars
21h : Après le cours du soir, je suis allé dîner au Biorek brestois, comme à chaque période où je perds mes billes. En sortant, je tombe sur un os : il n’y a plus de bus… Je ne pensais pas que la grève se poursuivrait en soirée ! En désespoir de cause, comme il ne fait pas très chaud et que grimper la côte qui mène à Lambé à la nuit tombée ne me tente pas, j’appelle une voisine : celle-ci accepte sans problème de venir à mon secours, elle ne prend même pas le temps de s’habiller… Non, sans déconner : alors, la solidarité, ça existe encore ?
Dessin réalisé en vue du cours du soir : un placard de ma chambre...
Jeudi 16 mars
13h : Je dois me rendre à la réunion du CA d’une association dont je fais partie ; pour une fois, j’ai bien fait de partir avec une certaine avance car je suis tombé sur un chauffeur de bus incompétent qui se trompe complètement d’itinéraire, qui s’avise au dernier moment que la rue Auguste Kervern (où nous n’aurions normalement rien à faire) est barrée et qui essaie de faire faire machine arrière à son bus articulé dans une montée… Je sais que je ne devrais pas être trop sévère avec ce pauvre bougre qui est probablement un nouveau ou un intérimaire : il n’empêche qu’il y a des moments de la vie qu’on aimerait bien pouvoir jeter à la poubelle…
Une autre version du dessin affiché plus haut : j'y dénonce quelques événements qui m'ont passablement pourri la vie en juillet dernier...
17h : La réunion a duré bien plus longtemps que prévu, notamment à cause d’un problème qu’il était urgent de résoudre : l’asso n’a toujours pas de compte bancaire, la banque refusant de lui ouvrir un compte sous prétexte que l’attestation de domicile fournie par la vice-présidente date déjà de l’année dernière ! Ces banquiers ne pourraient cependant s’en prendre qu’à eux-mêmes : ils nous ont demandé les documents en décembre et ils ont attendu trois mois pour faire leur boulot ! Cette anecdote prouve que le secteur privé n’a rien à envier au service public en matière de mesquinerie et d’inefficacité…
Puisqu'on parle de questions financières...
Vendredi 17 mars
13h : Bien sûr, je suis au courant de ce qui s’est passé hier… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Non, je ne suis pas indigné, je ne suis même pas en colère : depuis le début, le gouvernement agit exactement comme on pouvait s’y attendre, il n’y a même pas de suspense, on ne peut pas non plus lui reprocher de nous avoir pris en traître ou d’agir illégalement. Voir autant de monde manifester pour la justice sociale et la démocratie devrait me réjouir, mais depuis que je connais mieux le peuple de France, je suis moins pressé d’assister à une insurrection populaire ! Si c’est pour que les immigrés et les marginaux en paient finalement les pots cassés, merci bien ! En 2006, il y a eu les manifestations anti-CPE, ça a abouti à l’avènement de Sarkozy l’année suivante. En 2019, il y a eu les Gilets jaunes, ça n’a pas empêché la réélection de Macron. Après la crise sanitaire et les élections foireuses de l’an dernier, j’espérais un climat un peu plus apaisé, et aujourd’hui, je suis épuisé. Que le destin de la France s’accomplisse sans moi, j’ai un coup de barre !
Votre serviteur entouré d'aspies célèbres : Greta Thunberg, Julie Dachez, Susan Boyle et Josef Schovanec
Samedi 18 mars
19h : Je passe un bref séjour chez mes parents. Tout en prenant l’apéro, nous regardons, faute de mieux, le tournoi des six nations : il faut reconnaître que le rugby, c’est plus spectaculaire à regarder que le football, et quand je vois les supporters, notamment ceux de l’équipe d’Irlande qui écrase littéralement l’Angleterre, l’ambiance a l’air bon enfant, on se dit qu’ils y vont avec le sourire, pour le plaisir… Nom de Dieu, à quel niveau de misère morale suis-je donc tombé pour écrire des choses pareilles ?
Mes parents et moi-même, devant la télé :
21h : Après le rugby, nous regardons Les douze travaux d’Astérix sur une chaîne du groupe M6. J’aurais pu plus mal tomber, c’est sans doute l’une des meilleures adaptations cinématographiques des aventures du petit Gaulois à avoir jamais été réalisées : Goscinny et Uderzo avaient réalisé eux-mêmes ce dessin animé et s’en étaient manifestement donnés à cœur joie ! Ce film montre que le grand René avait largement les moyens de réaliser son rêve de devenir un Disney français : il y serait parvenu sans problème s’il n’était pas tombé sur un médecin imbécile…
Une autre pointe sur Hanouna :
23h : Nous sommes toujours devant la télé, avec quelques verres de vin dans le nez : depuis mon installation à Lambé, je ne viens pas souvent à la maison, alors ça s’arrose… Nous regardons Arte qui consacre sa soirée aux grands singes : devant des images de chimpanzés mangeant des fruits, ma mère, inspirée, sort une phrase digne des Brèves de comptoir : « On a toujours l’air con quand on mange une pomme ! » Ce n’est pas faux…
Un autre dessin pour me venger d'événements au nom desquels on a bloqué la circulation :
Dimanche 19 mars
11h : Tant qu’à faire d’être à Guilers, j’en profite pour rendre visite à une vieille amie de mes parents qui habite à deux pas de chez eux. Nous taillons une bavette et elle me demande si je prends part aux manifestations : je réponds que non, que je n’ai plus manifesté depuis le 11 janvier 2015. J’ajoute que j’espère que le mouvement ne sera pas récupéré par l’extrême-droite : elle me dit en substance qu’il ne faut pas prendre les gens pour plus bêtes qu’ils sont… Elle a peut-être raison !
Lundi 20 mars : c'est le printemps, quelle horreur...
13h30 : J’assiste à l’AG du laboratoire dont je suis membre associé. Pour une fois, j’ai quelque chose à annoncer, en l’occurrence la date de ma journée d’étude sur Cavanna que j’ai fixée avec le comité d’organisation, je me dois donc d’être présent. Mais j’avoue qu’aujourd’hui, ce qui pourrait passer pour une corvée me procure un réconfort bienvenu : entouré de mes collègues chercheurs, je me sens comme dans ma deuxième famille. Quand nous devons élire la nouvelle direction du labo, mon voisin me dit « J’espère qu’on ne va pas devoir recourir au 49-3 » ! Je lui réponds : « Ne dis pas de gros mots »…
Mardi 21 mars : les enfants nés à partir d'aujourd'hui seront du signe du bélier
15h : Rien à faire ! Malgré tous mes efforts pour me raisonner et m’apaiser, qui portent souvent leurs fruits en soirée, je me lève chaque matin avec l’angoisse au ventre voire la larme à l’œil. Ne pouvant rester comme ça, j’ai pris rendez-vous chez mon médecin traitant… Mais celui-ci ne peut pas me recevoir avant vendredi ! L’optimiste dirait que s’il est très sollicité, ça prouve que c’est un bon docteur : n’étant absolument pas optimiste, je dirais plutôt que ça signifie qu’il y a beaucoup de gens mal fichus en ce moment… J’essaie d’écrire pour Côté Brest malgré tout : je dois bien ça à la rédactrice en chef qui, s’inquiétant de mon silence d’hier, a pris spontanément de mes nouvelles…
Moi, lors d'une récente exposition de mes dessins, face à mon illustre collègue Bruno Calvès - cette image a été montée pour servir de base à un petit dessin animé que vous pourrez découvrir dans deux mois :
17h30 : En raison du mouvement de grève, plusieurs événements prévus cette semaine sont reportés sine die. Ce n’est pas très grave, je n’avais pas l’intention d’y aller, mais il n’empêche que ça me rappelle de mauvais souvenirs… Bien sûr, ce n’est pas exactement la même chose que le confinement : celui qui veut sortir quand même peut encore le faire… Pour l’instant ! Il ne faudrait pas que ça dégénère au point de pousser le gouvernement à proclamer des restrictions ! Ils l’ont fait pour un virus qui n’était mortel que dans une infime proportion des cas et dont on peut guérir en deux semaines, ils peuvent très bien le faire pour « protéger » le peuple « contre lui-même »…
Mercredi 22 mars : le Chat de Geluck a 40 ans !
11h30 : Toujours dans le même état, je découvre la chanson de Pierre Perret, « Paris saccagé » : un rayon de soleil bienvenu ! L’ami Pierrot a une sacrée pèche pour un mec de 88 ans ! Il est sans doute le dernier, et pas seulement dans le domaine de la chanson, à savoir dénoncer de façon aussi tonique les effets pervers de la connerie humaine : dans le cas présent, il met en avant un paradoxe saisissant, à savoir le fait que des gens sûrement animés des meilleures intentions et soucieux d’écologie ont tout de même fait de leur ville un cloaque infect dont la visite est une source de déprime ! Sur le clip, on peut voir l’ami Pierrot roulet à bicyclette dans les rues de ce « bidonville lumière » (pour reprendre l’expression bienvenue du regretté Gébé), mais c’est un gros mensonge qu’il avoue d’ailleurs à la fin en s’affichant devant le fond vert qui a permis l’incrustation de son image sur celles de la capitale… Certains diront qu’il ne nous prend pas pour des imbéciles en essayant de faire croire que sa « vieille carcasse » est encore capable d’exploits sportifs ! J’ajouterai, pour ma part, que je ne vois pas pourquoi il s’embêterait, même pour vendre ses chansons, à se promener dans une ville aussi dégueulasse…
Voici l'une des illustrations refusées par l'auteur jeunesse dont je vous parlais précédemment - je la montre ici pour apporter un peu d'air à ces paragraphes passablement sinistres :
19h : Au cours du soir, il est assez rare que mon seuil de tolérance sonore soit dépassé. C’est pourtant ce qui arrive aujourd’hui : que la prof parle avec les élèves, c’est normal, c’est son boulot. Qu’elle mette un fond musical, à la rigueur. Mais que deux autres élèves, par-dessus tout ça, se mettent à papoter, alors là, c’est trop ! Bien entendu, quand je fais savoir qu’ils me cassent les oreilles, on me donne tort : quand on est différent des autres, on a toujours tort…
Un dessin réalisé en vue du cours du soir : ma lampe de chevet...
20h30 : Je voulais retourner au Biorek brestois, mais c’est exceptionnellement fermé ce soir : faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je descends jusqu’à la friterie de la place de la Liberté, ce qui me permet de découvrir quelques slogans tagués dans les rues… « Derrière les slogans le néant » chantait en son temps François Béranger : ceux que je lis aujourd’hui ne font pas exception ! Ce n’est pas avec des âneries comme « Macron gestapo » ou « Le tag contre le capital » qu’on fera trembler le pouvoir, bien au contraire ! Lutter pour des causes justes ne met pas à l’abri de la bêtise…
Jeudi 23 mars
15h : J’ignore ce que Macron a pu dire au journal de 13h, je ne sais pas davantage comment ça se passe dans les rues en ce moment, et je m’en fiche ! Je ne vais pas mieux du tout, je n’ai de goût à rien, je suis fatigué de devoir vivre en permanence comme si tout devait s’écrouler du jour au lendemain, alors je reste chez moi à écrire, voilà ! Je repense à ma prof de philo de terminale qui m’avertissait qu’à force de toujours vouloir avoir la paix, j’allais passer à côté de mouvements importants : c’est bien possible, mais tant pis ! Et je laisse le dernier mot à monsieur Hubert-Félix Thiéfaine : « Si tu veux jouer les maquisards, va jouer plus loin, j’ai ma blenno, tu trouveras toujours d’autres fêtards, c’est si facile d’être un héros ! »
Pour conclure, une mini-BD qui m'a été inspirée par un article paru l’an dernier dans Côté Brest :
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !