Du 8 au 21 septembre : Fluctuat nec mergitur... Dur, dur !
Vendredi 8 septembre
21h : Oui, j’ai vu Jean Dujardin ce soir. Non, pas dans le show grotesque organisé pour ouvrir la coupe du monde de rugby, mais sur la chaîne YouTube officielle de Un gars, une fille. J’avoue avoir détesté cette série à l’époque où elle passait sur France 2, les personnages me paraissant alors trop caricaturaux pour être attachants, même si j’avoue que certains sketches étaient très drôles. Puis j’ai appris à apprécier ce petit couple qui, malgré de fréquentes disputes, s’aime sincèrement. Je ne suis pas comme Anaïs, j’aime bien les couples, je ne leur en veux pas de me rappeler que je suis seul : je trouve que s’aimer est un signe d’intelligence, presque une preuve de courage dans ce monde où tout nous exhorte au quotidien à haïr notre prochain ! S’aimer, c’est déjà lutter contre la barbarie qui gagne chaque jour un peu plus de terrain… Alors aujourd’hui, revoir Jean et Alex se bisouiller a quelque chose de rafraîchissant, même s’ils sont tous deux, chacun à leur façon, de parfaits imbéciles immatures ! Cela dit, c’est là qu’on voit qu’il y a encore du boulot pour faire triompher l’égalité entre les sexes : autant jouer un beauf macho et frimeur semble avoir porté chance à Jean Dujardin, autant interpréter une pimbêche capricieuse et jalouse a moins profité à Alexandra Lamy… Le même gag était arrivé à Zoé Félix qui fut la seule vedette de Bienvenue chez les Ch’tis à ne pas bénéficier du carton du film : comme elle y jouait la chieuse de service, les producteurs sont partis du principe qu’elle devait être comme ça dans la vie et lui ont donc tourné le dos… Un homme pourrait donc jouer les connards sans que ça nuise à sa carrière, mais pas une femme ? Pas d’accord ! Allez Jeannot, depuis The Artist, tu es une star internationale, tu as assez fait le con à la télé dans le temps, ne te sens pas obligé d’aller le refaire dans un stade de rugby : non seulement c’est affligeant pour le public mais, de surcroît, c’est « un peu » humiliant pour ton ex-partenaire qui n’en a pas tiré autant profit que toi…
Samedi 9 septembre
11h : De passage en ville, j’apprends que les Français ont battu les Néo-Zélandais. J’ai beau ne pas m’y intéresser, je suis quand même content d’apprendre la défaite des All blacks qui méritent bien, de temps, qu’on leur rabatte un peu leur caquet… À mon avis, le show de Jean Dujardin a dû motiver les Bleus : ils ont vu, comme nous tous, la France se ridiculiser aux yeux monde entier avec un spectacle grotesque, alors ils se sont défoncés pour sauver l’honneur national ! Je n’exagère pas : souvenez-vous le lamentable défilé des géants mécaniques en ouverture de la coupe du monde de foot en 1998 ! Pourquoi croyez-vous qu’après, les footballeurs français ont fait un si beau parcours, si ce n’est parce qu’après un tel ratage, il fallait redorer le blason du pays ? Morale de l’histoire : le bonheur des sportifs fait le malheur des esthètes – mais je m’en doutais déjà un peu avant ! Hé, je viens d’écrire dix lignes sur le sport : c’est un record personnel !
12h : Passage à La Vagabunda pour récupérer les œuvres qui y étaient exposées depuis la mi-juillet. Bien entendu, je n’ai rien vendu. D’un autre côté, comment pouvait-il en aller autrement ? Avec les travaux de la ligne de tram, marcher sur le boulevard Clemenceau est un supplice ! Le vacarme est tel que Paty a attendu le week-end, quand il n’y a plus de travaux, pour rouvrir… Je ne nie pas que l’extension du réseau de tramway soit une bonne chose pour Brest, mais n’y a-t-il vraiment rien que l’on puisse faire pour aider ces lieux de vie et de culture qui mettent de la vie en ville et pâtissent des désagréments du chantier ? Les désagréments sont inévitables, le dépérissement de la vie culturelle brestoise ne l’est peut-être pas…
15h30 : Il fait une chaleur épouvantable, il y a même un risque d’orage. C’est donc avec soulagement que je pique une tête au Moulin Blanc : et oui, les ânes de chez Bibus ont décrété qu’hors saison, la plage de Sainte-Anne n’avait plus besoin d’être desservie correctement, je n’ai donc pas d’autre choix. Tant pis, même si le cadre me plaît moins, renouer avec l’élément liquide n’en reste pas moins une bénédiction. Cela dit, à mon arrivée, un petit grain s’abat sur la plage : il cesse assez rapidement… Par la grâce du dérèglement climatique, la Bretagne ressemble de plus en plus aux tropiques ! Finalement, je n’aurai peut-être pas besoin d’aller en Guadeloupe pour connaître les sensations que mes parents ont eues là-bas… C’est drôle, je n’arrive pas à m’en réjouir !
Un croquis effectué sur la plage :
Dimanche 10 septembre
16h : J’avais bien l’intention de profiter de ce dimanche pour avancer sur mes planches… Mais je m’aperçois que je n’ai plus de gomme ! Jean Roba, le créateur de Boule et Bill, disait que la gomme est l’un des outils les plus employés par le dessinateur de bandes dessinées : je le confirme, sans ce petit objet auquel on ne pense presque jamais, mon champ d’action est incroyablement limité ! Faites l’expérience et vous verrez !
Lundi 11 septembre
8h30 : Après avoir marché à pied depuis Lambé jusqu’au centre-ville, j’arrive devant la porte de Bureau Vallée où je dois acheter du matériel, notamment cette fameuse gomme qui me fait défaut. Le magasin n’ouvre que dans une demi-heure, ça me laisse le temps de faire un croquis et de contacter quelques personnes par SMS… J’avoue que j’éprouve une certaine jouissance à être aussi matinal ! Se sentir en forme dès six heures du matin, c’est quand même plus gratifiant que se lever fatigué à dix heures, non ?
Mardi 12 septembre
8h : N’ayant rien à faire en ville aujourd’hui, je fais mon petit décrassage matinal au bois de la Brasserie. Ce serait le paradis s’il n’y avait tous ces gens qui promènent leurs chiens : je n’arrive absolument pas à m’habituer à croiser tous ces canidés, j’ai toujours peur qu’il se mettent à m’aboyer après – d’ailleurs, certains ne s’en privent pas ! C’est bizarre : j’ai grandi avec une chienne dans la maison de mes parents, et ça ne m’a pas du tout donné le goût de la compagnie canine ! Pour tout dire, elle avait beau être une crème, je n’étais jamais tranquille avec elle, même quand elle nous faisait des joies quand nous rentions de l’école… Y a-t-il un lien entre le syndrome d’Asperger et le rapport aux animaux ? Certainement pas : comment expliquer la relation privilégiée que la délicieuse Julie Dachez entretient avec ses compagnons à quatre pattes ? Non seulement je suis autiste, mais je suis zoophobe ! J’ai tout pour plaire, c’est pas possible !
Mercredi 13 septembre
10h : Je patiente dans la gare : je me suis programmé une escapade à Paris, où j’ai quelques rendez-vous, avec un crocher à Château-Thierry où je dois récupérer la photo de mon cru qui a été exposée au Festival International de la Photo Amateur… Tout en lisant un numéro des Cahiers de l’Iroise, j’hésite à baisser mon casque anti-bruit : une jeune fille joue du piano et profiter de la musique ne serait pas pour me déplaire, mais les autres usagers ne montrent pas beaucoup d’empressement à respecter le morceau… En fin de compte, je ne vois pas vraiment l’utilité d’installer des pianos dans des endroits si bruyants, où l’immense majorité des gens ne pense qu’à partir et n’en a rien à foutre de la musique ! Les pleurs d’un bébé me convainquent définitivement de fermer les écoutilles.
14h : Bien entendu, voyager en première classe, ça revient cher, je dirais même qu’au vu de ma situation actuelle, ce n’est pas raisonnable du tout. Mais tant pis, c’est si agréable, d’être bien assis, de respirer… Et puis le personnel se montre prévenant : il annonce une vente de tickets de métro. Comme je dois changer de gare à Paris, je m’empresse d’en profiter : j’y suis d’autant plus incité que ces braves gens précisent qu’à cause de la coupe du monde de rugby, la capitale est pleine de touristes et que donc, il y a la queue aux distributeurs de tickets… Je risque donc, à Paris, de croiser une faune peu subtile, mais peu me chaut : pour l’heure, tout se passe comme des roulettes et je ne vois pas ce qui pourrait m’atteindre !
15h : Dans la gare Montparnasse, je ne peux m’empêcher de rudoyer un homme qui me bloque le passage vers le métro : j’ai pourtant plus d’une heure devant moi pour gagner la gare de l’Est, mais le souvenir de voyages où je n’avais attrapé la correspondance que de justesse (quand je ne l’avais pas carrément ratée) m’encourage à ne pas traîner en route… Il n’y a pas une demi-heure que je suis à Paris et les autochtones déteignent déjà sur moi !
16h30 : Chaque fois je dois prendre le métro pour changer de gare à Paris, ma tension monte toujours d’au moins deux crans ! Alors, quand j’arrive à attraper la correspondance sans encombre, je ne boude pas mon plaisir : ainsi, une fois dans le train pour Château-Thierry, j’ai déposé ma valise dans l’habitacle prévu à cet effet puis je me suis calé en toute confiance dans le premier fauteuil qui me faisait envie. L’ambiance tamisée du wagon n’est pas pour me déplaire, bien au contraire, je me sens sur un petit nuage, plus rien ne peut m’arriver… Et tout à coup, une fois le train parti, un pressentiment me saisit : je me dirige vers l’endroit où j’ai laissé ma valise… Et elle n’est plus là. Pas besoin de chercher plus loin : un malhonnête a profité du moment où le train était encore à quai et où mon bagage était sans surveillance pour s’en emparer. Dedans, il y avait mes vêtements de rechange, mes affaires de toilette, et plus grave, mon ordinateur ! Mon voyage est déjà gâché… Voilà comment on bascule dans l’horreur en une fraction de seconde alors qu’on se croyait invincible il y a encore vingt-quatre heures ! N’empêche… Voilà plus d’une vingtaine d’années qu’on met les flics et les militaires partout, qu’on ne peut plus aller nulle part sans devoir supporter le regard soupçonneux voire les mains baladeuses de ces porte-flingues, et finalement, est-ce qu’on a au moins progressé en matière de sécurité ? Même pas ! Police partout, sécurité nulle part ! Oh ! Vous, les fachos qui réclamez toujours plus de présence policière : vous ne voyez pas que ça ne fait absolument pas régresser la délinquance ? Il serait peut-être temps de se remettre en question, non ?
21h : Arrivé à Château-Thierry, ville natale de Jean de la Fontaine, je me couche dans le petit appartement que j’ai loué, épuisé à tout point de vue. Le temps est superbe, le cadre est charmant, j’ai fait un bon dîner sur une terrasse au bord de la Marne, le logement est doux et confortable, avec toutes les commodités nécessaires… Mais rien à faire, je suis trop meurtri pour profiter de tout ça. J’essaie de dormir, mais ce n’est pas facile : il fait chaud, je n’ai pas l’habitude de dormir sans pyjama, je suis rongé par la culpabilité d’avoir été imprudent, et une troupe de dégénérés (comme quoi il y en a partout) sème sa zone sous les fenêtres… On dit qu’il n’y a pas de roses sans épines : sauf que là, ce ne sont plus des épines, c’est carrément toute une collection d’épées !
Quelques photos prises à Château-Thierry :
Jeudi 14 septembre
11h : Grâce aux transports en commun de Château-Thierry, j’arrive à Fère-en-Tardenois, ville natale de Camille Claudel. C’est une petite ville comme il y en a des tas en France : ni splendide, ni hideuse, suffisamment vivante pour limiter l’exode et accueillir des événements culturels, pas assez pour prétendre à une desserte plus performante – le bus ne passe qu’une fois toutes les deux heures ! Comme toujours quand je débarque dans un patelin que je ne connais pas, je ne suis pas à mon aise : une habitante le remarque et me demande si j’ai besoin d’aide. J’avoue que ce n’est pas à Brest que ça arriverait ! Les gens du Nord (nous sommes dans les Hauts-de-France) sont donc à la hauteur de leur réputation, mais j’avoue bien mal leur rendre leur amabilité… Quand j’essaie de déchiffrer le plan (pourtant clair) de la commune, je suis apostrophé par un type aux dents pourries et à la diction hésitante : par réflexe, je lui réponds, avec une politesse mitigée, que je n’ai ni cigarette ni monnaie à lui donner ! Mais il y a méprise : il dit travailler pour le syndicat d’initiative de la ville et vouloir m’aider à retrouver mon chemin ! J’ai donc commis un délit de sale gueule et je plaide coupable, avec circonstances atténuantes toutefois : ce mec, qui me renseigne quand même, ressemble VRAIMENT aux cas sociaux qui m’importunent sans arrêt à Brest… Je finis par trouver le troquet tenu par la secrétaire générale du festival : elle me rend ma photo, qui représente un bélier que j’avais vu à Guilers. Je suis un peu surpris, dans mon souvenir, il y avait au moins trois moutons sur mon cliché ! Il est vrai que j’avais proposé plusieurs photos et qu’au final, une seule a été retenue sans que je sache exactement laquelle… Une fois en possession de ce cliché, je n’insiste pas, je ne me propose même pas de rester boire un verre : non seulement je ne me sens pas le bienvenu mais je n’ai vraiment pas le cœur à ça. Je tourne donc en rond dans ce bled, en ressassant le malheur qui m’est tombé dessus, sans même m’arrêter pour déjeuner… La situation est surréaliste : je suis à près de 700 kilomètres de chez moi, loin des gens qui m’aiment, dans un village hostile où rien ne m’attendait à part la photo d’un ovin, et je n’ai rien pour me changer ! Mais qu’est-ce que je suis en train de foutre de ma vie ?
Moi avec la photo récupérée à Fère-en-Tardenois... Est-ce que ça valait vraiment le voyage ?
16h : Je suis de retour à Paris. Je tiens à la main ma photo de bélier, n’ayant pas voulu ouvrir mon sac à dos sur la place publique pour l’y glisser : inutile de prendre des risques avec le peu d’affaires qu’il me reste… C’est donc dans cette situation peu confortable et, pour tout dire, assez ridicule, que je reprends le métro pour gagner mon hôtel où il me tarde de prendre une douche. J’avoue que le métropolitain m’apaise un peu : j’apprécie le fait que le voyage s’effectue sans paysage, ça limite les stimulations sensorielles… Mais quand j’entends retentir les messages de mise en garde contre les pickpockets, il me vient des envies de meurtre !
20h : Dîner au Millau, dans la rue du Rendez-vous, avec le mari de ma meilleure amie, de passage à Paris. Je prends un jambon braisé avec de la purée : c’est réconfortant. Mon commensal accomplit le sensationnel exploit de me remonter le moral : ce mec est formidable, je regrette presque, malgré la virulence de mon hétérosexualité, qu’il soit déjà marié ! On frôle quand même l’incident diplomatique quand le patron m’appelle « jeune homme » : je me sens obligé de lui dire, sans malice ni agressivité, que je n’aime pas ça… Devant le regard gêné de ce restaurateur, pourtant plutôt diligent et sympathique, je me demande si je n’aurais pas dû me taire ! Après tout, il n’était pas censé savoir que je trouve cette appellation condescendante : je dois bien être l’un des rares à ne pas apprécier d’être encore catalogué comme « jeune » à 35 ans… Bon, ce n’est pas très grave, la Bretagne ne va pas faire scission pour si peu ! Il y aurait déjà mille autres bonnes raisons…
Vendredi 15 septembre
9h : Sur les conseils d’une amie à laquelle j’ai conté ma mésaventure, je suis allé au bureau des objets trouvés de la gare de l’Est, à tout hasard : évidemment, ils n’ont rien. Je n’ai plus qu’à porter plainte au commissariat du XIIe… Quel voyage glamour ! C’est déjà la deuxième fois en un an que je suis obligé de pénétrer dans un lieu de ce genre, que j’abhorre au-delà de tout ! Les flics postés à l’entrée me font ouvrir mon sac et me fouillent au corps : je ne proteste pas parce que je suis lâche, mais ça me fait quand même mal d’être traité en suspect alors que je suis une victime ! J’ai bien fait de venir assez tôt, il n’y a pas grand’ monde dans la salle d’attente : une télé est allumée sur France Info, j’apprends ainsi que Macron va se rendre à la messe que le Pape va donner à Marseille… En plus du reste, il est crapaud de bénitier ! Pas besoin de chercher plus loin où il a appris sa méthode de gouvernement : il a dû voir un curé enculer un mioche en toute impunité et il a bâti toute sa carrière sur ce modèle. Au bout d’un quart d’heure, je suis pris en charge par une fliquette : elle est aussi souriante que Buster Keaton et aussi grâcieuse qu’un sac à patates, on repassera pour le fantasme de la policière gaulée comme une déesse… Elle me dit d’enlever mon « béret » : je m’exécute après avoir tout de même précisé qu’il s’agit d’une casquette, mais je ne comprends pas pourquoi le port d’un couvre-chef est contre-indiqué dans un bureau de police ! Anticiperait-on les prochaines décisions de notre pieux président en se préparant à entrer dans un commissariat comme dans une église ? Quand je raconte ma mésaventure, elle ne marque aucun étonnement, elle ne me fait même pas la leçon comme je le craignais : je ne dois pas être le premier dans mon cas qu’elle voit passer, ce qui ne m’est qu’une maigre consolation… Il me tarde de quitter cet endroit, j’étouffe.
10h30 : Je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de voir la Tour Eiffel de près. Quand j’arrive au pied de la dame de fer, je comprends tout de suite que je n’aurai pas le temps de monter dessus, à moins de prendre le risque de rater mon rendez-vous : il y a une file incroyable, et l’accès est filtré « par sécurité », une expression qui me fait presque rire, désormais… Mais il n’y a pas que des murailles autour de la vieille dame : il y a aussi des vendeurs de glaces et de boissons, des joueurs de bonneteau, des marchands de souvenirs qui proposent des miniatures de tous les formats et de toutes les couleurs… Bref, la cohorte habituelle des profiteurs qui profitent à leur façon de la manne touristique : je ne leur jetterai pas la pierre, l’immense majorité des touristes ne mérite que d’être saignée à blanc ! Cela dit, s’ils proposent leurs saloperies, c’est bien parce que ça se vend, non ? Donc, les gens achètent vraiment ces merdes ! Comment croire en l’humanité après ça ?
11h30 : J’ai rendez-vous à proximité de la Maison de la Radio : j’ai décidé d’y aller à pied, le long de la Seine, pensant que la proximité du fleuve m’apporterait un peu de fraîcheur… Bien sûr, il n’en est rien et je crève de chaud sous un soleil de plomb. J’en bave, d’autant que quand je veux traverser au pont de Bir-Hakeim, je suis refoulé par deux types. Le motif ? Un tournage… De tous les arts, il n’y a que le cinéma qui se permette de privatiser ainsi l’espace public ! Si je bloquais la circulation pour peindre, je me ferais embarquer par les flics ! On se demande pourquoi je ne vais pas plus souvent au cinéma : c’est parce que ça me ferait mal de dépenser du fric pour des connards qui entravent ma liberté de circuler !
Quelques photos prises au cours de cette pénible déambulation :
12h : Je rencontre enfin en chair et en os un de mes contacts parisiens, une ancienne de Radio France qui m’offre un verre sur une terrasse ombragée par quelques-uns des rares arbres centenaires à avoir survécu au bétonnage orchestré par Chirac et poursuivi avec assiduité par ses successeurs… Quoi qu’il en soit, je goûte un moment de répit plus que bienvenu en compagnie d’une dame qui semble me respecter : la vie parisienne a ses splendeurs et ses misères…
14h : Après avoir acheté un haut de rechange (je commence à coller dans ma marinière), je me rends rue des écoles où m’attend mon prochain rendez-vous : cette rue foisonnante de librairies et de hauts lieux intellectuels, tels que le Collège de France, est sans doute le premier endroit parisien dont j’apprécie vraiment l’ambiance. En attendant l’heure de l’entrevue dans les locaux de L’Harmattan, je m’arrête sur une terrasse pour siroter un vittel-menthe : il est à 5,20 euros ! C’est presque le prix d’une pinte de bière à Brest ! Ce voyage commence décidément à me coûter cher… Il n’y a pas de roses sans épines, mais là, ce n’est plus une rose que j’ai en main, c’est un porc-épic !
Trois photos prises rue des écoles :
15h : Entrevue avec une responsable « communication » de L’Harmattan pour discuter de la promotion de mon Voyage en Normalaisie : selon elle, mon livre, qui est bon marché, consacré à un sujet qui parle au grand public et orné d’un beau dessin en couverture (merci, c’est moi qui l’ai fait), a du potentiel. Il en a sûrement davantage que le livre sur l’antiquité chez Albert Camus que j’ai sorti chez le même éditeur il y a neuf ans et que j’avais fait publier dans l’espoir insensé d’avoir une crédibilité intellectuelle… Je sors de l’entretien avec la conviction d’avoir laissé une bonne impression et la quasi-assurance de revenir à Paris pour faire de la promo. J’espère que mon voyage se passera mieux la prochaine fois : dans un sens, ça pourra difficilement être pire, à moins que je périsse dans un attentat… Ou que je me fasse violer par une personne particulièrement affamée (et, accessoirement, plus myope qu’un régiment de taupes) !
16h : Sur les conseils de la dame que j’ai rencontrée à midi, je fais une petite halte dans un salon de thé situé à proximité de l’Institut du monde arabe : il est vrai que le cadre est exquis. L’établissement propose aussi des séances de hammam : ça m’aurait probablement fait du bien, mais je préfère m’abstenir pour ne pas rentrer tout à fait ruiné. Je me borne donc à siroter un thé à la menthe trop sucré au milieu d’une foule jacasseuse… Mais c’est délicieux quand même : je suis si malheureux que j’apprécie toutes les pauses, et j’ai si chaud que tout liquide ingurgité me ressuscite !
17h : J’arrive sur les Champs-Élysées : voir apparaître l’Arc de triomphe quand on sort du métro, c’est toujours impressionnant. Je ne peux malheureusement pas m’approcher de l’édifice, je suis refoulé comme sur le pont de ce matin : ayant eu ma dose d’altercations de ce genre, je n’insiste pas, je n’ose même pas demander d’explications et je descends l’artère qui, à mes yeux, ne mérite guère son titre de « plus belle avenue du monde »… Je risque même un tour à la boutique du PSG, espérant trouver quelque chose pour faire un cadeau au garçonnet fan de football d’une femme chère à mon cœur : mais quand je vois le prix d’une simple gourde aux couleurs du club, je préfère m’abstenir ! Et puis je ne suis pas sûr que la charmante maman de ce non moins charmant bambin apprécierait tant que ça que je donne de l’argent au Qatar… Je sors, partant à la recherche d’une brasserie qui m’a été recommandée par une amie : je tourne en rond pendant un certain temps… Je croise un guitariste qui chante le fameux tube de Jo Dassin : je m’étonne moi-même de résister à la tentation de l’étrangler !
Trois photos prises sur les Champs-Élysées - ou à proximité :
18h30 : J’ai enfin trouvé le Franklin : renseignement pris, il s’agirait du lieu de rendez-vous privilégié de toute la clique gouvernementale. Je ne remarque cependant aucun visage suspect. Pour ne pas trop faire souffrir mon porte-monnaie, même si je m’étais promis justement de faire des folies pour profiter enfin de mes économies, je prends le plat moins cher, le burger dit « Franklin ». J’avais pourtant juré de ne plus toucher à ces petits pains mous venus d’outre-Atlantique, mais il faut reconnaître que le statut du hamburger a évolué et n’est plus forcément synonyme de degré zéro de la gastronomie, le titre ayant été raflé depuis par d’autres spécialités encore plus dégueulasses… Je fais tout de même un bon repas réconfortant et, par rapport à l’agitation des Champs-Élysées, la rue Roosevelt procure un répit relatif mais réel…
19h30 : Je prends le métro pour regagner le XIIe ; un accordéoniste s’installe pour jouer. Il me casse les oreilles, je décide de doubler la fermeture de mes esgourdes, pourtant déjà protégées par mon casque antibruit, en me fourrant des boules Quiès dedans ! Quand il me voit fouiller dans mon sac, le musicien me fait un grand sourire, visiblement persuadé que je m’apprête à lui donner de l’argent… J’ai presque honte ! Pas beaucoup, mais un petit peu.
Samedi 16 septembre
8h30 : Encore une fois debout avant que Paris ne s’éveille vraiment, j’ai pris la direction du musée d’Orsay, ce lieu mythique que nous avions raté lors du voyage que j’avais effectué avec ma classe de première il y a bientôt vingt ans déjà. Sortant du métro, je débouche sur la place de la Concorde : coupe du monde oblige, celle-ci est transformée en « village rugby », avec son cortège de banderoles et de gradins destinés à accueillir les gueulantes des supporters… Je croyais avoir assisté au sommet de la goujaterie depuis que j’avais vu les arbres brestois affublés de maillots de cyclistes à l’occasion du passage du Tour de France dans ma ville, mais là, c’est le bouquet ! Je ne comprends pas qu’on puisse afficher un tel mépris du patrimoine : si l’obélisque le pouvait, il baisserait la tête…
Quelques photos prises dans les environs de l'Assemblée nationale :
9h05 : J’arrive au musée. Évidemment, ça n’ouvre que dans une demi-heure. J’ai cependant bien fait de ne pas trop attendre pour venir : il y a déjà la queue et on attend visiblement une file importante de visiteurs. Il faut que je note pour la prochaine fois : éviter les châteaux et les musées le week-end et privilégier les lieux de promenade…
Les statues situées à l'entrée du musée d'Orsay :
9h35 : Dès l’entrée dans le musée, on m’intime l’ordre de déposer toutes mes affaires sur un tapis roulant : persuadé que je ne pourrai les récupérer qu’à la sortie, je proteste pour mon casque antibruit dont j’ai vitalement besoin. Devant l’insistance du vigile, je me dégonfle. Finalement, je récupère tout aussitôt après un passage au scanner : on ne m’ôtera pas de l’idée que scanner une protection auditive, c’est pousser le zèle un peu loin. Pourquoi pas mes lunettes, tant qu’ils y sont ? Cette mauvaise entrée en matière me met dans de non moins mauvaises dispositions : une fois mon ticket d’entrée en main, je ne comprends rien aux indications de la caissière qui est obligée de me guider. Une fois passée la porte, je suis à deux doigts de paniquer, ne sachant pas quelle direction prendre. Je mets quelques minutes à comprendre qu’il n’y a pas de sens imposé pour la visite et que je peux aller « où je veux »… C’est une situation pour le moins inhabituelle et déconcertante !
10h30 : Après avoir passé une heure à faire le tour du deuxième étage, dédié aux sculptures plus quelques salles accueillant des collections de peintures, je décide de monter au cinquième étage pour découvrir ce qui, in fine, attire tout le monde dans ces lieux : les impressionnistes. Il y a une foule incroyable, l’endroit est bourré de touristes qui parlent fort et mitraillent les peintures de leurs smartphones… Mais c’est quand même délicieux de pouvoir admirer les Manet, les Renoir, les Monet, les Morisot, les Sisley… Ça nettoie l’œil et ça console de bien des vicissitudes !
14h : Rendez-vous sur la place Maubert, lieu cher à Cavanna, avec Virginie Vernay, qui fut l’une de ses dernières collaboratrices et inspiratrices – la « petite Virginie » de Lune de miel, c’est elle ! Après cette entrevue, elle me fait un cadeau inestimable : elle me fait découvrir l’endroit mythique de la rue des Trois-Portes, là où se situaient les locaux des éditions du Square ! Les bureaux de Hara-Kiri se trouvaient là, de même que le pied-à-terre parisien de Cavanna, on retrouve même le robinet où celui qui allait devenir « Bison bourré » allait faire sa toilette le matin ! Mon aimable hôtesse m’invite à poser pour la photo devant les anciens locaux du « journal bête et méchant » : je m’amuse à faire semblant de frapper à la porte, comme si je venais présenter mes dessins à Choron… Que j’aurais aimé connaître ce creuset de talents, ce bouillonnement créatif, cette bouffée d’exubérance…
Quelques photos prises à cette adresse mythique :
16h30 : J’arrive à Montmartre. J’ai pensé un instant prendre le funiculaire pour monter sur la butte, mais je n’ai pas envie de faire la queue et ça a l’air surfait. Je profite d’avoir encore du jarret pour me taper les escaliers à pied. Et puis le quartier mérite-t-il que je donne encore deux euros à la RATP ? Au fond, Montmartre, c’est quoi ? Un gigantesque chou-fleur (le Sacré-cœur, quelle horreur !) entouré de boutiques faussement typiques pour touristes crédules qui espèrent probablement pouvoir draguer Amélie Poulain… En fait, Montmartre, c’est Disneyland intra muros ! Mais je tiens à revoir la place du Tertre et à me renseigner sur les possibilités pour moi de venir y installer mon stand de temps à temps…
17h : On m’avait bien prévenu : la place du Tertre, ce n’est plus ce que c’était, les terrasses ont tout bouffé, ne laissant aux artistes qu’une place limitée. J’en trouve un qui ne semble pas débordé et qui accepte de me renseigner : effectivement, chaque emplacement est numéroté, et pour pouvoir en occuper un, il faut disposer d’une carte que l’on doit demander auprès d’un organisme public qu’il accepte de m’indiquer sur mon plan. Inutile d’y aller maintenant, c’est sûrement fermé… Avant de me taper la descente, je m’arrête à la terrasse d’un pub pour boire une Guinness : je me contente d’un demi, la pinte est à presque dix euros… Quelques artistes, m’identifiant comme un des leurs, me demandent si je veux bien me faire tirer le portrait : c’est bien gentil, sauf qu’ils demandent 30 euros chacun… Je réponds poliment que je n’ai pas assez de monnaie. J’échange tout de même quelques mots avec eux en leur expliquant les raisons de mon passage à Paris, non sans en profiter pour glisser deux mots sur mon livre : je tombe sur une femme qui ne sait même pas ce qu’est l’autisme… Je me sens très seul…
18h30 : Après un coup d’œil rapide à l’église Saint-Jean de Montmartre (incomparablement plus jolie que l’horrible basilique qui insulte le souvenir de la Commune), je commande une lasagne sur la terrasse d’Il Duca, sur la rue Yvonne Le Tac. C’est relativement bon marché, le plat est satisfaisant et la serveuse est vraiment charmante… Tout ne peut pas être mauvais, pas vrai ?
L'église Saint-Jean de Montmartre :
Dimanche 17 septembre
11h15 : Sur une terrasse du Ve, je retrouve l’ancienne de Radio France, accompagnée d’un sien ami qui me confirme que ma mésaventure est devenue monnaie courante… Je leur fais feuilleter mon Voyage en Normalaisie dont j’ai pu retirer un exemplaire chez l’éditeur. Je voudrais être fier et je le suis sûrement au fond de moi. Mais je ne peux déjà plus prétendre à l’émotion de la première publication : tout ce que j’éprouve, c’est l’espérance que ce bouquin trouve son public et m’ouvre enfin des portes. J’ai trop souvent entendu dire que j’avais un énorme potentiel pour imaginer que tant de gens apparemment éclairés puissent s’être trompés sur mon compte…
Les deux dernières photos prises à Paris :
19h : Après quatre heures de train et un bref trajet en bus, je suis enfin rentré chez moi, heureux de retrouver le confort et la sécurité de mon cocon, mais déçu de ne pas avoir eu un voyage plus heureux : cette escapade qui devait me galvaniser m’a freiné en plein élan… Je ne m’attarde pas après dîner, je me fais un devoir de me lever tôt demain matin : il me tarde de prendre les dispositions pour sauver ce qui peut l’être.
Lundi 18 septembre
10h30 : Le laboratoire auquel je suis associé a accepté de me prêter un PC en attendant que je m’en procure un autre : je pourrai au moins travailler et parer au plus urgent. Reste la perte irréparable de nombreux documents que je n’avais pas sauvegardés… J’ai beau me raisonner, me dire que l’important n’est pas ce que j’ai fait ces derniers temps mais ce que je vais faire dans un avenir proche, je garde un couteau au cœur et les joues me brûlent comme si j’avais pris quinze millions de baffes. Pour me changer les idées, je passe à la librairie Dialogues : j’y achète le dernier livre d’Amélie Nothomb et le nouveau Léonard que je feuillette en attendant le tram… Et je me marre ! Je suis peut-être le seul, mais je trouve que Zidrou est un vrai génie qui a su redonner un coup de jeune à cette série sans en compromettre l’esprit originel ! Il pourra en tout cas se vanter de m’avoir fait rire alors que j’avais le moral si bas qu’on pouvait marcher dessus…
11h : Au Beaj Kafé, j’entreprends d’utiliser l’ordinateur prêté par le labo : évidemment, il n’y a pas de souris et je suis obligé d’utiliser l’espèce de plaque située devant le clavier… J’ai vite mal aux doigts et je multiplie les fausses manœuvres ! Je ne comprends pas comment font les autres…
18h : Après avoir acheté une souris à la FNAC, je suis rentré chez moi, et je me suis aperçu d’un problème : je n’ai plus le code pour me connecter à ma Freebox ! Seule solution : appeler l’assistance Free… Pour ne pas prendre racine en attendant qu’ils me répondent, je fais l’impensable : je dérange ma voisine de palier pour lui demander l’autorisation de me connecter sur son réseau. Je n’avais encore jamais eu le moindre contact avec elle : je découvre qu’il s’agit d’une vieille dame apparemment peu instruite mais très aimable ; je la surprends même à parler tendrement au téléphone avec son petit-fils… Je suis peut-être injuste, finalement, quand je prétends qu’il n’y a que des cas sociaux dans mon immeuble…
Mardi 19 septembre
9h : Bref passage à la rédaction de Côté Brest pour remettre à l’équipe un exemplaire de Voyage en Normalaisie en vue d’un éventuel article : bien entendu, je leur raconte ma péripétie parisienne, non sans préciser au passage qu’on m’a prêté un ordinateur et que je pourrai donc continuer à leur écrire des chroniques. Je suis soulagé de constater que tout le monde me plaint, que personne ne me reproche mon imprudence, que ma crédibilité n’est même pas amoindrie par l’incident… Ça ne me rendra pas ce que j’ai perdu, mais ça me redonne du courage pour affronter cette épreuve.
Mercredi 20 septembre
9h30 : J’arrive à l’espace Keraudy, à Plougonvelin, pour y accrocher mon exposition. J’ai apporté une trentaine de mes œuvres, ce n’est pas trop pour cette salle plutôt vaste. Les responsables m’apportent une aide précieuse, même quand je laisse tomber un cadre dont le verre se casse… Je surprends une de leurs conversations : apparemment, une huile locale aimerait qu’ils diffusent la finale de la coupe du monde de rugby dans leur salle de spectacle ! C’est une très mauvaise idée : si l’équipe de France n’est pas qualifiée, ils auront peu de monde, et si elle l’est, tous les bistrots de la région ne manqueront pas de diffuser le match et il sera inutile d’en rajouter dans une salle qui n’est pas prévue pour ça ! Je ne dis pas qu’il est honteux de diffuser un match de rugby, mais à chacun son travail, non ?
11h30 : Mon expo est installée, je pense avoir bien géré l’affaire. Satisfait du devoir accompli, je me rends à l’arrêt de car le plus proche : hélas, le véhicule ne passe que dans deux heures… Faisant contre fortune bon cœur et ne boudant pas mon plaisir d’avoir un abri pour me protéger de cette pluie battante, j’en profite pour lire le dernier livre d’Amélie Nothomb que j’avais eu la bonne idée d’emmener. Autant le dire : Psychopompe est un chef-d’œuvre. Après la promenade de santé du Livre des sœurs, la dame en noir de la littérature francophone retrouve le feu sacré de Premier sang et nous livre une réflexion profonde et pertinente, basée sur son expérience, à propos de l’acte d’écrire et du métier d’écrivain : à une heure où tout le monde croit avoir du talent pour la littérature, il n’est pas mauvais de rappeler à quel point l’écriture est une activité difficile et un travail à part entière qui nécessite une longue formation et un investissement complet. Amélie Nothomb s’est souvent racontée, mais là, elle se livre comme jamais elle ne l’a fait sur les traumatismes qu’elle avait subis dans sa jeunesse : on ne pourra plus la traiter de privilégiée et d’enfant gâtée, on sait maintenant qu’elle a touché du doigt le fond de la misère humaine, qu’elle a connu la souffrance extrême et qu’elle a tutoyé la mort… Si vous faites partie de ses détracteurs et souhaitez le rester, ne lisez surtout pas Psychopompe, vous risquez de vous surprendre à dire : « Mais je rêve… Je l’aime, cette femme ! »[1]
13h30 : Enfin dans le car ! Au moment même où je me suis attaché, le chauffeur a démarré un peu trop brusquement, ma valise a glissé et est tombée dans le couloir. Ne voulant pas me mettre en contradiction avec le règlement qui impose le port de la ceinture de sécurité, je préfère attendre qu’un autre passager puisse me rendre le menu service de me la ramasser. À l’arrêt suivant, une femme monte en affirmant son attention de descendre à Brest elle aussi : quand le conducteur lui annonce qu’il faudra prendre une correspondance, elle rouspète parce que ce n’était pas annoncé sur Internet ! Comme elle s’assied non loin de moi, je lui demande quand même poliment (j’en suis capable de temps à autre) de bien vouloir me ramasser ma valise : elle me répond que je peux le faire moi-même et qu’elle a mal au dos ! J’ai beau lui dire que je n’ai pas le droit de me détacher et que cette valise est vide, elle ne veut rien entendre… C’est la première fois que j’ai envie d’imiter Alain Chabat disant dans une fausse pub : « Oh, vous êtes une vraie connasse, vous, là, hein ! »
14h30 : Une fois arrivé à Brest, je récupère le dernier Côté Brest avec, entre autres, une chronique de mon cru sur Jim Sévellec, cet artiste emblématique de la ville qui a été mis à l’honneur ces derniers temps, entre autres avec une expo aux Capucins et un hors-série des Cahiers de l’Iroise. On trouve aussi une interview de Yohann Nédélec, adjoint au maire, qui clame que « le règne de la voiture est terminé » pour justifier la hausse des prix du stationnement en centre-ville. Il a parfaitement raison, mais voilà typiquement le genre de déclaration qui ne rend pas populaire… Sans compter qu’on peut comprendre ces gens qui, pour des raisons diverses, ne peuvent pas se passer de leur bagnole et qui vivent donc cette hausse comme une agression : on devrait pouvoir les aider à trouver une alternative, si on voulait vraiment réussir la transition vers une nouvelle ville où l’automobile n’impose plus sa loi… Pourquoi tout doit-il toujours se faire dans la brutalité, même l’avènement d’une société plus douce ?
18h : Je reprends le cours du soir, toujours animé par l’irremplaçable Delphine, et je retrouve quelques-unes de mes « vieilles canailles » comme j’aime à appeler certaines élèves qui suivent l’atelier depuis déjà quelques années. Pour une première séance, nous sommes invités à nous dessiner de profil les uns les autres : la première élève à me servir de modèle trouve que je la vieillis terriblement ! Ce n’est pourtant pas un effet de ma volonté : quand je lui dis l’âge que je lui donne, je tombe juste ! Elle me dessine à son tour, je lui demande en retour quel âge je dois avoir à ses yeux : elle croyait que j’avais déjà quarante ans ! Gast ! Je poursuis avec d’autres élèves, ce qui me donne l’occasion de constater qu’il y a deux jeunes femmes non francophones : une Thaïlandaise et… Une Ukrainienne. Décidément….
Les quatre profils que j'ai dessinés ce soir-là :
20h30 : Dîner au Biorek. Le jeune patron, auquel je raconte mes mésaventures parisiennes, me dit être allé à la fête de l’humanité où il a pu assister, entre autres, à un débat entre Fabien Roussel et Édouard Philippe : apparemment, il n’y en a pas eu un pour racheter l’autre… On prétend que les gens se désintéressent de la politique : j’ai plutôt l’impression que c’est la politique qui se désintéresse des gens et que ceux-ci le comprennent de mieux en mieux !
22h : Enfin rentré, je relève mon courrier : je trouve dans ma boîte, outre le dernier hors-série de Fluide Glacial, la bagatelle de trois cartes postales et avis de passage m’annonçant qu’un recommandé que j’ai expédié est bien arrivé… Il est tout de même curieux que tout me soit arrivé le même jour ! Je suis à deux doigts de penser que le courrier n’est délivré qu’une fois par semaine dans mon quartier…
23h : Je veille un peu pour répondre à mon courrier et m’assurer que je n’ai aucun mail en souffrance. J’ai laissé ouverte la fenêtre de la salle de bain pour aérer et achever le séchage de mon linge : j’ai ainsi tout le loisir d’entendre des pétarades éclater… Soit ce sont des feux d’artifices non-autorisés, soit ce sont des tirs au mortier comme j’en ai déjà entendu il n’y a pas si longtemps encore. Dans les deux cas, c’est grave et, si le facteur rechigne effectivement à venir dans le quartier, je comprends mieux pourquoi !