Du 8 au 14 octobre : Vous n'en avez pas marre, vous ?
Samedi 8 Octobre
15h : Encore tout à la joie des bienfaits de la science du massage de mon amie, je fais une pause au Béaj Kafé pour écrire. Heureusement que je suis à peu près détendu, faute de quoi je serais à deux doigts de perdre patience devant la porte qui reste ouverte et les nombreux clients qui entrent en bras de chemise, deux détails qui me rappellent la catastrophe climatique à venir et rendent poreuse ma bulle de sécurité : je demande quand même avec fermeté qu’on ferme la porte…
19h : Au pot de lancement de l’exposition de Soraya Latrous au Temple du pharaon (le vernissage proprement dit aura lieu le mois prochain), il m’arrive une tuile digne d’une comédie à la française : une toile tombe et je me la prends sur la tête ! Elle n’était pas accrochée au mur, elle était seulement posée sur la banquette, et la loi de la gravité s’est donc rappelée à elle au premier mouvement un peu brusque… Heureusement qu’elle n’était pas encadrée ! Encore que… Je me demande si je n’aurais pas préféré qu’elle le soit et que je me fasse vraiment très mal : à choisir, j’aime mieux être plaint qu’être ridicule ! On dit que le ridicule ne tue pas : c’est exact, je peux attester que personne ne rit aux enterrements…
Dimanche 9 octobre
11h : Il devenait urgent que je vide mes poubelles. Descendant dans le local prévu à cet effet, je suis bien surpris d’y voir deux personnes qui, de toute évidence, se livraient à une activité sans rapport direct avec la vocation première de cet endroit ! Laquelle ? Impossible à dire, mais il est clair que je les dérange alors qu’ils cherchaient la discrétion. Ce sont deux personnes plutôt jeunes, en tout cas certainement pas plus âgées que moi, un michton assez costaud qui me regarde d’un air méfiant et une jeune femme plutôt jolie qui se veut rassurante : elle me dit que la poubelle dont j’ai besoin est momentanément « occupée » mais qu’elle s’occupera d’y déverser les déchets que je descends. J’accepte, en précisant que je vais devoir revenir, mais je me demande quand même ce qu’ils faisaient là !
11h05 : Je redescends déjà au local à ordures : les deux « visiteurs » sont déjà partis. J’avais laissé sur place l’une des poubelles que j’avais descendues : je la retrouve vide, la donzelle a tenu parole. L’incident est clos, mais je suis toujours aussi dubitatif : avais-je affaire à un couple illégitime qui cherchait la discrétion ? J’avais cru voir le mec refermer sa braguette quand je suis entré… Tout de même, c’est un lieu de rendez-vous bien peu glamour, même pour deux personnes fauchées ! À moins qu’ils ne se livraient à un petit trafic illicite ? Je ne peux pas le prouver : je n’ai rien vu de suspect, juste un permis de conduire tout ce qu’il y a de plus conforme (du moins en apparence) à la réglementation. De toute façon, le gars avait l’air tellement brutal que je n’aurais pas osé lui poser la moindre question : encore un mystère potentiellement exploitable dans le cadre d’un scénario !
13h : Trompant mon ennui dominical (et surtout ma lassitude) sur le web, je tombe sur une information pas catastrophique mais peu réjouissante : Raquel Welch serait morte ! Je suis tout de même un peu étonné que la nouvelle n’ait pas eu plus d’impact, même s’il est vrai que celle qui fut la plus belle actrice du monde n’était plus toute jeune et que son décès n’aurait donc rien d’étonnant. Renseignement pris, il s’avère que j’ai été victime d’une des innombrables fake news qui circulent sur le web et que l’inoubliable Loana de Un million d’années avant J.C. (même s’il est vrai que son interprétation fut surtout mémorable pour des raisons sans rapport direct avec la qualité intrinsèque du film) est bien vivante, à 82 ans… Cette anecdote peut prêter à sourire, mais elle est tout de même effrayante : ce n’est pas la première fois que circule la rumeur erronée de la mort d’une célébrité, il y a eu des précédents mémorables (Paul McCartney, Isabelle Adjani, etc.) mais Internet donne une ampleur inespérée à des bruits qui pourraient (et, surtout, devraient) ne pas dépasser les frontières d’un petit cercle de crétins trop imaginatifs : ça peut détruire des vies entières ! Là, c’est tombé sur une star internationale : mais imaginez que la toile proclame la mort d’une personnalité moins bien armée pour se défendre ! Si la rumeur n’était pas démentie à temps, qu’adviendrait-il de cette personne ? Ne risquerait-elle pas d’être officiellement déclarée décédée et de faire face au cauchemar administratif imaginé par Binet dans Les fous sont lâchés, sans doute le plus angoissant des albums des Bidochon ? Ne risquerait-elle pas d’être prise pour un imposteur et de risquer tous les problèmes que cette accusation impliquerait, tel Michel Blanc dans Grosse fatigue ? En 2012, un journaliste de Charlie Hebdo écrivait qu’Internet « sera ce que nous en ferons »[1] : dix ans après, on voit ce qu’on en a fait… Je me souviens d’une conversation avec une amie prédisant que tôt ou tard, Internet sera verrouillé et que c’en sera fini de la liberté qui y règne pour l’instant : c’est drôle, j’ai presque hâte que ça arrive !
Lundi 10 octobre
9h : Une fois levé et (à peu près) opérationnel, l’un de mes premiers gestes est de m’informer de l’état de mes finances : pour l’heure, tout va bien, même s’il y a une dépense « de fonctionnement » qui passe de moins en moins. Payer le gaz et l’électricité, ça va encore (pour l’instant) ; payer mon loyer, pas de problème ; devoir payer une assurance pour avoir le droit de payer un loyer, à la rigueur ; mais je supporte de moins en moins d’être obligé de gaspiller 45 euros par mois pour engraisser une mutuelle qui ne me sert pour ainsi dire à rien puisque je ne suis presque jamais malade et qu’elle ne m’octroie que des remboursements dérisoires quand j’en ai vraiment besoin, par exemple quand je dois changer de lunettes… Macron a supprimé la redevance télé : ça me fait une belle jambe, vu que je n’ai pas la télé ! En revanche, même si c’est très rare, il peut m’arriver d’être malade : je ne dois pas être le seul car « l’étrange lucarne » n’est pas obligatoire alors qu’en revanche, on ne peut que difficilement se passer de sa santé ! Si on veut vraiment augmenter le pouvoir d’achat, qu’on commence par mettre fin au racket institutionnalisé des mutuelles et qu’on se dote à nouveau d’un système de santé digne de ce nom !
Sans aucun rapport, voici deux dessins sur le conflit entre TF1 et Canal+ :
Mardi 11 octobre
15h : Je reçois la visite d’une amie, prof d’espagnol de prépa de son état, qui me fait part, entre autres, d’une bonne idée qu’elle a eue récemment : organiser une sortie dans Brest pour ses étudiants, souvent internes, qui ne voient de la ville que leur pensionnat et leurs salles de cours. Il lui a bien fallu vaincre le scepticisme de ses collègues, tous persuadés qu’au vu de gros travail demandé aux élèves de telles classes, ceux-ci seraient trop exténués pour se permettre de telles visites, mais finalement, l’idée a été acceptée et mise en application. Le résultat ? Les étudiants sont ravis et séduits par l’offre culturelle brestoise qui ne peut qu’être bénéfique à moyen terme pour leur parcours : tout le monde s’accorde à dire que l’idée de mon amie était excellente. Cette anecdote confirme l’attractivité grandissante de la ville de Brest et, surtout, prouve que les idées les plus originales sont souvent les meilleures à condition de se donner les moyens de les appliquer : seuls ceux qui sont assez fous pour s’imaginer qu’ils peuvent faire bouger les lignes y parviennent.
Une œuvre d'art abstrait de mon cru, fraîchement finalisée : je l'ai montrée à ma visiteuse et son commentaire m'a incité à la baptiser Heraldic Pop - pour l'anecdote, pour dessiner cette forme rappelant à la fois l'aigle et l'épée, je suis tout bonnement partie... D'une trace de sueur sur mon t-shirt au cours d'une marche en forêt.
Mercredi 12 octobre
11h : J’avais sollicité deux amis pour m’aider à déménager jusque chez moi un meuble rempli d’affaires m’appartenant et que j’ai laissé chez mes parents : malheureusement, j’ai reçu un message de l’un d’eaux m’annonçant que l’opération semblait compromise à cause de la « pénurie de carburant »… J’avoue que je n’étais pas au courant : j’avais pourtant pris des bonnes résolutions pour cette rentrée, entre autres celle de lire plus régulièrement le journal pour me professionnaliser en tant que dessinateur satirique, maintenant qu’il n’y a plus de pandémie ni d’élection susceptible de faire naître en moi une angoisse démesurée. Mais bien entendu, rien ne s’est passé comme prévu et je rate parfois des informations importantes… Bref : une fois de plus, voilà un projet compromis, non pas à cause des grévistes mais à cause des automobilistes qui, probablement sans s’en rendre compte, provoquent eux-mêmes la pénurie en se ruant sur les pompes comme si l’armée du IIIe Reich était de retour ! Chaque fois que j’assiste à cette folie autour de l’essence, chaque fois que je vois les panses pleines céder à la peur de manquer, je repense à Reiser qui, dans les années 1970, avait contribué activement à la recherche d’un autre mode de vie et de sources d’énergie alternatives, et je me dis que s’il savait que, près de quarante ans après sa mort, on en est encore à deux doigts de s’étriper pour quelques gouttes de pétrole, il aurait envie de se flinguer ! Et je crois que je lui demanderais de me laisser une balle de côté…
17h : Je me rends à pied au cours du soir ; chemin faisant, je vois qu’il y a toujours autant de bagnoles dans les rues et que les dingues à moto ne sont absolument pas calmés : où sont les gens faisant la queue à pied, un jerrycan à la main, pour quelques litres d’essence ? Elle est où, la pénurie, si ce n’est dans l’imagination des accros au vroum-vroum qui se sentiraient émasculés si on les privait de leur voiture chérie ? Je croirai à la pénurie de carburant quand il n’y aura plus un seul véhicule à essence sur les routes ! En attendant, tel Yvon Étienne, « moi, j’vais à pied, comme ça, je suis sûr d’arriver »[2]…
Au cours du soir, nous avions un modèle vivant : les poses n'excédaient pas cinq minutes, ce qui excluait évidemment la possibilité d'entrer dans le détail. Le but de l'exercice était justement d'aller assez vite pour saisir l'allure générale du corps. Pour la première, que voici, la prof m'a signalé que j'avais fait des seins trop hauts et des jambes trop longues : paradoxalement, cette remarque m'a rassuré puisqu'elle prouvait que, même après quelques mois sans croquis de nu, je ne tombais plus dans les erreurs classiques des débutants - têtes trop grosses, mains et pieds trop petits, centre de gravité mal placé, etc.
Dès les poses suivantes, la prof ne m'a plus fait les même remarques, signe que j'ai instinctivement retrouvé les bons réflexes.
Petit gag en passant : après avoir fini le dessin ci-dessous, j'avais l'impression qu'Hélène (c'est son nom) suçait son pouce, comme Carroll Baker dans Poupée de chair... Je ne sais pas si c'est très sain d'avoir des pensées pareilles.
Si la plupart des poses n'ont duré que cinq minutes, on a aussi eu droit à deux plus longues : d'abord une pose de dix minutes, que voici - d'autres habituées du cours m'ont fait remarquer quel le rendu était plus minutieux que ce à quoi je les avais habituées, j'ose donc croire que ce cours m'a vraiment aidé à faire des progrès.
Pour le dessin ci-dessous, la pose a duré quinze minutes : nous avions pour consigne de ne nous focaliser que sur le tronc du modèle.
Pour en finir avec le cours du soir, voici une image qui nécessite un minimum d'explications : la prof aime que ses élèves lui ramènent des dessins d'observation faits à la maison, sur un thème déterminé. Pour l'heure, le thème est celui de la salle de bains, d'où ce dessin de robinet exécuté avec une relative sobriété - au moins, on voit ce que c'est !
Jeudi 13 octobre
8h : J’ai dû me lever tôt pour m’assurer d’arriver à l’heure à un rendez-vous à Saint-Pierre, autant dire à l’autre bout de la ville. Cette précaution est d’autant plus judicieuse qu’à cause d’une déviation qui condamne l’arrêt habituel, je suis obligé de marcher pendant un bon quart d’heure pour atteindre une station desservie : voilà un problème que les automobilistes n’ont pas ! En sortant, je constate qu’il pleut et je me dis : « chouette » ! Non, je ne suis pas masochiste, mais voilà : non seulement ça me rassure de voir qu’il peut encore faire un temps automnal en automne mais, surtout, je ne peux m’empêcher de ressentir la petite satisfaction, fort bien décrite par Tronchet, qu’éprouve le dépressif quand les éléments se mettent à l’unisson de son propre cafard…[3] Pourquoi ai-je le cafard ? Parce que je suis tiraillé : d’un côté, j’en ai marre, à mon âge et avec mon niveau d’étude, de devoir rendre des comptes à la CAF et au Pôle Emploi pour avoir de quoi survivre, mais de l’autre, je n’ai pas non plus envie de gagner ma vie à n’importe quel prix, par exemple en sacrifiant ma vie artistique ; en tant que personne en situation de handicap, j’ai le droit de postuler pour les emplois publics, mais si je me faisais embaucher dans ce secteur avec lequel on ne transige pas facilement, il me faudrait probablement sacrifier le cours auquel j’assiste actuellement aux Beaux-Arts, ce à quoi je ne tiens pas pour l’instant car j’ai eu assez de mal à m’y inscrire et je ne veux pas être privé du plaisir, après les deux années pour le moins perturbées que nous avons connues, de suivre enfin une année « normale » de ce cours qui, aux yeux de tous, m’a fait faire d’énormes progrès. Alors, vive la pluie ! Voir la nature en fête et des gens qui sourient jusqu’aux oreilles serait un calvaire pour moi, en ce moment…
10h : Pile à l’heure pour mon rendez-vous au Maquis où j’interviewe la coordinatrice en vue d’un article sur les dix ans de ce lieu de création artistique et de réflexion citoyenne : c’est un très bel endroit, il y règne une atmosphère de liberté et de créativité que je trouve dans peu d’autres établissements, fussent-ils dédiés eux aussi au spectacle vivant. Il est situé au cœur du quartier, donc facile d’accès, tout en étant un peu « coupé du monde », ce qui permet aux intelligences de s’y épanouir à l’abri de la folie du monde… Je vais regretter de partir !
Une partie de l'équipe du Maquis - cette photo ne sera peut-être pas celle qui illustrera mon article, j'ai l'habitude de laisser la rédaction choisir entre plusieurs visuels possibles.
16h : Je retrouve Soraya Latrous, chez elle cette fois : j’aime sa peinture, notamment ses toiles mettant en scène des femmes luttant pour leur dignité, on sent une puissance qu’on ne retrouve que dans l’art africain, mais surtout, je suis impressionné par son parcours qui l’a menée en Afrique, en Indonésie… Je parle assez peu (je n’ai pas la tête à ça), je l’écoute attentivement me parler de son art, de sa vie. L’un des grands regrets de ma vie est de ne pas avoir suffisamment interrogé mes grands-parents sur leur jeunesse, eux qui ont connu la guerre et auraient sûrement eu des choses à me raconter : Soraya a beau n’avoir que six ans de plus que moi, elle a vu et connu tellement de choses qu’elle a sa place toute trouvée parmi les fréquentations qui m’aident à me rattacher à une histoire et à combler le vide laissé par ma méconnaissance du passé de ma propre famille…
Soraya Latrous au Temple du pharaon (photo prise samedi dernier) :
17h50 : Avant de descendre au port de commerce, je risque un tour à la Vagabunda, un lieu d’exposition ouvert récemment en plein centre-ville : la gérante m’explique que leur programme est plein au moins jusqu’à la rentrée 2023 mais qu’ils peuvent me prendre quelques œuvres pour une expo collective en décembre et me prévoir deux événements. Nous nous mettons d’accord pour caler deux dates : je ne dois négliger aucune piste pour relancer ma carrière dont la progression a été sérieusement freinée par le Covid. Affaire à suivre, donc…
18h30 : J’arrive largement en avance pour l’Open Mik à la Raskette. Pour l’instant, il n’y a pas grand-monde dans l’établissement : je peux ainsi sereinement me préparer et sortir les affaires dont j’aurai besoin, à savoir mon classeur avec mes slams, mon matériel de dessin et, surtout, le présentoir tout neuf que je viens d’acquérir pour signaler mon activité de caricaturiste. Il a toutes les qualités : son aspect est tout de même plus « classe » et plus professionnel que le carton à dessin que j’employais jusqu’à présent, sur lequel étaient fixées quatre malheureux tirages abîmés ; mais surtout, il tient debout tout seul sans que je doive le surveiller en permanence et je peux le rouler facilement, ce qui me permet de le ranger dans mon sac à dos sans l’abîmer, fini de devoir me trimbaler dans toute la ville avec mon cabas sur l’épaule… Je dirais bien que le bonheur tient à peu de choses si j’étais capable d’en profiter !
Le présentoir en question :
20h : Toujours très peu de monde, même parmi les candidats à la scène : voilà bientôt une heure que nous y passons à tour de rôle, moi et un pianiste d’âge mûr. C’est la première fois depuis longtemps que je vois si peu de monde à La Raskette : je sais bien que Cécile, qui assure l’animation par intérim, n’a pas exactement le charisme d’Éléonore, mais elle n’en est pas moins charmante et ne démérite pas… Mais non, ce n’est pas lié à elle : dix contre un que les gens limitent les sorties parce qu’ils ont peur de manquer de carburant ! Il est dit qu’un jour, l’homme aura épuisé les énergies fossiles : nous pourrons alors dire, comme pour certains ennemis, qu’elles nous auront fait chier jusqu’au bout !
21h30 : Épuisé par une journée bien remplie et, surtout, conscient que ce n’est pas ce soir que je trouverai des clients pour mes caricatures, je prends congé une heure plus tôt que d’habitude, non sans avoir eu, avant de partir, une conversation avec le pianiste : il est effectivement quinquagénaire, me dit être fan de Barbara et d’Hubert-Félix Thiéfaine (ça suffit à me prouver que c’est un type bien) et ne tarit pas d’éloges sur mes slams, notamment « Les aspsis sont pas des rateurs »[4]. Étant décidément mal dans ma peau en ce moment, je lui demande si, à ses yeux, je dois continuer. Il me répond : « Bien sûr, si c’est ça qui te rend heureux ! » Comprendront-ils un jour que rien ne me rend heureux ?
Le pianiste vu par votre serviteur :
22h30 : Une fois rentré, je dépose une nouvelle candidature à la qualification de maître de conférence en philosophie : j’ai déjà échoué deux fois, mais depuis, j’ai eu le temps d’accumuler un surcroît d’expérience dans l’enseignement et la recherche. Si ça rate encore cette fois, j’abandonne et je me lance dans un nouveau doctorat, en histoire contemporaine cette fois, afin de valoriser les acquis de ma vie « professionnelle »… Au moins, on ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir essayé !
Vendredi 14 octobre
10h : Entrevue avec une chercheuse intéressée par un projet de journée d’études que je mûris depuis déjà un certain temps : celle-ci m’explique qu’elle et ses collègues n’ont plus de lieu pour manger à la fac, la salle de restauration des personnels ayant été fermée ! Certains ont bien essayé d’installer un four à micro-ondes dans leur bureau… Mais on leur a fait comprendre qu’ils n’en avaient pas le droit ! Reste le self des étudiants, où il faut faire la queue et supporter le brouhaha, ou alors manger en ville, avec la dépense que cela implique… Même à l’université, on ne s’embarrasse plus du bien-être des salariés ! Étonnez-vous, après ça, que les mouvements sociaux se multiplient ! Il est plutôt ahurissant qu’il n’y en ait pas déjà davantage ! Puisqu’on en parle : si Macron comptait sur les confinements successifs pour tuer tout esprit de combattivité au sein de la population, le moins qu’on puisse dire est que c’est un peu raté…
12h30 : Déjeuner dans une crêperie. J’entends deux personnes âgées papoter, dont une qui, revenant sur les salariés de Total en grève, dit qu’ils ne sont pas les plus à plaindre ni les plus mal payés. C’est parfaitement exact, mamie : les plus à plaindre et les plus mal payés, ce sont les millions de travailleurs précaires du secteur privé, les petites mains qui font le « vrai » boulot pendant que les encravatés gesticulent dans les open spaces, qui ne peuvent même pas se syndiquer car ce serait un suicide professionnel, d’autant que les syndicats, trop occupés à défendre les avantages d’un autre temps dont bénéficient encore certains fonctionnaires, ont raté le coche de cette génération… Donc, oui, ce ne sont pas les plus à plaindre qui font grève en ce moment, mais comme les patrons et le gouvernement méritent qu’on leur résiste, ne boudons pas notre plaisir de voir la lutte reprendre…
15h : Petite étape à la galerie IdPod où Gwendal Lemercier est à l’honneur : le patron me dit que la moitié des œuvres exposées ont déjà trouvé preneur ! Je ne sais pas si je dois saluer le talent du dessinateur ou celui du vendeur : probablement les deux à la fois ! En attendant, le galeriste me propose de participer à un événement qu’il organise dans une commune non éloignée de Brest métropole : j’accepte tout de suite car je sais que le lieu est très bien desservi par les cars et puis l’événement est une occasion inespérée pour moi d’être mis sur le même plan que d’autres créateurs mieux reconnus… Je ne peux pas en dire plus pour le moment, mais voilà typiquement le genre de proposition que je n’aurais pas pu accepter si j’avais foncé tête baissée dans l’embauche que propose la fonction publique ! Peut-être que je suis vraiment un artiste, après tout ?
[1] KERNEL Jack, « Il n’y a de Dieu que Web et Internet est son prophète », in 1992-2012, plus jamais 20 ans !, Charlie Hebdo hors-série n° 6H, Rotative, Pars, 2012, p. 32.
[3] « Il y a une petite satisfaction à savoir les éléments à l’unisson de notre propre malheur. Une bonne grosse pluie, c’est un peu le ciel qui pleure et une délicieuse morosité générale s’installe, comme si la mienne englobait soudain le monde, s’allégeait d’être ainsi partagée. À l’inverse, le temps radieux est le calvaire du dépressif. (…) Voilà pourquoi aujourd’hui je me recroqueville dans le lugubre cocon de novembre. » TRONCHET Didier, « Chouette, le 11 novembre ! » in Fluide Glacial n° 390, décembre 2008, p. 56.