Du 7 au 14 mars : Désolé, Manu ! Tu enverras les chômeurs mourir au champ d'honneur plus tard...

 

Vendredi 7 mars

 

19h : Je débarque au Poulpe pour venir y écouter chanter l’adorable Lyz’An : c’est toujours agréable de retrouver des compatriotes quand on est à l’étranger… Je suis en avance, ce qui donne à l’intéressée le temps de remarquer ma présence et de me présenter comme un « ami brestois » aux quelques personnes déjà présentes dans cette ressourcerie de la rue d’Oran : l’une d’elles, qui organisera une conférence l’été prochain, en profite pour me demander si je suis capable de dessiner en directe et en public lors d’événements de ce type. Ne voulant pas passer à côté d’une opportunité, je réponds par l’affirmative et j’insiste même sur le fait que je m’en suis fait une spécialité, mettant en avant mon expérience aux journées nationales de psychomotricité. La conversation me donne l’occasion d’apprendre que cette activité graphique un peu spéciale est appelée visual thinking : tel monsieur Jourdain, je faisais donc du visual thinking sans le savoir, je mourrai moins bête !  

 

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19h30 : Le concert de Lyz’An débute à l’heure, ce qui me réjouit déjà. J’ai déjà souvent vanté son talent vocal, je ne vais donc pas m’étaler. Si ce n’est plus vraiment une découverte pour moi, je passe quand même un bon moment qui me fait oublier pendant deux heures que je suis si loin de Brest. J’apprendrai tout de même à l’occasion de ce concert que l’accompagnateur de Lyz’An n’est autre que son grand garçon : ce jeune homme est autiste et a tendance à se cacher derrière ses cheveux sur scène. Comme quoi il est possible de concilier vie d’artiste et vie familiale et ça peut même favoriser l’inclusion des proches en situation de handicap !

 

Lyz'An posant fièrement avec un dessin que j'ai fait pendant le concert :

 

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22h45 : Revenu à l’hôtel, je termine la relecture d’un roman de Nadine Monfils paru en 1995, Une petite douceur meurtrière : c’était le quatrième livre de cette autrice belge – qui en a publié plus d’une cinquantaine depuis ! L’univers de Nadine Monfils foisonne de trouvailles déjantées, à tel point que la mémoire du lecteur ne parvient pas à toutes les retenir : personnellement, j’avais surtout été marqué par le gros dégueulasse (judicieusement prénommé « Porguy ») ramassant une main coupée sur laquelle il se met à fantasmer et par l’adolescente qui porte des lingeries plus que suggestives sous sa tenue de petite fille modèle. Ce n’est qu’avec cette troisième relecture que je m’aperçois que, quinze ans avant l’avènement de Mémé Cornemuse dans Les vacances d’un serial killer, l’esprit de l’autrice était déjà enceint, consciemment ou inconsciemment, de ce personnage de vieille dame indigne et ingérable : prenez Léona, la veuve qui carbure à la trappiste et qui n’en finit pas de vomir sur la mémoire de son défunt mari, et mélangez-la à madame Rosa, la clocharde sans foi ni loi qui prétend lire l’avenir, revendique haut et fort ses goûts douteux et voue un amour sans borne à un « monsieur muscle » hollywoodien[1] : vous obtenez Mémé Cornemuse ! Il ne manquait donc à Léona que la folie de madame Rosa pour ressembler à Cornemuse avec laquelle elle avait déjà en commun une rancune tenace, que même la mort ne peut entamer, contre un mari tyrannique et imbécile… Ceci explique d’ailleurs en partie pourquoi Cornemuse, bien qu’affichant peu ou prou de sentiments humains, gagne la sympathie du lecteur : c’est parce qu’elle incarne à elle seule la révolte contre la société patriarcale et nous rappelle que le féminisme, loin d’être un caprice d’intellectuelles éthérées, est né de la souffrance des femmes ; tout le mal que cette mémé peut faire autour d’elle n’aura jamais aucune commune mesure avec celui que notre monde machiste persiste à infliger aux femmes, et si elle veut « tuer le bon Dieu », c’est précisément parce que cette figure de créateur de l’Univers résume à elle seule l’esprit du patriarcat européen, voire du « phallogocentrisme » occidental pour reprendre l’expression de Derrida – à ceci près que le ressentiment de Cornemuse envers ce que représente le « bon Dieu » n’est pas du tout intellectualisé ou même réfléchi mais tout simplement ancré dans sa chair meurtrie par la violence des hommes… Bon, j’arrête de phosphorer, parce que si elle m’entend, cette vieille bique est capable de me tirer une balle dans la tête pour que j’arrête de dire des conneries !

Un autre qui ferait bien de se taire de temps en temps :

 

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Samedi 8 mars

 

9h : Je prends le petit déjeuner à l’hôtel : je suis seul dans la petite salle prévue à cet effet jusqu’à l’arrivé d’un couple hétérosexuel d’âge mûr. L’homme me pose une question en anglais : j’avoue ne maîtriser qu’imparfaitement la langue de Shakespeare et pour, ne rien arranger, son propre anglais me semble plutôt approximatif. Je lui fais donc comprendre, non sans m’en excuser, que je ne le comprends pas : mais peu après, alors qu’il est assis et converse avec sa compagne, je m’aperçois qu’ils parlent espagnol ! Je le prie donc de reposer sa question dans sa langue maternelle : en fait, comme il faut réserver la veille au plus tard pour le petit déjeuner, il voulait savoir s’il était indispensable qu’ils signalent à l’accueil qu’ils voulaient s’attabler alors que la porte était déjà ouverte ; je réponds que je ne pense pas que ce soit indispensable. Avant de partir, je leur demande d’où ils viennent : ils sont de Barcelone. En retour, ils me demandent mon origine : ils sont bien surpris de m’entendre répondre que je suis français, plus précisément breton ! Ils ne doivent pas être habitués à tomber sur un Français qui parle leur langue, encore moins un qui maîtrise mieux l’espagnol que l’anglais…

 

13h : Depuis mon arrivée, je sors assez peu : Paris n’est plus une nouveauté pour moi. Ce déplacement est purement professionnel et j’ai profité du petit bureau installé dans ma chambre pour y improviser un QG où je peux avancer sur mes projets, presque comme si j’étais chez moi : pour dire vrai, ça me rappelle un peu l’époque où je squattais encore chez mes parents et où ma chambre me servait aussi de bureau, mais bon. Il faut quand même descendre de temps en temps pour manger, même si j’y réfléchis à deux fois avant de m’exposer à devoir remonter les cinq étages de cet escalier particulièrement raide ! Et pas question d’aller au restaurant à chaque fois : c’est ce que j’avais fait à mon premier passage à la capitale et ça avait bien failli me mettre sur la paille… C’est pourquoi je me retrouve sur un banc à déguster un croque-monsieur en compagnie d’un type qui se sent obligé de me souhaiter bon appétit… Il fait chaud pour la saison.

 

Deux zigotos qui, eux, font plutôt froid dans le dos :

 

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15h45 : J’arrive dans une galerie du 3e arrondissement où un compatriote breton m’a donné rendez-vous : l’établissement expose actuellement des photos imaginant quelle allure prendrait la capitale si les humains la laissaient à la faune et à la flore… Cette vision post-apocalyptique pourrait être angoissante : je la trouve plutôt rafraîchissante ! Paris y gagnerait à bien des points de vue… Tout à coup, une grande perche en tenue hawaïenne m’interpelle et m’exhorte à enlever mon casque antibruit : je ne comprends pas en quoi ça le dérange ! Je consens à baisser ma protection auditive le temps d’écouter ses explications : je comprends que j’ai affaire au galeriste en personne et celui-ci m’explique que s’il veut que j’enlève mon casque, c’est pour pouvoir entendre les chants d’oiseaux qui, dit-il, seraient diffusés dans la salle pour accorder l’ambiance sonore au thème de l’exposition. Le problème, c’est que même sans mon casque, je n’entends rien, à part le brouhaha des visiteurs, d’autant que ce local résonne abominablement ! Je fais comprendre à ce monsieur que je suis autiste et que si j’enlève mon casque avant l’arrivée de mon concitoyen, je ne tiendrai pas longtemps le coup nerveusement parlant… Il décide donc de me laisser tranquille et m’invite à aller prendre un verre au buffet… En me donnant une tape sur l’épaule ! Exactement ce qu’il ne faut pas faire avec une personne du spectre ! Je ne peux pas en vouloir à un galeriste d’être mal renseigné sur le spectre autistique, mais je préfère quand même attendre mon compatriote dehors…

 

16h : Mon camarade arrive, pile à l’heure : je suis bien content de le revoir dans cette ville où je ne me sens décidément pas adopté ! Il m’explique que s’il s’intéresse à cette expo, c’est, entre autres, parce que ces montages photographiques (réalisés sans recourir à l’intelligence artificielle) rappellent ceux qui ont bâti la renommée de notre concitoyen brestois Mathieu Le Gall ! Je m’en veux de ne pas avoir fait le rapprochement…

 

16h30 : Petite pause : à force de piétiner dans une petite salle bondée, qui plus est avec la chaleur qui règne, on a vite fait de se fatiguer. Nous nous asseyons sur un canapé installé au sous-sol de la galerie. Mon camarade ne boit pas d’alcool, nous sirotons donc des verres de jus de fruit tout en parlant de choses et d’autres. Mon interlocuteur est journaliste et me dit ne pas prendre au sérieux les récents discours va-t-en-guerre de Macron : de fait, ça fait trois ans que l’armée russe se casse les dents sur une Ukraine qu’elle croyait pouvoir écraser en quinze jours ! Elle ne va donc pas déferler du jour au lendemain sur l’Europe occidentale dont deux pays ont la bombe atomique… Nous parlons aussi de sujets plus spécifiquement parisiens comme la bibliothèque de Beaubourg qui va fermer pour rénovation : en effet, quand on avait lancé la construction de la raffinerie qui porte le nom de Pompidou, les responsables n’avaient pas pensé que les matériaux de cette tuyauterie n’étaient pas du tout prévus pour durer et qu’il faudrait les changer quatre fois par siècle, autant dire toutes les cinq minutes à l’échelle de l’histoire… En apprenant ceci, je repense à cette déclaration de François Béranger au cours d’un concert qui a été enregistré sur un disque édité en 1977 :

 

« La France est un pays qui est très sous-occupé sur le plan culturel, donc sur le plan acoustique aussi. Mais notez bien qu’on a Beaubourg qui a coûté 900 milliards : avec les 900 milliards on aurait pu construire au moins 900 salles bien équipées, des salles de 1000, 1200 places où les gens soient bien assis, aient bien chaud, entendent bien, voient bien, etc. Mais on a préféré faire un seul truc, enfin ça, c’est une politique ! »[2] 

 

En fait, Beaubourg n’aurait coûté « que » 90 milliards de francs (Béranger l’a corrigé de lui-même sur la pochette du disque) mais, quel que soit le montant réel de la facture, ça n’enlève rien à la triste vérité d’un gouffre à pognon qui s’avère, de surcroît, un véritable tonneau des Danaïdes érigé pour flatter, même dans la mort, l’ego d’un banquier devenu ministre puis chef d’État… Il y a de quoi trembler rien qu’à imaginer ce qu’on va construire quand Macron sera mort ! En attendant, il y a toujours des gens de talent obligés de se produire dans des conditions spartiates, mais bon, si on commence à aider les artistes qui en ont vraiment besoin, avec quoi on va acheter des armes à Dassault ?

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16h50 : En nous apprêtant à sortir de la galerie, nous poursuivons notre conversation entre lettrés du bout du monde égarés au pays des bobos et nous en arrivons à débattre de la signification exacte d’un substantif dont j’use de façon intensive : le mot « rombière ». Selon mon interlocuteur, il désignerait une vieille bourgeoise réac et prétentieuse : je ne suis d’accord que sur le dernier de ces quatre termes. Dans mon esprit, une rombière n’est pas forcément vieille même si elle est au moins d’âge mûr : ce n’est de toute façon plus une jeune fille, mais elle peut ne pas avoir dépassé la quarantaine. Toujours selon moi, ce n’est pas forcément une bourgeoise : elle peut être de la classe moyenne et je pense qu’on en trouve même dans les milieux populaires. Enfin, je ne pense pas qu’elle est forcément réac même si elle a des idées arrêtées : elle peut n’être ni raciste ni croyante intégriste, mais elle a toujours au moins une conception étroite de la « réussite » et de la vie de couple, ce qui lui suffit pour pourrir la vie de son entourage, à commencer par son mari et ses enfants… Bref, mon modèle de « rombière » c’est Bonemine dans Astérix : elle ne semble pas si vieille que ça, elle n’est pas particulièrement riche malgré son statut de femme du chef, et jamais Goscinny et Uderzo, pas plus que leurs successeurs, ne lui ont prêté de convictions xénophobes ou homophobes ; mais elle est incontestablement imbue d’elle-même, elle empoisonne la vie de son époux en lui rappelant la « réussite » de son frère et elle n’a même pas de respect pour les guerriers qui la protègent des Romains sous prétexte qu’ils ne sont pas mariés… Bref, je propose une définition moins restrictive du mot « rombière », qui ne mettrait pas à l’abri de cette étiquette dévalorisante les trentenaires de gauche issues de la classe moyenne, qui ne sont pas non plus à l’abri de la connerie. Mais je ne dis pas que j’ai forcément raison !

 

17h : Mon camarade a l’idée de m’emmener aux Archives Nationales où est actuellement exposé un document de grande valeur : la seule et unique représentation conservée de Jeanne d’Arc à avoir été exécutée du vivant de cette dernière ! En chemin, nous nous arrêtons dans une galerie d’art dont il connait les patrons : ces gens sont tout à fait charmants et j’apprécie le fait qu’ils consacrent une bonne partie de leurs murs à l’estampe. Néanmoins… Cette halte n’était pas prévue, j’ai toujours aussi chaud, il n’y a rien pour s’asseoir et l’un des tauliers regarde sur son smartphone une vidéo que je n’identifie pas mais dont le son est à fond et qui me casse les oreilles ! Bref, ça fait déjà quatre bonnes raisons pour que j’explose : l’étincelle vient quand madame demande à monsieur de baisser le son… Ce qu’il refuse ! Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, toujours est-il que, n’en pouvant plus, je craque et je lui dis franchement que ce bruit me tape sur les nerfs et m’empêche d’apprécier pleinement cette rencontre ! Mon compagnon de route est bien obligé de dire que je suis Asperger… « Ne crie pas sur les toits que tu es autiste » m’a dit un jour une amie : comme si je pouvais le cacher !

 

17h10 : Marcher dans le Marais un samedi après-midi, c’est s’exposer à affronter la foule des bobos en promenade ! Mais quel que soit le statut social, réel ou supposé, de la population qui foule le pavé parisien, il y a quand même beaucoup de monde en ville, ce que je supporte assez mal… Le summum est atteint devant une boutique où l’on vent des gaufres et devant laquelle se déploie une file d’attente qui rappelle Moscou au temps de la perestroïka, les smartphones en plus ! Les gaufres doivent y être délicieuses, pensez-vous ? Et bien détrompez-vous ! D’après mon ami, elles sont dégueulasses, mais les patrons ont payé une influenceuse pour qu’elle dise du bien de leurs produits sur Internet et il n’en faut plus pour que tous les followers de cette pétasse se ruent sur ces gaufres hors de prix et imbouffables… Je me demande ce qui me retient de leur hurler qu’ils vont se faire rouler ! Bah, c’est leur problème, après tout…

 

17h15 : Nous arrivons aux Archives Nationales, mais l’expo est déjà en train de fermer ! Je ne peux m’empêcher de penser que nous aurions pu arriver à temps si nous nous étions moins attardés à l’une des deux galeries d’art : voilà où mène la manie des neurotypiques de mettre trois heures à se dire Au revoir… Mais je n’en veux pas à mon camarade de m’avoir fait marcher jusqu’ici car j’aime ce bâtiment : il en profite pour me dire que cet édifice sert parfois à figurer l’Élysée dans des fictions… Et il ajoute même que ce bâtiment est mieux conçu que l’Élysée ! Et oui : le palais de l’Élysée, ancienne demeure de la Pompadour, n’a pas du tout été conçu pour accueillir une administration importante, les salles y sont étroites et ne sont vraiment pas pratiques pour les fonctionnaires qui y travaillent ! Le général de Gaulle aurait même envisagé, en 1958, de déménager la demeure de l’exécutif à Vincennes ou aux Invalides ! Bref, le chef de l’État est censé travailler dans un local qui n’est absolument pas adapté à sa fonction et on s’étonne que ce soit le bordel en France… Et le pire, c’est que tous les cinq ans « et même parfois avant »[3], ils sont au moins une demi-douzaine à s’entretuer pour avoir le droit d’habiter cette pétaudière ! Je me rappelle de la BD Astrobald où un extraterrestre fait campagne pour être élu président : il gagne les élections mais celles-ci sont invalidées pour vice de procédure et il est finalement soulagé de devoir quitter cette demeure qui le déçoit ! La fiction dépasse souvent la réalité…

 

17h30 : Avant de nous quitter, nous nous arrêtons pour boire un jus de fruit près de Beaubourg, justement. Je reconnais l’endroit, c’est celui où j’avais interviewé Delfeil de Ton : cette pause est en tout cas bienvenue, nous sommes au frais et à l’écart de la foule. Car, malgré l’heure déjà avancée, il y a foule devant le centre Pompidou, ce qui étonne beaucoup mon camarade qui n’a pas eu vent de l’inauguration d’une nouvelle exposition ! Je serais bien en peine de lui proposer une explication…

 

19h : Je retrouve Lyz’An pour un autre concert, toujours à la Goutte d’or mais, cette fois… Dans une galerie d’art ! Et oui, encore ! Mon escapade parisienne est décidément placée sous le signe de ce commerce… Mais cette fois, on est dans le 18e arrondissement et le cadre est nettement moins « snob » que dans les autres établissements qu’il m’a été donné de visiter : pour tout dire, l’ambiance un peu « roots » me rappelle certains lieux brestois ! Toujours est-il que l’ambiance est un peu moins enjouée qu’au concert d’hier : il y a beaucoup moins de monde, je suis un des rares à avoir fait le déplacement, outre deux amis de la chanteuse qui avaient joué dans un de ses clips. Lyz’An, qui ne chante pas au rabais, n’y est pour rien, pas davantage que le patron de la galerie : je suis bien placé pour savoir à quel point il peut être difficile de mobiliser le public quand on n’a pas autant de moyens que le centre Pompidou…

 

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Dimanche 9 mars

 

12h : Déjeuner chez mon oncle qui habite Ménilmontant. Ayant été hébergé à plusieurs reprises chez lui quand je n’avais pas les moyens de me payer l’hôtel, j’ai le sentiment de connaître le quartier par cœur ! Mon oncle est toujours de bon accueil, trop heureux d’animer sa solitude de vieux célibataire en accueillant son neveu. Il m’apprend qu’il va bientôt revenir en Bretagne pour assister à l’anniversaire du club nautique de Léchiagat (près du Guilvinec) dont l’une de ses sœurs, donc ma tante, fut l’une des co-fondatrices. Coïncidence : l’une des œuvres que j’expose actuellement chez Thuillier est précisément une copie de « La chambre » de Van Gogh, que cette défunte tante avait peinte, que j’ai récupérée à sa mort et que j’ai complétée à ma manière en y collant deux personnages échangeant des considérations sur l’habitabilité de cette chambre… Mon hôte m’apprend aussi que ce week-end, l’entrée au centre Pompidou était gratuite ! Pas besoin de chercher plus loin la raison de l’affluence qui intriguait tellement mon camarade ! N’empêche que ce n’est pas comme ça qu’on va amoindrir la facture pour le contribuable…

 

14h15 : Ayant pris congé de mon oncle, je retire de l’argent à un distributeur avant de reprendre le métro : il n’en faut pas plus pour qu’un tapeur vienne me demander des sous… Je lui glisse une pièce, non sans quelque remords : donner cinquante centimes à quelqu’un quand on est en train de retirer cent fois plus d’argent, ça crée un problème de conscience ! Et pourtant, je sais que ce n’est pas moi qui devrais l’avoir…

 

Lundi 10 mars

 

12h30 : Je sors pour déjeuner à une brasserie que j’ai repérée hier ; en me voyant passer, le réceptionniste me demande si je n’ai besoin de rien. C’est vrai que ça fait déjà quatre jours que je suis là et je ne pars qu’après-demain, il aurait donc pu s’attendre à ce que je demande qu’on change les draps ou les serviettes, par exemple… Mais je n’ai pas pour habitude de me faire servir, alors je contente de demander qu’on coupe le chauffage dans ma chambre où je ne cesse de crever de chaud !

 

13h : Mon repas me laisse une impression mitigée : sans aller jusqu’à dire que la cuisine est mauvaise dans cette brasserie, je trouve mon steak-frites en-deçà de ce que j’aurais pu espérer au vu de son prix. Pas de doute, même dans le 18e, on est bien à Paris…Enfin, l’important est que ça cale bien le ventre car j’ai des travaux d’écriture à boucler. Entre deux services, je termine la lecture de l’article de Robin Hopquin dans le dernier Ridiculosa, consacré au film La cuisine au beurre : je ne savais pas que Bourvil et Fernandel avaient partagé la vedette d’une comédie ! Mais si je n’avais jamais entendu parler de ce film, c’est qu’il y avait une raison, et tout porte à croire que ce n’était pas un chef-d’œuvre : même à sa sortie, son succès commercial fut finalement relatif au vu de la notoriété des deux acteurs ! Ce n’est pas un hasard si la postérité a oblitéré ce duo au profit de celui que l’un a formé avec Louis de Funès et l’autre avec Gino Cervi… D’ailleurs, quand on sait que le ressort « comique » de ce film est l’opposition entre le Normand et le Provençal, on se réjouit presque qu’il soit tombé dans un relatif oubli ! Fernandel vient du Sud « donc » il est paresseux et exubérant, Bourvil vient du Nord « donc » il est travailleur et timide… Avec une telle vision des identités, on frémit rien qu’à penser à ce que le réalisateur aurait fait s’il avait dû faire tourner Omar Sy et Jamel Debbouze ! Un tel film aurait pu être produit par Bolloré…

 

14h : J’ai réintégré ma chambre : le chauffage a été coupé conformément à ma demande, je peux enfin savourer un peu d’air frais en ouvrant la fenêtre. Bien entendu, je ne rate rien du bruit des trains qui quittent la gare du Nord ni des cris des gosses de l’école voisine… Décidément, rien n’est simple !

 

Sans transition, un adorable petit hérisson dessiné de manière réaliste par votre serviteur - je préfère quand même le hérisson plus caricatural qui me sert de porte-parole :

 

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Mardi 11 mars

 

8h45 : En ce jour de triste mémoire, je risque un œil à la « une » du Figaro qui traîne sur la table basse du hall d’accueil de l’hôtel : le quotidien consacre ses gros titres à un « vent de fronde » provoqué par l’instauration des zones à faibles émissions de gaz à effet de serre… Si la menace de guerre était vraiment sérieuse, un journal contrôlé par la firme Dassault ne se priverait pas d’en faire ses choux gras ! Je reste néanmoins inquiet car, depuis le 11 mars 2004, jour des attentats de Madrid, je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que cette date est porteuse de catastrophes…

 

12h30 : Et voilà. J’en ai marre d’avoir toujours raison ! Attablé à l’Escurial pour déjeuner, je découvre un message m’apprenant la mort de Jean-Christophe Podeur, le galeriste de la rue Louis Pasteur… La vie artistique brestoise perd une figure majeure : moi, je perds un compagnon de route avec qui j’ai partagé plus d’une aventure, à commencer par la valorisation du travail de notre vieille amie Geneviève Gautier… Si je croyais à l’au-delà, je pourrais dire qu’il devait être pressé de retrouver celle qui fut sa mère spirituelle et dont la mort, survenue il y a quatre ans, lui avait brisé le cœur : mais je ne crois pas à la vie après la mort et, de toute façon, je ne pense pas que « Pod », comme on l’appelait, aurait volontairement abandonné sa femme et leurs trois enfants ! Mes pensées vont à eux ainsi qu’à ses amis les plus proches… Merde, alors ! Avec qui je vais discuter, maintenant, quand je passe dans le quartier de la galerie et que je n’ai rien à faire en attendant un rendez-vous ? Il va falloir s’habituer à un grand vide…

Un autre grand disparu :

 

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14h : Encore assommé par la triste nouvelle, je risque un tour à la galerie Thuillier où mes œuvres sont censées être exposées depuis quatre jours et où le vernissage doit avoir lieu dans quatre heures : le patron a bien fait les choses, d’autant que mes œuvres sont dans la première des trois salles du sous-sol, autant dire que ceux qui descendront ne pourront pas me rater. Je pourrais être ému, je ne le suis pas plus que ça : ça a beau être ma première dans une galerie parisienne, je me demande surtout si je vais réussir à faire bonne impression ce soir…

Quelques photos :

 

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15h : Ayant quelques heures à tuer, je me suis mis en quête d’un lieu à visiter. Je me rabats sur le musée Cogacq-Jay qui a l’avantage d’être gratuit. On parle relativement peu de l’art du XVIIIe siècle et on a tort : certes, on est encore loin de la révolution esthétique introduite du XIXe, mais le XVIIIe n’en est pas moins le siècle des lumières, donc une période de transition où la vieille France héritée de Louis XIV va être ébranlée par les idées nouvelles et finalement déboucher sur le grand bazar de 1789. Les artistes de l’époque n’ont pas pu y rester insensibles, et leurs œuvres portent l’empreint de cette époque où le droit à l’individualité commence à s’exprimer, où l’enfant commence à être reconnu comme une personne à part entière et où même les grands de son monde commençaient à prendre de la distance vis-à-vis du décorum associé à leur statut, comme Marie Leszcynska[4], épouse de Louis XV, qui posa sans ses attributs de reine… Osons le dire : le XVIIIe siècle fut l’époque où s’amorcèrent des évolutions qui étaient, pour la plupart, positives… Et n’étaient pas encore devenues, pour certaines, insupportables ! Parce qu’aujourd’hui, en revanche, le culte de l’égo, les enfants-rois et les chefs d’État qui s’affichent en bras de chemise, je ne sais pas pour vous, mais moi, j’en ai MARRE !

 

Quelques croquis de statues :

 

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18h : Le vernissage commence. J’arrive à l’heure. Je décide assez vite de rester au sous-sol, à proximité de mes œuvres, pour pourvoir répondre aux questions des visiteurs, et de ne remonter que pour me faire resservir à boire. Bien m’en prend : en agissant ainsi, j’ai l’opportunité d’échanger avec des gens qui s’intéressent vraiment à l’exposition et j’évite ainsi la cohorte des parasites qui ne viennent que pour picoler à l’œil… Notez que je ne leur jette pas la pierre : moi aussi, je profite d’être là pour boire, après tout. Au cours d’un de mes allers-retours entre le buffet et le sous-sol, un homme, remarquant ma marinière, m’alpague et me demande si je suis breton : je réponds que oui, je précise même que je suis de Brest. Il essaie d’engager la conversation en parlant de la bonne saison du Stade Brestois : je rétorque que je n’aime pas le football. Il embraie avec le Mont Saint-Michel et la rivalité qu’il suscite avec les Normands : je réplique que je le leur laisse car je n’aime pas les curés. Il poursuit en me demandant si je me sens près à partir à la guerre : je rétorque que je me ferais réformer pour handicap car je n’aime pas l’armée. Il me questionne sur ce que je pense de Paris : là, je n’ose pas le vexer et je préfère dire « c’est pas mal ». Heureux de m’avoir enfin arraché quelque chose de positif, il me sort toute la panoplie parisianophile : voyant déjà pointer à l’horizon le tristement célèbre « Comment peut-on vivre ailleurs qu’à Paris » je tire prétexte des affaires que j’ai laissées au sous-sol pour redescendre et prendre congé… Je suis quand même content de ne pas lui avoir donné satisfaction ! J’ai ainsi droit à des échanges intéressants avec les gens qui prennent la peine de descendre : c’est surtout ma toile avec les aphorismes du hérisson qui suscite des commentaires, on salue le charme délicat de la petite bête ainsi que les vérités bien senties que je lui fais proférer… Certains me disent, quand je leur signale que je viens de Brest : « Tu es mieux là-bas qu’ici ! » Je le savais bien, que je parisianisme n’était pas un signe d’intelligence… En tout cas je suis satisfait de ce vernissage et, malgré ma peine d’avoir perdu mon ami Pod, c’est avec le sourire que je pars à 21 heures : c’était l’heure de fermeture indiquée sur le carton d’invitation, je ne juge donc pas nécessaire de rester plus longtemps. Je ne suis pas hostile à toute vie sociale tant que les règles sont précises dès le départ…

 

Deux photos prises par le patron de la galerie - ne me reprochez pas de ne pas sourire, je vous rappelle que je suis en deuil :

 

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Mercredi 12 mars

 

9h : Le jour du retour au pays est arrivé. Me voici déjà à la gare Montparnasse pour attendre le train. Les quotidiens annoncent que Trump et Zelensky ont finalement trouvé un accord… Bref, Trump ne va pas tout de suite aider Poutine à casser la gueule à l’Ukraine et à détruire l’Europe dans la foulée, même si on se doute que le sort du Vieux continent ne l’empêche pas de dormir ! Un qui doit être embêté, c’est notre président qui se voyait déjà retrouver le statut qui lui avait garanti sa réélection il y a trois ans… Mais je suppose que De Villiers, Le Pen, Zemmour et Hanouna doivent être encore plus déçus : je suis sûr qu’ils voyaient déjà l’armée russe occuper notre pays et le nettoyer des immigrés et des homosexuels… C’est qu’ils sont nombreux, les bons Français qui ne verraient pas d’inconvénient à faire pour la Russie ce que leurs ancêtres ont fait pour l’Allemagne ! Poutine n’aurait qu’à se baisser pour trouver des collabos…  

 

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16h30 : Je savais que je serais fatigué à mon arrivée à Brest, c’est pourquoi j’avais réservé un Accemo pour me rendre au cours du soir. Mais je ne m’attendais pas à ce que le conducteur aggrave mon état, d’abord en arrivant avec une demi-heure d’avance, ensuite en me bassinant avec le mal qu’il a eu à trouver mon immeuble et à trouver une place pour se garer… Craignant qu’il me resserve les sempiternelles récriminations sur les travaux du tramway, je préfère mettre un terme à la discussion en disant que je viens de perdre un ami et que je n’ai pas le cœur à discuter : je n’ai pas été très gentil, mais je n’ai pas menti !

 

Jeudi 13 mars

 

9h : Quand on est indispensable, on n’est jamais tranquille… Telle est la pensée assez immodeste qui me vient quand, alors que je viens à peine de finir mon petit déjeuner, je dois répondre à deux coups de téléphone successifs ! L’un du président d’une association patrimoniale de Guipavas, qui veut que j’écrive un papier sur ses nouveaux locaux et sa dernière publication ; l’autre d’une responsable de Kengo.bzh : cette plateforme de financement participatif va bientôt fêter ses dix ans à la PAM et ils acceptent que je participe à l’événement en tant que caricaturiste, en tant que slameur et en tant que conférencier… Bref, les affaires reprennent : Pod n’est plus là, mais the show must go on, non ?    

 

15h45 : Passage au local de la MGEN où l’on me confirme que, étant désormais bénéficiaire de la Complémentaire Santé Solidaire, je n’aurai plus à payer un sou à la mutuelle pendant un an ! Ce qui représente soixante euros d’économie par mois ! J’en suis d’autant plus ravi que, même si ce n’était pas aussi cher, je trouverais aberrant de devoir payer pour avoir le droit de se faire rembourser ses frais de santé ! Et le pire, c’est qu’en dépit de cette épouvantable régression, que dis-je, ce reniement absolu des idéaux ayant présidé à la création de la Sécurité sociale, la France fait quand même encore figure de paradis sanitaire par rapport à d’autres pays…

 

Sans transition, ma vidéo de la semaine :

 

Vendredi 14 mars

 

13h30 : En relevant mon courrier, je suis bien surpris d’y trouver un Fluide Glacial ! Le dernier numéro du mensuel m’est arrivé il n’y a pas une semaine et ce fascicule est nettement plus petit que les hors-série habituels. Mais un second coup d’œil a vite fait d’éclairer ma lanterne : à l’occasion des cinquante ans du mensuel, la rédaction a eu l’idée géniale d’éditer un « numéro zéro » compilant, outre quelques pages de l’époque héroïque, des textes et des BD qui auraient pu être proposées à Gotlib dès l’annonce de la création de son journal. C’est pourquoi ce hors-série ne compte « que » 64 pages et que la quasi-totalité de son contenu est en noir et blanc, comme ce fut le cas pour la quasi-totalité des numéros parus au siècle dernier… Au-delà de la replongée nostalgique dans l’ambiance d’une époque révolue, cette publication montre que Fluide Glacial, quoi qu’on en dise, garde son esprit incisif, y compris vis-à-vis de lui-même ! La couverture du numéro 1, avec le fameux fakir dessiné par Gotlib, avait déjà eu droit à une suite due au même auteur pour les 25 ans de Fluide : elle a désormais droit à un prequel où l’on voit le même fakir s’apprêter, non sans précaution, à s’asseoir sur la célèbre punaise ! Je n’ai pas souvenir d’une autre couverture de magazine qui ait droit à un tel privilège… J’ai bien failli croire que ce dessin était dû à mon concitoyen Julien Solé, mais non, c’est son père Jean qui l’a réalisé : il ne perd pas la main, visiblement ! 

 

Terminons avec un petit dessin qui tombe à point pour annoncer le colloque "Albert Camus et l'Algérie coloniale" qui se tiendra la semaine prochaine à l'Institut du monde arabe à Paris - non, je n'y serai pas :

 

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C'est tout pour cette semaine, à la prochaine ! 


[1] Schwarzenegger pour madame Rosa, Van Damme pour Mémé Cornemuse : Monfils a sans doute fini par préférer ce dernier pour ses aphorismes fumeux – d’autant qu’il est son compatriote.

[2] Vous trouvez que cette citation est mal écrite ? Je vous assure que je ne fais que retranscrire les propos de Béranger tels qu’on peut encore les entendre ici : https://youtu.be/3vvvF3dtvdw?feature=shared Outre l’erreur dans les chiffres, Béranger commet en effet une faute de syntaxe qui peut étonner de la part d’un poète de son envergure, mais qui est pardonnable dans le contexte d’une improvisation, surtout pendant un concert où la salle est chauffée à blanc. Et puis faites pas chier, merde, vous ne vous trompez jamais, vous ?

[3] Encore un extrait de François Béranger, plus précisément de sa chanson « Magouille blues » qui reste, hélas, d’actualité un demi-siècle plus tard : il y parle certes de Jean Royer de François Mitterrand, mais ce qu’il dit d’eux pourrait s’appliquer sans problème à Zemmour et Mélenchon…

[4] Ne me demandez pas comment ça se prononce !



14/03/2025
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