Du 7 au 10 janvier : Je suis toujours Charlie ! Et je ne serai jamais Le Pen (père ou fille)...
On commence avec un dessin pour commémorer ce que vous savez :
Mardi 7 janvier
10h : Après un week-end sans histoire, il faut bien que je sorte : Tébéo m’a invité à passer dans l’émission Bonjour Bretagne à l’occasion du dixième anniversaire des attentats du 7 janvier 2015 ! Il y a des consécrations dont on se passerait presque… En attendant, je dois me faire faire une nouvelle photo d’identité afin de pouvoir commander ma nouvelle carte vitale : pour être sûr qu’elle soit acceptée, je me rends dans la boutique de photographie de mon quartier où je serai pris en charge par des professionnels qui connaissent les normes à respecter. Je suis donc obligé d’enlever mes lunettes et de me coiffer de manière à ce que mon front soit dégagé et mes oreilles visibles… Au final, la photo ressemble à tout sauf à moi ! Et l’expression que je suis contraint d’adopter me fait ressembler à un psychopathe… La photo d’identité ne nous montre pas tels que nous sommes mais tels que le pouvoir a envie de nous voir : sans lunettes, donc sans défaut de vision dont la prise en charge pourrait coûter de l’argent à l’État, sans cheveux, donc sans ce qui contribue à une large part de l’identification d’un individu, et sans expression, donc sans personnalité à part celle du suspect potentiel que les forces de l’ordre seraient en droit d’interpeler voire d’incarcérer à tout moment… En ce jour où nous sommes censés commémorer un jour noir pour la liberté d’expression, je fais un constat qui n’est pas fait pour me remonter le moral, ou je me trompe ?
La photo d'identité en question :
Une vidéo en hommage à Charb :
Un dessin que j'ose croire pertinent :
13h30 : Fidèle à moi-même, je suis arrivé en avance dans les locaux de Tébéo. Ma collègue germanique résidente en Bretagne, Dorthe Landschulz, ne tarde pas non plus à arriver. Les deux autres dessinateurs invités, Nono et Alain Goutal, seront avec nous en visioconférence. C’est en accompagnant la journaliste jusqu’au studio, situé au sous-sol, que j’apprends la mort de Jean-Marie Le Pen. Il n’y a pas si longtemps encore, l’annonce de la mort de ce vieux cyclope m’aurait transporté de joie ! Mais aujourd’hui, c’est plutôt un non-événement, d’une part parce que ce vieux con n’était plus qu’un souvenir depuis déjà longtemps, d’autre part et surtout parce qu’il n’a malheureusement pas emporté ses idées pourries dans la tombe ! Sa fille a cent députés à l’assemblée, les gens de gauche se sont sentis obligés de défendre Dieudonné au nom de la liberté d’expression, les ministres de Macron n’ont de cesse de livrer les migrants en pâture à la vindicte populaire… Bref, le discours du menhir sur l’immigration et la sécurité, qui scandalisait il n’y a pas si longtemps encore, est devenu une parole d’évangile que plus personne n’ose remettre en question malgré les faits qui lui donnent tort de A à Z, et ce sont, a contrario, les idées d’équité, de justice sociale et de tolérance qui sont présentées comme dangereuses ! Décidément, j’aurais vu mieux comme ambiance pour rendre hommage à Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, Honoré et tous les autres…
14h45 : Nous venons de terminer l’enregistrement de l’émission. Nous avions pris du retard, Alain Goutal ayant eu du mal à se connecter. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire remarquer que jadis, quand une personne ne pouvait pas être physiquement présente à un événement quelconque, on se faisait une raison et on ne s’en portait pas plus mal ! J’étais sûrement le plus jeune sur le plateau et, pourtant, je devais être le moins convaincu par les bienfaits de la technologie : paradoxal, n’est-ce pas ? Enfin bref : comme nous étions quatre et n’avions que dix-sept minutes pour parler, d’autant que l’émission était réalisée dans les conditions du direct, c’est-à-dire sans montage en aval, j’ai donc joué la carte de la franchise. J’en connais qui ont dû grincer des dents en me voyant dire que je trouvais toutes les religions débiles ! Au moins, on ne peut pas m’accuser d’islamophobie puisque je mets les intégristes des autres religions dans le même sac que les djihadistes… Mais personne, sur le plateau, n’a été choqué par mes déclarations (ce n’était d’ailleurs pas le but que je poursuivais) : la journaliste trouve même que je m’en suis bien sorti pour cette première télévision, avis partagé par Dorthe, plus habituée que moi à cet exercice puisqu’elle passe régulièrement sur Arte. J’invite ma collègue, qui habite Lesneven, à découvrir la PAM qu’elle n’avait encore jamais vue : quand je dégaine mon téléphone pour voir si j’ai des messages, Dorthe est bien surprise de constater que j’en suis encore au vieux modèle à touches ! Au moins, c’est cohérent avec le scepticisme que m’inspire la visioconférence…
Vous avez raté l’émission ? Vous pouvez la regarder en replay en suivant ce lien !
Encore une vidéo, avec une belle chanson de mon amie Liloo :
Sans transition...
Mercredi 8 janvier
18h : Au cours du soir, une élève m’interpelle à propos de ma dernière chronique dans Côté Brest consacrée, commémorations obligent, au procès qui avait été intenté à Cabu à Brest en 1976. Au moins, comme ça, j’ai la confirmation que mon papier a bien été publié car je n’ai pas trouvé d’exemplaire du journal à Lambé… Mon interlocutrice, qui est déjà une vieille dame, me dit qu’elle ignorait, jusqu’à présent, que Cabu avait fait l’Algérie et en était revenu antimilitariste au point de collectionner les assignations en justice pour injures à l’armée ! Autant dire qu’elle ne savait rien du dessinateur, ou qu’elle n’en connaissait que les dessins pour Le Canard enchaîné[1] voire Récré A2 ! Elle ajoute que son mari avait fait l’Algérie, comme la plupart des pauvres types qui ont eu la malchance de devoir faire « leur régiment » à cette époque : tous les témoins ne sont donc pas morts, c’est bon à savoir !
Moi avec Cabu - la photo a été prise en juin 2014, six mois avant ce que vous savez...
Sans transition :
Jeudi 9 janvier
16h : Il y a dix ans jour pour jour, je déambulais dans les rues de Brest avec les lycéens ; ces braves petits criaient notamment « Non aux amalgames », ce qui faisait chaud au cœur… Aujourd’hui, je suis à nouveau dans les rues brestoises, mais pour un motif moins noble : des achats à effectuer… Je passe donc à Bureau Vallée pour échanger les cartouches usagées de mon imprimante contre des neuves : mais l’employé présent au comptoir, au lieu de se borner à me donner de nouvelles cartouches du même modèle que celles que je lui tends, me demande de choisir entre deux sortes et je ne comprends rien à l’explication qu’il me donne. Quand je lui demande de répéter plus lentement, il m’accuse de péter un câble ! Il insiste et me redemande quelle sorte je veux : je proteste que je ne connais pas la différence… Et, finalement, il me jette quasiment à la figure une boîte contenant deux cartouches. Je vous parie qu’il en a profité pour me fourguer les plus chères ! D’habitude, je ne me plains jamais du manque d’amabilité dont peuvent faire montre les employés des grandes surfaces car je sais qu’ils exercent rarement leur emploi par passion et que leurs conditions de travail ne sont guère épanouissantes mais, quand je passe à la caisse, je ne peux pas m’empêcher de le signaler ! Il s’en tire bien : je serais en droit de porter plainte contre lui pour attitude agressive et discriminante à l’encontre d’une personne en situation de handicap !
Sans transition :
16h30 : Au niveau de la place de la Liberté, je me rappelle brusquement que je reprends les cours de natation demain soir : n’ayant pas envie d’affronter l’enfer des transports en commun à l’heure de pointe, je décide d’appeler pour réserver un Accemo. Ce n’est jamais très facile pour moi de communiquer par téléphone en pleine rue, mais si on y ajoute le vacarme des engins de chantier et les gueulantes des mémères qui braillent dans leurs smartphones, ça devient carrément infernal ! Proposer un service de transport à la demande pour les personnes en situation de handicap, c’est très bien, mais on aurait peut-être pu penser à ceux dont le handicap inclut justement un rapport délicat avec le téléphone, par exemple en mettant en place un système de réservation en ligne ? Comment ça, je ne suis jamais content ?
Sans transition :
17h : Je sors de la banque où je suis allé encaisser un chèque : je passe devant une maison de la presse et je constate que le père Le Pen monopolise les « unes » des hebdomadaires qui auraient pourtant dû être consacrées aux commémorations du 7 janvier… Non seulement il meurt le jour même de la sortie de Charlie Hebdo mais il vole la vedette au journal ! Il aura vraiment fait chier le monde jusqu’au bout, ce vieux salaud…
Vendredi 10 janvier
9h30 : Première sortie au marché de l’année. Je n’y étais plus allé depuis trois semaines : faisant la queue devant le charcutier, je retrouve les rombières qui caquètent et gloussent pour un oui ou pour un non et je suis à deux doigts de demander de la pintade au commerçant…
Comment faire quatre gags avec un seul dessin : ici, sur le thème de l'entrée de Bayrou à Matignon.
[1] J’écris ceci sans volonté de déconsidérer la vénérable revue satirique.