Du 5 au 10 juin : rien sur Annecy
...mais quelque chose sur le retour de Dorothée (et sur la start-up qui veut ressusciter le dodo) :
Lundi 5 juin
10h30 : Je m’apprête à sortir de la pharmacie : j’emprunte à cette fin la première allée qui se trouve derrière moi, celle-là même par laquelle j’étais entré, ce qui me vaut de me retrouver nez à nez avec une autre cliente qui vient d’arriver. Je n’ai pas le temps de m’écarter pour lui ouvrir le passage qu’elle m’indique une allée voisine en me précisant que c’est par là « qu’il faut sortir » ! N’étant pas d’humeur à provoquer un esclandre dans un magasin, j’obtempère, de mauvaise grâce… La pandémie a donné de drôle d’habitudes à mes concitoyens et je ne peux m’empêcher de penser à la phrase de Renaud dans « Welcome Gorby » : « À part dans mon public, en chaque Français sommeille un flic ». Ou, en l’occurrence, une fliquette !
13h30 : Je ne suis pas enceinte mais j’avais une grosse envie de pizza, je me suis donc rendu dans un établissement de la place de la Liberté pour en consommer une. Comme il y a dans la salle un écran branché en permanence sur BFM TV, je m’étais installé en terrasse. Mais au moment de payer, je suis bien obligé de passer devant ce robinet à mensonges et je constate qu’après avoir occupé l’antenne avec les démêlés du prince Harry avec les tabloïds, la chaîne passe des images de bus enflammés suite aux orages qui ont frappé le Sud de la France… C’est pour ça que je ne fais presque plus de dessins d’actualité : les nouvelles sont soit grotesques soit angoissantes, de nos jours…
Quelques clients de la pizzeria, défigurés par mes soins :
Mardi 6 juin
16h30 : De toute façon, avec les deux BD sur lesquelles je planche en ce moment, je n’ai pas besoin de l’actualité pour me donner de l’inspiration. Tombé en panne de matériel en plein travail, je m’accorde une pause pour aller le renouveler chez Artéis. Pour alimenter mon compte fidélité, je dois donner mon nom au caissier : il n’a pas l’air réveillé et je dois m’y prendre à trois reprises ! À la dernière tentative, il s’étonne que le ton de ma voix ne soit plus très aimable… La vie est pleine d’anecdotes comme celle-là où on est poussé à bout et où on encaisse les reproches quand on a le malheur de perdre patience…
Mercredi 7 juin
17h15 : En route vers l’annexe des Beaux-arts, je feuillette le dernier Côté Brest où je trouve deux informations qui, malgré les apparences, sont assez concomitantes : il y est question d’un quadragénaire qui a tout plaqué pour chanter dans la rue et d’un documentaire qui parle de ces jeunes diplômés, de plus en plus nombreux, à refuser la vie dorée qu’on leur promettait afin de faire un travail vraiment utile pour la société et / ou la planète. Le point commun ? Dans les deux cas, ce sont des gens qui tournent le dos au « système », qui ne veulent plus jouer ce jeu de dupes qui ne rapporte finalement pas grand’ chose si ce n’est le droit de faire tourner une machine qui mène le monde à sa perte… Il en faudrait des milliards comme eux !
Quelques exercices à l'aquarelle exécutés dans le cadre du cours du soir :
Une petite fantaisie autour des exercice d'une autre élève :
Une lampe de mon salon, dessinée en vue du même cours :
21h30 : Après le cours du soir, je suis assez naturellement monté jusqu’au Café de la Plage pour la scène ouverte du premier mercredi de mois. Mequi n’est pas très en forme et il me semble que les hostilités commencent un peu plus tard que d’habitude. C’est cependant le cadet de mes soucis, en comparaison de la jeune femme qui est assise derrière moi et qui a visiblement décidé de participer à sa façon à la soirée en hurlant des plaisanteries lourdingues à tout propos. J’essaie de lui faire comprendre que ça me gêne et que ce n’est pas très respectueux pour les artistes, elle me répond qu’elle s’en fout, et qu’elle a bien le droit de s’exprimer, comme moi quand je passe sur scène… Je préfère ne pas insister.
22h40 : Malgré l’opinion de la demoiselle, je suis passé sur scène, ce qui m’attire les félicitations d’un admirateur, visiblement en état d’ébriété, qui se montre un peu trop entreprenant… Mequi est obligé d’intervenir pour qu’il me laisse tranquille : décidément, c’est la soirée des emmerdeurs ! Je me souviendrai longtemps de cette conversation avec cette personne qui disait détester la période de Noël parce qu’elle estimait que ça rendait les gens cons : peut-être, mais c’est une connerie gentille et finalement assez inoffensive, que je préfère à celle, plus agressive, dont mes semblables sont atteints quand revient l’été ! La connerie de Noël donne les bises aux grands-parents, les petits cadeaux offerts aux enfants et les vœux de bonheur cucul au coin du feu : la connerie estivale donne les airs de rap débile vomis par les autoradios, les coups de klaxon aux filles et les play-boys qui fanfaronnent… Et vous, vous préférez quoi ?
Jeudi 8 juin
10h : Tard couché, tard levé. Quand j’ouvre les volets, je pousse un soupir de soulagement en constatant que le ciel est gris ! « Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps, le beau temps me dégoûte et me fait grincer des dents, le bel azur me met en rage », mais, contrairement au vieux Georges, ce n’est pas à cause d’une histoire d’amour : je me suis simplement lassé de ce ciel bleu uniforme sous lequel je me sens en danger ! Oui, en danger ! Quand le ciel ne porte pas de nuages, je ne peux pas m’empêcher de penser que quelque chose pourrait plus facilement me tomber dessus ! Sans compter qu’avec le réchauffement climatique, on devrait désormais modérer notre enthousiasme devant le « beau temps »…
14h10 : J’ai rendez-vous au centre Winnicott pour une entrevue avec une pédopsychiatre avec laquelle je souhaite préparer une intervention prévue demain à la fac de médecine. J’ai donc pris le bus qui relie Lambé au centre-ville et je dois changer au niveau de l’hôpital Morvan : hélas, le bus a pris du retard, j’ai donc raté la correspondance. J’en suis quitte pour prendre la suivante, mais je m’étonne que le bus se soit traîné à ce point alors même que les rues n’étaient pas si encombrées : auraient-ils des consignes liées au risque d’orage ?
14h45 : J’arrive à Winnicott où je suis reçu par la pédopsychiatre ; j’avais un peu perdu le souvenir de cette dame très aimable que j’avais pourtant déjà rencontrée lors d’un séminaire à l’hôpital de Bohars. Il faut dire qu’à l’époque, tout le monde était encore masqué, à plus forte raison dans les lieux de soins… Elle m’explique que ce qui est prévu demain à la faculté de médecine est une formation pour les étudiants de deuxième année destinée à les sensibiliser à ce qu’est la vie en situation de handicap, au-delà de l’enseignement théorique qu’on peut leur dispenser à ce sujet. En gros, on me demande de témoigner une nouvelle fois sur mon parcours et mon quotidien de personne avec autisme. Je ne peux qu’accepter, il n’y a jamais trop d’occasions de faire reculer les idées reçues… Après notre entretien, mon hôtesse me fait visiter son service où ses collègues et elle-même reçoivent des petits enfants avec autisme pour leur apprendre à vivre avec leur handicap et leur éviter d’être déscolarisés voire mis au ban de la société… Bien sûr, cette visite ne me donne qu’une idée vague de ce qui doit être fait dans ce service, mais ces lieux sentent si bon la bienveillance, la douceur même, que je me dis que j’aurais bien aimé être reçu dans un endroit comme celui-ci si j’avais été diagnostiqué dans ma prime enfance… Il ne faut pas naître trop tôt.
16h : Je sors de la Vagabunda où je viens de mettre en dépôt-vente quelques exemplaires papier du numéro 4 de Blequin reporter : à peine sorti, la pluie se met à tomber ! Je continue néanmoins ma route car je ne veux pas accaparer la fille de la patronne, qui tient seule la boutique en l’absence de sa maman souffrante (souhaitons-lui un bon rétablissement) et puis j’avais pris la précaution d’emmener mon parapluie. Celui-ci s’avère assez vite insuffisant pour un homme de ma carrure, d’autant que l’averse change régulièrement de direction. Je suis assez vite trempé… Mais je n’arrive pas à trouver ça désagréable ! Au contraire, j’ai l’impression que cette pluie, on ne peut plus bienvenue pour la terre après ces longues semaines de sécheresse, contribue à me régénérer moi aussi…
16h30 : Passage à la galerie de Pod qui vient de rouvrir après quelques semaines de vacances : je viens retirer un tableau (relativement bon marché) que j’avais promis d’acheter. Y trouver Gildas Java ne me surprend pas outre mesure, c’est lui aussi un habitué du lieu, mais je suis un peu plus étonné de le voir réaliser ses œuvres en direct, sur de vieilles cartes fixées au mur ! On n’a pas souvent l’occasion de voir un artiste de son envergure faire une démonstration publique de son talent, je suis donc un privilégié !
17h30 : Je reprends le bus, qui ne tarde pas à être plein. Nanti de mon précieux butin, je me retrouve donc entouré de trois adolescentes qui pianotent inlassablement sur leurs smartphones, ne s’arrêtant que pour se montrer des photos ou des messages émanant de divers correspondants… Devant ce spectacle affligeant, je suis à deux doigts de leur montrer l’œuvre que je viens d’acquérir afin de les faire profiter d’un chef-d’œuvre autrement plus intéressant que leurs échanges digitaux qu’elles auront certainement oubliés demain ! Mais je n’ose pas : il me tarde de rejoindre mon cocon…
Vendredi 9 juin
8h30 : Je monte la petite rue qui relie l’avenue Foch à la faculté de médecine. Tout à coup, j’entends une voix courroucée derrière moi : effrayé, je me retourne, et je vois une jeune maman parler dans son kit mains-libres. Elle s’excuse, arguant que ce n’était pas à moi qu’elle parlait : je ne prends pas le temps de lui expliquer que ce détail importe peu, que je ne supporte pas qu’on parle dans mon dos de toute façon et que ça me fait sursauter à chaque fois ! À notre époque de généralisation du portable, je m’étonne de ne pas avoir été confronté plus souvent à ce problème…
8h45 : Je retrouve la pédopsychiatre. Celle-ci est accompagnée d’un homme en fauteuil roulant auquel elle me présente, annonçant au passage l’intervention pour laquelle elle m’a sollicité. « Ah, ben on aura un jeune » lance spontanément l’homme : je lui rétorque que j’ai 35 ans. « Vous faites jeune » insiste-t-il. Je ne sais pas si je dois le prendre pour un compliment… Peu après, nous nous dirigeons vers l’amphithéâtre où doit avoir lieu le séminaire : les étudiants sont déjà là, ils ont beau être de futurs médecins, rien ne les différencie foncièrement des étudiants en lettres que j’ai l’habitude de côtoyer. Comme pour corroborer mon impression, les organisatrices du séminaire les font entrer et leur demandent leurs noms pour les biffer sur leurs listes… On m’explique qu’ils sont obligés d’assister au séminaire dans le cadre de leur formation : autrement dit, ils n’y viennent que contraints et forcés… Non, décidément, il n’y a pas de gloire à retirer d’avoir l’air jeune !
9h10 : Le séminaire commence avec les discours des officiels, à commencer par la doyenne de la faculté. Celle-ci est obligée de à l’ordre les étudiants qui bavardent ou pianotent sur leurs bidules connectés, leur disant à quel point ils ont de la chance que des gens en situation de handicap aient accepté de partager avec eux leur expérience. Je ne peux pas m’empêcher de repenser à ce que m’avait rapporté une amie à propos d’étudiants en médecine qui avaient laissé le souk après une fiesta et avaient tenu à peu près ce langage aux gens qui le leur reprochaient : « Bah, nos parents paieront et puis dans deux ans, on sera médecins, alors ! » Les étudiants que j’ai en face de moi ne seront médecins que dans six ans (au mieux), mais l’arrogance n’attend pas le nombre des années et j’espère qu’ils n’auront pas la même désinvolture…
9h30 : Le premier témoin est un homme atteint de la sclérose en plaques. Il nous parle, entre autres, du jour où il a été obligé de pisser en pleine rue Jean Jaurès parce qu’il ne trouvait aucun bistrot ouvert pour soulager un besoin pressant ! Je n’ai qu’une idée vague des symptômes de cette maladie, mais visiblement, c’est vraiment très lourd. En tout cas, si jamais vous voyez un homme uriner dans la rue, dites-vous bien que ce n’est pas forcément un alcoolique… Par la suite, intervient une dame dont le fils, atteint d’une maladie génétique, est mort à neuf ans ! Je ne retiens plus mes larmes : des parents qui perdent leur enfant, ça me fera toujours pleurer ! Après ces deux témoignages assez dramatiques, j’ai peur d’être un peu ridicule…
10h30 : Après une brève pause indispensable, je prends place sur l’estrade à mon tour. Comme convenu, après une brève présentation des TSA et du syndrome d’Asperger par la pédopsychiatre, je reviens sur mon parcours en m’appuyant sur le diaporama qu’elle a préparé sur la base de ce que je lui ai raconté hier. Ayant l’habitude de faire mes conférences en me basant sur un texte rédigé de A à Z, je suis moyennement à l’aise dans cet exercice de semi-improvisation, d’autant qu’une partie de l’assistance ne peut s’empêcher de rire quand je rapporte quelques avanies que j’ai subies ! Je m’interromps donc pour leur dire que sur le coup, ce n’est pas drôle du tout et que j’ai réellement souffert. Mais je me fais pas d’illusion, je sais bien que je ne peux pas inspirer l’émotion…
11h15 : J’ai fini de parler. Il y a des choses importantes (à mon sens) que je n’ai pas pu dire, en grande partie parce que la pédopsychiatre elle-même n’avait pas jugé utile de les retenir. Un étudiant me demande si mon hypersensibilité au bruit ne me rend pas les applaudissements désagréables… Je réponds que, d’une part, quand je ne suis pas physiquement mêlé à la foule qui applaudit, le bruit est supportable et que, d’autre part, les applaudissements que je peux recevoir me font tout de même plaisir car je n’y ai pas été beaucoup accoutumé quand j’étais collégien : j’avais plutôt l’habitude des insultes et des jets de cailloux !
11h40 : À l’issue d’une communication sur les effets cumulés du handicap et du vieillissement, on nous passe un court-métrage mettant une scène une femme âgée et handicapée qui déprime à l’idée de quitter son travail (les adversaires de la réforme des retraites apprécieront…) et s’inquiète de l’accueil qu’elle recevra au sein du club de joueurs de dominos auquel elle est inscrite. Cette dame a beau être nettement plus âgée que moi, je m’identifie beaucoup à elle : moi aussi, j’ai appris à me méfier de tout et de tout le monde et je frémis toujours à l’idée de me rendre dans un lieu inconnu, la bienveillance et l’empathie étant encore des découvertes très récentes pour moi… C’est drôle comme on peut avoir les mêmes ressentis sans avoir le même handicap, à croire que les personnes handicapées connaissent à peu près toutes les mêmes difficultés ! En fait, les handicapés sont tous différents… Mais les cons sont tous les mêmes !
12h : Nous terminons la matinée avec le témoignage d’une personne malentendante : c’est aujourd’hui un homme assez âgé, mais sa surdité s’est manifestée très tôt, dans son enfance. Ce n’est que depuis quelques années seulement que les progrès science, grâce à des implants, lui permettent d’entendre aussi bien qu’une personne « normale »… Décidément, tout n’était pas mieux avant !
Samedi 10 juin
10h : N’ayant pu faire mon marché à Lambézellec hier, je descends au marché bio de Kerinou : le bus qui dessert Lambé passe désormais par ici, alors autant profiter d’un des rares avantage du grand chambardement que le réseau a connu récemment. Évidemment, je ne trouve pas tout ce que je cherche, aucun fromager n’a d’emmenthal : je me rabats donc sur une tomme des Monts d’Arrée qui semble appétissante. Seul couac : la personne qui se propose de me servir n’a pas vu la dame d’âge mûr qui était avant moi et qui attendait d’être encaissée. Je dois donc attendre quelques secondes de plus, où est le problème ? Alors pourquoi la dame se croit-elle obligée de se confondre en plates excuses que je ne sollicite pas ? J’ai bien du mal à rester aimable en lui demandant d’arrêter… Encore une qui va me cataloguer comme un monstre après ne m’avoir vu qu’une seule fois !
Allez, une petite bêtise pour terminer :