Du 4 au 10 novembre : Des hauts et des bas

 

En guise de prologue, voici une mini-BD inspirée par la mort de Jean Teulé :

 

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Vendredi 4 novembre

 

10h30 : Après un jeudi sans histoire, entièrement consacré au dessin et à l’écriture (une journée comme je les aime, en somme), je fais mon marché. Je m’étonne d’y voir autant d’enfants puis je me rappelle subitement que ce sont encore les vacances scolaires : les grands-parents gardent les petits et les emmènent avec eux, ça doit les changer des supermarchés où vont leurs parents – s’ils ne se font pas tout livrer à domicile, bien sûr… Il y a une file assez dantesque devant le stand des fromages : une vieille dame, qui attend derrière moi, se croit obligée de me le signaler au cas où je serais aveugle ou débile, je lui rétorque donc poliment que je n’ai pas envie de parler – ce qui est toujours le cas quand je suis obligé de faire la queue.

 

13h30 : J’ai un programme assez chargé pour cet après-midi, je sors donc prendre le premier bus pour Saint-Pierre : avant de partir, j’ouvre ma boîte aux lettres dont je tire… Un courrier d’Enedis m’annonçant pour la énième fois la coupure de courant prévue pour le 16 novembre ! Ils commencent sérieusement à m’énerver ! Qu’ils coupent le courant s’ils en ont besoin, mais qu’ils arrêtent de gaspiller le papier pour nous l’annoncer dix mille fois !

 

14h30 : Je me suis trompé d’arrêt pour descendre et j’ai pris un itinéraire auquel je ne suis pas habitué : c’est donc mal remis de cette situation anxiogène que j’arrive à la mairie de quartier de Saint-Pierre où il y a la queue au guichet. Fort heureusement, il y a une « vraie » salle d’attente avec des sièges, ce qui me permet d’attendre mon tour dans un relatif confort. Surprise : alors que j’en suis à feuilleter le programme du festival du film court (je pense que je n’y assisterai pas cette année), je suis tiré de ma lecture par une dame qui me tend le tableau de mon cru que je venais récupérer ! Je n’osais pas espérer autant de zèle de la part de cette employée municipale… Alors, les fonctionnaires qui respectent les artistes, ça existe ? À côté de cette révélation, le chemin de Damas, c’est de la roupie de sansonnet !

 

15h30 : Revenu au centre-ville, mon tableau sous le bras, j’attends le bus pour Guipavas pour récupérer un objet chez une amie puis, dans la foulée, assister au vernissage du salon d’automne auquel je suis invité en tant qu’exposant – professionnel, s’il vous plaît ! J’attends debout l’arrivé du véhicule : il y a bien un banc, mais il est occupé par un cas social qui carbure à la 8-6 ; le banc est assez large pour accueillir cinq personnes mais j’ai trop peur de prendre un mauvais coup ! D’ailleurs, aucun voyageur n’a envie de s’asseoir à côté de cet ivrogne qui ne semble pas décidé à monter dans un bus…  Excepté un vieillard à barbe blanche, habillé assez « classe » avec son chapeau et son grand manteau noir : j’imagine un type vaguement artiste qui espère encore tirer quelque chose des cas sociaux avinés – pour ma part, j’ai renoncé depuis longtemps. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit, mais le cas social s’en va et le vieillard, désormais assimilé au clodo dans nos consciences étriquées, reste seul sur le banc : même moi, quand il s’approche pour me demander du feu, me mets à courir en hurlant ! Con comme un lecteur du Figaro ! De toute façon, je n’aurais pas eu de feu à lui donner…

 

17h45 : J’arrive au vernissage, largement avant l’heure prévue, mais je ne suis pas le seul, l’intérieur de L’Alizé est déjà plein de monde. On peut d’autant moins me reprocher mon avance que j’arrive à point nommé : l’une des œuvres que j’expose, qui n’était que coincée (et non collée) dans le cadre, s’est mise de travers. Je me retrouve donc, assis sur un fauteuil, à la fixer avec du ruban adhésif qu’un bénévole a trouvé dans un bureau… Pas très glamour, comme départ !

 

Mes travaux exposés à L'Alizé, vus de près...

 

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...puis remis dans le contexte.

 

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Les peintures marocaines de Charles Kerivel :

 

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18h35 : Après avoir fait un petit tour du couloir, où sont donc exposées les œuvres des professionnels, je fais mon poseur : je me mets à côté de mes travaux pour guetter les réactions du public et, éventuellement, leur donner des explications. Tout à coup, je me rends compte qu’un autre artiste est en train de fait mon portrait : je m’approche et, de fil en aiguille, nous en arrivons à nous « croquer » mutuellement, créant une animation non prévue qui rencontre un succès phénoménal ! On ne dira jamais assez à quel point voir des gens dessiner attire le public : si les créateurs d’événements en avaient plus conscience, ça ferait des débouchés supplémentaires pour les plasticiens !  

 

A gauche : une sculpture que j'ai bien aimée. A droite : mon "collègue" caricaturiste vu par moi...

 

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...et moi vu par lui :

 

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18h55 : Alors que j’ai fait un premier tour des œuvres d’amateurs (comme toujours, l’originalité est davantage du côté des sculpteurs que des peintres), les discours des « officiels » débutent, à commencer par celui du maire de la commune. Ce personnage a des défauts (c’est un homme de droite) mais il a la politesse de ne pas s’étendre trop longtemps : les élus qui expliquent à des artistes ce qu’est l’art, on en a soupé ! Surtout que, depuis que l’État nous a classé « non essentiels », les politiciens n’ont vraiment pas intérêt à la ramener sur ce sujet…

 

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19h20 : Après quelques discours dont je ne retiendrai à peu près rien et la remise des prix, arrive le moment qu’attendaient avec impatience les parasites qui se foutent de l’art : le buffet est ouvert. Je me promets de ne pas trop boire et de finir mon tour des œuvres d’amateur, gardant mon appareil photo pour les peintures qui m’intéressent (il n’y en a pas des masses) et mon carnet pour les sculptures dont je suis prêt à faire un croquis – il n’y en a pas beaucoup non plus, mais là, c’est uniquement parce que je suis déjà fatigué. Dans le tas, je remarque deux caricatures que j’aurai la politesse de qualifier de moyennes : Fernandel ressemble plutôt à Jerry Lewis et Charlie Chaplin à Groucho Marx ! Ce n’est pas tout de suite que je vais avoir de la concurrence dans la région…

 

Quelques œuvres que j'ai bien aimées...

 

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Cette sculpture s'appelle "L'homme à la valise" : hommage à Goossens ?

 

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21h30 : J’ai pris congé, ne voulant pas avoir une gueule de bois demain matin : après avoir dîné dans un restaurant ouvrier, j’attends le tram sur la place de Strasbourg, ce qui me permet de voir, sur les écrans publicitaires, les annonces pour la mini-série où Isabelle Adjani joue Diane de Poitiers. Je me surprends à la trouver belle… Au bout de quelques secondes, je reprends mes esprits et je me dis ce que dirait mon frère à ma place : « Y a plus rien de vrai » ! Elle n’est peut-être pas vilaine à regarder (loin s’en faut, même), mais à force de se faire tirer la peau, elle ne peut presque plus changer d’expression – ce n’est pas d’aujourd’hui, Cabu l’avait déjà remarqué il y a presque trente ans à la sortie de la Reine Margot[1] Si elle continue à tourner (plus beaucoup il est vrai) malgré ça, c’est qu’elle a vraiment du talent !  

 

Samedi 5 novembre

 

10h30 : Un ami m’a aidé à ramener, de Guilers jusqu’à mon appartement, une étagère et son contenu que j’avais laissés chez mes parents – et dont ils n’avaient manifestement pas l’usage. Tout en vidant son fourgon, nous discutons de choses et d’autres et l’actualité américaine vient s’inviter dans la bouche de mon camarade : il est visiblement persuadé que Trump va revenir et que c’en sera fini de la démocratie américaine… Il est vrai que la banalisation de discours semblables à ceux de Donald le connard n’a rien pour rassurer, mais de là à penser que les Républicains vont forcément lui faire confiance une seconde fois et que tous les Américains vont les suivre… Ce serait bien la première fois (ou alors depuis très longtemps) qu’un ex-président des États-Unis désavoué reprendrait la Maison blanche ! Et quand bien même : la démocratie américaine a finalement très bien survécu à son mandat, malgré la tentative (aussi grotesque que ratée) de coup d’État menée par ses partisans, pourquoi ne résisterait-elle pas à un second mandat, d’autant que ce populiste ne va pas en rajeunissant ? L’avenir est déjà assez inquiétant, inutile de le noircir davantage…

 

12h : Avant de partir pour un rendez-vous à déjeuner, j’ouvre ma boîte aux lettres : j’ai un courrier de mon bailleur. J’ai beau n’avoir jamais eu d’ennuis depuis que j’occupe mon appartement, je ne peux m’empêcher d’avoir un frisson d’angoisse : j’ouvre donc… Et j’en tire des copies des courriers que m’a déjà envoyés Enedis ! Je ne sais plus ce que j’ai crié, mais ça ne devait pas être joli !       

 

13h : Au Biorek brestois, je discute avec une dame à qui j’ai fait lire un projet de livre pour la jeunesse. À ses yeux, mon livre s’adresse d’avantage aux 10-15 ans : en tant qu’auteur, je ne suis pas choqué… Mais en tant qu’ancienne victime de harcèlement en milieu scolaire, je suis un peu troublé : moi, devenir écrivain pour collégiens ? C’est un drôle de retour des choses, quand même !

 

16h30 : Après avoir terminé, avec soulagement, la lecture d’un livre un peu rébarbatif, je descends la rue de Siam à pied, direction le Temple du Pharaon où doit se tenir la soirée d’anniversaire du Collectif Synergie. Il pleut mais je ne trouve pas ça désagréable, je suis même plutôt content d’avoir une vraie ambiance automnale. En revanche, je plains un peu la jeune fille qui distribue des prospectus pour un institut de beauté dans ces conditions ! La pauvre, c’est elle qui va avoir bientôt besoin de se faire une beauté… Mais je ne prends pas son tract pour autant : il ne faut pas trop m’en demander non plus !

 

17h30 : Je suis arrivé au Temple. Les festivités ne sont censées débuter que dans une heure avec le vernissage de l’exposition de Soraya Latrous. Pour le moment, il n’y a quasiment personne, à part moi et Claire, la présidente du collectif, toujours contrainte de porter une attelle, ce qui n’est pas sans influence sur son moral… J’ai beau me dire qu’elle a bien du mérite à sortir tout de même de chez elle pour slamer, surtout avec le temps qu’il fait, il n’empêche que ça fait un début de soirée dans une ambiance mitigée ! Vivement que Soraya arrive…

 

18h : Soraya n’est toujours pas là. Mamdouh, le patron du Temple, a eu l’idée de sortir un vieux pupitre sur lequel je dessinerai assis à proximité de la « scène » histoire d’être bien visible du public et de pouvoir vendre mes dessins. L’idée me paraît discutable mais je n’ose pas contrarier ce brave homme dans sa démarche dont le seul but est de soutenir mon talent, alors je me prête au jeu. On verra bien…

 

18h30 : Soraya arrive enfin, sur le fil du rasoir : elle a connu quelques imprévus dont la nature ne vous regarde pas. Peu après son arrivée, le public arrive en masse ! Telle une fée, Soraya draine avec elle plus de monde qu’on n’a jamais osé en espérer aux événements organisés en ces lieux ! Je voudrais m’en réjouir, mais un imprévu m’empêcher de savourer cette belle victoire pour l’association : une petite fille, qui était curieuse de voir mes dessins, bouscule le pupitre et fait tomber la bouteille de bière que j’y avais inconsidérément posée… Comme toujours, face à ce genre de tuile, je reste interdit quelques secondes, le temps de me rendre réellement compte de ce qui s’est passé. Le temps que je reprenne mes esprits, je fais savoir à la petite mignonne qu’il faut faire attention tout de même et je vois que Mamdouh, efficace comme le sont les vieux bistrotiers habitués à ce genre d’incidents, a déjà sorti la serpillère. Bref : les augures sont bons pour la soirée, un peu moins pour ma petite personne !

 

Claire Morin inaugurant la soirée (avec sa patte de robot) :

 

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19h : Toujours assis au pupitre, je me sens un peu seul : tout le monde s’est agglutiné à l’autre bout de la salle, autour de Soraya. Je ne le vis pas mal, c’est logique : c’est tout de même elle la vedette de la soirée et puis ça m’arrange bien de ne pas être pris dans la foule. En attendant, je n’ai pas d’idée de dessin, je n’ai même personne à caricaturer : un peu fatigué, j’appuie mes coudes sur le pupitre… Qui se casse, bien entendu. C’était un vieux machin et, de toute façon, je n’aurais pas été à l’aise dessus, mais je me dis que je commence à causer bien du souci à Mamdouh – qui est cependant d’une patience admirable.

 

20h : Après le vernissage commence la scène ouverte : à la place qui m’a été assignée, je ne peux voir les artistes que de dos, ce n’est pas l’idéal pour faire du croquis de scène ! L’idée de Mamdouh s’avère décidément foireuse (quoique guidée par les meilleures intentions du monde) et je me promets de ne pas la rééditer la prochaine fois. Quand je passe sur scène à mon tour, puisque nous fêtons un anniversaire, j’ai prévu quelques surprises, à savoir, dans l’ordre, un discours bien senti sur ce qu’est vraiment un artiste, mon poème récemment paru dans l’anthologie 1001 plumes et, surtout, ma reprise de La ballade nord-irlandaise avec la bande-son qui va avec. Pour les deux premières, pas de problème ; pour la troisième, ça coince : quand Mamdouh lance la bande-son, je ne reconnais plus la musique ! Son matériel, somme toute rudimentaire, me fait perdre au moins la moitié des instruments ! Ne pouvant caler ma voix, je décide de laisser tomber et de faire tout bonnement un de mes slams : je demande à Mamdouh d’arrêter la musique… Mais il n’y arrive pas ! Ne comprenant pas pourquoi il a tant de mal à exécuter une manœuvre qui nécessite (ou devrait nécessiter) d’appuyer simplement sur un bouton, je finis par perdre patience et je suis à la limite de l’incorrection ! Une fois le problème réglé, je déclame « Clément », le premier slam que j’ai jamais écrit, mais je suis rongé par le remords ! Non pas d’avoir foiré mon tour de chant mais plutôt de ne pas avoir été gentil avec ce brave Mamdouh qui a été dépassé par un caprice de la technique…

 

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21h : Avant de marquer une pause, nous avons droit à une démonstration de danse échevelée avec « les louves », une troupe menée par la pétulante Monica Campo – elle est italienne et ça se sent ! Leur chorégraphie païenne, sauvage même, m’évoque à la fois la sorcière de Michelet et les Bacchantes d’Euripide : en tout cas, ce sont des femmes pour qui la danse est un acte de liberté, une revendication vivante de leur droit à disposer de leur corps et à ne pas être soumises à une quelconque férule masculine. Ah, mes aïeux, quelle tornade, j’en ai presque peur ! Grâce à elles, en tout cas, mon écart de conduite est vite oublié et la soirée est sauvée…

 

Monica Campo en pleine action :

 

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21h30 : Pendant la pause, la petite fille de tout à l’heure revient me voir : admirative des quelques croquis que j’ai pu prendre, elle me demande de lui tirer le portrait mais dit qu’elle n’a pas de sous… Tant pis, je garderai le dessin pour moi ! Le résultat la satisfait : je lui demande de me faire un gros bisou en guise de paiement. Elle s’exécute… Non, je ne pleure pas, c’est juste une poussière dans l’œil ! Tiens, vous en avez une, vous aussi ?

 

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21h45 : La scène ouverte reprend. Entre autres participants, je reconnais l’emmerdeur du Café de la plage, celui qui était venue à bout de la patience de Mequi ! Je me dis que j’ai des défauts mais que moi, au moins, je ne bousille pas le matériel des autres… Et surtout, quand je passe sur scène, les applaudissements que je reçois ne sont pas de simple politesse ! C’est bien la première fois qu’une prestation me déplait vraiment : ce type qui s’accompagne à la guitare n’a tout simplement pas de voix ! Bien sûr, le principe de la scène ouverte, c’est que tout le monde a le droit de venir s’exprimer, quel que soit le niveau : mais là, on est plus proche du clodo à gratte en bois que de l’amateur doué ! Heureusement qu’il y a les autres… Dont, en toute modestie, moi-même qui donne tout ce que j’ai pour achever de me rattraper !

 

A gauche : la patte de robot de Claire. A droite : Christophe, du bureau de l'association.

 

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22h30 : Je prends congé, avec des sentiments partagés : en tant que membre du collectif, je suis comblé, il y avait du public et une bonne ambiance. En tant qu’individu, je m’en veux encore (même si personne ne m’en veut) de ne pas avoir été plus correct avec le patron de l’établissement qui a la gentillesse de nous recevoir sans rien demander en échange ! Pour ne rien arranger, il me faut attendre une demi-heure sous la pluie en attendant que le bus pour Lambé arrive… Ça me laisse le temps de constater que les militants de Greenpeace ont collé, sur les écrans publicitaires, des affiches soulignant qu’il est absurde de laisser ces écrans allumés en pleine nuit alors qu’on demande la sobriété énergétique aux citoyens ! Je ne suis donc pas le seul à faire ce constat, ça me réchauffe le cœur…

 

Dimanche 6 novembre

 

11h : Le petit déménagement d’hier m’a permis de récupérer les cartons contenant tous les originaux que j’avais laissés chez mes parents : je décide de les monter dans mon bureau et de garder l’étagère, désormais installée dans mon salon, pour y mettre quelques livres – je gagnerai ainsi de la place. En montant certains cartons, je peux revoir des dessins réalisés quand j’étais lycéen ou étudiant : je mesure ainsi les progrès que j’ai faits depuis, ce qui me rassure à propos de ce que je fais aujourd’hui…

 

19h30 : Avant de dîner, je jette un œil sur les actualités brésiliennes histoire de voir si Bolsonaro n’a pas déjà fait un coup d’État pour se maintenir au pouvoir. Je tombe ainsi sur un article consacré aux footballeurs qui l’ont soutenu et je découvre les propos de l’ancien international Raï qui s’étonne de voir des joueurs noirs ou métis soutenir un politicien d’extrême-droite… Il est mignon : il n’a pas compris qu’avant d’être noirs ou métis, ces footballeurs sont surtout riches ! Donc ils soutiennent un candidat qui défend les riches, c’est logique ! Et de façon générale, on se trompe beaucoup en s’imaginant qu’un individu issu d’une minorité sera forcément plus coulant envers ses « frères de race (ou de classe) » quand il aura su grimper dans l’échelle sociale : bien au contraire, pour sortir d’un milieu modeste, il faut d’abord savoir surmonter les complexes qui vont souvent avec, ce qui nécessite de facto de rompre la solidarité avec ledit milieu et de renoncer à sa « conscience de classe (ou de race) ». Reiser, enfant du sous-prolétariat lorrain, disait volontiers « Je m’en suis sorti, qu’ils se démerdent comme moi ! »[2] ce qui résume bien l’état d’esprit de la plupart des individus qui ont « réussi » dans la vie… Si même un dessinateur insoupçonnable de mépris pour son milieu d’origine n’avait aucune conscience de classe, pourquoi en attendre de la part de footballeurs devenus milliardaires très jeunes en tapant dans une sphère en cuir ? Raï m’est sympathique, mais il connait mal ses confrères…

 

Mardi 8 novembre

 

18h15 : Après un lundi poussif et une journée guère plus fructueuse (je manque un peu de motivation en ce moment), j’assiste, sans grande conviction, à la réunion d’une association fondée par des chercheurs de la faculté Victor Segalen pour faire vivre la mémoire de l’homme dont la fac porte le nom. Le constat est sans appel : on est dans la merde. À cause du Covid, nous avons eu deux années blanches, sans aucun événement, et nous n’avons plus d’argent. Sans argent, nous ne pouvons pas organiser d’événement, et sans événement à annoncer, nous ne pouvons pas demander de subvention : c’est un cercle vicieux ! Mine de rien, tout le mal que les restrictions ont fait au milieu associatif est résumé par notre situation…

 

19h55 : Alors que nous mettons fin à cette réunion sur un ton quelque peu amer, je surprends une discussion entre deux chercheuses qui évoquent le rapport qu’entretient Macron avec la francophonie : apparemment, l’heure est à la suppression de postes à tire-larigot ! Visiblement, notre président ne classe pas la valorisation de la langue française parmi ses priorités. Pas étonnant : dans son milieu de banquiers, tout le monde parle anglais et on laisse le français aux « losers » ! C’est comme au temps de Jules César : en ce temps-là, l’élite romaine parlait grec, l’usage du latin paraissant trop « plouc » pour ces messieurs. Rien que pour ça, Macron devrait se méfier : Jules César a beau avoir prononcé ses dernières paroles en grec[3], ça ne l’a pas empêché de mourir sous les coups de son protégé… 

 

Mercredi 9 novembre

 

17h25 : Fidèle à ma sale habitude, j’arrive largement en avance dans la salle où je dois donner ma conférence… Et je suis bien étonné d’y trouver déjà un groupe d’étudiantes qui utilisent le tableau noir pour jouer ! Quand je leur dis que je suis le conférencier, elles sont bien embêtées. Ces demoiselles n’ont pourtant pas lieu de s’en faire, ce n’est pas moi qui irai les dénoncer !

 

17h30 : Je suis déjà installé, j’attends désormais l’organisatrice qui doit encore mettre en place la projection de mon diaporama. J’avais emporté le dernier Côté Brest pour passer le temps, mais ce scrupule s’avère vite inutile : les étudiants déjà présents dans la salle profitent de mon arrivée pour me faire signer des documents attestant qu’ils ont assisté à ma causerie – ils sont en effet tenus, dans le cadre de leur licence, d’aller écouter au moins une conférence de leur choix ! Je suis très flatté qu’ils m’aient choisi, même si je me dis qu’en me faisant signer leur attestation avant la conférence, ils pourront se barrer avant la fin !

 

17h45 : L’organisatrice est arrivée et bidouille son PC de manière à ce que mon diaporama soit projeté : pendant ce temps, je signe des attestations à tour de bras ! Je pourrais dire que les étudiants sont nombreux, mais je mentirais : ils sont innombrables ! Je ne m’attendais pas à une telle affluence, l’organisatrice non plus !

 

17h55 : Les spectateurs continuent à arriver en masse : il y a bien quelques amis et collègues historiens (puisqu’il paraît que j’en suis un) dans le tas, mais la majeure partie de la foule est composée d’étudiants qui me font signer des attestations à n’en plus finir et l’organisatrice est obligée de s’improviser ouvreuse pour placer les arrivants dans cet amphithéâtre plein à bloc… Je suis très étonné et, pour tout dire, un peu dépassé…

 

18h : L’organisatrice a dû mettre le holà sur les attestations : ceux qui doivent encore m’en faire signer attendront la fin car il faut bien qu’on commence un moment donné. Quelques étudiants ont reçu de ma part des cartons rouges et verts qui leur permettront de signaler s’ils jugent que les « légendes » de Brest que je vais passer en revue sont vraies ou fausses : mais je n’en avais prévu qu’une petite trentaine, autant dire une goutte d’eau pour l’océan humain que j’ai devant moi ! Mais qu’est-ce qui a pu mobiliser le public à ce point-là alors qu’en ce moment, il y a le festival du film court ?

 

Une photo prise par moi-même peu avant le début de la conférence...

 

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...et d'autres, prises par l'organisatrice, pendant ma causerie :

 

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19h15 : Je termine ma causerie sous les applaudissements, lesquels sont bientôt suivis d’un autre grondement, celui des étudiants qui ne s’attardent pas à poser des questions et se ruent soit vers la sortie soit vers moi pour que je leur signe leurs fameuses attestations… Mes amis ne restent pas longtemps non plus, à l’exception de mon ancienne prof d’anglais du lycée qui vient me voir pour me dire qu’elle a eu l’impression qu’on avait « inversé les rôles » ! Il se trouve quand même, parmi les jeunes, quelques-uns pour me féliciter (ça fait toujours plaisir) et certains poussent même le zèle jusqu’à me rendre les cartons de couleur ! On dit que les jeunes sont insolents : pour ma part, je les trouve un peu trop polis…

 

19h20 : Alors que la salle commence à se vider pour de bon, une étudiante, visiblement intimidée, me demande si je peux la renseigner sur le sac de Fougères : je lui donne le nom d’un médiéviste qui pourra peut-être la renseigner. Peu après, je me retrouve seul avec l’organisatrice qui me félicite à son tour et me dit qu’elle n’avait encore jamais eu autant de monde pour une de ces conférences du mercredi soir ! Je ne sais pas comment je dois l’interpréter…

 

22h : Rentré chez moi après avoir fêté ce succès dans une pizzeria, je relève mes mails : j’ai quatorze messages à traiter, et aucun spam dans le tas ! C’est marrant, quand même : il y a des jours où il ne se passe rien et d’autres où la Terre entière semble avoir décidé de s’intéresser à vous !    

 

22h30 : Tout en traitant mes messages, j’apprends que l’avance des Républicains aux Midterms américaines est beaucoup moins forte que prévu, qu’ils n’auront la majorité que d’une courte tête, et que Trump en ressort affaibli. Voilà qui devrait apaiser les craintes que mon ami me confiait samedi dernier ! Mais pas les miennes : un Trump de perdu, dix de retrouvé ! Je veux dire que si on échappe à Trump en 2024, on peut très bien se retrouver avec un personnage qui tiendrait à peu près le même discours sans avoir les manières qui ont rendu le milliardaire imbuvables aux yeux de beaucoup d’Américains : franchement, qu’est-ce qui distingue Ron DeSantis, qui a désormais toutes les chances d’être investi par le parti à l’éléphant, de Donald Trump, en dehors du fait qu’il n’a pas sa « silhouette bedonnante, décolorée et tonitruante »[4] ? On a beau lui changer l’emballage, la marchandise reste la même ; comme disait Cavanna, « la connerie n’évolue pas, mais elle change d’allure »[5].

 

Jeudi 10 novembre

 

10h30 : Entre le grisant succès de ma conférence et l’abondance des messages reçus, j’étais tellement excité hier soir que j’ai eu un mal de chien à m’endormir… Le moment est venu de redescendre sur Terre : on m’a envoyé une offre d’emploi, mais elle me paraît suspecte ; elle est un peu trop adaptée à mon profil pour être honnête, elle émane d’une entreprise sur laquelle je ne collecte que des renseignements assez vagues (elle n’a même pas de site Internet dédié !) et, surtout, qu’est-ce qu’une boîte de formation continue peut bien faire d’un rédacteur spécialisé en Histoire ? Bref, hier, j’étais un orateur écouté et admiré, aujourd’hui, je redeviens un pauvre idiot de demandeur d’emploi que les escrocs guettent comme les vautours surveillent les bêtes à l’agonie…

 

14h15 : J’ai trouvé un acheteur pour des livres que j’ai mis en vente sur Internet. Hélas, la poste de mon quartier est fermée : comme les bus sont en grève (j’ai déjà pris la précaution de reporter tous mes rendez-vous), je ne vais quand même pas aller à pied jusqu’à celle du centre-ville, surtout si c’est pour prendre le risque de la trouver fermée elle aussi ! Je ne sais pas si c’est à cause la grève ou du pont du 11 novembre, mais mon commanditaire va être bien obligé d’attendre. Pourtant, quand j’ouvre ma boîte aux lettres, je trouve un courrier qui n’a pu m’être livré que ce matin : en d’autres termes, les facteurs sont fidèles au poste (ah ! ah !) mais pas les guichetiers ! Et pourtant, qui fait le boulot le moins fatigant ? Tu m’étonnes que la fonction publique soit discréditée…   

 

En guise de post-scriptum : la couverture du calendrier 2023 illustré par mes soins...

 

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...et deux croquis, qui ne serviront pas, réalisés dans le cadre du travail que j'effectue actuellement sur le recueil de poèmes d'un ami (ce qui, entre autres facteurs, explique le petit nombre de dessins proposés cette semaine) :

 

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Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !

 


[1] « 2 heures 50 de film… Une seule expression ! » CABU, Grossesse nerveuse, Le Cherche-midi, Paris, 1995, p. 11.

[2] REISER Jean-Marc, Reiser à la une : l’essentiel des couvertures de Charlie Hebdo, Hara-Kiri Hebdo et L’Hebdo Hara-Kiri, Grenoble, Glénat, 2009, p. 96.

[3] Authentique : Jules César, reconnaissant son protégé Brutus parmi les conjurés l’assaillant, aurait dit Kaï su,  tekon (« Toi aussi, mon petit » en grec) plutôt que Tu quoque, fili (« Toi aussi mon fils » en latin).

[4] CARNEY Sébastien, « De l’histoire à la mémoire, ou portrait du jeune marin au doigt sur la bouche » in 1917-1919, Brest ville américaine ?, CRBC, Brest, 2018, p. 204.

[5] CAVANNA François, « D’un beauf à l’autre », préface à CABU, Les nouveaux beaufs sont arrivés, Le Cherche-midi, Paris, 1992, p. 4.



10/11/2022
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