Du 4 au 10 décembre : Sapristi saucisse !

Lundi 4 décembre

 

9h30 : Après un week-end laborieux, je retrouve mes nouveaux amis les psychomotriciens dans leur institut, récemment ouvert en ville : l’un des organisateurs des journées nationales dont j’ai été une sorte de vedette a décidé de m’acheter trois des dessins réalisés à cette occasion, je viens donc le retrouver pour le livrer et me faire payer. J’ai un peu de mal à trouver l’immeuble, qui est plutôt discret. Sur place, mon hôte m’explique qu’il s’agit d’un local prêté par la région… Et qu’il est trop exigu pour y accueillir tous les étudiants. Néanmoins, je sens qu’on travaille ici dans une bonne ambiance : j’admire sincèrement cette résilience face à la mesquinerie des pouvoirs publics !

 

13h15 : Alors que je déambule rue Jean Jaurès avec un parapluie, celui-ci est retourné par un coup de vent : je parviens à remettre l’objet dans une position plus adaptée à sa destination, mais la scène a fait éclater de rire un crétin qui me lance « un parapluie, ça sert à rien » ! Je me sens doublement outragé car ce parapluie est un cadeau d’une amie très chère et je n’apprécie donc pas qu’on en minimise l’utilité. Je commets l’erreur de lui hurler « ta gueule » ! Évidemment, ça ne l’impressionne pas du tout et il me couvre d’une bordée d’injures nettement moins inventives que celles du capitaine Haddock… Je vais finir par m’acheter un spray répulsif pour faire fuir ces kassos que même la pluie ne dissuade pas de sortir !

 

14h : Vous connaissez le cliché de la mère célibataire qui lutte de tout ses forces pour le bien de ses enfants et qui se heurte à l’hostilité de la société ? Ce n’est pas un cliché : mon hôtesse me raconte ses mille et un démêlés avec l’administration pour la prise en charge de son fils aîné en décrochage scolaire. Je fais le rapprochement avec ce que j’ai découvert ce matin à l’institut de psychomotricité et la mauvaise rencontre de tout à l’heure… En une seule journée, je me suis pris en pleine gueule la déréliction de l’État et l’abandon des services publics : plus de moyens pour former les soignants, les cas sociaux livrés à eux-mêmes en plein centre-ville, aucune aide pour les mères en détresse… C’est à pleurer ! Je couvre mon hôtesse de cadeaux, et je ne sais pas si, face à tous ses ennuis, je dois me sentir providentiel… Ou ridicule. 

 

17h : Ayant pris congé de ma délicieuse amie et de son charmant fils cadet, je rentre chez moi : je suis bien surpris de découvrir que ma boîte aux lettres est pleine à craquer ! Je vais finir par croire que le courrier est distribué une fois par semaine dans mon quartier ! Je le dépouille et je constate qu’il y a dans le tas une lettre du Salon des Artiste Français : je me rappelle que j’y avais candidaté, sur les conseils d’une amie. Je m’attends donc à essuyer un refus poli mais ferme. Surprise : je suis sélectionné ! Une de mes œuvres va donc être exposée au Grand Palais Ephémère à Paris, en février prochain ! Est-ce que je suis fier de moi ? Franchement, je suis surtout surpris…

 

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 Mercredi 6 décembre

 

10h : Après un mardi consacré à avancer sur mes bandes dessinées, je me rends en ville pour régler quelques affaires. Première étape : Dialogues Beaux Arts pour acheter une mine de plomb. L’une des vendeuses est une ancienne collègue de fac : je n’ose pas lui dire que je la trouve plus jolie aujourd’hui que quand elle était étudiante. Je dois être le seul mais je trouve que la maturité va mieux aux femmes qu’aux hommes. De toute façon, je ne suis pas là pour marivauder : au moment de régler mon achat, je lui explique que j’ai besoin de cette mine pour le cours du soir. Elle me demande si j’ai une carte d’étudiant aux Beaux-Arts : je lui réponds que non et que je ne suis même pas sûr d’avoir droit d’en avoir une, étant inscrit aux cours publics. Elle me répond que de toute façon, ils ne font de réduction qu’aux étudiants proprement dits et que s’ils commencent à étendre leurs largesses, ils devront fermer boutique ! Peu me chaut : je n'en suis pas non plus à courir après les promos et les réductions. Cela étant, elle a tort de s’en faire : ce sont plutôt les autres boutiques d’articles pour artistes qui peuvent compter leurs abattis, maintenant que Dialogues a ouvert ce magasin ! Le pire, c’est que je n’aurai aucune raison de les pleurer : chez Dialogues, au moins, c’est simple, net et fonctionnel, je sais que je serai bien accueilli et j’ai ma carte de fidélité : pourquoi voudriez-vous que je retourne errer pendant des heures dans des rayons où je ne peux rien trouver sans demander de l’aide (ce dont j’ai horreur), où le personnel n’a qu’indifférence pour ma pauvre personne et où je peux retourner mille fois sans obtenir le moindre avantage ? Ce n’est pas parce qu’on est artiste qu’on est tenu de faire la charité…

 

10h15 : Petite escale au Fil O Bar où j’espère pouvoir exposer – tous les artistes brestois l’ont fait au moins une fois, je ne voudrais pas être en reste. Le patron me répond que ce n’est pas lui qui gère ça et que je dois demander à Glaoda Jaouen ! Le vieux céramiste doit me connaître, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il peut penser de moi, j’espère que la prise de contact ne sera pas trop houleuse… En attendant, histoire de me réchauffer un peu, je consomme une boisson chaude au comptoir. Le patron est plutôt embarrassé par un acte de vandalisme dont il a été victime et pour lequel il a appelé la police : à son âge, je m’étonne qu’il fasse encore confiance à la police pour le protéger de quoi que ce soit ! Enfin, c’est son affaire… Deux piliers de bar, du genre chômeurs professionnels, noient leur misère dans le vin : l’un d’eux, dont le rire se situe à mi-chemin entre une craie qui crisse sur le tableau et le braiment d’une ânesse en rut, dégoise sur les formations à n’en plus finir et leur inutilité. Il a un peu raison : au temps des mes parents, c’était quelques années de formation pour une vie de travail, tandis qu’aujourd’hui, c’est plutôt une vie de formation pour quelques années de travail… Je feuillette le Télégramme d’aujourd’hui : rien de bien passionnant à part la quatrième de couverture consacrée à Mona Ozouf, cette femme en tout point admirable qui vient d’être honorée aux Victoires de la Bretagne… Je n’avais qu’une vague idée de ce qu’avait été sa vie et je n’étais même pas sûr qu’elle était encore vivante ! En découvrant un peu mieux son parcours, je me sens bien peu de chose… Et ce n’est pas en buvant aux côtés de personnages dignes de Reiser ou de Cabu (voire de Vuillemin !) que ça va s’arranger ! Je me demande si j’ai encore envie d’exposer ici…

 

10h30 : Arrêt dans une boutique d’informatique pour y recharger les cartouches de mon imprimante. Il règne dans ce magasin dont je suis relativement familier une agitation inhabituelle, entretenue notamment par un type qui hurle dans son téléphone ! Visiblement, il n’est pas nécessaire de prendre les transports en commun pour tomber sur ce genre d’emmerdeur ! Je comprends, à l’entendre, qu’il est voyant : quand il a fini, je me permets de demander à ce charlatan si son prétendu don ne lui permet pas de s’apercevoir qu’il casse les oreilles des gens ! Il me reproche de ne pas être « diplomate »… Je rêve ! Ce sont aux gens incommodés par les bavardages intempestifs que l’on reproche d’être incorrects ! Je ne suis pas voyant, mais je peux déjà prédire que je ne consulterai pas ce type-là ! Ni aucun autre de ses collègues, d’ailleurs…

 

11h : En vue du Salon des Artistes Français, il me faut un cadre : je me rends donc chez Cadréa où je n’avais encore jamais mis les pieds. J’explique la raison de ma venue, et c’est seulement maintenant que je me rappelle que le salon a des exigences précises concernant l’encadrement des œuvres. Bien entendu, je ne parviens pas à me souvenir desquelles et je repars bredouille… Mais cette sortie n’aura pas été vaine : au moins, maintenant, l’endroit ne m’est plus farouchement étranger et je serai déjà plus à l’aise quand j’y retournerai.

 

11h30 : Comme je ne pourrai pas aller à la piscine de Recouvrance vendredi, je me rends aujourd’hui à celle de la piscine Foch. Je tombe sur un os : le petit bassin, que le débutant que je suis encore persiste à fréquenter, sera fermé au public dans une demi-heure pour accueillir un cours d’aquagym ! Je ne me décourage pas : je décide de sortir déjeuner et de revenir après la réouverture, prévue à treize heures…

 

11h45 : Après une courte marche, j’arrive à L’ambassade bretonne, sur la place de la Liberté. Je tombe sur un autre os : le crêpier me demande si je ne peux pas revenir dans vingt minutes, arguant qu’il est seul aux manettes et qu’il doit prendre sa pause pour déjeuner ! Je ressors, furieux : vous apprécieriez d’entrer dans un restaurant et de vous entendre dire, à mots à peine couverts, que vous êtes de trop ? Je ne vais pas m’amuser à poireauter dehors avec le temps qu’il fait, je décide de prendre le tram et de monter jusqu’à l’Octroi pour tester une autre crêperie dont on m’a dit du bien. Le véhicule n'arrivera que dans dix minutes : ce délai a beau être très court, je le trouve interminable avec le froid qu’il fait et la faim qui me tenaille, d’autant que je ne suis pas habitué à devoir attendre plus de cinq minutes en journée… Bref, je craque et je pousse un cri ! Un type qui avait l’air de faire les poubelles me demande si c’est à lui que je parle : je réponds que non, et que de toute façon, je ne parlais pas, je criais ! Il me sort le sermon habituel sur les ennuis que mon attitude pourrait m’apporter et patati et patata… Mais il trouve quand même le moyen de me déconcerter en ajoutant « surtout quand on est barbu » ! Précision importante : il est barbu lui-même… Dix contre un qu’on a dû le soupçonner d’être un islamiste ! Pour l’instant, j’y ai échappé…  

 

12h : Me voici à la Crêperie de Cornouaille, qui m’a été présentée comme la meilleure crêperie de Brest. Je suis déjà tellement las de mes récentes mésaventures que je décide de garder mon casque anti-bruit. Mon premier geste avant de m’attabler est d’aller aux toilettes : celles-ci ne sont pas totalement inoccupées, il y a un serveur qui y fait du ménage ! Il me demande si je ne peux pas attendre : la réponse est non et je ne mens pas ! Alors il est obligé de s’interrompre en plein travail et je fais ce que j’ai à faire dans une cuvette où ce pauvre garçon vient de mettre de l’eau de Javel… Je ne suis pas fier de moi, ça non ! Mais si je m’étais pissé dessus, est-ce que ça aurait été meilleur pour la réputation du restaurant ?

 

12h45 : J’ai déjà fini de manger. C’est vrai que c’est bon. Juste en face de moi, un couple avec deux enfants s’est attablé pour fêter l’anniversaire d’une des fillettes. Je suis à la fois agacé et charmé : agacé parce que les gamines parlent fort et charmé parce que je ne résiste jamais au charme délicat d’une petite fille… Je repense à cette scène de la BD Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? où le compagnon de la jeune femme qui ne veut pas avoir d’enfants ne peut s’empêcher d’être ému en voyant des parents fêter l’anniversaire de leur fille au restaurant, au point d’en oublier ce que sa compagne lui dit… J’ai presque envie d’aller faire un guili-guili à ces petites cocottes et de proposer à leurs parents que je leur tire le portrait : évidemment, je n’ose pas… Je demande un thé et l’addition.

 

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13h15 : Retour à la piscine Foch… Où il n’y a personne pour m’accueillir. Pourtant, c’est ouvert et le cours d’aquagym est censément terminé. Décidément, tout le monde a décidé de ne pas en foutre une, aujourd’hui ! Je ronge mon frein pendant un quart d’heure, non sans penser bien sincèrement que cette situation ridicule confirme ce que je constatais lundi sur l’état des services publics…

 

13h45 : Ayant pu enfin accéder au bassin, je tente de nager sans planche (mais avec mes palmes quand même). Surprise : ça marche ! C’est la première fois que j’arrive à nager dans l’eau douce quasiment sans assistance ! Les leçons de la monitrice n’auront pas été vaines ! Je serais très heureux… Si le bassin n’était pas rempli de mômes qui me cassent les oreilles et me barrent le chemin plus souvent qu’à mon tour ! Je note : ne plus aller à la piscine le mercredi…

 

22h45 : Après le cours du soir où la prof nous a initiés à la mine de plomb, je me suis rendu au Comix pour la scène ouverte Mic Mac. J’en sors à l’instant, plutôt satisfait : les retours sur mes slams sont plutôt bons, j’ai eu trois clients pour mes caricautres… Mais ma plus grande joie aura été de pouvoir écouter l’une de mes chouchoutes, la merveilleuse Morgane, qui nous a notamment interprété « La solitude » de Barbara ! Avant de partir, je réponds à une jeune femme intriguée par le casque que je portais : je lui explique que j’en avais besoin pour pouvoir profiter de l’ambiance sonore sans que le volume n’atteigne des proportions déraisonnables pour moi. C’est ça, avoir une différence invisible : c’est être obligé de s’expliquer en permanence… 

Un dessin de mon cru à la mine de plomb :

 

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Quelquse croquis réalisés au Comix :

 

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Jeudi 7 décembre

 

14h : Je viens de faire ma déco de Noël : je suis assez content de moi, même si je suis un peu triste à l’idée que je vais être le seul à en profiter…

 

14h45 : Retour à Cadréa, muni cette fois des directives formulées par le Salon des Artistes Français. Je manque une ou deux fois de perdre patience, comme à chaque fois que je fais face à une commerçante qui n’a pas l’air de comprendre que je ne suis pas décisionnaire de ce que je viens demander. On finit quand même par tomber d’accord : ma commande sera prête d’ici une vingtaine de jours ; je dois quand même débourser quatre-vingt balles ! J’accepte de payer en deux fois : coup de pot, j’ai la somme en liquide sur moi ! C’est dans des moments comme ça qu’on se félicite d’être économe…

 

15h : Je descends la rue Jean Jaurès à pied ce qui me permet de découvrir, sur la façade d’un bar-tabac, la couverture d’Entrevue qui vient de changer de propriétaire et de maquette. Que m’importe, il m’en faudrait plus pour que je gaspille mes sous dans l’achat de ce torchon ! Et par-dessus le marché, qui fait la « une » du magazine ? Laurent Baffie ! On aurait mis un épouvantail à la place, je reculerais moins ! Je déteste ce type et ses provocations à deux balles, je ne vois en lui qu’un arriviste sans humour, je suis sûr qu’il a été harceleur à l’école. En plus, il a le culot de déclarer qu’avec son grand copain Ardisson, il a fait une télé « qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui » ! Il est mal renseigné, Hanouna fait exactement la même merde !

 

15h30 : Devant récupérer mes cartouches et racheter un feutre-pinceau, je décide de couper par la place de la Liberté pour atteindre la rue de Siam. Seulement voilà : sur la place de la Liberté, il y a le marché de Noël. Et pour passer par le marché de Noël, même si vous ne faites que traverser la place, vous êtes obligé de passer devant le vigile, de lui ouvrir vos sacs et de lever vos bras… Vous ne voyez pas un problème ? Non ? Ça ne vous choque pas, qu’on vous force à monter patte blanche pour circuler dans l’espace public ? « Ah mais c’est pour notre sécurité ! » Pauvres naïfs ! Vous croyez vraiment qu’un terroriste ou un malfrat va gentiment ouvrir son sac si on le lui demande ? Vous croyez vraiment qu’il va poliment faire la queue pour qu’on le contrôle comme vous le faites ? Les pouvoirs publics le savent bien, eux, que ce malheureux vigile ne pourrait rien face à un individu vraiment dangereux ! C’est juste pour vous fliquer, pauvres volailles ! Et vous vous laissez faire ! Pas un mot de protestation, rien ! Alors qu’il est tout seul ! Qu’il n’est même pas armé ! Qu’à cinq seulement, vous pourriez l’envoyer chier ! Et ne croyez pas qu’ils en resteront là : vous avez accepté dans broncher qu’ils regardent dans vos sacs, demain, ils vous feront mettre à poil ! Et avec les températures qu’il fait en ce moment, vous allez le sentir passer ! Vous allez choper la crève, et vous ne pourrez même pas vous soigner vu que le gouvernement aura supprimé la sécurité sociale dans le plus grand calme vu que personne n’aura osé protester…

 

16h30 : Avant de rentrer chez moi pour récupérer ce dont j’ai besoin en vue de la scène ouverte que le Collectif Synergie organise ce soit au Kafkerin, je m’arrête chez Pod : je n’avais toujours pas vu l’exposition de Julien Solé. Évidemment, étant donnée la relative exiguïté de l’espace, on ne peut avoir qu’un petit aperçu de l’œuvre de ce dessinateur. Je connaissais la plupart des planches parues dans Fluide Glacial, mais je découvre ses illustrations consacrées à la vie brestoise : il est devenu à sa façon un nouveau Jim Sévellec ! Après avoir taillé une bavette avec Pod, je ne m’attarde pas : devant les dessins de Julien, je me sens peu de chose encore une fois…

 

19h30 : J’arrive au Kafkerin. Ça commence assez mal : sur scène, l’éclairage est à fond, ce qui m’incommode sérieusement et Bardawen est en train d’accorder sa vielle, produisant des sons insupportables. J’entreprends d’étendre ma banderole : il m’est impossible de la fixer au mur qui est très dur et recouvert d’un crépi sur lequel rien n’adhère ! Après un bon quart d’heure de tentatives infructueuses au cours duquel j’ai envoyé paître des bénévoles qui voulaient m’aider (j’ai HORREUR qu’on m’apporte une aide que je ne sollicite pas), je change de méthode et je me saisis de deux chaises dont je me sers comme poteaux : une fois encore, il me faut un bon quart d’heure pour réussir à la faire tenir ! J’arrive au bout de ma patience, d’autant que la scène ouverte n’est pas animée par notre présidente-fondatrice bien-aimée mais par un vieux type qui s’improvise chanteur depuis sa retraite et dont je suis visiblement le seul à ne pas apprécier les prestations : je pourrais encore m’en accommoder s’il ne s’obstinait pas à maintenir un éclairage infernal (visiblement, il ne partage pas mon hypersensibilité à la lumière, qui est aussi le fait de Claire) et à faire passer sur scène des gens sans talent qui bafouillent maladroitement les tubes de merde de Johnny Hallyday, Stone et Charden, Jean-Jacques Goldman et autres ringards… Bref, je suis à bout ! Quand un type au look de facho et au parler hésitant se met à pousser un cri, je craque et je lui hurle « Ta gueule, kassos ! » Ça jette un froid et ce qui nous tient lieu d’animateur menace d’appeler les flics si je ne me calme pas… Je sais déjà que je m’en souviendrai, de cette soirée !

 

20h15 : La soirée décolle enfin grâce à l’arrivée de vrais artistes dont l’adorable Nathalie Od’ile auprès de laquelle je me sens si bien. Je ne décolère pas contre l’animateur qui serait plus à sa place, à mon sens, dans un baloche de retraités ! Le type que j’ai engueulé me fiche la trouille, je le sens prêt à me casser la figure à tout moment ! Je n’ose pas commander au bar, je suis si peu fier de mon esclandre que je suis persuadé que les bénévoles refuseront de me servir… Il y avait longtemps que je n’avais pas eu une crise de ce type-là et ça ne m’avait pas manqué.

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21h30 : La soirée est déjà finie. Christophe, le secrétaire général de l’asso, qui est arrivé entretemps, est bien surpris que ça se termine aussi tôt ! Il accepte gentiment de me reconduire à Lambé : ma seule satisfaction de la soirée aura été de vendre un exemplaire de Voyage en Normalaisie à un musicien qui m’avait demandé de lui en mettre un de côté… Je me sens amer.  

 

Vendredi 8 décembre

 

9h40 : Au marché, j’achète des pommes de terre, ce qui n’est pas dans mes habitudes : je ne sais pas trop combien en demander, je précise donc à la vendeuse qu’il m’en faut pour deux personnes mais que je n’ai pas le sens des proportions. Elle rit : croyant qu’elle se moque de moi, je lui demande la raison de cette hilarité. Elle me répond qu’elle n’a pas non plus le sens des proportions… Je ne vois vraiment aucune raison de rigoler ! « Mieux vaut rire que pleurer » dirait le premier imbécile venu : mais on n’est pas obligé de rire OU de pleurer, on peut rester neutre face à ses petites faiblesses ! On est comme on est, il n’y a aucune raison d’en faire un motif de lamentation ou d’hilarité ! Je réitère mon constat : c’est très facile de faire rire les gens ! On m’attribue un don pour faire rire : je ne vois pas en quoi c’est un don, les gens sont tellement stupides qu’ils rient pour un rien !

 

10h : Faisant la queue pour le charcutier, je commence sérieusement à m’impatienter : pas tellement à cause de l’attente, mais à cause de l’ambiance générale. Je trouve les gens étrangement agités, en ce moment ! C’est déjà assez désagréable de faire la queue, pourquoi rendent-ils la chose encore plus pénible en parlant fort, en s’esclaffant à tout bout de champ, en s’agitant dans tous les sens…  

 

10h30 : J’achète du pain. La boulangère est désolée : l’affiche que j’avais fait mettre hier dans sa boutique a pris l’humidité et est réduite en charpie… Je profite qu’il n’y ait pas d’autre client dans sa boutique pour lui faire part de mon sentiment sur l’ambiance actuelle : elle le partage car elle a elle-même des troubles autistiques et des enfants dans le même cas ! Quatre ans que je fournis chez elle et je ne le savais pas ! C’est d’autant plus extraordinaire qu’il se passe exactement la même chose dans La différence invisible : quand je dis que les « aspies » ont des parcours fort similaires…

 

14h : Avant d’aller aux marinades de Recouvrance, passage à la boutique de piercings et de tatouages tenue par le compagnon d’une amie pour livrer un calendrier qu’elle m’a commandé. Je repars quand les clients de l’après-midi arrivent, dont une jeune femme qui retrousse le bas de son short pour montrer l’endroit où elle veut se faire tatouer : j’ai peut-être raté ma vocation…

 

14h15 : Descendant la rue Pasteur, je tombe sur une Kangoo au dos de laquelle sont affichés un autocollant « Différence invisible » ainsi qu’un papier sur lequel je peux lire ce petit texte :

 

« Je n’exagère pas

Je ne cherche pas à attirer l’attention

Je ne suis pas hypocondriaque

Je ne suis pas paresseuse

Je ne fais pas semblant

Je ne suis pas faible

Je ne manque pas de fiabilité

Je ne l’ai pas choisi »

 

Le texte n’est pas signé, mais je dis bravo à l’auteur : en huit petites phrases, il a résumé tous les soupçons qui pèsent sur moi au quotidien… Je ne résiste pas à l’envie de prendre une photo. Une artiste de mes connaissances, voyant mon manège, me demande si le véhicule est à moi : je réponds que non, mais je le regrette !

 

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14h40 : Je suis déjà à Recouvrance, largement en avance comme d’habitude. Alors, pour patienter, je vais consommer une boisson chaude au Pacha, le bar-tabac PMU tenu par une amie de feue Geneviève. La patronne n’est pas là mais je passe quand même un bon moment dans la lumière tamisée de l’arrière-salle, notamment grâce à deux amis. Le premier est un personnage de dessin animé : c’est Sylvestre le Chat dont deux effigies en peluche trônent dans l’estaminet. J’ai pris la plus petite et je la sers contre moi : j’ai toujours eu beaucoup de sympathie pour ce pauvre imbécile de Sylvestre, qui est assurément plus bête que méchant et dont j’avais toujours pitié quand je voyais cette vieille conne de grand-mère lui donner des coups de parapluie parce qu’il voulait bouffer un canari… Vas-y, hé, vieille conne, si tu voulais pas avoir d’ennuis de ce genre, ‘fallait pas prendre un chat ET un oiseau ! ‘Fallait choisir ! Si encore tu nourrissais correctement ce pauvre chat, il n’en serait pas réduit à vouloir manger ce minuscule canari ! C’est pour ça que je me sens proche de Sylvestre : comme lui, j’ai été une victime qu’on a voulu rendre responsable de son malheur… Et le caresser m’apaise : j’ai l’impression de me consoler moi-même de tout ce que j’ai enduré. Le deuxième ami est une grande femme de lettres : c’est Amélie Nothomb dont je lis Attentat. Et oui, je n’ai pas encore lu tous ses livres ! Celui-ci n’a rien à envier aux autres, mais j’éprouve des sentiments ambivalents pour son héros nommé Épiphane : d’un côté, je l’admire, parce qu’il fait montre d’une force de caractère qui lui permet de surmonter le handicap que représente sa monstruosité physique, mais de l’autre, il est tellement cynique et méprisant que j’ai du mal à éprouver da la sympathie pour lui – je parie d’ailleurs que ce n’était pas le but recherché par l’auteur. Épiphane fait partie d’une longue lignée de héros « nothombiens » qui font violence à la réalité dans l’espoir de la façonner suivant leurs fantasmes et qui finissent par le payer au prix fort… Vingt après la sortie d’Attentat, madame Nothomb a fait entrer en scène un autre personnage au physique repoussant dans Riquet à la houppe, mais la grosse différence entre Épiphane et Déodat se situe dans le fait que là où le premier est perpétuellement frustré de ne pas trouver le sublime absolu, le second, de son côté, est convaincu de l’avoir déjà trouvé dans l’admiration des oiseaux : c’est ainsi qu’il évite de se condamner au solipsisme dans lequel Épiphane finit par s’enfermer. Déodat garde le sens de l’autre, pas Épiphane qui, non content d’être hideux, s’avère être un idiot intelligent. Un idiot intelligent de grande classe sans doute, mais un idiot quand même.

 

17h : Les organisateurs des Marinades ont une drôle de façon de travailler : alors qu’il avait été annoncé que les festivités commenceraient à 16 heures, on en est encore à l’installation à 17 heures ! Je m’étonne que la lumière ne soit pas déjà branchée sous le barnum où je suis installé, ce qui entame quelque peu ma patience. Je ne devrais pourtant pas : ils n’en sont pas à leur coup d’essai et je devrais avoir confiance. Je suis pourtant presque indigné qu’ils arrivent à faire une fête réussie avec une méthode apparemment aussi peu rigoureuse. Alors de deux choses l’une : ou bien je les juge mal, ou bien je me retrouve dans la même situation que ce jour où, au lycée, j’ai failli m’étrangler de rage en voyant le cancre de service obtenir une note presque aussi bonne que la mienne pour un exposé qu’il avait improvisé au dernier moment…

 

19h30 : Il fait froid, il fait humide, les clients ne se bousculent pas au portillon. Heureusement que j’ai le livre de madame Nothomb pour me tenir compagnie. J’en suis déjà à me demander si je reviendrai aux prochaines marinades quand, tout à coup, je reçois la visite d’un groupe complet : cinq musiciens qui me demandent de tous les caricaturer ! Naturellement, je ne me fais pas prier : cinquante euros en poche, ça fait une soirée bien gagnée ! Tout en dessinant, je leur demande des renseignements : ils me disent qu’ils étaient venus jouer à Rennes et qu’ils profitent d’être dans la région pour proposer un autre concert à Brest. Leur groupe s’appelle « Marcel » et ils sont… Belges ! Décidément, la Belgique aura doublement sauvé ma soirée ! Je dirais bien « vive le roi » si je n’étais pas farouchement républicain… Quand je leur demande quel est leur style de musique, ils me disent jouer du « post-punk »… Décidément, le préfixe « post » est partout en ce moment, à croire que notre époque est incapable de proposer quelques chose de nouveau…

 

20h : J’ai fini de lire Attentat. Que dire ? Il est à la hauteur des autres romans d’Amélie Nothomb. C’est une tragédie au sens fort du mot : la belle Éthel n’a pas tort de repousser le monstrueux et vaniteux Épiphane, mais ce dernier n’a pas tort non plus de revendiquer son droit d’aimer. Son amour n’est pas impossible : c’est sa vie qui l’est… Curieusement, je me reconnais dans ce personnage pourtant fort peu sympathique ! Et je prends soudain conscience d’une chose : je suis mou, gras et moche, je touche les aides sociales, je n’ai jamais vraiment travaillé, je ne sais pas conduire une voiture, je n’ai jamais connu l’amour… Et pourtant, on m’aime, on m’admire même ! Les gens sont idiots, ou quoi ?

 

22h : Je plie les gaules. J’ai eu d’autres clients, dont deux adorables jeunes filles, ça me fait quatre-vingts euros de gagnés en une soirée, c’est honorable. Je ne suis cependant pas fier de moi, d’autant que j’ai à nouveau craqué : j’ai envoyé paître un cas social qui me demandait une cigarette. J’ai de plus en plus de mal à éconduire poliment les individus de ce genre : j’ai peur d’être assimilé à eux ! Je sais bien que je ne devrais pas traiter ainsi des gens qui ne sont pas responsables de ce qu’ils sont, mais c’est plus fort que moi. Et puis merde, à la fin ! Je suis un artiste, pas une assistante sociale !

 

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Samedi 9 décembre

 

15h20 : J’arrive sur la place de Strasbourg où j’espérais pouvoir prendre le tram jusqu’à Recouvrance. Mauvaise surprise : le tram ne descend pas au-delà de la station Jean Jaurès. La cause ? Une manif… Il va donc falloir dévaler toute la rue de Siam et traverser le grand pont à pied, chargé comme un mulet et par une météo mitigée. J’ai connu plus dramatique, mais j’enrage quand même.

 

15h30 : Au niveau de la place de la Liberté, je vois s’ébrouer le cortège. Le motif de la manifestation me parait peu clair : de toute façon, il y a une manif chaque samedi, maintenant ! Je me demande si les gens savent encore eux-mêmes pourquoi ils défilent ! Je presse le pas, je me dépêche pour arriver à l’heure à mon rendez-vous… Je me défoule en engueulant les scouts femelles qui vendent leurs calendriers dans leurs tenues ridicules. Quand j’atteins enfin le pont de Recouvrance, des rafales de vent manquent de faire s’envoler mon casque antibruit (je n’exagère pas) ! Tu parles d’une promenade… Je me souviens d’une conversation avec un ami avec qui j’étais tombé d’accord pour dire que les manifs représentaient une technique de lutte d’un autre temps : j’aurais pu ajouter les propos de Siné, qui appelait les protestataires à faire preuve d’imagination et à cesser d’emmerder majoritairement de pauvres types hors du coup comme moi, ou encore la phrase de Cabu : « Manifester, c’est déjà défiler »…   

 

17h : Je me trouve à la librairie Sapristi où je viens de faire une causerie sur mon parcours de personne avec autisme, depuis mes premiers pas jusqu’à la publication de Voyage en Normalaisie. Les échanges avec la petite dizaine de personnes venue m’écouter sont assez animés (bien que courtois) : on me cuisine pas mal sur l’aversion que m’inspire le football ! Le plus surprenant, c’est que les gens qui me posent des questions sur ce sujet m’avouent détester le foot eux aussi ! Ils défendent le foot comme les paysans de jadis défendaient le bon Dieu : sans y croire mais parce que ne pas y adhérer leur paraît inconcevable… De façon générale, on s’étonne de la colère que j’exprime, de ma vision négative des choses : mais ce n’est pas de ma faute si le monde est ce qu’il est… Enfin bon, ils m’achètent tous un livre, c’est le principal.

 

Dimanche 10 février

 

17h : Je rentre chez moi après une brève escapade chez les auteurs de mes jours qui inauguraient leur nouveau salon avec leurs amis. Retrouver ce groupe d’anciens jeunes gens qui me connaissent depuis ma naissance m’a fait du bien : pendant un court laps de temps, j’ai pu cesser d’être un « artiste », un « écrivain », un « philosophe » ou quelque autre titre pompeux dont on m’a affublé ces derniers temps et redevenir le fils de mes parents, peu sûr de lui et demandeur tout simplement d’amour…  

 

Deux dessins réalisés pour le plaisir, pour conclure :

 

12-06-Jade-Electre.jpg


12-06-Soleil-Empereur romain.jpg

 

C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !

 



10/12/2023
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