Du 31 mai au 6 juin : il y a 81 ans, le débarquement de Normandie. En ce temps-là, l'Amérique était porteuse d'espoir... Ça date !
Samedi 31 mai
16h30 : Tout en poursuivant l’inventaire des écrits que je tiens de Geneviève, je me passe de la musique sur YouTube pour me donner du courage. Malheureusement, depuis que le site a trouvé la parade aux bloqueurs de publicité, il est devenu presqu’impossible d’en profiter sans devoir subir tout un lot de réclames qui, même tronquées, s’avèrent au mieux sans intérêt, souvent idiotes, au pire carrément déplacées, témoin celle-ci, pour un opérateur téléphonique (je cite de mémoire) : « Vous vous souvenez du temps où on mettait des heures à envoyer un SMS ? Aujourd’hui, on passe des vocaux qui durent des heures… » Je n’ai jamais eu l’impression de mettre des heures à écrire un SMS, même sur mon vieux téléphone à touches ! Mais pour le reste, oui, je confirme : il est devenu impossible de sortir en ville sans devoir subir le vacarme que font tous ces zigotos discutant en visio sur leurs smartphones au mépris des gens qui se trouvent autour d’eux ! Je ne vois pas en quoi c’est un progrès, je dirais même, de mon point de vue de personne souffrant d’hyperacousie, que c’est un frein à l’établissement d’une société inclusive ! Rien que pour ça, j’ai déjà décidé de ne jamais être client de l’opérateur ainsi vanté ! Et une publicité qui dissuade d’acheter, vous appelez ça comment, vous ? Personnellement, j’appelle ça une preuve que les publicitaires sont tous des cons – mais je m’en doutais déjà avant !
17h : J’ai fini l’inventaire du fonds d’archives liées à ma défunte reine : j’ai même trouvé, dans le tas, une photo d’elle quand elle avait la trentaine. Elle était très jolie, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait comment elle était encore à 90 ans passés. Je suis de plus en plus en convaincu qu’avec l’âge, on finit toujours par avoir la gueule qu’on mérite et que la vieillesse accroit la splendeur des personnes vraiment belles… Plus sérieusement, les écrits de Geneviève, qui fut un témoin privilégié d’une époque marquée par la guerre, la décolonisation et l’émancipation des femmes, seraient sûrement de nature à intéresser les historiens, mais c’est à sa famille qu’il appartient désormais de statuer sur leur sort : si elle décide de tout récupérer sans me laisser diffuser quoi que ce soit, ce sera son droit et je ne pourrai pas m’y opposer ! Et je ne vous cache pas que ça m’arrangerait presque : j’ai déjà fait beaucoup du vivant de Geneviève ; maintenant qu’elle n’est plus de ce monde et que même Pod n’est plus là pour me soutenir, ma motivation n’est plus la même ! Affaire à suivre…
Interlude : une variation autour d'un mythe bien connu des cruciverbistes, celui de Io :
Dimanche 1er juin
8h15 : Je descends la rue Robespierre afin de gagner les halles de Kérinou où doit se tenir un vide-greniers auquel je me suis inscrit. Comme ce n’est pas loin de chez moi, j’ai décidé d’y aller à pied, d’autant que j’ai emprunté un diable pour pouvoir transporter toute ma marchandise : je constate assez vite que cet appareil est très pratique… À condition d’être employé sur terrain dégagé ! C’est rarement le cas dans ce quartier où les trottoirs sont étroits et encombrés : je dois m’arrêter toutes les cinq minutes pour contourner un obstacle, le plus souvent une poubelle, et remettre sur le trottoir une roue qui a manifesté des velléités de descente… Bref, je m’attendais à du billard et j’ai plutôt droit au Camel Trophy ! Je comprends mieux ce que doivent ressentir au quotidien les non-voyants…
8h45 : J’arrive, dégoulinant de sueur, sur les lieux où beaucoup d’exposants sont déjà en train de s’installer. Mais il n’y a personne pour faire l’accueil : alors j’interpelle la première personne qui me tombe sous la main et je lui demande à qui je dois m’adresser ; elle me répond qu’elle ne sait pas ! Déstabilisé par cette réponse pour le moins inattendue, je me permets d’insister, peut-être avec une rigueur excessive il est vrai, en lui faisant remarquer que si elle est là, c’est qu’il y a bien eu quelqu’un pour la placer ! Elle précise qu’elle ne sait pas où est passée la personne en question et elle me reproche mon manque d’amabilité. J’aimerais l’y voir, aussi ! Si elle avait dû pousser un diable dans des rues pas du tout prévues à cet effet, elle aussi serait un peu à bout de patience… En désespoir de cause, je pousse mon chargement dans l’allée… Jusqu’à ce que je sois reconnu par une dame qui m’indique mon emplacement ! J’avoue que je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas improvisé un bureau d’accueil : ça m’aurait évité un moment d’angoisse suivi du malaise qui s’empare de moi à chaque fois que je suis identifié par une personne inconnue…
17h : Le bilan du vide-greniers n’est pas négatif, j’ai pu gagner plus d’argent que ce que m’a coûté l’inscription : pas une fortune, bien sûr, mais ça me paiera toujours un repas et puis ça me fait gagner de la place. J’ai quand même pris le bus pour rentrer, mon diable n’étant pas allégé au point de m’encourager à remonter la rue Robespierre à pied ! C’est en approchant de mon immeuble que je remarque, sur le panneau d’affichage, une tâche verte qui ressemble fort à de la propagande électorale ! Je tressaille un bref instant : ne me dites pas que Macron aurait encore dissous l’assemblée ? Mais, de près, il s’avère qu’il s’agit effectivement d’un message politique mais qui se borne à annoncer une réunion publique à l’occasion du changement de nom d’EELV qui s’appellera désormais « Les Écologistes »… Une fois remis de mon bref moment d’appréhension, je me dis que les sigles n’ont décidément plus la côte et que la grande mode, chez les partis politique, est de prendre des noms qui ont vocation à appeler un chat un chat, comme pour les équipes de football américain… Ou comme dans Les Nuls, l’émission ! Il n’y a que le RN qui garde un nom à la mode traditionnelle : il est vrai que s’ils se mettaient à s’appeler « Les Fascistes, », ça risquerait de prendre les électeurs à rebrousse-poil ! Quoi ? Vous me dites que s’ils devaient encore changer de nom, ils se baptiseraient plutôt « Les Patriotes » ? Mais c’est la même chose ! Le patriotisme n’est pas une mauvaise chose en soi, mais le mettre au cœur d’un programme politique n’a jamais mené qu’au fascisme…
Lundi 2 juin : Bartabas a 68 ans.
11h25 : Riche idée que j’ai eue, de prendre un Accemo pour aller aux Archives et en revenir ! L’heure du retour approche et je n’ai pas eu le temps de noter toutes les informations que je voulais recueillir… Il est vrai que j’ai retardé par la guichetière qui m’a déconcentré en bavardant avec un monsieur qui doit être un collègue ou un habitué des lieux ! Je ne comprends pas cette attitude : s’il y a bien un endroit où on devrait entendre une mouche voler, ce devrait bien être celui-là, non ? Il n’y a vraiment plus aucun refuge…
22h15 : Ne trouvant pas le sommeil, je décide de m’entraîner à employer le tampon à cacheter qui m’a été offert par une amie. Pour ce faire, j’entreprends de faire fondre des bâtonnets de cire au moyen d’un briquet que m’a cédé une autre amie, ancienne fumeuse : ça me vaut de me faire affreusement mal aux doigts, non seulement à cause de cette fichue flamme qui me brûle mais aussi à force de maintenir le bouton enfoncé pour éviter que ladite flamme ne s’éteigne ! Je comprends mieux pourquoi le tabagisme a si longtemps été associé à la virilité et à la maturité : il faut effectivement être un peu dur à cuire pour parvenir à se servir d’un briquet sans souffrir le martyre ! Ça me conforte dans l’idée que fumer est une habitude un peu bizarre… Pour ne pas dire idiote !
Mardi 3 juin
9h40 : Comme un con, je suis sorti sans imperméable ! Pourquoi ? Premièrement parce qu’avec le temps qu’on a eu hier, je ne pensais pas qu’il allait pleuvoir, deuxièmement parce que depuis la fenêtre de mon appartement, je n’avais même pas vu qu’il bruinait ! Et je pensais naïvement que ça allait se lever… Non seulement ça ne se lève pas mais j’ai raté le bus pour Bellevue : je pourrais attendre le prochain qui passe dans une demi-heure… Mais à cause du vent, l’abribus ne me protège de rien du tout et, par-dessus le marché, il y a, à proximité, des travaux d’élagage dont les bruits me tapent sur les nerfs ! Bref, je craque et je décide de marcher jusqu’au prochain arrêt…
10h15 : Je ne pensais pas qu’il y aurait si peu d’abribus sur une ligne si chichement desservie ! C’est là que l’on voit qu’il suffit d’avoir l’idée de vouloir aller à Bellevue pour être objet de mépris… Enfin bon, j’ai enfin pu attraper un bus, me voici en route pour la place Napoléon III où j’ai prévu de retirer un colis et de déposer à la banque une partie de ce que j’ai gagné au vide-greniers de dimanche : j’espère que tout va aller comme sur des roulettes car ma patience est déjà sérieusement entamée…
10h25 : Il faudrait que j’apprenne à arrêter d’espérer que tout va bien ! Non seulement j’ai galéré pour entrer dans l’agence bancaire parce que l’avenue de Tarente est encore en plein chantier mais, une fois sur place, j’ai la mauvaise surprise de constater que l’appareil où je suis censé effectuer mon dépôt est éteint : la banquière me voit et commence à bredouiller des excuses, mais j’en ai déjà assez entendu ; comprenant que la machine est en panne et que je ne dois donc rien espérer, je pars sans demander mon reste ! Décidément, c’est fou à quel point l’électronique nous facilite la vie en rendant les entreprises plus performantes et efficaces, n’est-ce pas ?
10h35 : Arrêt dans une carterie pour retirer mon colis. Je pensais me mettre à l’abri d’une mauvaise surprise en notant soigneusement le numéro qui m’avait été donné dans le message m’annonçant son arrivée… Et finalement, on me demande quoi ? Le nom du transporteur ! Autrement dit, la dernière information que je m’attendais à devoir retenir ! Ici, il faut donner ça, là-bas, il faut donner ci… Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve ? Décidez-vous ! Vous avez besoin de quel renseignement pour pouvoir délivrer un colis, à la fin ? Voilà typiquement le genre de problème qu’on n’avait pas quand l’acheminement des paquets était encore un monopole d’État et que les facteurs se chargeaient de vous les livrer à domicile… Il y a des jours où je comprends mieux le passéisme de Cabu ! Bon, j’arrive finalement à me rappeler que c’était Chronopost qui s’était chargé du transport et je peux récupérer ma commande, mais voilà encore une commerçante à laquelle je n’aurai pas laissé une excellente impression…
10h45 : Pour me remettre de mes émotions et comme il me reste du temps avant l’ouverture de la piscine Foch où j’ai prévu d’aller nager, je m’arrête à la médiathèque pour lire la BD que j’avais achetée d’occasion par correspondance et que je viens de récupérer péniblement : il s’agit d’Iznogoud président, l’album qui avait été si remarqué à sa sortie, d’une part parce qu’il porte la signature de Nicolas Canteloup et d’autre part parce qu’il faisait écho au contexte particulier dans lequel il était paru, marqué à la fois par le « printemps arabe » et les présidentielles de 2012. Mon impression ? Ce n’est pas mal. Bien sûr, on ne retrouve pas tout à fait le génie de René Goscinny, mais c’est quand même une belle satire des campagnes électorales où les candidats doivent miser davantage sur leur image que sur leurs idées et où les réseaux « sociaux » (symbolisés fort opportunément par des boucs et des porcs) font la loi… Canteloup a co-signé le scénario avec Laurent Vassilian qui, à mon humble avis, a dû mettre davantage la main à la patte que le célèbre imitateur : Vassilian est un ex-auteur des Guignols et ça se sent dans sa manière de brocarder la vie politique et ses travers… Quant au méchant grand vizir, il se retrouve face à un défi inédit et quasiment insurmontable pour lui : se faire aimer du peuple ! Ça le rend encore plus sympathique : je suis sûr que nous sommes quand même nombreux à ne pas avoir le quart de ses défauts et à n’avoir pourtant jamais réussi à être populaires ! Nous sommes sûrement tout aussi nombreux à avoir envié plus d’une fois celui que tout le monde aime voire admire, que ce soit le beau gosse du lycée ou le chouchou du patron… Rien que pour ça, je préfèrerai toujours, à ce gros patapouf d’Haroun el Poussah, son diabolique mais pathétique grand vizir, si proche de nous tous dans nos soifs de grandeur et de reconnaissance ! Je préfèrerai toujours celui qui galère pour obtenir ce qu’il désire à celui qui n’a qu’à claquer des doigts pour que ses caprices soient satisfaits sous prétexte qu’il est « mignon », « souriant » ou doté de l’une ou l’autre de ces pseudo-qualités qui font se pâmer les rombières : c’est pour la même raison que je préférais Sylvestre le chat à Titi ou Jospin à Chirac, pour ne citer que deux exemples parmi des centaines d’autres…
12h : Bon, OK, c’est la journée de la poisse ! À la piscine, c’est seulement au vestiaire que je constate que j’ai oublié mes lunettes de plongée ! Comme je n’ai pas l’intention de me niquer les yeux avec le chlore, je demande à en emprunter d’autres, mais comme j’ai une très grosse tête, je dois me contenter d’une paire qui me serre épouvantablement ! Pour la détente, je repasserai ! Et quand je sors du bassin après avoir fait mes longueurs, j’espère sans trop oser y croire que le pire est derrière moi…
Interlude : une variation sur un autre mythe, celui des oiseaux du lac Stymphale.
16h30 : J’ai finalement pu déposer mon argent à l’agence bancaire de la place Wilson où les machines n’ont pas décidé de faire la grève. Chemin faisant, sous une bruine qui n’est décidément pas disposée à s’arrêter, je remarque la une d’un magazine visiblement décidé à contribuer à bâtir la stature présidentielle d’Édouard Philippe… C’est vrai que face à une Macronie agonisante, entre une gauche qui peine à transformer l’essai des législatives anticipées et une extrême-droite qui reste encore un repoussoir pour beaucoup de Français (d’autant que sa tête de gondole est hors-jeu), le maire du Havre semble avoir un boulevard devant lui ! Mais méfions-nous des pronostics trop hâtifs : les présidentielles, c’est dans deux ans, et beaucoup de choses peuvent se produire d’ici là ! Ce ne serait pas la première fois qu’un « homme providentiel » trébucherait au dernier moment ! Souvenez-vous de Chaban-Delmas, de Rocard, de Barre, de Balladur, de Jospin, de Juppé, de Fillon… Et puis merde, à la fin ! Depuis 2017, on n’a connu que le débat entre le roquet du capital et la chienne de Buchenwald ! Qu’est-ce qu’on peut entendre d’Édouard Philippe, à part la continuation de la politique du premier, saupoudrée d’appels du pied aux idées de la seconde ? On s’ennuie à la fin ! Oh, la gauche, réveillez-vous ! Vos adversaires n’ont à vous opposer que la personnalité de Mélenchon ! Sorti de ça, ils n’ont pas d’arguments ! Le vieux sera bien obligé de s’écraser, il sait sûrement qu’il ne sera jamais président ! Je n’ai pas envie de devoir voter pour l’ancien grand vizir de Macron rien que pour faire barrage à Bardella ! Alors faites quelque chose ! Bon, pas n’importe quoi non plus : pas la peine de nous ressortir François Hollande…
16h40 : Déjà fatigué de cette journée pénible, je prends le tramway pour honorer un rendez-vous avec Yann Guével qui a accepté de me recevoir pour parler de l’église Saint-Martin. Rencontrer les politiciens, c’est toujours une épreuve et le brouhaha qui règne dans le tram ne m’aide pas beaucoup à l’envisager avec le sourire… Juste sous mon nez, deux jeunes gens discutent à un mètre l’un de l’autre, ce qui les oblige à parler fort pour s’entendre : je leur fais remarquer qu’ils nous casseraient moins les oreilles s’ils se rapprochaient ! Leur seule réaction est de prendre un air qui serait à peine moins éberlué si je leur avais annoncé que j’avais six paires de couilles…
16h45 : À l’hôtel de ville, je ne peux pas échapper au cerbère qui me demande d’ouvrir mes sacs… Il y a des moments où je suis d’assez bonne humeur pour endurer avec patience cette épreuve humiliante et inutile, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui ! Je ne peux m’empêcher de lui dire, pendant qu’il fouille dans mes affaires de piscine : « Si vous voulez, je peux aussi baisser mon pantalon ! » Vous me direz que je risque des ennuis à parler comme ça à des vigiles ? Allons donc ! Ce ne sont pas des flics, je vous le rappelle ! Tant que je ne mets pas en péril la sécurité des lieux, ils ne peuvent rien me faire – si tant est qu’ils puissent vraiment faire quoi que ce soit contre un individu réellement dangereux ! Et puis vous trouvez que ce n’est pas déjà avoir des ennuis, vous, devoir monter ses affaires personnelles à de gros bras sans cervelle ? Quand je prends l’ascenseur pour gagner le bureau de Yann Guével, un autre cerbère me demande à quel étage je monte : je réponds que je peux me débrouiller seul, il me rétorque qu’il n’a pas l’intention de m’accompagner mais qu’il doit savoir où je vais… Heureusement qu’il y a des terroristes pour justifier le salaire de ces guignols !
16h50 : L’entretien avec Yann Guével est une simple formalité assez vite expédiée : si ça ne tenait qu’à moi, je lui demanderais s’il ne trouve pas ça ennuyeux, quand on est social-démocrate, de devoir faire payer au contribuable l’entretien d’un lieu de culte ! Non que je nie l’intérêt patrimonial d’un édifice comme l’église Saint-Martin, mais j’estime qu’une république vraiment laïque devrait pouvoir imposer aux autorités religieuses d’entretenir à leurs frais leurs boutiques ou, au moins, trouver une solution pour rentabiliser ces bâtiments où les fidèles se font rares et où les offices ne sont même plus assurés par de vrais prêtres ! Sinon, ce n’est vraiment pas la peine de pourrir la vie aux femmes musulmanes sous prétexte que porter un torchon sur la gueule serait une menace pour la démocratie… Plus concrètement, je suis surtout marqué par l’épisode des rhododendrons : la rénovation de l’église, destiné à résoudre le problème de l’humidité, a en effet entraîné l’arrachage de ces magnifiques plantes, ce qui n’a pas été sans causer quelques remous bien compréhensibles ! Entre des plantes à fleurs qui embellissent le paysage et une église décrépite où l’on dégoise des insanités, mon choix serait vite fait ! Décidément, là où la religion passe, la vie, la beauté et la nature trépassent…
17h50 : Après avoir pu attraper un bus pour réintégrer mon doux foyer, je pensais naïvement que je pouvais enfin tourner la page de cette journée merdique. Mais c’était mal connaître l’imagination sans borne de Dame Fortune ! Arrivé au niveau de la cité Chapalain, le chauffeur annonce qu’il n’ira pas plus loin et prie tous les passagers de descendre… D’accord, sur le papier, c’est le terminus de la ligne, mais celle-ci est faite de telle façon qu’en général, le bus continue sa route, ce qui permet aux voyageurs concernés, dont je fais partie, de ne descendre qu’à l’arrêt suivant, place des FFI ! Je ne sais pas si c’est la grève où le chantier qui a motivé cette décision du conducteur, mais c’est le coup de grâce pour moi ! Je ne sais plus ce que je lui ai dit en sortant, mais ça ne devait pas être joli à entendre… Bref, j’en suis quitte pour marcher plus longtemps que de coutume alors que je suis déjà sur les genoux, sous la pluie, bien entendu ! Rien de dramatique dans l’absolu, je vous l’accorde, mais je m’en serais bien passé… Et vous savez qui était ce Chapalain qui donne son nom à la cité où le véhicule s’est arrêté ? Un chanoine ! Encore un curé ! Je ne l’invente pas ! Le premier à avoir affirmé que les chats noirs portaient malheur a sûrement mal prononcé : il devait vouloir dire « les chanoines », ce qui est incomparablement plus crédible !
Mercredi 4 juin
10h : Après une journée comme celle d’hier, voir la pluie tomber serait au-dessus de mes forces ! Je décide donc de passer toute la journée à travailler avec les volets baissés, en essayant d’oublier que le monde extérieur existe ! Et tant pis pour ma facture d’électricité, ça coûtera toujours moins cher que ce qu’il faudrait payer pour soigner ma dépression nerveuse… J’hésite à aller au cours du soir dans mon état, mais ce serait bête d’en rater un alors que la saison touche à sa fin, d’autant qu’il est fort probable que je ne rempile pas à la rentrée prochaine…
20h : J’y suis allé quand même. Malgré ma mauvaise humeur persistante, j’ai réussi à ne pas avoir de crise, et ce que j’ai produit semble même faire l’unanimité. J’aimerais pouvoir arriver à penser que j’ai mes qualités et mes défauts comme tout le monde et que ce n’est pas parce que je ne sais pas faire certaines choses que je suis forcément une mauvaise personne… Mais j’ai tellement l’habitude d’être rabaissé que je n’y arrive pas ! Je n’arrive plus à concevoir la vie autrement que comme une gigantesque revanche que je dois prendre sur tous ceux qui m’ont traité plus bas que terre ! Une élève me reconduit chez moi : je sais qu’elle a exposé à la foire aux croûtes, je lui demande si ça s’est bien passé ; à ce qu’elle dit, il semble que oui.
Jeudi 5 juin : il y a un an, Benjamin Vautier, dit Ben, nous quittait.
14h50 : La série noire continue ! J’avais réservé un Accemo pour demain afin d’aller à la piscine et en revenir… Mais je reçois un coup de fil m’annonçant qu’en raison de la grève, aucun service ne sera assuré demain après 20 heures et que mon aller est annulé parce que, de toute façon, je n’aurai aucun moyen de rentrer ! Là, comme à chaque fois que je fais face à un imprévu alors que ma barre d’énergie personnelle est déjà épuisée, je craque ! Je hurle dans le combiné : « Et qu’est-ce que je leur dis, moi, à la piscine ? » Pour toute réponse, on me raccroche au nez…
15h30 : Entretien avec ma psychologue. Je lui raconte bien sûr mes récentes avanies, dont la dernière en date au bout du fil : cette anecdote l’indigne, elle juge que me raccrocher au nez n’est pas une façon de traiter une personne du spectre en situation de détresse, elle m’exhorte même à me plaindre ! Elle ajoute que le simple fait que tout se passe par téléphone suffit à dénoncer l’inadaptation de ce service qui se veut pourtant inclusif… Elle n’a pas tort, mais que voulez-vous : nous, les gens du spectre, nous ne sommes pas de « bons » handicapés ! Personne ne nous plaint, les neurotypiques nous voient comme des chieurs incapables de supporter ce qui ne dérange pas les gens en fauteuil ! Nous n’avons même pas la décence d’affronter nos difficultés quotidiennes avec humour, notre handicap inclut justement que nous ne sommes pas des champions du second degré ! Depuis que j’utilise Accemo, certains chauffeurs ont essayé de fraterniser avec moi comme ils l’ont sûrement fait avec d’autres personnes en situation de handicap habituées de leurs services : peine perdue, j’ai horreur qu’on me tutoie, je n’aime pas parler en voyage, je ne ris pas facilement, tout ce que j’attends d’un conducteur, c’est qu’il fasse son boulot, tout comme pour les commerçants d’ailleurs… Bref, je ne suis pas une bonne affaire pour les gens qui veulent mettre l’humain au cœur de leur travail ! La froideur et l’impersonnalité qui ont été tant reprochées aux services publics me conviendraient parfaitement ! Et évidemment, ce n’est pas avec une particularité de ce genre qu’on peut faire pleurer la ménagère devant son petit écran… Dans un autre ordre d’idése, la psy me demande si j’étais à la foire aux croûtes cette année : ma réponse négative la soulage car il y aurait eu des violences cette année ! J’avoue que je n’étais pas au courant ! L’élève du cours du soir qui y était ne m’en a même pas parlé ! Il faut croire que ce n’était pas si terrible que veut bien le faire croire une certaine presse ! On se demande bien qui aurait intérêt à conforter les gens dans l’idée que la place Guérin est une zone de non-droit…
16h : Ça m’a fait du bien de parler à la psychologue, mais je ne suis pas encore au bout de mes peines : je suis à court d’encre pour mon feutre-pinceau et je vais en avoir besoin pour l’AG d’Asperansa où j’ai promis de tenir mon stand de caricaturiste, il me faut donc passer à Dialogues Beaux-Arts pour en acheter ; ensuite, tant qu’à faire d’être en ville et de n’avoir plus rien à faire chez moi, autant en profiter pour remettre tout de suite à ma mutuelle la facture de la psy. Mais marcher en ville sous la pluie, ce n’est jamais agréable, et quand il faut aussi se frayer un chemin au milieu de toutes les barrières dressées pour cause de chantier, ça devient une galère insupportable ! En ce moment, si quelqu’un ose me dire que la vie est belle, il risque de me rendre violent…
17h : J’ai pris le premier bus venu pour être sûr de ne pas rester en rade : je me retrouve donc dans le véhicule qui dessert La Cavale Blanche et Bellevue avant Lambézellec ; ça fait un long détour et je peux être sûr, à l’heure qu’il est, de me coltiner tous les bouchons ! Mais bon, au moins, je ne suis plus sous la flotte et je peux ainsi réfléchir au problème qui subsiste : comment faire pour demain ? Je pourrais aller nager hors des heures de cours afin de ne pas casser mon rythme sans risquer de me retrouver en rade à la sortie, mais c’est un des derniers cours de l’année et ce serait idiot de le rater… Je peux encore m’arranger pour y aller par mes propres moyens, mais comment rentrer chez moi alors qu’il n’y aura plus ni bus ni tramway ? Même les taxis sont en grève ! Renter à pied après trois quarts d’heure de natation ? C’est risqué… Le trajet que j’effectue est assez long pour me laisser le temps de gamberger… Il doit bien y avoir une solution !
17h50 : Enfin rendu à Lambé, j’ai décidé d’adopter une solution radicale : j’envoie un SMS à tous mes amis les plus sûrs habitant ou travaillant à Brest et je leur explique la situation en sollicitant leur aide. Je déteste faire ça, mais je ne vois pas d’autre moyen de faire face à cette situation ubuesque et puis, comme on dit, aux grands maux, les grands remèdes ! Tout en envoyant ce message groupé, je traverse une rue, sur un passage protégé comme il se doit… Et je suis à deux doigts de me faire renverser par une bagnole ! Vous me direz que c’était imprudent de traverser dans regarder ? Mais j’étais dans les clous ! J’étais dans mon droit ! C’était à la conductrice de rester maître de son véhicule ! Car oui, le véhicule était conduit par une femme, comme quoi, n’en déplaise au vieux Renaud, elles ne sont pas moins connes que les hommes au volant… Je crois comprendre, aux gestes qu’elle me fait, qu’elle est suivie par un autre véhicule et qu’elle ne veut pas prendre le risque de le semer : c’est une excuse, ça ? Ce n’est visiblement pas l’avis du conducteur qui la suit, ni de son jeune passager dont l’attitude cherche plutôt, semble-t-il, à exprimer des excuses… Les travaux du réseau de transports en commun ont pour finalité d’encourager les particuliers à se servir moins souvent de leur voiture : c’est une excellente idée !
Vendredi 6 juin
9h30 : Le temps n’est pas au mieux ! Il ne pleut pas, mais le vent n’est pas chaud. Il y a heureusement peu de monde au marché… Sauf devant le stand du charcutier où il y a toujours la queue quoi qu’il arrive ! Décidément, ce n’est pas demain la veille qu’on arrivera à imposer une alimentation non-carnée aux Français – et je reconnais que je ne m’épuise pas à aider les promoteurs du végétarisme… Bref, pendant dix bonnes minutes, je ne peux pas échapper aux inévitables conversations du petit peuple dès que la météo n’est pas à la hauteur de ses attentes : après avoir entendu trois ou quatre personnes dire qu’on est déjà en novembre, je craque et je hurle « oh, ça va » à la cinquième ! Je sais que ce n’est pas un comportement approprié, mais je ne peux pas m’en empêcher : je ne vois pas l’utilité de commenter le temps qu’il fait, ça ne sert à rien, surtout pas à l’améliorer ni même à rendre les intempéries plus supportables, sans compter que ce discours sur les saisons, qui se veut drôle, ne fait que m’angoisser : j’ai BESOIN que tout soit en ordre autour de moi et le calendrier ne fait pas exception ! Quand je subis ces conversations, je me dis que les gens n’ont pas changé depuis les années 1960 où Goscinny épinglait leurs travers dans Les Dingodossiers, ni même depuis les années 1930 où Hergé en faisait autant dans Quick et Flupke ! Sauf que moi, j’en parle avec beaucoup moins de bienveillance, sans doute parce que j’en ai marre de voir mes semblables ne faire aucun effort pour se débarrasser de leurs ridicules qui ont été tant de fois brocardés comme ils le méritaient par ces illustres prédécesseurs… Vous avez l’impression, à voir la météo, d’être déjà aux portes de décembre ? Alors permettez-moi de vous répondre par ce que Renaud, encore lui, chante en évoquant ce mois : « Moi, j’voudrais tous vous voir crever, étouffés de dinde aux marrons ! »
13h : Pour être sûr d’être déjà en ville quand l’heure du cours approchera, je suis parti de chez moi tout de suite après avoir déjeuné. Me voici place de Strasbourg. Une pluie fine se met à tomber : je ne me place pas sous l’abri de l’arrêt de tram qui est bondé, je préfère rester à l’écart de la foule, ce qui ne me met pas à l’abri de la musique de merde qu’un crétin semble vouloir imposer à tous les passants. Une voiture de la « Brigade de Tranquillité Urbaine » roule sur la voie ferrée, apparemment indifférente à la gêne auditive provoquée. Mon problème de retour est résolu, un collègue artiste qui habite Recouvrance a accepté de me voiturer jusqu’à Lambé quand je sortirai de la piscine : ce que j’ai sous les yeux en ce moment me donne presque envie de m’y noyer…. Il me tarde de pouvoir me réfugier au Beaj Kafé en attendant ! J’apprécie comme jamais le fait que ce café ait une salle dépourvue de fenêtres…
Avant de se quitter, voici ma vidéo du vendredi :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !