Du 30 septembre au 6 octobre : l'oppression pour les nuls
Commençons par un dessin sur les récentes élections en Slovaquie...
Samedi 30 septembre
20h10 : Je n’aurais pas dédaigné un tour aux Rencontres brestoises de la BD. Hélas, levé trop tard et retardé par un problème d’informatique, j’ai dû me résoudre à réduire ma voilure de sorties et à me contenter du concert de harpe organisé au Biorek brestois. Pour ne rien arranger, j’arrive en retard : l’instrumentiste a déjà commencé à jouer. La relative exiguïté du local m’empêche de passer complètement inaperçu, mais je m’attable néanmoins en silence : perturber l’exécution du morceau aurait été un attentat contre la musique… J’ai ainsi la joie de profiter d’un moment de grâce on ne peut plus bienvenu : je ne reconnais aucun des morceaux joués, je serais incapable d’aligner deux mots du jargon des critiques musicaux, mais je m’en fiche : je suis heureux et ça qui compte ! La musicienne est une mignonne blondinette : ce n’est pas la première fois que je rencontre une jeune harpiste, et à chaque fois, c’est une jolie blonde. Dois-je croire que les brunes et les boudins ne savent pas jouer de la harpe ?
21h30 : Le concert est fini et mon repas aussi. Je sors du restaurant : à peine ai-je mis un pied dans la rue que j’entends trois cailleras brailler à propos de je ne sais quoi. Au bout d’une heure de délicatesse, je retrouve déjà la vulgarité…
Dimanche 1er octobre
18h30 : Je quitte les halles de Kerinou où je viens de tenir mon stand de caricaturiste à l’occasion de la fête de quartier annuelle « Un dimanche à Lambé » : je n’ai pas arrêté de tout l’après-midi ! Les gens faisaient la queue pour se faire défigurer par mes soins, j’ai à peine pu prendre une pause pour aller pisser ! J’ai été obligé de mettre le holà : je commençais à tourner de l’œil (vraiment) et, de toute façon, tous les autres participants remballaient déjà. Je suis épuisé, mais j’ai le sentiment de ne pas avoir volé la somme non négligeable que les organisateurs m’ont payée.
Lundi 2 octobre
14h : Assemblée générale du laboratoire dont je suis membre associé : je me passerais bien des réunions de ce genre, mais je dois défendre mon projet de journée d’étude sur Cavanna – ça avance bien, merci. Afin d’éviter de m’ennuyer, j’ai emporté mon PC pour pouvoir écrire entre deux moments intéressants : je me surprends à suivre assez bien les débats malgré ça. Sur ces deux heures, mes « collègues » passent beaucoup de temps à vitupérer contre la hiérarchie qui ne tient pas ses promesses et à élire ceux qui représenteront le laboratoire auprès des hautes instances – je ne peux pas vous donner de détails. Les chercheurs associés ayant aussi le droit de voter, je choisis toujours le candidat… Le moins bavard ! S’écouter parler n’est définitivement pas une attitude à encourager dans la recherche…
Mardi 3 octobre
13h30 : Je raccompagne un ami artiste d’un restaurant de la place Guérin où nous avons déjeuné : chemin faisant, il me désigne un endroit où une voiture a été brûlée, consumant au passage la façade du rez-de-chaussée devant lequel le véhicule était parqué, obligeant l’occupant des lieux à aller habiter ailleurs… Ce genre d’incident est encore rare à Saint-Martin : pour combien de temps encore ? Dans cette atmosphère où les citoyens se sentent de plus en plus méprisés à tous les échelons et où les perspectives d’avenir tendent à devenir inexistantes, il ne faut pas s’étonner à ce qu’ils pètent les plombs… Finalement, nous n’aurons peut-être pas grand-chose à craindre du réchauffement climatique : nous nous serons entretués avant…
Mercredi 4 octobre
9h : Passage à la CAF. Je déteste aller là, mais comme le larcin parisien m’a fait perdre jusqu’au fichier sur lequel je consignais mes bénéfices, je viens donc leur demander s’ils n’ont pas une trace des déclarations de ressources que je leur ai faites depuis le début de l’année. Ils en ont une, ouf ! L’agent qui me permet d’avoir accès à cette information est plutôt compréhensive et efficace, ce qui me surprend agréablement venant de cette administration, mais je ne peux m’empêcher d’être oppressé : je pensais être reçu en tête à tête dans un petit bureau et je suis très mal à l’aise dans ce lieu où d’autres personnes circulent et discutent… Mais comment font les gens dans les open spaces pour ne pas devenir fous ? Ah, oui, c’est vrai, j’oubliais : personne ne travaille vraiment, dans les open spaces…
9h45 : En attendant l’ouverture de la Maison de la Fontaine, je risque un tour au Jardin des explorateurs, un de ces coins de paradis situés au cœur même de Brest et auxquels on ne pense pas suffisamment – à mon goût, évidemment. Je monte sur la passerelle : la vue sur la rade est splendide. J’ai ainsi le loisir d’admirer les quais squattés par l’armée, habituellement accessibles uniquement aux militaires et aux travailleurs de l’arsenal (ou de ce qu’il en reste)… La Penfeld aussi pourrait être un coin de paradis si elle était rendue aux Brestois ! Mais d’ici à ce que la marine fiche le camp pour de bon, les quais risquent d’être déjà engloutis…
10h : En attendant de m’enquérir de la marche à suivre pour exposer mes travaux à la Maison de la Fontaine, je prends tout de même la peine de regarder les photos de Julie Hascoët qui y sont accrochées. L’exposition, intitulée « Bastion », montre le Brest que vous ne verrez dans aucune brochure touristique : chantiers, lieux abandonnés, sites industriels, marginaux errants, scènes de manif… À une heure où la ville polit sa vitrine (ce que je ne lui reprocherai pas), il est salubre de rappeler qu’elle ne se résume pas à sa face la plus « présentable ». Je craque pour la photo présentant un homme et une femme enlacés : à les voir endormis habillés sur un matelas posé à même le sol et sous des draps défraîchis, on devine sans peine la précarité de leur condition mais, de toute évidence, ensemble, ils ont moins peur… Forment-ils vraiment un couple ? Peu m’importe car ils correspondent parfaitement à l’image que je me fais de l’amour : on se moque des amoureux, mais s’aimer, c’est aussi un moyen d’être plus fort face aux horreurs et aux dangers de ce monde fou et cruel…
18h : Au cours du soir, je suis un peu sur les nerfs : cette chaleur qui n’en finit pas et fait éclore les sourires béats entame sérieusement ma patience. J’ai apporté un collage représentant un petit garçon dans l’espace : je pensais remporter l’adhésion avec mon fond noir constellé d’étoiles, je suis donc un peu déçu par la réaction de la prof qui, en toute bonne foi pourtant, me donne des conseils pour avoir des points blancs plus réguliers, alors que c’était précisément ce que je voulais éviter ! De surcroît, il y a beaucoup de nouveaux élèves et je ne retrouve pas l’ambiance à laquelle j’étais accoutumé. Cerise sur le gâteau, en voulant chasser un insecte, je fais voltiger et tomber ma bouteille d’eau… Qui était ouverte ! Je mouille jusqu’à la feuille de ma voisine ! Bref, je ne suis pas dans les meilleures dispositions pour aborder l’exercice, qui aurait pourtant dû me plaire : ce n’est pas la première fois que nous travaillons avec des crayons de couleur et j’admets que ça permet de magnifiques effets. Mais ce soir, j’ai vraiment l’impression de peiner et je suis à deux doigt de m’impatienter : le fait que nous ayons pour modèles des feuilles d’arbres n’y est sans doute pas étranger, je n’ai jamais été à l’aise avec la représentation des végétaux… Il y a des jours comme ça, dit-on.
20h30 : Retour au Comix pour la scène ouverte Mic Mac. Je n’ai rien contre les patrons de cet établissement qui sont sûrement des gens charmants, mais j’apprécie moins l’ambiance de ce bar que celle du Café de la plage ; hélas, celui-ci est interdit d’événements musicaux jusqu’à la fin de l’année ! En janvier, nous pourrons y retourner : en attendant, il faut donc s’accommoder de l’ambiance du Comix où je me sens plus oppressé, où je ne pourrais pas m’isoler sans que ma pancarte de caricaturiste ne soit cachée et où la décoration n’est pas (je trouve) du meilleur goût. Je m’accroche cependant car je tiens à rester fidèle à ce rendez-vous. Bien m’en prend ce soir : j’ai deux clients pour les caricatures. Visiblement, ils font partie d’un petit groupe d’étudiants qui en est encore à découvrir Brest et parait encore étonné par cette métropole atypique : la jeune femme est plutôt mignonne, mais je ne parviens pas à restituer son charme juvénile et j’insiste un peu lourdement sur ses rondeurs en l’affublant d’un double menton qui ne lui fait pas honneur ; le jeune homme est moins gâté par la nature, avec sa figure qui n’en finit pas et ses oreilles décollées ! Quand je passe sur scène, j’interprète quatre slams dont deux que je n’avais encore jamais déclamés en public : personne ne vient me complimenter, je n’y suis plus trop habitué… Je ne tarde pas à être trop fatigué pour apprécier pleinement les autres prestations : je rentre au bout de deux heures, non sans me demander si les scènes ouvertes sont encore compatibles avec mon nouveau train de vie…
Jeudi 5 octobre
9h45 : Passage au Triskell Bihan, sur la place Guérin, pour éclairer un point d’histoire : en effet, j’avais écrit dans un article destiné à Côté Brest que ce bar avait été racheté par des clients suite au départ en retraite du patron. Sur place, on m’apprend que je me suis complètement trompé et que cette belle histoire était en fait celle de l’ancien Triskell, situé jadis en face, en souvenir duquel le Triskell Bihan a pris ce nom… Heureusement que je suis remonté à la source : j’ai évité la gaffe de justesse ! Je préfère changer mon fusil d’épaule et raconter une toute autre anecdote…
15h : Je sors de chez la psychologue : je me rends au bureau de ma mutuelle pour me faire rembourser partiellement ses honoraires. Chaque mois, je dépense presque cinquante euros pour ma mutuelle ; je compte voir la psychologue deux fois par mois, ce qui me coûtera environ quatre-vingt euros ; mon contrat assure un remboursement d’une séance de psychothérapie à hauteur de quinze euros, soit trente euros de remboursés. Donc, quoi qu’il arrive, je vais perdre cent euros par mois ! Ce n’est pas encore cette fois que je vais rentabiliser mon contrat avec cette mutuelle ! J’en arrive à souhaiter d’avoir une maladie incurable ! Comment ça, « c’est mieux que rien » ? Ne soyez pas obscènement positif, je vous prie !
17h : Dans le cadre de la promotion de Voyage en Normalaisie, un ami correspondant au Télégramme m’a donné rendez-vous dans un salon de thé. Notre entretien est terminé mais je n’abandonne pas mon camarade tant qu’il n’a pas fini son chocolat : pourtant, il me tarde de repartir car l’établissement s’est bien rempli depuis mon arrivée et je suis oppressé par le brouhaha. Éprouver une telle sensation dans un lieu « zen »… Il n’y a que moi pour accomplir un si sensationnel exploit !
19h30 : Je sors de chez un vieil ami qui m’a fait un dernier réglage sur mon PC neuf. Normalement, en octobre, je sens déjà la fraîcheur me piquer les joues et le vent me fouetter le visage : aujourd’hui, je ne ressens rien de tel et ça me manque affreusement ! Je fuis la chaleur comme certains fuiraient la pluie… On ne parle pas assez des conséquences psychologiques du réchauffement climatique ! Elles risquent d’être aussi lourdes que le reste…
Vendredi 6 octobre
8h30 : Au marché, la fromagère, qui a visiblement une bonne mémoire, me demande si j’ai eu des nouvelles de la valise qu’on m’a volée à Paris… Elle n’est pas la première à me le demander depuis que cette mésaventure m’est arrivée, mais je ne comprends pas qu’on me pose cette question ! Comment pourrais-je avoir des nouvelles ? Vous vous imaginez peut-être qu’une fois avertie, la police allait mettre ses meilleurs hommes sur le coup et tout mettre en œuvre pour récupérer mes biens dans les plus brefs délais ? Les gens regardent trop de séries policières ! Des pauvres couillons comme moi qui se font dépouiller par des malfaisants, les flics en voient défiler des dizaines chaque jour : alors une valise volée de plus ou de moins, ça ne les empêche pas de dormir… Quand on aura enfin compris que pour le pouvoir, la vie du citoyen de base est de la merde, on dira déjà moins de bêtises !
11h30 : Pour faire vivre la mémoire de Geneviève Gautier, j’ai eu l’idée de recueillir les témoignages des autres personnes qui l’ont connue. Je commence en recevant au Beaj Kafé une femme qui l’avait assistée et que j’avais un peu perdue de vue : elle m’apprend qu’elle est au chômage depuis deux mois… À soixante ans ! C’est la faute à la conjoncture, dit-on… C’est en entendant ça que je me félicite de mon choix de vie : puisque, de toute façon, tout le monde est plus ou moins dans la merde à moins d’être dans la politique ou la finance, alors autant consacrer ma vie à ce qui m’intéresse vraiment ; je ne serais certainement pas mieux loti si je me forçais à faire un boulot chiant !
13h30 : Mon enquête continue avec ce bon vieux Pod dont la galerie accueille actuellement une exposition de Grégory Pol et d’Alain Carpentier. J’aime assez ce qu’ils font chacun de leur côté, je suis moins convaincu par les photos de Grégory complétées par les dessins d’Alain : je trouve qu’il y a surcharge. Mais je suis peut-être le seul ! Mon hôte me montre des documents attestant de la relation privilégiée que Geneviève avait entretenue avec sa galerie : quand je vois la photo qu’il avait prise pour faire la promotion de sa bande dessinée, je ne peux m’empêcher d’y apposer un gros bisou… Je regrette de ne pouvoir la serrer à nouveau dans mes bras ! Si un génie me proposait de réaliser trois de mes vœux, je demanderais, en un, de devenir une star de la BD, en deux, que le réchauffement climatique s’inverse, et en trois, que Geneviève ressuscite… Avec soixante ans de moins. Non, soixante-dix.