Du 30 décembre au 3 janvier : Bonne année quand même !
Ouvrons le bal avec la traditionnelle carte de vœux :
Lundi 30 décembre
11h: Rentré chez moi depuis hier soir, l’un de mes premiers gestes est de rendre visite à une voisine que j’apprécie beaucoup. Celle-ci me raconte une récente galère de voyage : alors qu’elle prenait le train pour rentrer à Brest, elle se retrouva bloquée à Rennes pour cause d’intempéries. Elle décida donc de finir la route en Flixbus : ça ne lui a pas coûté cher, mais le malheur voulut que le car fût conduit par un inconscient qui grillait TOUS les feux rouges sans exception ! Et il n’avait même pas l’excuse d’être un taureau comme dans la BD de Gaudelette[1]… Elle a eu doublement de la chance, non seulement d’être arrivée saine et sauve mais aussi d’avoir pu réserver assez tôt sa place car, du fait du blocage de la ligne, le prix d’un billet Rennes-Brest en Flixbus était monté à… 160 euros ! Devant mon effarement, mon amie commente : « C’est la loi de l’offre et de la demande » ! C’est tout à fait exact : cette aberration, devenue monnaie courante, ne s’explique pas seulement (j’insiste sur cet adverbe) par la recherche du profit. Voilà la vérité : à moins de pouvoir compter sur un héritage confortable, pour devenir riche et puissant, il faut en baver, faire des placements, miser sur des affaires incertaines… Et tout ça pourquoi ? Pour s’apercevoir au final que ça ne sert à rien ! « Au plus élevé trône du monde, nous ne sommes assis que dessus notre cul »[2] disait le sage Montaigne. De fait, on a beau être plein aux as, on n’a ni plus ni moins d’appétits essentiels que le commun des mortels, de sorte qu’en fin de compte, les gens de la classe moyenne pourraient être plus heureux que les riches puisqu’ils parviennent à subvenir à leurs besoins sans s’imposer toutes les batailles que s’imposent les puissants pour atteindre les sommets. J’ai bien dit « pourraient » car, justement, les grands de ce monde n’ont de cesse d’user de leurs pouvoirs pour forcer la piétaille à en chier autant qu’eux-mêmes : ils ne supportent pas l’idée qu’on puisse être aussi heureux qu’eux voire plus sans l’argent qu’ils ont eu tant de mal à gagner, alors ils déploient tous les moyens à leur disposition (qui sont nombreux) pour contraindre la majorité à connaître elle aussi, au quotidien, leurs galères passées de boursicoteurs. C’est ainsi qu’on en est arrivé à ce que la « loi de l’offre et de la demande » est devenue universelle au point que même le prix d’un titre de transport varie au gré des circonstances : c’est un des aspects de la revanche des riches ! Qui a dit : « Les puissants sont souvent des ratés du bonheur ; cela explique qu’ils ne sont pas tendres »[3] ?
Un dessin sur le mythe de Dionysos et des bacchantes - il tombe bien pour cette soirée de réveillon, non ?
Mardi 31 janvier
17h : Débarquement à Saint-Brieuc pour le réveillon. Ce n’est pas la première fois que les hasards de la vie me conduisent dans la ville natale de Patrick Dewaere (coucou, Lola !), mais je n’en ai pas gardé un souvenir impérissable et je ne reconnais pas grand’ chose : il faut dire que je n’ai jamais eu de coup de foudre pour une ville autre que Brest, même Vendôme et Venise ne m’ont jamais donné envie de m’y installer, et je ne suis de toute façon jamais très à l’aise quand je m’éloigne de mon doux foyer. Une convive doit venir me chercher : en attendant son arrivée, je sirote un thé dans un bistrot situé en face de la gare… Faut-il que j’aime la personne qui m’a invitée !
23h : La peine que je me suis donnée pour le déplacement est bien récompensée : ce réveillon me permet d’échanger avec une de mes meilleures amies, qui habite malheureusement assez loin de Brest aujourd’hui. Elle me raconte, entre autres, son récent passage à l’Assemblée Nationale : elle a été reçue, avec d’autres représentants de l’entreprise où elle travaille, afin d’être auditionnée par une commission parlementaire qui planche sur la difficile question de la souveraineté de la France sur ses données numériques – il ne faudrait pas qu’elles tombent dans les mains des Américains, des Russes ou des Chinois, non ? Et bien vous savez quoi ? Mon amie a été impressionnée par le professionnalisme et la compétence des député(e)s qui l’avaient reçue ! Cette anecdote corrobore en moi une conviction personnelle de longue date : en fait, les élus du peuple qui travaillent sérieusement, qui savent ce qu’ils font, qui agissent concrètement pour le bien des citoyens sans multiplier les promesses en l’air ni gaspiller l’argent du contribuable, ça existe, et ils sont même plus nombreux qu’on le pense ! Seulement voilà : comme ces élus-là sont trop occupés pour pérorer dans les médias, personne ne les connaît, et finalement, ce ne sont jamais eux qui accèdent aux plus hautes fonctions… Vous vous souvenez de ce que Cavanna écrivait à propos des charlatans promoteurs des pseudo-sciences dites « occultes » ? Mais si, rappelez-vous :
« La victime accourt et supplie qu’on la dépouille. Des scientifiques, des vrais, ceux-là, prennent périodiquement la peine de démonter l’escroquerie. Mais ce ne sont que d’honnêtes hommes de laboratoire, pas des camelots. Ils ont autre chose à faire que de mettre au point un contre-baratin aussi séduisant que le baratin du charlatan. Le charlatan, lui, n’a que cela à faire : perfectionner sa technique pour duper les gogos et cueillir les poires. Il sait manipuler les foules, jongler avec les mots, mettre les rieurs de son côté. C’est un démagogue, un professionnel, faites-lui confiance ! »[4]
Et bien en politique, c’est la même chose : le public préférera toujours un baratineur séduisant qui l’entubera à un travailleur honnête et consciencieux trop occupé pour soigner son image… On n’a jamais que les dirigeants qu’on mérite, et tant que les citoyens persisteront à être heureux d’être pris pour des cochons dans leur bauge, on se tapera encore des Trump, des Macron, des Melloni, des Poutine et autres rapaces sanguinaires…
Un dessin pour toutes celles et tous ceux dont le réveil aura été un peu difficile - il m'a été inspiré en grande partie par Jeanine, l'héroïne de Reiser :
Mercredi 1er janvier
18h : Une fois rentré chez moi, j’ai la mauvaise surprise de constater que mon porte-cartes n’est plus dans ma sacoche ! Je l’avais forcément sur moi en prenant le bus après avoir quitté la gare, sinon je n’aurais même pas pu entrer dans le véhicule : j’ai dû l’oublier dans un moment d’inattention lié au relâchement auquel je me laisse toujours aller à chaque fois que j’arrive à bon port au terme d’un voyage… Il n’y a pas si longtemps encore, cette découverte pour le moins désagréable m’aurait fait paniquer ! Mais là, une fois passé l’étonnement, je me surprends à être très résilient : pour commencer, j’en ai vu d’autres, cet incident est quand même moins grave que le vol de ma valise en plein Paris. De surcroît, sur toutes les cartes que contenait cet objet, il n’y en avait que cinq qui m’étaient vraiment nécessaires au quotidien et je sais comment en récupérer de nouveaux exemplaires. Je ne me serais pas cru capable d’une telle résilience il y a quelques mois à peine… L’année commence bien et ce n’est pas ironique !
Souvenir d'un bon moment avec deux amies - ce dessin s'accorde bien à mon humeur actuelle :
Jeudi 2 janvier
9h30 : J’appelle à tout hasard le service des objets trouvés : ils me répondent que c’est trop tôt pour les contacter à propos d’un objet perdu hier soir ! J’appelle Bibus : ils me disent qu’ils ne peuvent pas me renseigner… Passer un coup de téléphone à une administration est toujours crispant pour moi, mais quand ça me vaut de me heurter à un mur, je suis à deux doigts d’être enragé ! On s’étonne des incivilités dont les agents de service public sont périodiquement les victimes : je ne cautionne pas les conduites violentes ou agressives, mais je ne parviens pas à les reprocher à des citoyens qui, dans des situations de détresse, ne peuvent compter que sur des administrations royalement indifférentes ! Si tout n’était pas fait pour donner aux gens la conviction d’être considérés comme du bétail, ils perdraient moins souvent patience ! Mais en dépit des campagnes contre les incivilités, les décideurs s’en foutent, puisque ça n’affecte jamais que les agents de base qui ont la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment… Quand je repense à toutes les fourches caudines sous lesquelles il m’a fallu passer pour pouvoir enfin toucher l’AAH[5] et la PCH[6], je me dis qu’il est heureux que je n’aie pas à eu rencontrer physiquement les fonctionnaires concernés, ça aurait pu mal finir ! On nous rabâche qu’il faut défendre les services publics : mais est-ce que les services publics nous défendent, eux ?
10h30 : Passage à la boulangerie. Je n’ai que trois euros sur moi et j’ai fait opposition sur ma carte bleue perdue pour éviter qu’un individu mal intentionné n’en profite à ma place – voilà un aspect auquel les inventeurs du paiement « sans contact » n’ont pas pensé : tant qu’il fallait impérativement un code secret pour pouvoir payer avec sa carte bleue, le risque de fraude était quand même moins grand ! Enfin bref : j’achète donc trois baguettes, je glisse la menue monnaie qui me reste dans la machine… Et celle-ci me la rend aussitôt ! C’est normal ? Mais non, vous n’avez pas compris : je glisse un euro, elle me rend un euro ! Voilà, elle ne garde pas ce que je suis censé régler, vous avez compris ? Bon ! Alors là, je panique ! Le boulanger tente de me calmer en me disant que ce n’est pas grave : je lui rétorque que si, en lui expliquant ma situation délicate actuelle ; il me répond : « Et bien on va faire à l’ancienne, à la main ! » Là, je me sens vraiment con. Et oui : voilà bientôt six ans que je fréquente cette boulangerie et je suis tellement habitué à payer en glissant des pièces dans la machine prévue à cet effet que je ne pensais MÊME PAS que je pouvais encore payer en glissant simplement ma monnaie dans la main du commerçant ! La honte !
15h : En plein courrier de nouvel an, je descends relever ma boîte aux lettres. Et qu’est-ce que je trouve à l’intérieur ? Mon porte-cartes ! Trempé par la pluie mais miraculeusement intact, et rien n’y manque ! Un voisin a dû le trouver par terre et a eu la présence d’esprit de le glisser dans ma boîte : je ne sais pas qui l’a fait, mais qu’il en soit remercié ! En attendant, comme j’avais pris mes précautions, il va quand même falloir que j’attende la livraison de ma nouvelle carte bleue et que je commande une nouvelle carte vitale… Mais je n’ai rien à me reprocher, j’ai eu le bon réflexe ! Non ?
Portrait d'une jeune femme fréquentant le même cours de dessin que moi :
Vendredi 3 janvier
10h30 : Brève sortie pour poster mon imposant courrier de nouvel an et récupérer un colis. La première tâche se fait sans problème, j’éprouve même un certain plaisir à glisser dans la boîte toutes ces enveloppes qui sont autant d’émissaires de l’affection que m’inspirent leurs destinataires. La seconde est nettement plus délicate car il y a la queue au guichet, et quand une employée me prend enfin en charge… Elle me demande le numéro du colis ! Je ne m’attendais absolument pas à cette demande qui n’est jamais formulée d’ordinaire ! Évidemment, je ne l’ai pas : ne m’attendant pas à ce qu’on me le réclame, je ne l’ai pas noté et j’ai machinalement supprimé le mail qui m’annonçait l’arrivée du paquet… L’employée m’explique que beaucoup de colis sont arrivés en même temps et qu’elle a besoin du numéro pour retrouver le mien… Je sors donc bredouille, non sans me demander comment on faisait avant ! Ah oui : à l’époque, les gens travaillaient ! Où est la poste d’antan, avec ses employés fiables et efficaces pour qui le courrier était pratiquement sacré ? Elle a vécu : une putain du grand capital a pris sa place, une putain qui ne s’intéresse qu’aux opérations bancaires, nettement plus lucrative, et qui envoie littéralement paître les primitifs de mon espèce qui s’obstinent à faire du courrier à l’ère d’Internet et la dérangent pour des colis, alors que les sociétés de livraison sont là pour ça avec leurs bataillons d’employés précaires sous-payés et sans protection sociale ! Les postières de jadis étaient tenues de servir les usagers sans forcément être aimables : celles d’aujourd’hui, c’est le contraire ! Elles sont tenues de séduire le client, mais la qualité du service, on s’en fiche ! Je ne sais pas si l’année nouvelle sera bonne, mais en ce qui concerne notre époque, je suis déjà fixé…
11h30 : Finalement, grâce au vendeur que j’ai contacté et qui a accepté de me donner le numéro du colis, j’ai pu le récupérer. Et savez-vous ce que j’ai acheté ? L’intégrale des Trucs-en-vrac ! Gotlib fait partie, avec Hergé, Franquin, Goscinny et Reiser, des grands hommes qui ont joué un rôle moteur essentiel dans l'histoire de la bande dessinée francophone, et son génie comique éclate à chaque page de cette intégrale d'autant plus indispensable qu'elle offre un raccourci fulgurant de sa carrière avec trois étapes clés : premièrement la « jeunesse », l'époque où il se partageait entre Pilote et Record et déployait ses ailes sous l'égide du grand René ; deuxièmement la « maturité », l'époque bénie de la Rubrique-à-brac après laquelle le 9e art n'a plus jamais été le même ; troisièmement, enfin, la « vieillesse », ses derniers tours de piste en tant qu'auteur de BD dans Fluide Glacial, la revue qu'il a lui-même fondée[7]. Avec, en prime, une page qui n'avait jamais été publiée en album auparavant et une préface hilarante du maître qui était aussi un écrivain de premier ordre ! N'en jetez plus, la cour est pleine !
15h : On me l’avait dit, mais je ne voulais pas le croire : mais si, ma carte de vœux a bel et bien été reprise dans le Ouest France d’aujourd’hui ! Il est vrai que je l’avais envoyée, entre autres, à mes contacts du célèbre quotidien, mais je jure que ce n’était pas du tout le but de la manœuvre ! Je ne m’attendais vraiment pas à ce que cette carte soit reprise dans un journal, qui plus est avec une telle qualité de reproduction et sur si grand format ! Du coup, ça me donne l’occasion de lire, publiée juste à côté, l’interview de Yohann Nédélec, vice-président de Brest Métropole chargé de mobilités, sur les « zones à faibles émissions », un nouveau gadget destiné à permettre aux élus de se donner bonne conscience face aux enjeux climatiques. Une de ses réponses aux questions de Laurence Guilmo me laisse rêveur : « Notre critère sera celui des véhicules non classés, dont l’immatriculation est antérieure à 1997. La ZFE brestoise ne va donc pas beaucoup bousculer le quotidien des gens. » Alors comment dire ? Et d’une : je ne vois pas pourquoi l’année 1997 a été prise comme point de repère, je ne pense pas que les bagnoles construites après le 31 décembre 1996 soient subitement devenues moins polluantes que leurs aînées comme par magie. Et de deux : je suis né en 1988, je suis donc ravi d’apprendre que les voitures construites avant que j’atteigne mes neuf ans sont déjà considérées comme de vieux modèles pourris qu’il faut bannir de nos villes. Et de trois : je ne voudrais pas être démago, mais je pense qu’il y a quand même encore beaucoup de gens qui roulent tous les jours avec une voiture de plus de 28 ans et qui n’ont pas les moyens de s’en acheter une neuve, je pense qu’ils vont être ravis d’apprendre qu’ils sont tenus pour quantité négligeable ! Alors bien sûr, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : c’est une très bonne chose de vouloir réduire l’emprise de l’automobile dans l’espace urbain ! Mais si on fait de la lutte contre la pollution un facteur aggravant des inégalités sociales, on rendra le plus mauvais des services à l’écologie en confortant ses détracteurs dans l’idée que c’est un délire de « bobo » ! Cela dit, Yohann Nédélec a raison de dire que personne n’a à s’inquiéter vu que, comme il le rappelle lui-même en conclusion, « l’État n’a pas prévu de moyens, ni en portiques, ni en personnels, pour faire les contrôles » ! Quand je disais que c’était un gadget…
[1] Fluide Glacial n°182, août 1991, p. 68.
[2] Essais, III, 13.
[3] C’est Albert Camus, bien sûr !
[4] François CAVANNA, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, pp. 114-115.
[5] Allocation Adulte Handicapé.
[6] Prestation de Compensation du Handicap. Vous êtes au courant de rien, ma parole !
[7] Et qui va fêter ses cinquante ans cette année !