Du 30 août au 7 septembre : Barnier démission ! Deux jours, ça suffit !
Vendredi 30 août : il y a 117 ans naissait Leonor Fini
9h30 : Voilà bien deux mois que je n’avais plus repris l’écriture de ce journal : il faut dire que le premier semestre de cette année avait été assez éprouvant ! La dissolution de l’assemblée m’avait achevé et j’ai vraiment bien cru que j’allais poursuivre mon œuvre à Dachau ! Bon : l’issue des législatives anticipées a été moins catastrophique qu’on ne le craignait et j’ai pu décompresser pendant deux mois, à grands renforts de bains de mer et de réjouissances familiales diverses et variées. C’est donc moralement requinqué que, hier, j’ai réintégré mon domicile ; ce matin, je passe à la fac pour régler quelques formalités : j’en profite pour jeter un coup d’œil à la presse et comme prévu, les jeux de Paris écrasent tout. Même Jacques Le Goff, dont j’apprécie pourtant les éditoriaux d’habitude, a repris les poncifs dont nous abreuvent les gratte-papier de la presse pourrie ; à les lire, les pitreries des bœufs aux hormones qui ont envahi la capitale auraient miraculeusement transformé en foyer de joie populaire et en nouveau phare du monde ce qui était, il y a encore deux mois, un pays vieillissant, peuplé de pessimistes chroniques, gangréné par le fascisme, présidé par un autocrate capricieux et dont les artistes les plus renommés à l’échelle mondiale tombaient les uns après les autres pour agression sexuelle ! De toute façon, la « réconciliation nationale » qu’aurait provoquée ces jeux risque fort de n’être qu’un feu de paille, je ne donne pas deux semaines à mes concitoyens pour s’engueuler à nouveau ! Je ne crois pas non plus à une amélioration de l’image des personnes en situation de handicap grâce aux jeux paralympiques : en 1998, on a essayé de nous faire croire que la victoire de l’équipe de France de football avait miraculeusement fait disparaître le racisme de l’hexagone, il suffit d’ouvrir les yeux aujourd’hui pour voir ce qu’il en est… Et quand bien même : tous les handicapés ne s’intéressent pas forcément au sport, pas au point en tout cas de se donner les moyens d’accomplir des exploits, je ne suis donc pas du tout sûr qu’on favorise l’inclusion en prenant comme modèles des athlètes performants… Et puis flûte à la fin ! On ne parle plus que des jeux, on passe presque sous silence le déni total de démocratie dont fait montre Macron en refusant de nommer un premier ministre issu de la seule majorité légitime ! Je veux bien voir avancer la cause du handicap, mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas si elle doit servir de paravent aux ignominies d’un chef d’État indigne qui ne tient même plus compte du résultat d’une élection qu’il a lui-même déclenchée !
10h15 : Je suis bien surpris, en sortant de la banque où j’étais allé vérifier un détail concernant mon compte, de constater que le tramway circule déjà alors que sa remise en service n’était annoncée que pour demain – en effet, dans le cadre des travaux de la deuxième ligne, le trafic avait été interrompu sur la première pendant une bonne partie de l’été. En d’autres termes, pour pouvoir profiter de deux lignes de tramway d’ici deux ans, il a fallu faire avec zéro ligne pendant six semaines… Enfin bref : constatant donc que le tramway roule à nouveau, je me poste à un arrêt et, quand la rame arrive, j’appuie sur le bouton pour en profiter… Mais la porte ne s’ouvre pas ! Et pour cause : le véhicule est vide de tout passager, ce que j’ai pris pour une remise en service n’est qu’un essai… Rendez-vous demain pour le vrai redémarrage. D’ici là, j’aurai peut-être réussi à arrêter de me sentir con…
13h45 : Bain de mer à Sainte-Anne-du-Portzic : j’en ai pris si souvent cet été que j’ai arrêté de les compter. Que dire ? C’est le pied, la félicité presque parfaite : pendant presque deux heures, j’ai le sentiment d’échapper à la pesanteur, je communie avec l’élément où la vie est apparue il y a des milliards d’années, c’est comme un retour aux sources, au bain originel, non seulement celui de nos plus lointains ancêtres mais aussi celui du ventre maternel, j’oublie jusqu’au sens des mots « soucis et regrets »… Tout le monde devrait apprendre à nager : pas pour accomplir les exploits inutiles d’un Léon Marchand, mais simplement pour être bien ; les velléités d’écraser son prochain sont incontestablement solubles dans l’eau, bien des vocations de dictateur, de grand patron ou de général seraient étouffées dans l’œuf si on permettait à tous les enfants, sans exception, de laisser libre cours à l’attrait que leur inspirent les plaisirs nautiques… En fait, le bonheur, ce n’est pas si difficile, tant qu’on n’a pas la mauvaise idée de le confondre avec l’argent ou le pouvoir.
Un croquis pris sur la plage :
Samedi 31 août : il y a 27 ans mourait la princesse Diana
16h : Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas retourné seul à la plage : après avoir assisté à mes exploits natatoires, la charmante demoiselle qui m’accompagne, fraîchement licenciée en droit, me parle d’une réalité édifiante qu’elle a découverte durant ses études. En effet, on lui a appris, entre autres, à faire des « notes de synthèse » à destination des personnalités haut placées pour lesquelles un(e) jeune juriste peut être amené(e) à travailler. Bon : qu’une personne exerçant de hautes fonctions n’ait pas le temps de tout lire et ait besoin qu’on lui fasse un résumé de ce qu’elle doit savoir pour prendre une décision, passe encore, c’est concevable. Sauf que voilà : il est explicitement demandé, pour réaliser une note de synthèse, de se référer en priorité à ce qui est dit du sujet dans les médias de masse et de ne lire les travaux de chercheurs que si on a le temps ! Et il est aussi exigé de ne jamais citer ses sources afin que le discours que produira le responsable sur cette base superficielle ait l’apparence de l’objectivité ! En d’autres termes, on soigne les apparences au détriment d’une connaissance réelle des enjeux : rien pour la réalité, tout pour la « com’ » ! Ne cherchez pas plus loin vous avez parfois le sentiment que les décisions de nos dirigeants, qui engagent souvent nos vies, sont quelque peu aberrantes : c’est parce qu’elles sont basées par des résumés de résumés…
Dimanche 1er septembre
17h30 : Je m’apprête à rentrer chez moi en bus après avoir pris ce qui aura peut-être été mon dernier bain de mer de l’année et consommé ce qui aura probablement été mon dernier cornet de glace de l’été. Demain, les enfants reprendront le chemin de l’école : certaines personnes de mon âge, paraît-il, éprouvent de la nostalgie à l’approche de la rentrée des classes. Ce n’est pas du tout mon cas : ce n’est pas parce qu’on est bon élève qu’on aime forcément l’école. Je suis même tenté de dire : au contraire ! En tout cas, j’ai le sentiment très net qu’à partir du moment où j’avais été identifié comme un « bon élève », tout a été fait pour me rendre l’école détestable : je n’ai plus eu droit à l’erreur et je n’ai bénéficié d’aucune protection contre la malveillance jalouse de mes « camarades », comme si cette agressivité avait dû être l’inévitable revers de ma médaille. De façon générale, la représentation qui est faite du « premier de la classe » est tellement répugnante qu’il faudrait être masochiste au dernier degré pour vouloir endosser jusqu’à la mort ce rôle de binoclard boutonneux et dénué de sentiments… Voilà pourquoi j’ai toujours été un bon élève : c’était pour rester le moins longtemps possible à l’école – et ce n’est pas une blague.
Lundi 2 septembre : Salma Hayek a 58 ans
14h : Visite chez une amie dont la télévision est allumée sur M6. Tout en restant attentif à la conversation de mon hôtesse, je ne peux m’empêcher de jeter un œil de temps en temps sur le reportage diffusé, consacré aux enfants déscolarisés, soit parce qu’ils sont handicapés soit parce qu’ils ont été victimes de harcèlement jusqu’à en être traumatisés… J’ai beau n’avoir jamais aimé l’école, jamais je ne nierai sa nécessité et je frémis en pensant que j’aurais pu connaître le même sort que ces pauvres gosses si j’avais été diagnostiqué trop tôt ou si mes tourmenteurs avaient réussi à me pousser à l’effondrement moral. L’école de la République n’a pas les moyens d’accueillir tous les enfants ni de les défendre contre la cruauté de leurs semblables, mais rassurez-vous, on a eu assez d’argent pour accueillir les singeries des athlètes du monde entier…
A propos de la télé...
Ce dessin a été publié dans le dernier numéro de la revue L’Eponge.
15h : Mon amie m’emmène à La Foir’Fouille pour acheter de la laine : je m’attendais à un magasin immense, je suis un peu surpris de constater qu’il n’est pas plus grand qu’une supérette, ce qui est plutôt réconfortant pour moi. Je remarque aussi que l’affreuse mascotte de la franchise, une espèce de souris croisée avec une pieuvre qui me terrorisait quand j’étais entant, a définitivement disparu de l’enseigne… Suis-je le seul à éprouver un immense soulagement en apprenant qu’un personnage fictif détesté a disparu de la circulation ?
Un personnage qui n'est pas fictif mais qui va quand même disparaître de la circulation :
20h30 : Le génie d’un créateur de dessins animés se mesure souvent à sa capacité à susciter, en quelques minutes seulement et avec fort peu de moyens, autant voire plus d’émotions que n’en procurent des tâcherons réalisant des films interminables avec des moyens colossaux. À cet égard, Osvaldo Cavandoli était indubitablement un immense génie : sa Linea, comme son nom l’indique, se résume à une simple ligne, ses mésaventures ne durent jamais plus de trois minutes, et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde à la regarder. Je me repasse quelques épisodes et je me régale non seulement parce qu’ils me font rire mais parce qu’ils m’émeuvent : ce petit personnage qui fonce tête baissée et sans réfléchir sur toutes les distractions que lui offre le destin (personnifié par son dessinateur) n’est-il pas à lui seul un résumé saisissant de la condition humaine ? D’autant qu’il a beau se démener, il ne fait que se précipiter vers le destin funeste qui lui est promis, et dès qu’il malmène la ligne sur laquelle il déambule (et dont il est lui-même constitué), il provoque aussitôt son autodestruction… Ce n’est pas dans un long-métrage de deux heures, sorti des usines Disney, que j’aurais trouvé une illustration aussi saisissante de notre fragilité et de notre tragédie ! Alors, grazie mille, maestro Cavandoli !
Un épisode que j'aime bien :
Mardi 3 septembre : il y a 160 ans naissait Séraphine de Senlis
10h : Les œuvres que j’avais envoyées par la poste en vue du salon international de Haute-Loire me sont revenues. Elles sont en bon état et sont accompagnées d’une enveloppe contenant quelques coupures de presse sur le salon. C’est tout ? Et oui, même pas un merci ! J’ai le sentiment de m’être donné du mal pour peu de choses, mais au moins, je sais qu’on ne pourra plus remettre en cause la qualité intrinsèque de mon travail : n’empêche qu’un petit mot gentil n'aurait rien gâché. Ce n’est pas parce que je n’avais pas la possibilité de me rendre sur place que je suis moins important que les autres exposants, non ?
Une page que j'ai écrite pour le livre d'or d'une autre exposition :
20h : J’apprends la candidature d’Édouard Philippe. J’ai toujours su que ce type n’avait rien à envier à Macron en matière d’arrivisme et qu’il ne devait pas avoir l’intention de rester maire du Havre jusqu’à la mort, mais je ne pensais pas qu’il se déclarerait aussi tôt. L’idée de prendre tout le monde de court en se présentant à trois ans de l’échéance prévue peut paraître séduisante de prime abord, mais cette stratégie a rarement porté chance à ceux qui y ont eu recours, ne citons que l’exemple de Raymond Barre… Peut-être notre ancien premier ministre table-t-il sur des présidentielles anticipées ? Si c’est le cas, il est optimiste : déjà que Macron fait fi du scrutin de juin dernier, il ne faut pas espérer qu’il n’ira pas au bout de son mandat ! Quant à une éventuelle procédure de destitution, je ne pense pas qu’elle ait une chance d’aboutir ; contrairement à ce que croit, la France n’est pas championne pour déposer ses chefs d’État, ça ne lui est arrivé que cinq fois en deux cents ans : le cas de Louis XVI a certes marqué le monde entier, mais après, il n’y a eu que Charles X, Louis-Philippe, Giscard d’Estaing et Sarkozy. Cinq monarques qui se sont rendus insupportables au point d’être chassés du pouvoir par le peuple, c’est finalement peu, en 250 ans d’histoire ! Bref : est-ce que je pense qu’Édouard Philippe a une chance d’être élu président ? Réponse : je ne sais pas et je m’en fiche car je ne voterai jamais pour lui ! « Même si un candidat d’extrême-droite est contre lui au second tour ? » Heu… Mettons que je n’ai rien dit.
Mercredi 4 septembre
11h : Les ouvertures à la piscine sont ouvertes. J’étais arrivé avec une demi-heure d’avance, mais il a quand même fallu que je fasse la queue. J’ai même dû la faire trois fois : une première pour remplir un formulaire, une seconde pour le déposer et une troisième pour payer ! Avec le temps qu’il m’a fallu pour faire la route jusqu’à la piscine, j’y ai perdu une matinée entière, le tout évidemment dans le vacarme et l’agitation qui accompagne inévitablement ce genre d’attente, à croire que les neurotypiques sont incapables de faire quoi que ce soit dans le calme… La procédure d’inscription justifie à elle seule que l’on cherche l’apaisement en allant nager !
17h30 : Un ami possédant un fourgon m’aide à ramener chez moi quelques affaires que j’avais laissées chez mes parents : tout en conduisant, il me fait la conversation, laquelle finit par tomber sur les jeux de Paris. Selon lui, les exploits des athlètes paralympiques devraient changer le regard des enfants sur le handicap : j’en suis moins certain que lui car, une fois encore, même mineures, toutes les personnes en situation de handicap ne s’intéressent pas forcément à l’effort physique, et si nos chers enfants prennent pour modèles des handicapés qui gagnent des médailles, je doute fort que cela entraîne un bénéfice moral pour le gamin « différent » qui reste nul en sport ! Rien que pour parler de moi, supposons un instant que je sois encore enfant aujourd’hui, que j’aie été déjà diagnostiqué et que les jeux paralympiques viennent d’avoir lieu : je vois mal mes camarades me respecter davantage alors que je reste incapable d’attraper un ballon ! Est-ce qu’ils n’auraient pas tendance, au contraire, à me reprocher de ne pas me conformer à un modèle qu’on leur a asséné à la télé pendant deux semaines ? De toute façon, tant qu’on n’arrêtera pas d’inculquer l’esprit de compétition aux enfants, la lutte contre le harcèlement scolaire n’aura aucune chance d’enregistrer des résultats significatifs… Mon ami me parle aussi des clubs locaux qui, en envoyant à Paris des athlètes victorieux, auraient fait du bien à leurs bleds : l’ennui, c’est qu’avant de quitter mes parents la semaine dernière, j’ai eu le temps de voir sur France 3 un reportage sur une école tellement privée de moyens que les gens du coin ont été obligés de se mobiliser pour que la rentrée puisse avoir lieu ! Je ne sais pas si la région concernée a envoyé à Paris des sportifs qui ont glané des médailles, mais je m’en fiche : le financement des services publics devrait être dirigé par le principe d’équité qui préside (devrait présider ?) à l’esprit de la République et non par celui de la carotte et du bâton ! Bref, et une fois pour toutes : tant qu’on ne m’aura pas prouvé que les jeux olympiques ou paralympiques, les coupes du monde de football ou de rugby et toutes les autres grandes compétitions sportives dont on nous rebat régulièrement les oreilles dans tous les médias ont réellement, et à long terme, un effet positif et concret sur le bien-être quotidien des citoyens, je n’y verrai jamais rien d’autre que des pitreries aussi coûteuses qu’inutiles !
Jeudi 5 septembre
11h50 : Je suis allé donner mon sang, mais ça ne se passe pas très bien : je suis manifestement tombé sur une débutante qui a du mal à trouver la veine et plante mal l’aiguille, de sorte qu’au départ, le débit est si lent qu’elle est obligée de la garder à la main pour atteindre et maintenir un rythme suffisant à éviter la coagulation ; c’est déjà ennuyeux… Mais le pire, c’est à la fin quand, alors que la poche est presque pleine, l’aiguille, profitant d’un moment d’inattention de la donzelle, se met à bouger, entraînant un écoulement fulgurant qu’elle ne remarque même pas ! Je suis obligé de hurler pour qu’elle réalise ce qui se passe ! Bon, je vous rassure, il y a eu plus de peur que de mal et l’incident n’a pas empêché l’extraction d’une une quantité utilisable de sang. N’empêche que je suis sûr que la jeune femme, peut-être encore stagiaire, fera une belle carrière : elle est certaine de l’avoir, son CAP de charcuterie !
13h : Après une prise de sang conjuguée à une émotion forte, un repas gras n’est pas superflu. Je suis donc allé à la friterie : il a fallu faire la queue, le casting complet des Vieux fourneaux ayant eu la même idée que moi pour son déjeuner. Évidemment, c’est ironique, ne vous imaginez pas que j’aie eu la chance de rencontrer Eddy Mitchell, Pierre Richard et Roland Giraud ! Non, les seniors qui me précédaient étaient de vieux cons standards qui avaient tout leur temps et ont donc pris un malin plaisir à prolonger l’attente pour les autres clients en tenant la jambe à la caissière avec leurs conversations minables ! La sagesse qui vient avec l’âge est une vaste fumisterie : sale gosse un jour, sale gosse toujours. Pour couronner le tout, quand mon tour arrive enfin, je constate que j’ai perdu ma carte bancaire et qu’il me manque un euro en liquide pour payer mon cornet ! La serveuse, devant ma panique, croit bon de me répéter sans arrêt « y a pas de souci », ce qui me fait exploser : je n’ai jamais supporté que l’on minimise mes ennuis ! Si, il y a un souci ! Ce n’est peut-être pas le sien, mais il y en a un ! Elle me laisse quand même partir avec ma commande, mais je me jure de revenir pour régler ma dette. Décidément, c’est la journée des emmerdes…
14h15 : Je me rends au Relecq-Kerhuon pour y photographier un monument en hommage aux victimes civiles de la seconde guerre mondiale[1], ce qui n’est pas fait pour arranger mon humeur, vu que je déteste aller dans cette ville où les rues sont un vrai labyrinthe et où la ligne de bus a été tracée en dépit du bon sens. L’ancien proviseur du lycée que je fréquentais jadis m’a expliqué que c’était pour que le trafic gène le moins possible les habitants ; en somme, c’est le même gag que pour les antennes-relais, tout le monde est d’accord pour bénéficier d’équipements mais personne ne veut supporter les inconvénients qui vont avec… Enfin bref, le devoir avant tout ! Après une demi-heure d’attente, je suis en route, espérant que le pire est derrière moi pour aujourd’hui : mais un kassos a renversé une bière dans le bus, obligeant le chauffeur à s’arrêter pour l’expulser – bien entendu, l’ivrogne ne se laisse pas faire. Résultat, nous perdons du temps et il règne une odeur des plus déplaisantes dans le véhicule… D’abord la charcutière du don du sang, ensuite la serveuse aux remarques déplacées, et maintenant ce disciple de Barney Gumble[2]… C’est voyage à Con-land, aujourd’hui ! Ou au Groland en vrai, et décidément, le Groland à la télé, c’est souvent drôle, mais dans la vraie vie, ça l’est rarement… Je vous rends l’antenne, Jules-Édouard, et je vous prie de la garder ! Francky Ki, en direct de Mufflins !
15h30 : Grâce à un employé de mairie qui a gentiment accepté de me guider, j’ai trouvé le monument sans trop de peine, et je suis « déjà »[3] dans une agence bancaire du centre-ville pour signaler la perte de ma carte. Comme je l’ai vraisemblablement égarée ce matin en allant déposer des billets, je suggère à l’employé qui m’accueille qu’ils l’ont peut-être déjà retrouvée près des automates : il me répond que la chose est impossible car les employés n’ont pas le droit d’accéder à l’espace des automates pour des raisons de sécurité ! Je lui demande une seconde de pause, le temps pour moi de mordre dans ma casquette pour me calmer les nerfs poussés à bout par la découverte de ce règlement absurde… J’en suis quitte pour retirer du liquide avec une carte provisoire et à patienter une semaine avant la réception de ma nouvelle carte personnelle. Ça y est, je me rappelle pourquoi j’avais besoin de vacances !
16h30 : De retour à la maison, je suis bien surpris de découvrir que j’ai un courrier des organisateurs du salon de Haute-Loire : s’agit-il d’un petit mot de remerciements pour ma participation ? Et bien oui, ils me remercient à leur façon… En me demandant 23 euros pour le renvoi de mes œuvres par la poste. Bon : j’ai payé pour être exposé, j’ai payé pour que mes œuvres leur soient expédiées, maintenant, il faut que je paye pour les avoir récupérées ! J’ai le sentiment de m’être donné du mal pour pas grand’ chose et d’être contraint d’acheter quelque chose qui m’appartient déjà ! Je note : pour cette saison, arrêter de courir après les expositions et me consacrer essentiellement à la production.
17h30 : Le coup de grâce : suite à un bug informatique dont je ne situe évidemment pas l’origine (je suis de toute façon une tanche avec les ordinateurs, en dépit du stéréotype sur les autistes), lorsque j’essaie d’envoyer à la rédaction mes clichés pris au Relecq, ceux-ci disparaissent TOUS sans exception, sauf un d’une plaque commémorative située à proximité du monument et que j’avais également photographiée à tout hasard… Bien entendu, cette image ne convient pas pour illustrer la colonne que j’ai livrée dernièrement, il va donc falloir que je retourne sur place… On parle des « splendeurs et misères » de la vie d’artiste : les misères, c’était aujourd’hui, les splendeurs, ce sera pour une autre fois !
La plaque commémorative :
20h : J’apprends la nomination de Michel Barnier. Macron avait la possibilité de s’incliner devant le choix des électeurs et nommer à Matignon une sociale-démocrate au caractère bien trempé : il a préféré en faire autant cas que pour la mobilisation des syndicats contre la réforme des retraites et a choisi un vieux chiraquien insignifiant qui n’a jamais su faire autre chose que se mettre à genoux devant son seigneur et maître. Il y a deux ans, un ami me disait qu’à ses yeux, la France n’avait plus besoin d’un président : il a obtenu satisfaction, elle a maintenant un empereur ! En juin, j’étais épouvanté ; en juillet, j’ai été rassuré ; en septembre, je suis indigné ! Ça s’améliore, hein ?
Vendredi 6 septembre
11h : En prévision de la visite d’une amie prévue pour ce soir, je me rends à la boulangerie-pâtisserie pour y acheter un dessert : les travaux de la ligne de bus à haut niveau de service se poursuivent, engendrant une nuisance qui n’est pas seulement auditive mais aussi olfactive car les ouvriers étendent l’asphalte… Ça empeste tellement que j’espère de tout mon cœur qu’on verra une vraie différence avec l’état antérieur de la rue une fois que les travaux seront finis ! Évidemment, les automobilistes qui rouspètent contre les déviations liées aux chantiers s’en fichent… Une fois arrivé au magasin, je jette mon dévolu sur une appétissante tarte aux pommes : faute de précisions de ma part, la vendeuse enregistre dans un premier temps le prix d’une portion individuelle. Je la corrige donc aussitôt en lui disant qu’il me faut une tarte pour quatre… Tant qu’il existera encore des commerces où l’on n’essaie pas de vous fourguer d’entrée de jeu ce qu’il y a de plus cher, rien n’est perdu !
J'ai dessiné Wauquiez parce que j'ai été marqué par sa déclaration selon laquelle il déposerait une motion de censure contre tout gouvernement issu du Nouveau Front Populaire...
12h55 : Je prends le bus pour honorer un rendez-vous avec une assistante sociale qui doit m’aider à obtenir un document que me réclame la CAF pour pourvoir me verser l’Allocation Adulte Handicapé que la MDPH[4] a enfin accepté de m’accorder. À l’entrée du véhicule, je suis précédé par une petite vieille qui dégaine sa carte bancaire pour pouvoir en débiter le prix d’un titre d’un transport sur la borne prévue à cet effet : à la lenteur due à son grand âge s’ajoute celle propre à ce dispositif dont je n’ai cessé de constater la sidérante inefficacité depuis sa mise en place ! C’était cent fois plus simple avec un ticket bête et méchant que l’on mettait à poinçonner… Décidément, à chaque fois que l’on « modernise » un système quelconque, c’et pour remplacer un dispositif simple et efficace par une machinerie lente et compliquée mais qui fait du bruit et qui clignote pour exciter les crétins qui s’imaginent qu’entrer dans la modernité consiste à faire ressembler à tout prix la vie quotidienne à un film de science-fiction des années 1950… Le regretté Jean-Marc Lelong faisait dire « Y en a disent qu’on arrête pas le progrès, mais ‘faudrait savoir sans quel sens » à l’acariâtre mais pertinente Carmen Cru : j’ajouterai, au risque de me répéter (je l’ai sûrement déjà dit) que la technologie est une chose merveilleuse qui permet de résoudre des problèmes qu’on n’aurait jamais connus sans elle.
Une toile avec quelques aphorismes dont celui sur la technologie :
14h : L’assistante sociale remplit pour moi une demande de pension d’invalidité : je n’en ai pas réellement besoin et je n’ai aucune chance de l’obtenir, mais la CAF demande JUSTEMENT, pour me verser l’AAH, un document attestant que la CPAM ne me verse pas déjà une telle pension ! En clair, pour obtenir ce à quoi j’ai droit, je dois compléter un dossier pour une pension dont je ne veux pas et que je n’aurai jamais ! Vous trouvez ça absurde ? Ne vous y fiez pas : ça l’est bel et bien ! Même l’assistante sociale, dont c’est pourtant le métier, reconnait la lourdeur et la vanité de cette formalité, d’autant que la CAF, me dit-elle, ne formule même pas systématiquement une telle exigence… J’aurai mérité mon allocation rien que pour avoir surmonté tous les obstacles menant à son versement !
16h : Passage à la poste de mon quartier pour poster le courrier destiné à la CPAM. L’assistante sociale a eu la gentillesse de me procurer une version plastifiée de ma carte « Je suis autiste » que je présente à chaque fois que ma différence me met en porte-à-faux vis-à-vis de mes interlocuteurs ou que je souhaite demander aux gens que je croise de corriger leur conduite afin de me mettre à l’aise : ça arrive si souvent que ma carte se détériore rapidement, d’où la nécessité d’un nouvel exemplaire plus solide. Ça ne rate pas : dans le bureau de poste, il y a la queue et les usagers parlent fort, de sorte que je dégaine ma nouvelle carte à peine une demi-heure après l’avoir reçue ! Je ne suis pas triste d’être autiste : je suis content d’être différent de tous ces gens qui ne font jamais attention aux autres… On prétend que nous, les gens du spectre, n’avons pas d’empathie : je me demande plutôt si nous n’en avons pas davantage que la normale…
19h30 : Mon invitée est là. Ensemble, nous regardons le dernier épisode, à ce jour, d’Astrid et Raphaëlle. C’était d’ailleurs la raison de mon invitation : comme je sais que chaque saison se termine sur un épisode plus « musclé » que les autres et que je reste très impressionnable, je préférais être accompagné pour visionner celui-ci. De fait, ça ne rate pas : jusqu’alors, la quatrième saison était surtout focalisée sur Astrid qui faisait face à la découverte de son jeune demi-frère et apprenait donc à prendre en charge un enfant (je confirme que ça n’a rien d’évident pour un autiste[5]) ; aussi, dans cet épisode, c’est plutôt Raphaëlle qui mène la danse : la belle commandante se réveille aux côtés du cadavre d’un magouilleur contre lequel elle cherchait des preuves et elle ne se rappelle absolument pas de ce qu’elle a fait durant les trois jours qui ont précédé cette macabre découverte ! Bien entendu, Astrid fait des recherches pour prouver l’innocence de son amie (et, comme toujours, elle trouve la solution), mais c’est la fuite de cette dernière, qu’une autre commandante croit coupable, qui est au premier plan : la personnalité de Raphaëlle, fliquette intrépide mais sensible et payant comptant sa soif de justice, est donc au cœur de l’intrigue. Le spectateur était plutôt habitué, jusqu’à présent, à éprouver de l’empathie pour Astrid, jeune femme surdouée mais qui doit apprendre à composer avec la réalité d’un monde où tout est peu ou prou hostile à la différence : avec cet épisode, Raphaëlle, poussée dans ses derniers retranchements, a elle aussi droit à sa part d’empathie ; elle est dans une situation si délicate qu’on a envie de lui offrir le soutien moral qu’elle apporte à Astrid en temps normal… Mon amie ne connaissait pas du tout la série mais semble satisfaite de la découverte que je lui ai offerte : elle est notamment tombée sous le charme de Sara Mortensen ! Personnellement, je serais plutôt amoureux de Lola Dewaere : ce n'est pas très original, tous les hommes de la série sont plus ou moins charmés par la belle commandante, même le commissaire qui, justement, dans cet épisode, fait montre envers elle d’une tendresse qu’on n’attendait pas venant de ce personnage habituellement assez strict… Enfin bref, j’ai enfin vu tous les épisodes sortis à ce jour, grâce à une ami qui, telle Raphaëlle vis-à-vis d’Astrid, s’est improvisée mon dé à coudre : en revanche, je ne vois toujours pas de qui je pourrais être la boussole… Oui, désolé, si vous ne connaissez pas la série, vous ne pouvez pas comprendre !
Samedi 7 septembre
10h30 : Après un aller-retour au Relecq-Kerhuon où j’ai repris ces satanées photos, je passe à la banque pour retirer du liquide : comme je n’ai toujours pas ma nouvelle carte, je suis obligé de faire la queue car, à ma grande surprise, il y a beaucoup de monde à attendre ! Il y a même une femme âgée qui prend le droit de passer devant moi sous prétexte qu’elle a rendez-vous. Quand mon tour vient enfin, je demande s’il y a toujours autant de monde le samedi matin : la guichetière me répond que oui car « les gens préparent leur week-end »… J’ai toujours été effaré par toutes les emmerdes auxquelles mes semblables consentent pour quelques malheureux jours de loisirs : qu’est-ce qu’ils doivent de faire chier chez eux pour se plier à ça ! Il serait plus constructif et meilleur pour la santé de se faire, dans la mesure du possible, une vie agréable toute l’année, mais bon, ce que j’en dis…
Le monument qui m'a donné tant de fil à retordre :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Pour l’anecdote, cette commune, qui fait partie aujourd’hui de Brest Métropole, a été frappée dès le 7 juillet 1941 par un bombardement allié en plein centre-ville qui fit 26 morts et de nombreux blessés. Oh, Barbara…
[2] Personnage des Simpson à côté duquel Homer passe pour un modèle de sobriété…
[3] Les guillemets ne sont pas superflus au vu du temps que prend l’aller-retour entre Brest et Le Relecq-Kerhuon.
[4] Maison Départementale des Personnes Handicapées, ‘faut tout vous dire ou quoi ?
[5] C’est déjà assez difficile pour les neurotypiques !