Du 29 août au 5 septembre : Ma non-rentrée

 

Commençons par un dessin publié dans le dernier numéro de la revue L’éponge : 

 

04-03-Premier de la classe.jpg

 

Vendredi 29 août

 

14h30 : Petit passage au bourg de Guilers où je n’avais plus mis les pieds depuis longtemps ; je n’arrive toujours pas à m’habituer à l’état actuel de la place principale qui diffère grandement de celui que j’avais connu dans mon enfance. Ah, la manie des neurotypiques de toujours tout changer… Enfin bref. Je croise un ancien collègue de Papa : il me dit que le décès de son propre père fut également brutal et prématuré, il sait donc ce que je ressens. Une différence toutefois : mon interlocuteur était déjà marié et père de famille quand le malheur est arrivé ; il me dit que j’ai encore une famille et des amis et que je dois m’appuyer sur eux. Pas facile quand on a tendance à se replier sur soi dans les moments de crise…    

 

17h30 : J’en ai la confirmation : les cours de natation ne reprennent qu’à partir du 15 septembre, je n’ai donc aucune raison de rentrer à « Brest même » avant le lundi 8. Avec toutes ces émotions, je n’ai pas eu mon compte de repos, je ne me sens absolument pas d’affronter à nouveau la vie citadine avant une semaine. Je craignais que la nouvelle déplaise à ma mère : elle est enchantée, elle n’avait pas envie de se retrouver seule trop tôt… Donc, pas de rentrée pour moi ! Je vous interdis de m’envier…       

 

Samedi 30 août

 

18h : Aucune visite à la maison aujourd’hui, aucun rendez-vous pour ma mère, et un temps pourri qui condamne d’avance toute possibilité de promenade. Difficile de s’occuper dans ces conditions, surtout quand on n’a le cœur à rien. Alors on rumine, on gamberge… Et on a des révélations. Je me rends compte d’une chose : savez-vous quelle est la différence entre Maman et moi ? Avant le drame, elle était heureuse, elle ne l’est plus ; moi, je ne l’étais pas et je le suis encore moins maintenant. Il y a un mois, j’en avais même marre de ma vie. Vous êtes incrédule ? Pas étonnant. Personne ne me croit quand je dis que je me paie régulièrement des déprimes, avec toutes mes activités et fréquentations… Mais le bonheur n’est pas là ! Je n’appréciais guère ma vie mais je tenais le coup parce que je savais que je pouvais compter sur mes parents pour me ressourcer. Je savais bien que ça ne durerait pas éternellement, mais je ne pensais pas que ça viendrait aussi vite : je n’ai pas eu le temps de m’y préparer… Maintenant, où pourrai-je refaire le plein d’énergie pour poursuivre ma vie de merde ?

 

Dimanche 31 août : il y a 40 ans, Canal+ diffusait son premier film porno, Exhibition 

 

08-31-Premier porno sur Canal.JPEG

 

15h : Après avoir ramené ma sœur chez elle, ma mère et moi faisons un tour au port de commerce. Nous terminons par une bière en terrasse. Précision importante : elle a eu elle-même l’idée de cette escapade. Si elle exprime le désir de faire ce genre de sortie malgré son chagrin, c’est plutôt rassurant sur le long terme... N’empêche que les gens me parlent comme si j’étais condamné à ne plus jamais être heureux ! Condamné pour une faute dont j’ignore la nature… J’ai l’impression d’être Caïn ! Au moment où nous nous apprêtons à nous lever pour quitter le bar, ma mère reçoit un coup de fil de sa sœur et un sms de sa belle-sœur : j’aimerais lui dire que ça prouve qu’elle n’est pas complètement abandonnée… Mais on hésite à dire de telles choses à une femme qui pleure en parlant au téléphone.

 

09-03-Caïn.jpg

 Lundi 1er septembre 

 

19h : Entre deux crises de larmes, ma mère me rappelle un aspect de mon histoire familiale que j’avais un peu oublié : mon grand-père paternel, qui avait été FFL, en parlait beaucoup ; mon grand-père maternel, qui avait fait la guerre d’Algérie, n’en parlait jamais. Rien d’étonnant : le premier avait participé de son plein gré à un combat pour une cause juste (la lutte contre le fascisme) et il avait fini par gagner la guerre ; le second avait participé contre son gré à un combat pour une cause dégueulasse (le colonialisme) et il avait fini par perdre la guerre. Mine de rien, ce sont les deux faces de l’histoire de France qui sont représentées par mes aïeux ! Ça me rappelle un peu la fable de La Fontaine « Le mulet se vantant de sa généalogie »… Notez que je ne prends pas mon grand-père paternel, que je n’ai pas connu, pour un héros, et que je ne considère pas non plus mon grand-père maternel, que j’ai connu, comme un lâche : le premier n’a jamais porté les armes et n’a fait que défendre une cause qui le concernait, le second n’a porté les armes que malgré lui pour une cause qui ne le concernait pas (il avait d’ailleurs été horrifié par ce qui avait été fait là-bas au nom de la France) ; autant dire que ce n’est pas comparable ! Leur seul point commun, c’est qu’ils ont été témoins de massacres de millions d’innocents perpétrés pour des histoires de gros sous maquillées en idéaux… « Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente » !

 

Michel Serres aurait eu 95 ans aujourd'hui ; ça méritait bien que je vous ressorte cette photo immortalisant ma rencontre avec lui...

 

09-01-Naissance de Michel Serres.JPG

Mardi 2 septembre

 

17h45 : Après une visite salutaire à ma psychologue, je vais donner mon sang. La dame qui me reçoit me pose deux questions auxquelles je ne m’attendais pas : premièrement, elle me demande si je prends des médicaments pour mon autisme ! Outré, je réponds que l’autisme n’est pas une maladie ; elle me précise qu’il ne s’agit pas de médicaments pour guérir l’autisme (rappelons que c’est une vie de l’esprit) mais simplement pour limiter les effets dévastateurs de troubles trop envahissants… Deuxièmement, elle me demande pourquoi si je viens donner mon sang : je réponds que c’est pour me rendre utile à la société ! J’ai bon ?

 

19h : Retour chez ma mère qui a rendu visite à son médecin traitant : vider son sac devant cette bonne doctoresse semble lui avoir fait du bien, elle lui a même prescrit un anxiolytique léger qui devait l’aider à retrouver un sommeil qui lui fait défaut… Je croise les doigts !

 

Un dessin de circonstance en cette période de rentrée : 

 

09-01.jpg

Mercredi 3 septembre

 

9h15 : Le traitement semble efficace pour Maman qui me dit avoir dormi comme elle ne l’avait pas fait depuis deux mois ! Elle est donc suffisamment reposée pour me conduire à la piscine de Recouvrance afin que je me réinscrive au cours de natation… Les inscriptions ne sont ouvertes qu’à partie de 11 heures, mais je sais d’expérience que si je n’arrive pas assez tôt, il y aura une file d’attente abominable, et faire la queue m’angoisse tellement que j’aime autant être le premier.

 

10h : Je ne m’étais pas trompé : une heure avant l’ouverture, il y a déjà plein de monde ! Je suis assis par terre, devant la porte, à l’abri de la porte et je patiente en relisant l’album d’Achille Talon par lequel j’avais découvert le fameux héros fétiche de Greg… Que voulez-vous : on fait ce qu’on peut pour soulager son chagrin ET supporter une situation désagréable.

 

11h15 : Ma réinscription est actée et payée, voilà une bonne chose de faite, mais il m’est confirmé que les cours ne reprendront que la semaine du 15 septembre : ça m’arrange un peu, je ne me sens pas encore près à me remettre en maillot de bain, avec tous les frissons que j’ai au réveil… Je prends le tramway pour aller chez la coiffeuse : j’ai perdu l’habitude des transports en commun et mon deuil entame sérieusement ma patience… Bref, au bout de dix minutes, j’ai déjà l’impression que mon cerveau est dans une cocotte-minute !

 

11h45 : La coiffeuse termine son travail ; elle a eu la gentillesse de couper sa radio pendant que je suis sur le siège… Mais, premier mercredi du mois oblige, les sirènes se mettent à sonner ! Je me crispe de plus belle, non sans maudire au passage cette tradition idiote…

 

13h15 : Après un repos bien mérité au Biorek où j’ai pu annoncer la mauvaise nouvelle à ce brave Alexandre, je m’apprête à reprendre le bus pour Guilers : à la station de départ, qui n’est pas desservie à cause des travaux, j’apprends que la prochaine rame n’est que pour dans une demi-heure… Des médiatrices sociales m’assaillent littéralement pour me dire que le bus ne passe par : j’ai du mal à garder un ton poli pour leur dire que je suis au courant ! En attendant, une demi-heure, ce n’est pas de trop pour marcher jusqu’au prochain arrêt desservi proposant des bancs pour s’asseoir… Au risque de me répéter, c’est à des petits riens comme ça qu’on voit à quel point les usagers sont respectés ! Ça y est, je me rappelle pourquoi j’avais tant besoin d’une coupure…

 

14h : Retour à la maison familiale… Vide. Ma mère est partie à un rendez-vous à la banque pour régler les formalités d’usage après le décès d’un conjoint. La chatte, qui a déjà 17 ans, miaule pour réclamer que je lui rouvre la porte. Le barbecue, que personne n’a rentré depuis ce tragique 20 août, n’en finit pas de rouiller. Personne ne viendra, à part ma mère épuisée par ces histoires de paperasserie qui n’en finissent pas et qui ne font qu’alourdir son chagrin… Je me dépêche de monter prendre une douche avant de pleurer.

 

20h30 : Après un bon repas comme Maman sait si bien en faire même en période de détresse, je découvre enfin les deux premiers épisodes de la saison 5 d’Astrid et Raphaëlle : j’avoue que cette histoire où interviennent les services secrets me paraît un peu tirée par les cheveux, mais je ne boude pas mon plaisir de retrouver mes héroïnes préférées. En tout cas, je suis bluffé par Lorie Pester : à l’époque où elle s’était fait connaître comme chanteuse pour pisseuses, je n’aurais pas soupçonné qu’elle interpréterait un jour une tueuse à gages…  

 

Vendredi 5 septembre : Axel Kahn aurait eu 91 ans aujourd'hui 

 09-05-Naissance d'Axel Kahn.JPGCette photo a été prise par votre serviteur lors du salon de carnet de voyage de Brest. 

 

9h45 : J’arrive à Guilers après ma marche matinale dans l’arrière-pays ; même dans cette petite commune insignifiante, on aperçoit quelques affiches appelant à la grève le 10 septembre. Dieu sait si j’ai longtemps appelé de mes vœux une insurrection sociale, quel que soit le gouvernement en place ! Mais depuis que j’ai compris que le bon peuple tape plus facilement sur les Noirs et les Arabes que sur les flics et les bourgeois, je suis moins pressé… De toute façon, sans être égocentré, je pense quand même avoir une bonne raison personnelle de ne pas avoir la tête à faire la révolution ! Pas ce soir, j’ai la migraine…

 

12h30 : Ma mère déjeune avec moi ; ça n’a l’air de rien, mais c’est quasiment la première fois depuis que le malheur est arrivé : elle a si peu d’appétit qu’elle ne mange que le soir… Elle me dit qu’elle n’a pas pleuré de la journée, ce qui est également une nouveauté depuis ce triste 20 août où on lui a annoncé la mort de l’homme de sa vie. Je lui propose de se joindre à moi à un déjeuner auquel j’ai été convié par une amie : elle refuse poliment, me répondant que c’est « trop tôt » ; paradoxalement, cette réponse est rassurante, puisqu’elle sous-entend que le « jamais » que Maman m’opposait il y a quelques jours laisse la place à un « plus tard »… Bref, il y a encore du chemin, mais ma mère est sur la bonne voie : ça m’enlève déjà un poids ! Je vais pouvoir me concentrer sur mon propre deuil…  

 

Bon. Cette livraison était passablement sinistre, j'en conviens. Que voulez-vous, on ne se remet pas de la mort de son père au bout de deux semaines et demie seulement... Pour finir sur une note joyeuse, quittons-nous en chanson avec la charmante Sterenn Alix : 

 

 

Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine ! Du moins, j'espère... 

 



05/09/2025
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 90 autres membres


Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Espace de gestion