Du 27 octobre au 1er novembre : la mort, c'est de la merde !
Dimanche 27 octobre
14h30 : Tout à fait remis de la stupeur que j’avais eue au réveil en constatant qu’on était déjà passé à l’heure d’hiver, je risque un tour au bois de la Brasserie où je n’avais pas mis les pieds depuis belle lurette : je peux ainsi enfin voir les fameux toboggans qui y ont été installés. J’avoue que j’avais des inquiétudes : le boucan que j’entendais le jour de l’inauguration me laissait craindre une horreur clinquante et dégoulinante de couleur fluo comme on sait si bien en faire pour attirer les mômes en les prenant pour des demeurés. Fort heureusement, il n’en est rien : ils se résument à deux tuyaux gris qui, somme toute, s’harmonisent plutôt bien à ce paysage dominé par le viaduc et ne jurent pas avec les autres installations de l’aire de jeux. J’ai été à deux doigts de les essayer : je m’en suis abstenu, de peur rester coincé dedans !
Un autre élément architectural du bois de la Brasserie : l'abri, hérité de la seconde guerre mondiale...
Lundi 28 octobre
13h50 : Il y a peu, j’ironisais sur les commentaires d’une certaine presse cul-bénit qui criait au « miracle » à propos de la réouverture de Notre-Dame de Paris, mais j’avoue qu’il y a d’autres événements, plus personnels, qui me feraient presque croire aux miracles ! Premièrement, vous vous souvenez peut-être de mes démêlés avec UPS qui devait me livrer ma nouvelle Freebox : il se trouve qu’aujourd’hui, je dois prendre le bus à quatorze heures dix, il fallait donc que la livraison soit effectuée avant cette échéance. Et bien vous savez quoi ? Le livreur est bel et bien arrivé quarante minutes avant ! Autant dire plus qu’il n’en faut… Deuxièmement, poussé par je ne sais quelle folie, l’envie me prend de déballer tout de suite le colis et de connecter la Freebox dans la foulée. Et bien vous savez quoi ? J’y parviens avec fort peu de difficultés ! Totalement inespéré quand on connait mon rapport à la technologie qui fait mentir le stéréotype[1] du geek Asperger incollable en informatique… Troisièmement, avec tout ça, je prenais bien évidemment le risque de rater mon bus. Et bien vous savez quoi ? Je l’ai eu quand même ! Trois miracles en moins d’une heure… Mais il faudrait plus que ça pour que je me mette à croire au bon Dieu !
Sinon, le 28 octobre, Julia Roberts a eu 57 ans. Bon anniversaire au plus beau sourire d'Hollywood !
Une de mes meilleures amies s'appelle Julie et je l'appelle "Ju" par raccourci, d'où la familiarité que se permet le hérisson.
14h30 : Ayant pris le tramway après le bus, j’arrive au niveau de Saint-Martin où une visite guidée du cimetière, à laquelle je me suis inscrit, doit avoir lieu… Dans une demi-heure. Comme j’ai quelques bricoles à faire en ville, je décide de ne pas descendre tout de suite et de mettre ce temps de battement à profit pour régler ces affaires. Chemin faisant, je constate que les décorations de Noël sont déjà en cours d’installation ! Les chalets du marché de Noël y compris ! Je croyais que l’heure était aux économies, pour des raisons aussi bien budgétaires qu’écologiques… Mon œil ! On continue à gaspiller du courant pour des enfantillages pendant que la banquise continue à fondre et que l’université publique est en déficit… Quand les étudiants brestois devront porter des combinaisons de plongée sous-marine pour assister à des cours dispensés par des enseignants quasi-bénévoles, ils pourront toujours admirer les illuminations en ville… En attendant, j’ai donc une demi-heure pour acheter un tube de gouache, poster un courrier, faire scanner un dessin puis retourner au cimetière : je me lance donc dans une vraie course contre la montre… Si je la gagne, je veux bien croire aux miracles de Noël et me convertir au christianisme !
Le dessin que j'ai fait scanner au cours de ce laps de temps : "La prostituée ou Errare humanum est". La fille de joie regarde le ciel et se demande quelles erreurs elle a pu commettre dans sa vie pour en arriver à devoir monnayer ses charmes pour survivre. L'artiste traite le thème de la difficulté à assumer, sinon ses choix de vie, au moins leurs conséquences à long terme... Comme dit Amélie Nothomb : "Bien sûr, nous sommes condamnés à certaines choses par nos choix de vie, mais on peut décider à tout instant comment on va le vivre. Est-ce qu'on va le vivre avec classe, est-ce qu'on va le vivre avec panache, ou est-ce qu'on va le vivre en s'écrasant ?" Comme vous le voyez, cette dame de petite vertu n'a pas tout à fait décidé de s'écraser...
15h05 : Je suis arrivé avec cinq minutes de retard : il n’y a pas eu de miracle, l’Église catholique a perdu une ouaille potentielle, bien fait pour elle ! Précisons que le cimetière Saint-Martin est le plus ancien de la ville avec celui de Recouvrance : il a été ouvert au XVIIIe siècle quand Brest, alors encore enserrée dans ses remparts, faisait face à une épidémie de typhus meurtrière. Pour pouvoir installer un cimetière extra muros, Brest dut acheter un terrain à la commune voisine, alors autonome, de Lambézellec : le cimetière, enclave brestoise sur le territoire d’une commune voisine, a donc été appelé dans un premier temps « Cimetière de Brest » pour que ce statut particulier n’échappe à personne. Cette anecdote me fait avancer une hypothèse : beaucoup de Brestois s’imaginent, quand ils passent devant le monument américain, côté Cours Dajot, qu’ils foulent une enclave des États-Unis ; c’est totalement faux, le terrain est territoire français à part entière et n’est que prêté aux États-Unis qui en financent l’entretien, mais je me demande si cette croyance ne s’enracine pas, entre autres, dans une réminiscence du statut qu’avait jadis le cimetière Saint-Martin grâce auquel le phénomène d’enclave était connu, au moins à titre allusif, des gens du coin ? Toujours est-il que ce cimetière, où sont enterrés Pierre Péron[2], Jean Cras[3], Hyacinthe Martin Bizet[4], Béatrice de Trobriand[5] et j’en passe, est sans doute le plus prestigieux de Brest avec ses monuments somptueux qui, chacun à leur façon,portent la marque de l’histoire de la ville. La rédactrice en chef de Côté Brest lui a déjà consacré un article il y a quelques années et en parlait comme d’un « musée à ciel ouvert »[6], ce qui ne me parait pas excessif, mais je ne désespère pas de grapiller, au cours de cette visite, quelques anecdotes qui auraient échappé à la sagacité de ma collègue…
La tombe de Pierre Péron :
15h15 : Après nous avoir montré la tombe de Jean Cras, la guide doit répondre à la question bête classique : comment se fait-il qu’un officier de marine doublé d’un musicien reconnu n’ait eu droit qu’à un monument des plus simples, qui plus est en assez mauvais état ? L’explication est simple : premièrement, la facture de la tombe d’un particulier dépend en grande partie de l’argent qu’on y met, et si la famille est prête à se contenter de quelque chose de très simple, il n’y a pas de raison pour que les pouvoirs publics s’y opposent. Deuxièmement, la tombe est tout de même en marbre, un matériau de prix s’il en est mais, surtout, peu adapté au climat océanique, d’où son état de dégradation avancé… Quand la guide nous conduit vers un autre coin du cimetière, j’en profite pour dire, à l’appui de son explication, que j’ai vu, au cimetière de Montparnasse, la tombe d’un ancien président de la République et que je l’ai trouvée plutôt simple : j’ajoute cependant que sa veuve est tellement radine qu’il ne faut pas s’en étonner ! Bien sûr, mon interlocutrice voit tout de suite de qui je veux parler[7]…
La tombe de Jean Cras :
16h20 : Durant cette visite, je me serai heurté à un écueil auquel je ne m’attendais pas : la difficulté à prendre des photos. J’ai assisté à plusieurs visites guidées organisées ici ou là en ville, avec plus ou moins de monde à chaque fois, et je n’avais jamais eu de mal à photographier les bâtiments. Or, ici, je ne sais pas si c’est la nature même du lieu, tout de même particulière il est vrai, qui joue, mais à chaque fois que j’essaie de prendre un cliché, il y a toujours au moins une personne qui se met dans le champ ! Au mieux (une ou deux fois) la personne en question fait un semblant d’effort, qui s’avère malheureusement vain, pour ne pas obstruer le champ de vision de mon objectif, au pire (dans la plupart des cas) elle n’en a rien à secouer ! Devant la tombe de cette pauvre Béatrice de Trobriand[8], je craque et je laisse échapper un « Non, madame » à l’attention d’une femme d’âge mûr qui m’empêche de prendre une photo, ce qui me vaut une engueulade en règle d’un autre visiteur : « Vous pouvez bien attendre une minute ou deux, non ? » Non, je ne peux pas attendre : le groupe a déjà pris de l’avance et je ne veux ni retarder la guide ni rater une partie de la visite ! Et je ne pouvais pas non plus prendre ma photo plus tôt, il fallait bien que je prenne des notes ! Il me traite même de « goujat » ! Sa compagne ne pipe mot, approuvant béatement cet anathème disproportionné, ce qui n’en rend que plus déplacée l’accusation sous-jacente de machisme qu’il véhicule… Goujat, moi ? Non : correspondant de presse consciencieux, c’est tout ! Je respecte le public ! Même si je ne sais pas s’il le mérite toujours…
Le tombeau de Béatrice de Trobriand - que j'ai quand même fini par avoir parce qu'il n'y a pas de raison :
17h30 : La visite a pris fin il y a trois quart d’heures. Tant qu’à faire d’être en ville, j’en profite pour faire quelques courses. C’est pourquoi je suis à nouveau chez Boulanger afin de faire remplacer le sèche-cheveux qui m’a claqué entre les doigts la semaine dernière. J’obtiens un avoir pour en m’en procurer un autre sans problème – du moins de mon point de vue car l’employé qui m’accueille a l’air de sacrément galérer pour le faire sortir de son engin : il aurait moins de soucis avec un bon vieux carnet à souche, mais vous ne voudriez quand même pas qu’un magasin d’électroménager ne force pas son personnel à tout déléguer à la machine ? Cela dit, ce qui me frappe le plus dans ce magasin, c’est la décoration d’Halloween : aujourd’hui, à peu près tous les commerces se sentent obligés de rappeler à leur clientèle cette fête, même si leur activité n’a rien à voir avec elle ! Halloween, c’est quoi, à la fin ? C’est se déguiser en monstre et sonner à la porte des gens pour leur soutirer de quoi se fabriquer des caries : quel rappo avec un marchand de télés et de lave-linges ? Halloween a été très à la mode auprès des ados de ma génération, puis il y a eu un reflux que l’ami Siné a eu la faiblesse de croire définitif :
« Alors que la fête de Halloween bat des records de popularité aux États-Unis (5 milliards de dollars de bonbons et de déguisements), ici en revanche, c’est le bide et la fête fait flop ! Les Amerloques ont raté leur coup en voulant imposer aux petits Français leurs citrouilles de mes deux. Bien fait pour leur gueule ! »[9]
Erreur de calcul : aujourd’hui, la fête est tellement ancrée dans les mœurs françaises que tous les gratteurs de lingots se font un devoir moral d’y faire allusion, même si le lien avec leur activité est ténu jusqu’à en être invisible. J’ai déjà souligné que les Goristes étaient des visionnaires : dans leur chanson iconique, « La Penfeld aux Brestois », ils avaient deviné à peu près quelle zone la marine nationale conserverait dans le cadre de la cession[10] de ses espaces à la ville ; dans « Le tramway », ils avaient eu l’idée du téléphérique brestois bien avant la municipalité ; et dans « Allo Gwin », ils disaient ceci : « Pauvre Halloween, pauvre Saint-Patrick / Votre destin, comme la fête des mères et Noël / C’est de rimer à rien, sauf avec fric ! » Le poète a toujours raison…
Pour évoquer tout de même Halloween voici la photo d'une petite sorcière (en fait un mannequin) vue en Indre-et-Loire... Ce n'est pas moi qui aurais la chance de croiser Emma Watson !
18h15 : Passage au Leclerc du centre-ville pour fait quelques achats urgents, dont des oranges à jus. Seul choix à ma disposition : des agrumes d’Afrique du Sud… Pour des raisons aussi bien éthiques qu’écologiques, j’essaie de consommer européen, mais là, je n’ai vraiment pas le choix, à moins de renoncer pendant au moins trois jours à mon orange pressée matinale qui me fait l’effet d’une potion magique. Il n’empêche que malgré tous les beaux discours de Michel-Édouard, l’enseigne ne fait pas étalage (ah ! ah !) d’initiative pour la liberté de choix… Je risque un tour au rayon presse et je peux ainsi voir la « une » d’un quotidien. Le journal clame, à propos des présidentielles américaines, qu’à une semaine du scrutin, « le suspense reste entier » ! Ça a le mérite d’être clair : ils ne savent rien mais ils ont quand même tartiné des pages sur le sujet ! Pour ce que ça a de passionnant de savoir si c’est Trump ou Harris qui va déclencher la troisième guerre mondiale… On s’étonne que les gens n’achètent presque plus les journaux : peut-être que s’ils parlaient des problèmes de leurs acheteurs potentiels, ça s’arrangerait, non ?
Mardi 29 octobre : jour de la saint Narcisse
Destiné à figurer dans une BD qui revisitait le mythe de Narcisse, ce dessin n'a pas été retenu par le scénariste : je l'ai tout de même encré et colorisé parce qu'il aurait été regrettable de le jeter. Non ?
10h45 : Après avoir fait scanner un autre dessin de grand format et acheté une boîte de polychromos[11], je fais une halte dans un café et je feuillette un quotidien dont le contenu confirme mon sentiment de la veille sur la presse : il n’y a rien de bien passionnant. Une fois passées les ratiocinations sur les élections aux États-Unis (qui ont de toute façon déjà touché le fond du ridicule depuis que Trump s’est affiché en train de vendre des frites dans un MacDo), il y a quoi ? Les armes qui circulent dans certains quartiers de grandes villes bretonnes, notamment dans le cadre d’affaires de narcotrafic : bon, d’accord, c’est navrant, mais ça ne veut pas dire que ce sont des zones de non-droit pour autant ! Chaque fois que je tombe sur un papier qui ressasse la logorrhée habituelle sur l’insécurité dans les banlieues, j’ai l’impression de réentendre Roger Gicquel clamer « la France a peur »[12] ! C’est d’autant plus insupportable que c’est pour mieux nous préparer à entendre « N’ayez pas peur, Retailleau veille sur vous »… Puisqu’on parle du gouvernement, il est aussi question de la « bataille » que Barnier va devoir mener pour faire adopter son budget : c’est tout juste si on ne nous exhorte pas à le plaindre ! Oh, ça va ! Il a trahi son parti pour tremper dans la combine de Macron, il a formé un gouvernement dont la gauche, pourtant majoritaire au parlement, est absente, il applique les idées du RN alors que les Français se sont mobilisés justement pour empêcher ce parti de gouverner… Alors il ne manquerait plus que la tâche lui soit facile, tiens ! Il va en chier ? Bien fait pour lui !
Pour évoquer tout de même l'actualité américaine...
Ce dessin a illustré un article paru dans le numéro 6 de la revue L’éponge.
15h15 : Je quitte la piscine où j’ai nagé pendant trois quarts d’heure : prenant le bus, je peux voir, chemin faisant, les pubs pour les 40 ans de Canal+. L’anniversaire risque de passer inaperçu : non seulement il sera occulté par la présidentielle américaine mais, surtout, qui s’intéresse encore à cette chaîne réduite à l’état de danseuse entretenue par Bolloré ? Une danseuse déjà décatie qui n’a plus pour elle qu’un glorieux passé, telles les chanteuses en bout de course qu’Albert Camus avait vu à l’œuvre dans les quartiers sordides de New York[13]… Et ne vous imaginez pas que ça me fasse plaisir d’écrire ça ! Quand la chaîne cryptée, alors encore au temps de sa splendeur, fêtait ses dix ans, on pouvait y entendre régulièrement « Happy birthday Rock’n’roll », une chanson d’Eddy Mitchell qui dit, entre autres, « C’est dur de brûler tout ce qu’on a aimé » : trente ans après, je le confirme… En fait, Canal, pour moi, c’est un peu comme un papy avec qui je me serais amusé comme un fou quand j’étais petit et qui serait aujourd’hui complètement grabataire… Non, ce n’est pas du vécu : mes grands-parents, du moins ceux que j’ai connus, ont eu la bonne idée de mourir avant d’imposer ce spectacle désolant qui réconcilie avec l’euthanasie. Est-ce à dire que je suggère qu’il faut reconnaître à Canal le droit à mourir dans la dignité ? Non : encore faudrait-il qu’il lui en reste, de la dignité…
Un hommage à l'esprit Canal que j'ai réalisé il y a cinq ans - il y en aura d'autres sur ma chaîne YouTube à partir du 4 novembre :
15h30 : Je découvre le dernier Côté Brest avec, entre autres, mon article consacré à deux affaires de maisons hantées signalées en 1938. Je tiens cependant à préciser que je ne crois pas à ces balivernes : c’est la rédaction qui m’a demandé de me pencher sur le sujet, histoire d’être dans l’ambiance d’Halloween. Pour éviter le piège du « Ah, Germaine, il y a quand même des trucs qui nous échappent, pas vrai », j’ai cependant soin de sous-entendre, en conclusion, que la presse locale de l’époque s’y était intéressée probablement parce qu’elle était en mal de sensationnel. Faute de place, je n’ai pas pu préciser que la première de ces deux maisons était située le long d’une voie alors en réfection, ce qui suffirait à expliquer qu’il y ait eu des trépidations, et que la propriétaire de la seconde vivait seule avec son gamin de onze ans, situation propice à en faire délirer plus d’un(e) s’il en est ! De surcroît, les gens ne pouvaient pas être dans l’ignorance de la situation géopolitique qui était alors des plus anxiogènes (la seconde guerre mondiale allait éclater l’année suivante, je ne vous dis que ça) et favorisait donc les fantasmes les plus épouvantables et les plus extravagants… Tout ça pour dire : je me suis borné à rapporter tout ce qu’on sait de ces deux affaires, en l’occurrence des témoignages qui n’ont jamais été confirmés par le moindre soupçon de preuve matérielle, et je vous préviens que si je reçois le moindre message émanant d’un médium, d’un chamane, d’un spirite ou de tout autre charlatan, ou même d’un amateur de « sciences occultes » désireux d’avoir mon aide pour mener une enquête approfondie sur ce que d’autres témoins de l’époque avaient déjà qualifié de « fumisteries » et « d’histoires abracadabrantes », c’est retour à l’envoyeur !
Pour rester dans l'ambiance d'Halloween, le dessin de grand format que j'ai fait scanner le matin : "Hazel ou : Miroir, ô miroir, suis-je toujours la plus laide ?" La sorcière Hazel, qui pensait être la plus laide, découvre dans son miroir qu'elle est devenue magnifique... Et refuse de l'admettre ! Il s'agit bien sûr d'une énième variation de votre serviteur sur la conclusion de Broom-stick Bunny, le cartoon de 1956 réalisé par Chuck Jones où la sorcière qu'affronte Bugs Bunny avale par inadvertance son élixir de beauté ; mais il est à noter que dans Mercure, le roman d'Amélie Nothomb paru un an avant Stupeur et tremblements, l'héroïne s'appelle également Hazel et est elle-même une sublime jeune fille séquestrée par un vieux pervers qui lui fait croire qu'elle est horriblement défigurée et, quand elle découvre la vérité, elle refuse de l'admettre... Je n'ai pas manqué de signaler cette coïncidence à la romancière !
16h : Je viens de dépouiller mon courrier qui était, mine de rien, assez abondant. Rien d’étonnant : j’aime écrire des lettres et j’achète beaucoup par correspondance, notamment des livres qui ne sont plus disponibles ni en librairie ni en bibliothèque et du matériel de dessin que je ne trouve pas à Brest. Par exemple, il m’est de plus en plus difficile de trouver des plumes tubulaires de marque Rotring qui garantissent un trait d’épaisseur égale et sont donc extrêmement pratiques pour tracer les lettres ou les traits tirés à la règle : ces ustensiles, jadis employés pour le dessin technique, n’intéressent plus aujourd’hui que les artistes fidèles au papier, autant dire une clientèle négligeable aux yeux des capitalistes… Ainsi, aujourd’hui, je réceptionne enfin un isograph que j’avais commandé et qui, si j’en crois les documents joints, me vient… Des Pays-Bas ! Cet outil essentiel pour moi, il aura fallu aller le chercher chez les Bataves ! Cela dit, soyons justes : c’est là qu’on voit que l’Europe a quand même des côtés merveilleux car je n’ose pas imaginer ce que j’aurais dû payer s’il y avait eu des taxes douanières à régler ! On en reparlera le jour où il faudra carrément aller jusqu’à Pyongyang pour trouver de quoi dessiner sans assistance informatique…
Quelques croquis réalisés en vue d'une BD :
Jeudi 31 octobre
9h50 : Après avoir passé un mercredi sans histoire, j’ai tracé jusqu’à Bellevue pour faire le marché : demain, c’est férié, il risque donc de ne pas y avoir de marché à Lambé, et je ne veux pas faire une croix sur ma ration hebdomadaire de pâté de campagne. Voyant la une des journaux, je constate que les Espagnols n’ont pas besoin de fêter Halloween pour se faire peur ! Ce peuple, qui n’a décidément pas de bol, a trouvé plus meurtrier que Franco : le dérèglement climatique… Mais Le Télégramme parle aussi du proche anniversaire de Canal+ et souligne ouvertement qu’il ne reste plus rien de « l’esprit Canal », précisant que « c’est Vincent Bolloré qui a sifflé la fin de la récréation »… Le fait qu’un quotidien qui n’est pas réputé pour les prises de position tranchées et virulentes (ce que je ne lui reproche pas nécessairement) se permette de s’exprimer ainsi est révélateur d’un fait dont je me doutais déjà avant : l’esprit Canal manque à la société française. Pas l’esprit Canal au sens « d’esprit branchouille, parisien et arrogant » mais bien au sens de « souffle d’invention, de jeunesse et de fantaisie »[14] : la France d’aujourd’hui est presque aussi coincée que dans les années 1960, quand le pouvoir gaullien persécutait les humoristes impertinents, et on n’arrangera pas la situation en s’obstinant à donner la parole aux Zemmour, Soral, Dieudonné et autres Onfray qui se parent des oripeaux du « politiquement incorrect » pour servir aux naïfs une soupe empoisonnée cuisinée en 1933. Non, ce qui manque, ce sont des espaces de liberté et de créativité où peut s’épanouir ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit français et même dans l’esprit humain en général : des espaces où s’expriment la joie, l’impertinence, l’originalité et non l’aigreur, le ressentiment et la nostalgie d’un passé fantasmé. Ce serait une soupape de sécurité dont l’absence se fait plus cruellement sentir que jamais : peu de gens ont souligné que l’épisode des « gilets jaunes », où la colère contre les élus et les médias s’est exprimée avec une virulence à laquelle nous n’étions plus habitués, avait débuté peu après la disparition des Guignols de l’info ! Ce n’est pas un hasard ! La contestation serait certainement moins violente (et donc moins dangereuse pour les personnes qu’elle ne vise même pas) si elle pouvait encore trouver à s’exprimer non seulement dans la rue mais aussi par le biais d’un programme satirique bon enfant. Nous ne sommes plus en 1968 : la France ne s’ennuie pas, elle est crispée, et on ne lui donne même plus les moyens de se détendre…
Encore un hommage à l'âge d'or de Canal :
13h45 : Passage du technicien de chez Free censé raccorder ma nouvelle Freebox à la fibre optique. Après avoir examiné mon appartement sous toutes les coutures, il m’annonce qu’il faudra désormais installer la box… Dans le hall d’entrée ! Je dirais bien deux mots à l’architecte de cet immeuble qui n’a même pas imaginé que le locataire pourrait préférer garder la box dans le bureau, là où se trouve logiquement la place de l’accastillage informatique… Non que ce soit problématique pour moi, mais ça m’oblige à revoir l’organisation de mon bureau : mes rituels ont été excessivement bousculés ces derniers temps, je n’aurai peut-être pas assez d’un week-end de trois jours pour m’en remettre ! Rââââh, je hais les vacances scolaires, je hais les jours fériés, je hais Halloween, je hais la Toussaint, je hais les architectes, je hais la technologie ! Tiens, je vais lire le dernier Fluide Glacial, ça va m’apaiser…
Un dessin pour rigoler parce que j'en ai besoin (et vous aussi, non ?) :
Vendredi 1er novembre
9h : N’ayant pas trouvé tout ce que je cherchais hier matin au marché de Bellevue, je risque une sortie, malgré le temps brumeux, au cas où un commerçant aurait tout de même fait le déplacement. Bien entendu, la place des FFI est vide de tout stand et à peu près tous les commerces dont fermés. Histoire de ne pas être sorti pour rien, je donne une pièce au type qui mendie devant la boulangerie (qui est ouverte mais ça ne me sert à rien) : je préfère donner à lui qu’à Marcel Mendicity (si vous lisez le dernier Fluide Glacial, vous comprendrez) !
Pour terminer, comme tout le monde va avoir les yeux braqués vers les Etats-Unis, voici un dessin qui a été publié en première page de la revue L’éponge :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Véhiculé par, entre autres, Pascal Fioretto, heureusement mieux inspiré dans beaucoup d’autres domaines.
[2] Dessinateur et cinéaste (1905-1988).
[3] Contre-amiral et compositeur (1879-1932). Pour plus de détails, consultez l’article que j’ai consacré à son opéra Polyphème et celui où je présente sa biographe écrite par Paul-André Bempéchat.
[4] Homme politique (1804-1867), resté dans l’histoire comme le premier maire de Brest élu au suffrage universel.
[5] Aristocrate et philanthrope (1850-1941) connue en tant que première propriétaire du château de Ker Stears (l’actuel lycée Fénelon) et héroïne malgré elle de l’affaire du diamant bleu qui inspira une nouvelle à Maurice Leblanc. Pour plus de détails, consultez l’article que je lui ai consacré.
[6] Consultez l’article en question, publié il y a déjà huit ans.
[7] Pas vous ? Ah bon…
[8] Ne cherchez pas l’ironie, il n’y en a aucune : cette femme a eu plusieurs enfants dont aucun ne lui a survécu ! Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi et Béatrice était une personne généreuse qui ne méritait vraiment pas de vivre une horreur pareille…
[9] SINÉ, Mon dico illustré, Hoëbeke, Paris, 2011, p. 103.
[10] Il serait plus juste de parler de « restitution » car la marine s’était emparée dans une semi-illégalité de ces espaces que la ville est aujourd’hui obligée de lui racheter à des prix astronomiques, un peu comme si la victime d’un vol devait payer le receleur pour récupérer son bien…
[11] Ce sont des crayons de couleur de, m’a-t-on dit, grande qualité : à vingt-cinq euros la boîte de douze, ils ont intérêt à l’être !
[12] Précisons qu’en fait, « le docteur Gicquel » comme l’appelait Coluche par ironie respectueuse, voulait en fait expliquer à son public qu’il n’y avait pas de raison d’avoir peur : le moins qu’on puisse dire est qu’il a raté son effet. On ne peut donc pas l’accuser de populisme, mais ça en dit long sur les limites de son talent oratoire.
[13] « Nuit de Bowery. La misère – et un Européen a envie de dire : « Enfin le concret. » Les vraies épaves. Et les hôtels à vingt cents. Bowery Follies où de très vieilles chanteuses viennent de produire dans un décor de « saloon » devant un auditoire misérable. » Albert CAMUS, Journaux de voyage, Folo, Gallimard, Paris, 1978, p. 33.
[14] François MOREL, « Gloire à Guignol ! » (22 juin 2018) in Grâces matinales, Bouquins, Paris, 2022, p. 869.