Du 24 au 31 mai : il y a urgence de dire non à l'état d'urgence !
Vendredi 24 mai
19h20 : Convaincue par mes progrès en crawl, la monitrice de natation me demande de me mettre sur le dos. Je suis les consignes, mais ça me vaut de me cogner contre tous les autres nageurs et la perte des repères me donne la migraine. On m’a souvent vanté la nage sur le dos comme une source de détente et de bien-être : ça fait au moins une dizaine de personnes que je peux attaquer en justice pour publicité mensongère !
20h15 : Alors que j’attends le bus, une dame accompagnée de deux petits enfants me demande si je n’ai pas une pièce de cinquante centimes. D’habitude, je ne fais aucun cas de ce genre de sollicitation qui émane le plus souvent de cas sociaux avinés en mal de monnaie pour acheter des cigarettes ou de la mauvaise bière, mais une mère de famille qui semble équilibrée moralement (à défaut de l’être financièrement), c’est différent… Je fais donc ma B.A., mais ça ne fait pas de moi quelqu’un de bien : dans un sens, je reste coupable de délit de faciès !
20h45 : J’arrive chez moi. Les affiches d’Asselineau que j’avais tenté d’arracher sont déjà recouvertes par celles du spectacle d’Arnaud Demanche : ça en dit long sur le peu d’intérêt que suscitent les élections européennes… Et la politique en général à notre époque !
Samedi 25 mai
15h : Alors que je tiens mon stand de caricaturiste sur le Cours Dajot dans le cadre du festival Les Jardins Culturels, je marque une pause pour participer à la scène ouverte. Hélas, ma prestation est perturbée par un ivrogne qui hurle des insanités dans un plot qu’il utilise comme porte-voix : je perds patience et quitte la scène avec fracas après avoir jeté le micro par terre ! Je ne suis pas fier de moi, d’autant que je ne peux pas me débarrasser de l’idée que même un poivrot n’oserait pas se conduire ainsi envers un artiste qui inspirerait le respect…
Dimanche 26 mai
16h : Deuxième journée de festival sur le Cours Dajot. La fréquentation n’est pas démentielle mais le bilan financier n’est pas négatif pour moi. Je participe à la scène ouverte pour restaurer mon honneur bafoué hier : cette fois, personne ne vient m’emmerder, ouf !
Vous avez pensé à la fête des mères ?
Ce dessin représente Déodat et Trémière, les amants du Riquet à la houppe d'Amélie Nothomb, avec leurs génitrices respectives, Énide et Rose.
Lundi 27 mai
11h : Je me rends à l’Établissement Français du Sang, ce qui me permet d’apprendre que ma tension est parfaite et que j’ai perdu deux kilos depuis janvier. C’est curieux, je n’arrive pas à être fier de ça. Même le fait de donner mon sang ne me remplit pas d’orgueil. Pourquoi en tirerais-je gloriole ? C’est facile, ça ne coûte rien, ça ne fait pas mal et ça ne dure pas plus d’un quart d’heure : franchement, ceux qui ne donnent pas n’ont aucune excuse ! Pour reprendre une formule des Guignols de l’info, « le Sida, ça s’attrape pas en donnant du sang, par contre, si tu donnes pas, tu attrapes la honte » [1] !
Mardi 28 mai
13h45 : J’accompagne une charmante jeune femme à une journée d’étude intitulée « Comment résister aux états d’urgence ». Des juristes de des philosophes se sont donnés rendez-vous pour revenir sur les états d’urgence qui se sont multipliés depuis au moins une dizaine d’année et qui ont tous laissé des traces dans le droit ordinaire. Le constat est terrifiant : nos gouvernements successifs, au nom de la santé publique et de la lutte contre le terrorisme, ont fait reculer nos libertés publiques et ont rendu pérennes plusieurs de ces dispositions liberticides censément liées à des situations exceptionnelles, et le bon peuple, effrayé par les discours alarmistes répétés, a renoncé à de nombreux héritages du siècle des lumières, à commencer par la protection contre l’arbitraire ! Et les mesures sécuritaires qui ne sont pas présentement en vigueur ne sont pas abolies pour autant ! Elles n’attendent que le premier prétexte que nos gouvernants pourront se mettre sous la dent pour sortir de leurs boîtes ! Si l’extrême-droite prend le pouvoir, elle n’aura rien à faire, tout est déjà en place pour qu’elle puisse arrêter, enfermer, déplacer, interner, torturer voire liquider tous ceux qu’elle jugera indésirables ! Comme disait Cavanna au lendemain de l’interdiction de L’hebdo Hara-Kiri, « C’est pas le fascisme. Pas encore. C’est le pré-fascisme. Ça veut dire que ces mecs qu’on a maintenant plantent autour de nous les barbelés que d’autres utiliseront. » [2] À peine moins effrayant, l’une des intervenantes parle de deux juristes américains qui défendent les mesures « d’exception » prises après le 11 septembre 2001… Au nom du « rapport coût-bénéfice » ! Appliquer la logique comptable aux vies humaines m’a toujours paru intolérable, à plus forte raison dans le cas présent où le « coût » en question n’est pas simplement le renoncement à quelques principes qualifiés hâtivement « d’abstraits » mais bien l’emprisonnement, l’expulsion, la torture voire la mise à mort d’individus présumés suspects, souvent au nom de leur appartenance, réelle ou supposée, à une communauté ethnique ou religieuse, parfois en raison de leurs convictions politiques ou, tout simplement, de leur comportement jugé « déviant » ! Pour reprendre une réplique d’Astrid et Raphaëlle, « la vie c’est pas des maths » !
Quelques croquis d'intervenants (à commencer par Nicolas Le Merrer, l'organisateur de cette journée) :
Quelques caricatures inspirées par les propos échangés :
Mercredi 29 mai
15h : Je tiens mon stand à un marché de créateurs à Pen ar Créac’h. Je ne vends qu’une carte postale sur tout l’après-midi. Non, ça ne me mine pas : d’une part parce que je ne suis plus à ça près avec tous les échecs que j’ai encaissés ces derniers temps, d’autre part parce que je ne misais pas gros sur cette manifestation mal située (un préau où personne ne passe jamais par hasard) et, surtout, mal promotionnée : l’affiche m’évoquait celle d’un job-dating ou d’une réunion publique chiante (un pléonasme, excusez-moi) organisée par la municipalité ! Il aurait fallu quelque chose de plus festif pour cet événement qui se voulait (et, d’ailleurs, était) plutôt bon enfant… L’organisatrice me demande des conseils : je bredouille une réponse qui ne me satisfait pas moi-même, mais après tout, je venais pour exercer mon métier, pas pour apprendre le sien à quelqu’un d’autre ! Quand les gens comprendront-ils que quand je viens présenter mon art, c’est pour parler de ça et de rien d’autre ? Quand vous avez la chance de rencontrer un artiste, même si vous ne lui achetez rien, parle-lui d’art, point ! Foutez-lui la paix avec ces histoires d’argent, d’administration et de communication qui lui pourrissent déjà assez la vie au quotidien ! Bon, je râle, mais je ne peux pas me plaindre : l’inscription était gratuite…
Le 29 mai, c'est aussi le jour de la naissance de Louise Michel, il y a 194 ans.
Jeudi 30 mai
19h30 : J’arrive au Kafkerin pour la scène ouverte organisée par le Collectif Synergie. Je n’étais pas sûr de venir, mais après une journée passée à dessiner où j’ai même réussi à boucler mon programme graphique, je peux me le permettre. Claire me demande d’ouvrir le bal car la soirée s’annonce chargée, avec notamment un mini-concert qui durera une vingtaine de minutes. Je dois être le seul habitué des événements du collectif à être au rendez-vous, je ne me fais pas prier. Ce n’est pas la plus brillante performance scénique de ma carrière, mais j’apprécie d’avoir, pour une fois, un siège pour m’asseoir !
20h : Après ma prestation et une virgule assurée par Claire, le mini-concert annoncé débute. Il est assuré par une chanteuse à la coiffure et aux maquillages extravagants, qui plus est vêtue d’une robe transparente qui me rappelle celle qui a permis à Kate Middleton d’allumer son prince ! Elle se revendique comme lesbienne et… Autiste. Comme quoi, n’en déplaise à celles et ceux qui s’étonnent que je m’exprime en public, ce n’est pas incompatible avec l’appartenance aux « personnes du spectre », il y en a même qui sont plus à fond que moi sur scène !
20h40 : Intervention d’un duo qui fait de la musique de fest-noz. Nous avons même droit à la chanson des « Penn Sardin », les sardinières de Douarnenez dont la grève de 1924 est restée dans les mémoires comme un modèle de révolte féminine et ouvrière… Ces musiciens mettent une bonne ambiance dans la petite salle bondée : je pourrais me sentir oppressé, mais j’ai su me placer de façon à ne pas être gêné. Je fais même un croquis de la femme mûre assise à côté de moi que je trouve très belle… L’artiste censé passer après les duettistes s’impatiente et est à deux doigts d’engueuler cette pauvre Claire qui n’y est pour rien ! Et dire qu’il y en a qui croient que c’est marrant d’organiser des événements de ce genre…
Les duettistes :
La belle femme mûre :
Un petit dessin en hommage aux Penn-Sardin :
22h : Après diverses prestations de qualité (mise à part celle d’un « comique » lourdingue qui nous a sorti des blagues éculées) dont le tour de chant d’une rappeuse (que je surnomme « Queen Laetitia » en témoignage d’admiration) et la performance d’une danseuse sur une reprise de « Santiano » par deux jeunes handicapés, nous terminons la soirée en beauté avec la guitariste Louve qui nous gratifie d’une très belle chanson d’amour… Son compagnon devrait se méfier : ce morceau va donner envie à tous les hommes de la demander en mariage ! Bref, cette soirée très réussie aura réussi le sensationnel exploit de me réconcilier avec la vie… Jusqu’à demain matin.
Les autres croquis réalisés au cours de cette soirée :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] « Luttons contre le Sida – Les Guignols » Url : https://youtu.be/Ah0hLyBBsuU?feature=shared Consulté le 31 mai 2024
[2] « Si t’aimes pas ça, t’as qu’à tourner la page », éditorial du Charlie Hebdo n°1, paru le 23 novembre 1970.