Du 23 au 31 mars : Laissez-moi créer !
Jeudi 23 mars
17h : Il parait que c’est le printemps depuis trois jours. Il faut le savoir, avec le temps qu’il fait ! Je ne m’en plains pas, je n’ai jamais tellement aimé ce qu’on appelle « les beaux jours » et ça m’arrange plutôt bien de pouvoir faire abstraction du monde extérieur en me concentrant corps et âme sur mon œuvre. Toutefois, je plains les manifestants qui doivent être trempés jusqu’à la moelle, à croire que même Dieu est de droite… Plus sérieusement, j’imagine à quel point les puissants, bien au chaud, bien au sec, bien calés au fond de leurs grands fauteuils dans leurs bureaux climatisés, doivent se gausser des prolos qui attrapent la crève et des ampoules pour défendre les lambeaux de droits que leur laisse le grand Capital… Et on s’étonne que je n’aie pas le moral en ce moment !
Vendredi 24 mars
10h : On dit que les gens ne rient pas assez : j’ai l’impression contraire quand je fais mon marché, j’ai le sentiment que les gens rigolent plutôt facilement ! Je me demande pourquoi les humoristes se cassent la nénette à trouver des idées marrantes alors qu’il suffit d’âneries insondables pour provoquer l’hilarité du commun des mortels… En fait, les humoristes sont en grande majorité, dans la vie, des gens tristes qui cherchent d’abord à se faire rire eux-mêmes, et c’est justement parce que c’est difficile qu’ils sont obligés de trouver d’excellentes idées qui surpassent les balourdises qui suffisent à faire rire le premier venu. C’est en tout cas ce qui distingue un humoriste d’un amuseur qui, lui, justement, se contente desdites balourdises : c’est ce qui distingue François Morel d’un Jean-Marie Bigard, par exemple… Telle est la pensée qui me vient en subissant ces rires que je ne supporte plus ! Je relis mes vieux Pif en ce moment et je me sens d’humeur Tristus…
La commode de ma chambre :
13h40 : Ne pouvant plus supporter les angoisses avec lesquelles je me réveille chaque matin, je m’en ouvre à mon médecin traitant. Celui-ci est rassurant et me prescrit un petit traitement qui devrait m’aider à gérer cette mauvaise passe. J’ai pris la peine de mettre un masque, plus précisément une de ces visières transparentes qui ont l’avantage de ne pas m’étouffer et que j’avais découvertes grâce à mon amie Aurélie : quand le port du masque était encore obligatoire dans les transports publics, les chauffeurs de car m’ont plusieurs fois menacé de m’interdire d’embarquer à bord de leurs véhicules si je ne mettais pas un masque chirurgical, mais le docteur, lui, ne me dit rien… Cela dit, ma précaution était peut-être superflue : outre le fait que le médecin n’a pas eu besoin de m’ausculter et qu’il n’y a donc pas eu de contact, quand je sors, je vois deux petits vieux qui attendent leur tour… Et qui n’ont pas de masque. Comme les lieux de soins sont les seuls endroits où le port du masque me parait justifié en période d’épidémie, il serait peut-être bon de préciser clairement si l’obligation y est toujours en vigueur, ce qui serait, à mon sens, vouloir être plus royaliste que Ségolène maintenant que la dangerosité du Covid-19 est en train de rejoindre celle de la grippe saisonnière… Pfff, j’en ai marre d’ergoter sur cette histoire qui nous a pourri la vie pour finalement peu de choses ! Pas vous ?
La fenêtre de ma chambre (avec le volet baissé) :
Samedi 25 mars
13h30 : Le Collectif Synergie organise une lecture de poèmes sur le thème « Frontières » à l’occasion du Printemps des poètes ; bien entendu, je suis largement en avance en centre-ville, heureusement que je suis en bons termes avec certains lieux d’exposition où je peux ainsi passer le temps. Je commence par une halte à La Vagabunda où je retrouve Paty et sa fille en plein préparatifs : elles vont tenir un stand à l’espace Léo Ferré, à Bellevue, et sélectionnent donc les disques qu’elles proposeront à la vente. Elles embarquent non seulement des vinyles, dont j’ai plusieurs fois constaté le regain, mais aussi des CD qui, disent-elles, retrouvent également une certaine popularité et même des cassettes audio ! Je ne suis pas étonné de constater qu’on se lasse du virtuel : outre le fait que les fichiers numériques sont épouvantablement fragiles en comparaison des supports analogiques, je pense que le public, pour peu qu’il ait les moyens, aime posséder un bel objet palpable et bien apprêté et ne pas se contenter d’un fichier stocké sur son disque dur comme un vieux slip dans une armoire et dont on peut se débarrasser aussi facilement qu’une crotte de nez... Pourquoi je dis ça ? Parce que je fais partie du public, pardi !
Sans rapport : voici la Vénus de Milo et celle d'Arles relookées comme une héroïne d'Osamu Tezuka...
14h30 : Ayant encore du temps devant moi, je passe à la galerie de mon copain Pod : il met actuellement à l’honneur un photographe qui rajoute des éléments picturaux à ses clichés afin de questionner notre rapport à la nature dans un monde de plus en plus artificiel, c’est du moins ce que m’explique l’artiste qui est justement présent. Sa démarche est intelligente mais je n’ose pas lui dire que je ne suis pas emballé outre mesure par le résultat : bien sûr, on n’est pas obligé de chercher à produire quelque chose de beau à tout prix, mais si on néglige l’aspect esthétique au profit du sens que l’on cherche à donner à une image, on risque de lasser l’œil du spectateur. C’est à cause de ce genre d’erreur que tant de braves gens croient que les artistes se foutent de leur gueule, mais la vérité est plus simple : c’est tout simplement que tout le monde ne peut pas être génial…
Puisqu'on parle d'art, voici une caricature de... Non, vous l'avez reconnu, tout de même !
15h15 : J’arrive aux Enracinés, sur la place Wilson : nous sommes quatre à nous relayer sur la « scène », Claire, Nathalie, moi-même et un petit nouveau appelé Maël ; je dois avoir l’air un peu nouille voire franchement pataud, à passer tout de suite après ce jeune homme à l’allure romantique, mais bon, le public est plutôt clairsemé et puis, au sein de l’association, personne ne se juge. Bref, nous nous relayons pour lire les poèmes que le Collectif a reçus à la suite de son appel à textes sur le thème « Frontières ». Bien entendu, il est beaucoup question de l’Ukraine… Le recueil de ces textes devrait paraître bientôt : en attendant, nos lectures sont filmées et les vidéos seront diffusées prochainement. Une fois que tous les textes sont lus, je ne m’attarde pas, j’ai promis à une voisine, créatrice de bijoux, de passer chez elle pour retirer ce que je lui ai commandé. Mine de rien, j’ai des fréquentations intéressantes, c’est à se demander pourquoi je fais des déprimes…
A droite : Olivier, qui a assuré la prise de vue.
Nathalie s'est fait accompagner par le musicien Guillaume sur un texte.
Christophe peignait au pastel pendant la scène ouverte.
Dimanche 26 mars
16h : Ne me sentant pas en veine d’inspiration, je risque un tour au bois, comme la semaine dernière. Hélas, cette sortie ne me laisse pas du tout la même impression : cette fois, il ne pleut pas, il y a même un rayon de soleil de temps à autre, et bien entendu, les familles sont de sortie… Il ne m’en faut pas plus pour que je trouve l’ambiance vulgaire ! Pour l’apaisement régénérant, je repasserai !
Un profil d'oiseau de proie fait avec une bougie et de la cire fondue :
Lundi 27 mars
16h : Je m’informe si peu que je ne savais même pas qu’une nouvelle journée d’action était prévue pour demain : je l’apprends grâce à la psychologue avec laquelle je corresponds régulièrement. Comme j’ai un courrier à expédier, je décide donc d’aller le poster immédiatement tant que le bureau de poste est ouvert. J’achète un carnet de timbres, et, mine de rien, cette transaction anodine donne un aperçu saisissant de ce que la technologie a fait de notre société : jadis, quand vous demandiez des timbres, on vous les donnait, vous les payiez, la postière vous rendait la monnaie et puis c’était marre ; aujourd’hui, il faut aussi préciser si vous réglez par carte ou en espèces, on vous demande si vous prenez des timbres standard avec Marianne ou des timbres de collection, puis on vous redemande si vous souhaitez le ticket de caisse et on vous re-redemande si vous voulez le ticket de carte bleue… Le tout avec un sourire crispé, vraisemblablement travaillé lors de stages ineptes sous la conduite d’un coach-bourreau repeint en rose bonbon, et qui, au final, me rappelle davantage le rictus de Patrick Sabatier sous cocaïne que l’expression d’une personne vraiment contente de vous voir ! J’en arrive à regretter les postières aimables comme des portes de prison chantées par Pierre Perret…
Mardi 28 mars : Lady Gaga a 37 ans, happy birthday Stefani !
19h : Le traitement qui m’a été prescrit commençant à me faire de l’effet, j’essaie de me remettre en selle. J’ai donc passé la journée à travailler à une de mes séries de « variations » où je représente un ou deux personnages dans une même position sur plusieurs images avec, à chaque fois, un décor et un costume différents. Cette fois, j’ai choisi comme base une pose prise l’année dernière par la magnifique Eva lorsqu’elle nous servait de modèle au cours du soir. Puisque j’en parle, je vous mets en garde : si vous êtes tentés de faire comme moi, je vous déconseille vivement, même si votre modèle est nu, de l’imprimer à la machine pour repeindre par-dessus. En effet, l’encre d’imprimante est une matière diabolique qui ne se laisse pas recouvrir facilement : si vous étalez de la gouache dessus, il vous faudra tellement de couches qu’elle finira par craqueler et si vous utilisez un matériau liquide, l’encre bavera ! Mieux vaut tout redessiner à la main ou alors, si vous tenez vraiment à utiliser l’imprimante, faire des collages pour rhabiller votre modèle.
Sur les manifs d'aujourd'hui :
Puisqu'on en parle :
Mercredi 29 mars
11h : On vit vraiment une époque de grand n’importe quoi ! Je savais que le magazine Pif avait été relancé en 2020, mais j’ignorais que c’était par un ancien ministre de Sarkozy ! Jusqu’ici, admettons : quitte à ce qu’il fasse du fric, j’aime autant que ce soit comme ça qu’en vendant des pesticides, et puis il a bien le droit d’avoir gardé une âme d’enfant. Mais qu’une interview de Macron y soit publiée, ça, c’est quand même extravagant ! Je vois quand même mal les propos de De Gaulle ou de Mitterrand repris entre un gag de Placid et Muzo et une aventure de Rahan… Cela dit, si je devais comparer notre président à un personnage de Pif, ce serait Agagax, ce bébé si goulu qu’il a recours au crime pour assouvir son appétit… Et comme gadget, on a droit à une retraite décente ?
Puisqu'on parle de publications pour enfants, voici un projet d'illustration non retenu pour un livre destiné aux petits :
15h15 : Je sors. Je relève mon courrier avant de partir et j’ai la bonne surprise de découvrir dans ma boîte aux lettres le dernier Fluide Glacial ainsi qu’un exemplaire de l’ouvrage Étudier l’Empire auquel j’ai eu le privilège de contribuer avec un article sur la vie du Macron du 1er siècle, l’empereur Caligula[1], telle qu’elle a été racontée par ce vieux râleur de Suétone. Comme le local à poubelles est juste à côté, je décide d’en profiter pour jeter tout de suite les enveloppes : j’ouvre la porte et je découvre non seulement que la lumière est allumée mais aussi que trois ados, qui ont le profil-type du « jeune de banlieue », mais pas trop « caillera » non plus, ont choisi ce lieu peu engageant pour se réunir ! L’un d’eux fumaille une cigarette qui n’a pas l’air suspecte, les deux autres matent leurs smartphones. Ils ne sont pas impolis, ils me disent même « bonjour monsieur », mais ma stupeur est impossible à cacher, c’est sans doute pour ça qu’ils se sentent obligés de se justifier, et l’un d’eux me dit : « On est éboueurs » ! Vexé, je réponds : « C’est ça, et moi, je suis le roi d’Angleterre ! » Qu’ils se réunissent dans un cloaque pareil, c’est leur affaire, ce qu’ils y font, je m’en fiche comme de la première culotte de ma sœur, mais qu’ils ne me prennent pas pour un idiot alors que je ne leur demande rien !
Puisqu'on parle des jeunes :
18h30 : Au cours du soir, notre professeur a une de ces idées originales dont elle a le secret : nous avons un modèle, qui pose nu devant nous, et nous disposons, en guise de supports, de très grandes feuilles dont la hauteur et la largeur égalent à peu près ma taille, qui sont disposées à même le sol et sur lesquelles nous devons essayer de représenter ce garçon à l’aide de pinceaux attachés au bout de baguettes et trempés dans de l’encre de couleur verte ou terre de sienne ! Et nous avons huit minutes pour ça : quatre minutes avec une couleur, quatre minutes avec l’autre ! La contrainte vous parait folle ? Je vous assure pourtant que ça donne d’excellents résultats ! Je ne suis même pas perturbé : quand on me donne une consigne claire, je m’adapte facilement, et puis avec Delphine, je sais qu’il faut s’attendre à tout, je ne suis donc pas surpris.
Voilà ce que ça a donné pour moi :
19h30 : Trois dessins chacun (nous sommes une dizaine d’élèves) avec de telles consignes, c’est suffisant : Delphine nous fait terminer le cours avec d’autres croquis de nu, au feutre, et sur un format nettement plus modeste, proche du A4. Mais cette fois, les poses n’excèdent pas une minute voire trente secondes ! Avec un délai aussi bref, évidemment, on ne peut pas faire du Dürer et il faut se concentrer sur l’allure générale du modèle. L’exercice n’est cependant pas frustrant, d’autant que le modèle est hirsute et légèrement bedonnant, ce qui nous change des Adonis quasiment imberbes auxquels nous avons eu droit jusqu’à présent…
20h15 : J’arrive au Biorek brestois pour dîner. Je demande à Alex pourquoi il était fermé la semaine dernière : il était allé au concert de Pomme à la Carène… Vous ne trouvez pas ça sérieux de la part d’un restaurateur ? Alors, pour commencer, il fait ce qu’il veut : si on se met à son compte, c’est justement pouvoir gérer sa vie comme on le souhaite et ne pas devoir obéir aux caprices d’un patron qui se prend pour Dieu le père ! Ensuite, ce cher Alexandre travaille dur depuis déjà plus d’un an et a droit à toutes les galères qui attendent les jeunes qui essaient de se lancer, alors on ne va pas lui reprocher d’avoir pris UNE pause en treize mois d’activité ! Enfin, il faut savoir que le concert de Pomme était prévu de longue date mais avait été sans cesse reporté pour cause de Covid : maintenant qu’on sait à quel point la vie culturelle est à la merci des caprices et des crises de panique de nos dirigeants, il ne faut pas se priver d’une occasion d’aller voir les artistes qu’on admire… Bref, les explications d’Alex me font pousser un soupir de soulagement : optimiste comme je suis, j’avais imaginé que sa fermeture était due à un drame familial, alors je préfère de loin savoir qu’il avait passé du bon temps !
Puisqu'on parle, voici une caricature de Jack Lang :
20h20 : Tout en attendant mon borek, je feuillette le dernier Fluide et je tombe assez sur « Le futur est proche », la rubrique de Fioretto qui, ce mois-ci, a décidé de plancher sur les statistiques établissant que les jeunes font de moins en moins confiance à la science… Dans l’absolu, il est difficile de leur en vouloir : leurs parents et leurs grands-parents ont trop cru à la science, ils ont donc accepté ce que les autorités leur ont vendu comme tel, à savoir le nucléaire, le Médiator, les manipulations génétiques et autres joyeusetés… C’est le retour de balancier : les jeunes ne veulent pas faire les mêmes conneries que leurs aînés et c’est bien normal, mais le problème, c’est qu’ils jettent bébé avec l’eau du bain et tombent pieds et poings liés dans d’autres attrape-nigauds dont les réseaux sociaux sont littéralement truffés… Et oui, la jeunesse, ça ne peut pas être que des Greta Thunberg par milliers ! Chaque génération a ses boulets ! Mais Fioretto est très fort pour réussir à écrire des trucs drôles à ce sujet…
20h45 : J’ai terminé mon repas avec un borek au caramel beurre salé : bien m’en a pris, il y avait déjà quelques jours que j’avais envie de retrouver une saveur sans réussir à mettre un nom dessus, et c’était exactement celle-là ! Franchement, Alexandre me comble tellement que je ne peux définitivement pas lui en vouloir d’avoir pris une soirée de repos : je jure même que tant qu’il sera aussi bon, je lui pardonnerai à peu près tout !
Jeudi 30 mars : Robert Badinter a 95 ans. Bon anniversaire, maître !
18h : L’association qui gère le Kafkérin a eu la bonne idée d’organiser ses propres scènes ouvertes le dernier jeudi de chaque mois : je me rends donc à la première, à pied, malgré la pluie battante – c’est en ligne droite quand on sort du bourg de Lambé. J’avoue que je ne déteste pas ça, je me sens plus vivant sous l’averse que sous la canicule ! Et dans le pire des cas, ça réapprend à apprécier sa chance d’avoir un toit au-dessus de la tête…
19h : J’arrive au Kafkérin, trempé comme une soupe mais ravi de l’accueil qui m’est fait : les gens me connaissent et ne semblent pas se forcer pour avoir l’air contents de me voir, il y a même une dame qui affirme me connaître « de réputation ». Visiblement, j’ai une certaine notoriété à Brest, désormais… En attendant, la scène est occupée par trois musiciens, un guitariste, une bassiste et un bouzoukiste (mine de rien, cet instrument tend à se populariser) qui mettent une ambiance chaleureuse.
19h30 : Après avoir savouré un casse-croûte que j’avais emporté pour me sustenter et englouti un thé que j’ai acheté sur place pour me réchauffer, je monte sur scène et je fais trois slams dont « Ça m’intéresse pas » : j’en profite pour faire le procès de la notion d’intérêt spécifique dont on se sert pour pathologiser les passions des autistes Asperger. Où est le mal à avoir une passion et à s’y donner tout entier ? On peut en parler pendant des heures, et alors ? C’est bien pour ça que ce sont de vraies passions et non pas de simples tocades passagères ! S’il y en a que ça ennuie tellement de nous entendre parler d’histoire ou de littérature, ils n’ont qu’à ne pas écouter et allumer leur radio où on leur parlera de choses passionnantes comme le salaire des chroniqueurs d’Hanouna ou le stérilet de la reine d’Espagne ! Certains « aspies » en oublient de boire et de manger ? Allons ! Aucun n’est assez stupide pour se laisser mourir de faim et de soif ! Quand les nécessités corporelles se rappellent à nous, il faut bien s’y résoudre, fût-ce à contrecœur ! Malgé tout le respect et l’admiration que j’éprouve pour Julie Dachez, quand elle écrit qu’un « enfant qui parle des dinosaures pendant des heures sera toujours mieux perçu qu’un adulte »[2], je ne suis absolument pas d’accord : s’intéresser aux dinosaures à l’âge adulte, c’est s’intéresser à la zoologie, à la paléontologie, à l’histoire de la planète, à la science, c’est toujours mieux que s’intéresser aux séries télé ou aux jeux vidéo comme n’importe quel imbécile standard. C’est d’ailleurs là le fond du problème : quand on qualifie une passion « d’intérêt spécifique », on stigmatise, consciemment ou inconsciemment, le fait de ne pas s’intéresser aux mêmes choses que la majorité : ce n’est pas tant l’intensité de la passion qui est reprochée que son contenu, le fait qu’elle ne coïncide pas avec des intérêts considérés comme « normaux » car plus fréquents, on met en avant le fait que la personne concernée ne parvient pas à « décoller » de ce qui la passionne pour se pencher cinq minutes à ce qui est censé intéresser tout le monde. Je me souviendrai longtemps du jour où une doctorante m’a demandé comment je m’y prenais pour faire autant de choses : venant d’une autre personne, j’aurais traduit sa question par « Mais quand trouves-tu le temps de regarder Touche pas à mon poste » ! Alors, vous, mes sœurs et mes frères qui n’arrivez pas à vous intéresser au foot, à la mode ou aux bagnoles, ne soyez plus honteux, revendiquez votre droit de vous passionner pour ce qui ne tient pas forcément en haleine la majorité, et adoptez cette autre citation de Julie Dachez : « Votre différence ne fait pas partie du problème, mais de la solution. C’est un remède à notre société, malade de la normalité. »[3]
20h15 : J’ai été bien inspiré de venir : l’une des bénévoles avait apporté deux gâteaux pour célébrer l’anniversaire de Daniel qui s’occupe de la régie de la scène. Tout en en dégustant un morceau, je discute avec un jeune homme venu participer lui aussi à la scène : par réflexe, je le vouvoie, j’en fais autant avec les étudiants, mais il me dit que venant de moi, ça lui fait mal ! Je ne comprends pas et je lui explique que j’ai bientôt 35 ans : il me répond qu’il en a 19 et qu’il m’a cru plus jeune que moi ! Il n’est pas la premier à me dire que je parais moins âgé que je le suis, mais je m’en étonne : ce n’est certainement pas ma silhouette d’ours qui doit donner cette impression ! Ce sont peut-être mes cheveux longs ? Mais je ne comprends toujours pas : y a-t-il un âge à partir duquel on devrait s’interdire de dépasser une certaine longueur capillaire ? C’est vrai que la plupart des trentenaires, de nos jours, se font couper les cheveux et la barbe à la limite de la boule à zéro, mais je n’apprécie pas cette mode : j’estime que c’est tout ou rien, ou bien on laisse pousser (à condition de se laver régulièrement, bien sûr) ou bien on rase tout comme le faisait Choron, pas de demi-mesure. Pour ma part je porte les cheveux longs parce que je trouve que ça me va mieux que coupé court et aussi parce que ça me fait un rempart supplémentaire entre moi et ce monde qui m’angoissera toujours un peu : d’ailleurs, avant d’avoir les cheveux longs, je ne montais pas si facilement sur scène ! Et puis si ça me rajeunit, ce n’est pas vraiment un mal…
22h15 : Je passe une deuxième fois sur scène, bien décidé à rentrer aussitôt après. L’ambiance est agréable, mais je commence à fatiguer. Pour laisser la salle, qui m’est plutôt favorable, sur un bon souvenir, j’interprète « La mamie de Léonce », un de mes textes les plus « rock’n’roll » qui racontent l’histoire de trois collégiens fous de désir pour la grand’mère d’un camarade – j’ai eu l’idée en voyant des photos de Yazemeenah Rossi, le top-model de 67 ans dont la beauté éclipse bien des jeunettes. Je repars sous les félicitations du public, une jeune femme me dit qu’elle espère qu’il y aura un livre de mes slams. Une autre personne me dit « Quel verbe ! Quelle verve » ! Je rajoute : « Vu le thème de mon dernier texte, vous pouvez aussi dire : quelle verge » ! Et oui, quand on se fignole une réputation de provocateur, il faut assumer…
22h50 : Le retour est assez laborieux : la tempête est là et bien là, pas question de remonter la rue Robespierre à pied, mais prendre le bus n’est pas beaucoup plus confortable. Les horaires sont ce qu’ils sont passée une certaine heure et attendre sous la pluie et dans le vent, même sous un abribus, ce n’est pas très glamour… Quand on vient d’être applaudi pour son talent, ce genre de situation vous rappelle vite fait la rude réalité de l’existence ! Tout de même, j’ai hâte que la ligne de bus à haut niveau de service soit opérationnelle…
Vendredi 31 mars
10h45 : La tempête n’est pas tout à fait terminée : de ce fait, ce n’est pas la crise du logement au marché ! La camionnette du fromager tremble sous l’effet du vent : pour lui donner du courage, je lui cite la devise de la ville de Paris, qui avait redonné du courage à beaucoup de gens après le 13 novembre 2015, fluctuat nec mergitur, « elle tangue, mais ne sombre pas ». Je sens qu’on va avoir besoin de l’espoir que donne cette phrase…
Demain, c'est le premier avril ; à défaut de poisson (il y a trop de vent pour aller pêcher), voici une sirène :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Notons qu’un des proches de Caligula s’appelait Macron ! L’empereur l’a fait exécuter quand il a commencé à sentir qu’il ne pouvait plus lui faire confiance… Je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez.
[2] Julie DACHEZ, La différence invisible, Delcourt, Paris, 2016, p. 190.
[3] Op.cit., p. 3.