Du 23 au 30 septembre : Ils sont vraiment bizarres, les gens normaux...
Vendredi 23 septembre
16h30 : Passage dans une épicerie pour retirer un colis. La commerçante, qui commence à me connaître, me demande ce que je compte faire ce week-end : je lui apprends ainsi que je suis dessinateur. Sa première question est : « Vous avez un compte Instagram ? » Il n’y a pas si longtemps, on m’aurait demandé si j’avais publié des livres ou si mes dessins passaient dans la presse… Je sais que les temps changent, mais j’ai le droit de ne pas apprécier sans réserve certains changements, non ?
17h30 : Ma sortie en ville a duré plus de temps que prévu et il se fait déjà tard, surtout pour quand, comme moi, on a pour projet de se lever très tôt le lendemain. Ma patience atteint donc déjà ses limites quand, pour la deuxième fois en une semaine, le bus, au lieu de tourner et de prendre le boulevard de l’Europe comme il est censé le faire, va tout droit vers le terminus sans qu’aucune déviation n’ait été annoncée ! Je descends au premier arrêt venu, le chauffeur essaie de s’expliquer mais je coupe court en criant « Je veux rien savoir ! On respecte le tracé de la ligne, point ! » C’est vrai, à la fin, non ?
Samedi 24 septembre
19h : Fin d’une première journée de foire Saint-Michel ; le bilan est très positif, les caricatures ont bien marché et même quelques vieux livres que j’avais emmenés ont trouvé preneur. Je suis d’autant plus satisfait que je n’ai jamais oublié le jour où j’avais également proposé des caricatures au cours de cette foire, accompagné de deux amies : j’avais pris un bide ! Il faut dire qu’aujourd’hui, j’étais mieux placé, pile à l’entrée du jardin Segalen, on ne pouvait donc pas me rater, et surtout, la précédente tentative remonte à plus d’une dizaine d’années ! J’ai eu le temps de faire quelques progrès en dessin, depuis… En tout cas, mon petit succès atténue grandement mon amertume car c’est tout de même à une version a minima de la foire Saint-Michel que nous avons eu droit cette année : les déballeurs ne pouvaient s’installer que sur le jardin Segalen et le cours Dajot – plus la place de la Liberté pour les gosses, bien sûr. Certes, c’est toujours mieux que les années où tout déballage était interdit à cause de la menace terroriste, sans parler de celles où il n’y avait pas de foire du tout à cause de l’épidémie… Mais où sont les déballages géants de jadis, où toutes les rues du centre-ville grouillaient de stands improvisés ? Où sont les rues libérées des poubelles à roues motorisées ? Là, oui, pour une fois, il y a lieu d’être nostalgique, et les bombardements de 1944 n’y sont pour rien !
Votre serviteur à son stand :
Une cliente avec sa caricature :
Dimanche 25 septembre
9h : Retour à la foire Saint-Michel : j’arrive plus tard qu’hier où j’étais déjà présent dès 6h30, les horaires dominicaux des transports en commun étant ce qu’ils sont. Cette fois, je n’ai emmené que mon matériel de caricaturiste : ça rapporte plus que faire le brocanteur, et surtout, cette arrivée (relativement) tardive ne me garantit pas d’avoir beaucoup de place, alors autant m’assurer que je puisse au moins me glisser entre deux stands. Je retrouve toutefois un emplacement exactement au même endroit qu’hier et j’aurais pu étaler à nouveau les bouquins qui me restaient. En attendant d’avoir des clients, je lis le dernier roman d’Amélie Nothomb, Le livre des sœurs, sans doute son premier livre où le rock joue un rôle important – ben oui, il ne faut pas la confondre avec Virginie Despentes ! Quand elle y dit que le bassiste est « l’autiste du groupe », l’idée d’apprendre la basse pour accompagne l’un(e) ou l’autre de mes ami(e)s musicien(ne)s me vient brièvement à l’esprit, mais je renonce aussitôt quand elle précise que l’art d’Euterpe[1] est le seul pour lequel la vocation ne peut venir que pendant l’enfance ou l’adolescence, jamais après : le démon de la musique ne m’a jamais habité, alors pourquoi s’y mettrait-il à mon âge ? D’un autre côté, j’ai peut-être tort de prendre au pied de la lettre tout ce qu’écrit madame Nothomb…
11h : Les caricatures marchent mieux qu’hier. L’un de mes clients me demande de ne pas être trop caricatural : je fais de mon mieux, mais il trouve quand même le moyen de dire qu’il ne se « retrouve pas »… Il paie quand même, je lui donne ma carte, mais voyant qu’il est écrit « docteur en philosophie » sur ma carte de visite, il se met à m’interroger sur ma thèse : je soupire intérieurement car j’avais déjà hâte de me débarrasser de ce vieil emmerdeur, mais je lui expose quand même les grandes lignes de ma thèse, par simple politesse. Mais quand il me relance alors que je croyais en avoir terminé, je finis tout de même par lui dire que l’endroit où nous nous trouvons n’est pas le plus approprié pour un débat philosophique, que je n’ai pas la tête à ça en ce moment et que le tabouret qu’il occupe actuellement est destiné à mes clients… Il n’insiste pas et s’en va enfin, mais je sens qu’il ne me fera pas une bonne publicité !
Deux jeunes clients avec leur caricature :
19h : Ayant bien gagné ma journée, je quitte la foire, les poches pleines et l’auto-estime regonflée, en direction d’un petit restaurant dont le récent acquéreur m’a sollicité pour re-décorer sa façade. Je n’ai jamais fait ça, mais il y a un début à tout, et puis ça peut être l’occasion d’un bénéfice confortable assorti du commencement d’une nouvelle carrière…
20h30 : Voilà plus d’une heure que je poireaute devant le resto, le patron n’est toujours pas là. Tant pis, il commence à faire froid, je suis déjà fatigué de ces deux journées assez intenses et je ne vais pas lui courir après : je rentre. Mais mon auto-estime est déjà légèrement dégonflée…
Lundi 26 septembre
10h : Je me rends à la BU afin de rédiger ma production de la semaine pour Côté Brest ; chemin faisant, je croise un chercheur que j’avais sollicité dans le cadre d’un projet de journée d’études sur Cavanna à l’occasion du centenaire de sa mort : il en a parlé à des gens bien placés qui nous seront d’une grande aide, mais selon lui, il vaudra mieux prévoir notre manifestation pour 2024, année du dixième anniversaire de la mort du grand homme… J’aurais dû m’y prendre plus tôt, mais j’avais été retardé par la crise sanitaire : comment aurais-je pu avoir la certitude que nous retrouverions la liberté en 2024 et même que nous retrouverions la liberté un jour ? Bref, au lieu de célébrer le centenaire de Cavanna, je risque fort de ne célébrer que le dixième anniversaire de a mort… C’est tout de suite moins classe, non ?
17h : Aïe, aïe, aïe, l’Italie… Un dont le centenaire aura été célébré dignement, c’est Mussolini, tiens ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que nos voisins transalpins perdent la boule sur le plan politique, mais je pensais que les années Berlusconi les avaient vaccinés ! Je ne ferai pas d’autre commentaire car j’en ai marre de me faire traiter d’ennemi du peuple chaque fois que j’exprime la répulsion que m’inspirent l’extrême-droite et ses idées…
Dans un autre ordre d'idées : une mini-BD sur la carrière de Jacques Chirac qui nous a quitté il y a trois ans...
Un dessin sur la guerre en Ukraine...
Sur l'affaire PPDA...
Sur les appels au boycott de la coupe du monde au Qatar...
...et sur les dernières déclarations de François Bayrou - je ne pouvais pas m'en empêcher.
Mardi 27 septembre
18h : J’ai enfin terminé la relecture du troisième tome du présent journal, mais il me reste à retrouver la référence exacte pour quelques citations… Certains diraient que je pourrais m’en passer, mais je ne suis pas d’accord : rien de pire qu’une citation tirée de son contexte qui n’est connue que par ouï-dire, je ne veux pas qu’un lecteur pointilleux puisse me reprocher d’attribuer à un auteur quelque chose qu’il n’a jamais écrit ou de lui faire dire le contraire de ce qu’il voulait exprimer. Et puis on ne se débarrasse pas d’un coup de baguette magique des réflexes acquis au cours d’une formation de chercheur en lettres…
Mercredi 28 septembre
16h : Avant de partir retrouver un particulier auquel j’ai acheté, via Internet, de vieux bouquins pour compléter mes collections, je prends le dernier Côté Brest : c’est fou, tout ce qui se passe en ville, en ce moment ! Un concours de chant, les Geek days, l’ouverture d’une nouvelle galerie d’art… Je comprends mieux pourquoi un de mes articles, qui annonçait une conférence prévue pour demain, a finalement sauté ! En tout cas, qu’on me dise plus après ça que « Brest c’est mort » ! Au contraire, l’appel d’air post-Covid est particulièrement sensible chez nous et l’attractivité du territoire se confirme. Je ne vais bien sûr pas m’en plaindre, mais j’espère que les retombées seront positives pour les Brestois les plus démunis… Dont moi-même !
17h : Avant de rejoindre l’annexe de l’école des Beaux-arts pour reprendre les cours du soir, je m’arrête au Carrefour Market de Bellevue. J’y trouve une nouvelle paire de chaussons qui remplacera avantageusement celle, agonisante, que je porte depuis déjà un an ; en revanche, j’y cherche en vain un casque antibruit qui remplacerait avantageusement les boules Quiès que j’ai l’habitude d’enfiler dans la plupart des endroits bruyants : ce serait plus hygiénique, plus économique à long terme, et surtout, ça se négocierait plus facilement auprès des gens qui prennent la mouche quand ils me voient me déboucher les oreilles (comme si ça voulait forcément dire que je ne veux pas les écouter !) et qui pourraient croire que j’écoute de la musique comme n’importe quel imbécile normal… Alors que j’en suis encore à errer dans les rayons, la soupasse musicale déversée par les haut-parleurs est brièvement interrompue par une voix annonçant que le son et la lumière sont désormais baissés dans le magasin pendant quatre heures par jour afin de pouvoir mettre à l’aise les personnes avec autisme : ça part sûrement d’un bon sentiment et ça prouve que la connaissance du spectre autistique en France s’améliore, mais hic et nunc, ça me fait une belle jambe ! Premièrement, je suis présent dans ce supermarché à une heure qui n’est pas concernée par cette mesure, ce qui prouve que les personnes avec autisme n’ont pas forcément la bonne idée de pouvoir faire leurs courses au moment où on est prêt à les accueillir ! Deuxièmement et surtout, étant donné que je ne trouve pas la marchandise que je cherche et dont j’ai besoin pour vivre confortablement avec mon autisme, je suis en droit de penser que cette enseigne a encore des progrès à faire si elle veut vraiment être inclusive… Mais n’en va-t-il pas ainsi de la société toute entière ?
18h : Ah, quelle joie de retrouver ce cours du mercredi soir, avec notre professeur toujours de bon conseil et pleine d’idées originales, et d’y retrouver d’autres passionnés de dessin, à commencer par les quatre dames d’âge mûr qui étaient déjà là l’année dernière et que j’appelle affectueusement « mes vieilles canailles » ! Pour débuter et faire connaissance, la prof nous fait faire des portraits de profil entre nous, la pose devant durer huit minutes. J’ai le temps de faire cinq portraits et de poser cinq fois : je tombe sur un os pour le premier de mes dessins, la prof me faisant remarquer que j’ai fait un crâne trop petit par rapport au reste du visage ! Réflexe de caricaturiste… Bon, rien de très grave : je rectifie sans problème et je ne réitère pas cette erreur pour les suivants, mais même pour ce premier portrait, la prof ne remet pas en cause la ressemblance ! Ce cours est décidément gratifiant pour moi à tous les points de vue…
20h15 : Dans le bus qui me conduit en centre-ville, je retrouve une autre élève que j’avais prise comme modèle (et réciproquement), une femme assez jeune : bien sûr, nous nous renseignons l’un(e) sur l’autre et elle m’apprend qu’elle n’habite Brest que depuis peu et qu’elle est actuellement en pleine reconversion professionnelle après avoir été aide-soignante… Mine de rien, cette conversation innocente confirme trois constats. Du plus positif au plus négatif : premièrement, la ville de Brest est de plus en plus attractive ; deuxièmement, il y a beaucoup de gens qui décident de changer de vie, surtout dans ma génération, le Covid ayant bousculé beaucoup de certitudes ; troisièmement, les métiers liés aux soins attirent de moins en moins, les praticiens en ayant marre qu’on leur demande toujours plus d’efforts avec toujours plus de moyens, et la crise sanitaire, encore elle, n’a fait que renforcer cette impression de mépris… Conclusion : dans un futur proche, les Brestois auront beaucoup d’opportunités professionnelles, mais je les déconseille pour autant de trop se fatiguer à la tâche car ils manqueront de personnel pour les soigner s’ils sont surmenés…
20h30 : Ayant envie d’une calzone, je m’arrête dans une pizzeria du centre-ville : en attendant d’avoir une place, je patiente au bar où la revue que je feuillette, le numéro 1 de Cargo Zone, paru en 2007, ne laisse pas indifférent un jeune serveur, avec sa couverture représentant Lucien, le personnage fétiche de Margerin. Le serveur me demande des renseignements sur ce magazine : je suis bien obligé de lui expliquer qu’il a cessé de paraître après cinq numéros… J’en ai mal au cœur, d’autant que la curiosité dont a fait montre ce garçon (et à laquelle les serveurs ne m’ont guère habitué) prouve que cette revue dirigée par Alexandre Coutelis aurait pu trouver son public à moyen terme et connaître une meilleure carrière. Écrasons une larme…
21h30 : Ayant fini mon repas, je paie ; heureux de ma journée, je me permets de glisser à la jeune fille qui me rend la monnaie : « Permettez-moi de vous souhaiter une soirée aussi radieuse que vous l’êtes, mademoiselle » ! Elle me remercie : voilà qui prouve qu’on peut tout à fait complimenter une femme sans se retrouver sur #MeToo, encore faut-il avoir un minimum d’élégance et ne pas se contenter de lancer des « Tu sais qu’t’es bonne, toi » et autres mains aux fesses verbales que s’échinent à défendre les machos de tout poil… Non, la galanterie n’est pas condamnée ! Mais la lourdeur, si…
Jeudi 29 septembre
11h30 : Certaines références sont assez aisées à retrouver… D’autre moins. J’en suis déjà à mon troisième feuilletage de l’édition Pléiade des Rougon-Macquart, dans l’espoir insensé de retrouver les deux citations de La fortune des Rougon dont j’ai encore besoin ! J’en suis à deux doigts d’en vouloir au vieux Zola d’avoir écrit des chapitres aussi longs et je ne suis pas loin non plus d’en arriver à détester ce pauvre Silvère dont il parle si longuement alors que ce que je cherche ne peut pas être dans les développements consacrés à ce garçon… Entre parenthèses, j’avoue cependant que Silvère n’a jamais été mon personnage préféré et que sa pureté morale de berger d’Arcadie m’a toujours exaspéré ; quitte à retenir un personnage positif de ce roman (et de la saga toute entière), je préfère de loin le docteur Pascal, ce savant passionné, généreux, humaniste et, surtout, pragmatique que les idées arrêtées et le prestige social indiffèrent au plus point : j’aime les « justes » qui luttent à leur niveau pour améliorer le sort de leurs semblables, mais je n’aime pas les « purs » qui vivent comme s’ils n’avaient pas de corps… Fermons la parenthèse : je localise enfin mes citations après avoir tapé au moins trois fois du poing sur la table, geste d’autant plus regrettable que je suis tout de même dans une bibliothèque universitaire… Peu après, je cherche la correspondance de René Char et Albert Camus, et je suis bien surpris de ne pas la trouver parmi les autres livres de ce dernier : ce n’est qu’en consultant une seconde fois le catalogue de la bibliothèque que je comprends qu’elle dispose d’un rayon spécial pour les correspondances ! J’avoue ne pas comprendre ce choix…
12h45 : Mes recherches laborieuses m’ont fait perdre un temps précieux : plus question de manger à la cafétéria de la fac, il ne doit plus rester grand’ chose à cette heure-ci, et puis j’ai besoin d’un bon reconstituant. Je me rends à la friterie où j’ai mes habitudes et je suis bien surpris par la queue qu’il y a déjà à l’entrée ! J’avais oublié qu’il y avait un mouvement social aujourd’hui : les manifestants, dont certains portent encore leurs drapeaux syndicaux, viennent manger après avoir défilé… Dans la file, je retrouve le photographe dont je m’étais rapproché à Porspoder : il semble désappointé quand je lui annonce que j’ai désactivé mon compte Instagram. Décevoir quelqu’un qu’on apprécie n’est jamais agréable, mais ça l’est tout de même moins que les deux jacasseuses qui me cassent les oreilles dans mon dos !
Une proposition de logo pour une association qui cherche à faire connaître la culture finlandaise en Bretagne :
Une plaque qui a été apposée la semaine dernière à l'entrée de la maison natale d'Alain Robbe-Grillet :
La maison natale d'Alain Robbe-Grillet :
Un autocollant repéré sur un poteau - j'estime que ce message est valable aussi pour les hommes victimes de grossophobie :
17h : Après un passage à Saint-Pierre pour prendre des photos et déposer un dessin en prévision d’une expo qui doit enfin se tenir après deux ans de reports, je risque un tour en centre-ville dans l’espoir d’y trouver un casque antibruit et une éponge naturelle – la prof nous a demandé d’en ramener une qui nous servira de modèle. On m’avait assuré qu’on trouve ces marchandises un peu partout aujourd’hui… Mais je fais cinq magasins en vain ! À la frustration s’ajoute vite l’épuisement physique et moral : pour quelqu’un qui ne supporte pas l’ambiance enfiévrée des boutiques, ce genre d’épreuve vire vite à la torture ! Et dire que certaines personnes font du shopping pour le plaisir…
18h : Je m’arrête à la librairie Antinoë où Colette Camelin vient présenter son édition du Maître du Jouir de Victor Segalen : je ne savais pas que ce dernier avait employé des mots tahitiens dans Les immémoriaux, ce qui lui avait valu une levée de bois vert de la critique de l’époque qui ne tolérait pas que l’on mêle à la langue française ce qui était alors considéré comme un dialecte de primitif ! Mauvais esprit, je lance : « Aujourd’hui, on est plus tolérant, on se contente de dire que l’arabe est la langue du terrorisme ! » Ma remarque fait rire un peu jaune, mais je voulais signifier ainsi que le complexe de supériorité occidentale n’a pas totalement disparu de nos sociétés…
Colette Camelin signant le livre...
...et faisant sa présentation, croquée par votre serviteur.
20h : La présentation est terminée. J’étais censé dîner à la crêperie en compagnie de madame Camelin et de mes collègues chercheurs ayant co-organisé l’événement. Mais je suis déjà épuisé par les épreuves de cette journée alors que ces messieurs-dames en sont encore à ergoter sur des documents iconographiques que la libraire a bien voulu sortir de ses réserves : je comprends assez vite que si je reste avec eux, je me retrouverai assez vite dans la même position que Marguerite dans La différence invisible quand elle a la sensation de disparaître au milieu d’une troupe qui festoie[2]… Je décide donc de prendre congé prématurément, ce qui est plutôt bien accepté – les autres chercheurs connaissent mon handicap. Mais une fois partie, chemin faisant, je ne peux m’empêcher de me maudire, moi qui persiste, à mon âge et alors que je suis diagnostiqué depuis déjà six ans, à faire fi de mes limites en me contraignant à des sorties qui ne m’intéressent qu’à moitié et ne font que m’épuiser ! Notez qu’avant mon diagnostic, je me maudissais aussi, mais pour mon incapacité à apprécier des moments censément agréables pour tout le monde… Je dois l’admettre : il n’y pas que le degré de nos tolérances de nos sociétés qui ne fait pas de progrès !
Vendredi 30 septembre
14h30 : Je n’ai pas veillé longtemps hier soir, m’étant couché, tel Camus après sa première journée à New York, « malade du cœur autant que du corps »[3]. J’ai ainsi pu me lever relativement tôt et en finir rapidement avec quelques affaires courantes en ville : une fois rentré, j’ai la surprise de trouver dans ma boîte aux lettres un exemplaire d’un ouvrage auquel j’avais contribué ! Je savais que je devais le recevoir, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi tôt ! Avant de ranger mes affaires et de reprendre le boulot, je m’installe dans mon canapé pour relire mon article, histoire de savourer le plaisir d’être publié aux côtés de prestigieux chercheurs… Et j’ai à peine commencé qu’on sonne à la porte. Je mettrais ça dans une BD, personne n’y croirait ! J’ouvre : ce n’est pas un vendeur de brosses, c’est un employé de chez Free qui vient vérifier quelque chose à propos de ma connexion Internet ; je n’ai rien compris à son charabia mais, apparemment, mon installation ne serait plus « aux normes » (quel vilain mot !) et je devrais recevoir bientôt une autre visite pour la réactualiser : que de menaces en si peu de mots ! Il y en a décidément qui ont le chic pour pourrir l’ambiance…
Le livre en question : il coûte 74,90 euros (ce n'est pas moi qui fais les prix) et mon article s'intitule "Reiser ou la revanche du corps meurtri".
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !