Du 22 au 28 février : Fidélité à l'Ukraine, sans haine pour les peuples russes et américains

 

02-26-Trump-Macron (2).jpg

Samedi 22 février

 

11h : Je passe devant le Stella[1] et je peux ainsi apercevoir la « une » du hors-série du Télégramme sur le Stade Brestois avec pour titre « Ils nous ont fait rêver ». Ah bon, ils m’ont fait rêver ? Je suis ravi de l’apprendre, je ne m’en étais pas rendu compte, j’avais plutôt la nette impression de me foutre complètement de leur équipée européenne ! Il faut croire que je ne dois pas faire partie de la société… Ça n’a l’air de rien, mais c’est là que commence l’exclusion : quand on décrète que tout le monde pense la même chose d’un fait quelconque, sans même demander leur avis aux gens, niant de facto toute existence à ceux qui ne partagent pas cet avis. Si ça se trouve, les non-supporters sont plus nombreux que le prétendent les médias mais on ne le saura jamais puisqu’ils nous assènent d’entrée de jeu que les footeux « nous » ont fait rêver, reléguant ceux qui ne se conforment pas à ce modèle au rang de curiosités exotiques… Et, in fine, potentiellement dangereuses pour la communauté ! D’ici à ce qu’on conduise les gens comme moi au stade « pour autre chose que du sport » comme l’a chanté Yvon Étienne[2], il n’y a pas loin… Allez, ne flippons pas tout de suite et entonnons un refrain qui mériterait d’être l’internationale de tous les non-supporters du monde – je parie que vous ne savez pas qui en est l’auteur[3] :

 

On vend du shampoing, on veut des portables,

Nous les footeux, on est prêts à tout,

Oui le pognon, c’est ce qui nous rassemble,

Jouer au ballon, à vrai dire on s’en fout[4].

 

12h30 : Déjeuner au Biorek. Valérie, la maman d’Alexandre, trouve qu’il y a peu de monde en ville. Je ne la contredis pas : en venant, j’ai surtout croisé des touristes ! Il y avait des jeunes gens qui discutaient en anglais dans le bus et j’ai croisé dans la rue une famille qui essayait de s’orienter avec un guide en papier – comme quoi, n’en déplaise à ma jolie maman, il n’y a pas que moi qui refuse de céder au diktat du smartphone. Visiblement, les Brestois ont été nombreux à partir en vacances et la ville attire de plus en plus les touristes : tant mieux pour les dragueurs de petites étrangères mais, sorti de ça, je ne vois pas pourquoi ce qui est une calamité dans le Midi et à Paris serait une bénédiction chez nous…

Le 22 février, c'est aussi le Rihanna Day à la Barbade :

 

02-22-Rihanna Day.jpg

Dimanche 23 février

 

14h : Me sentant un peu déprimé, je relis mes livres de Nadine Monfils, la romancière belge à laquelle la littérature francophone actuelle doit ses polars les plus déjantés : j’avoue, j’avais un peu perdu le souvenir de l’intrigue de La petite fêlée aux allumettes, sans doute parce qu’elle est finalement occultée par les fredaines, aussi catastrophiques qu’hilarantes de l’incontrôlable Mémé Cornemuse, la vieille dame indigne qui défouraille à tour de bras. Ma situation, dont je ne suis pas fier mais dont je n’arrive pas à avoir honte, me rappelle la nécrologie de Frédéric Dard par Cavanna :

 

« Dard, au départ, comme tout un chacun, lance un flic choc : San-Antonio. Beau gosse, bagarreur, tout. Un vrai con. Dard, homme de métier, lui colle un faire-valoir : Bérurier. Bérurier, en moins de deux, dévore San-A. Bérurier, l’énorme, l’immonde, un Sancho Pança dégueulasse. C’est lui qu’on attend. San-A le play-boy nous emmerde. L’intrigue est ce qu’elle est, toujours honnête[5]. »

 

Mémé Cornemuse est donc à Nadine Monfils ce que l’inspecteur Alexandre-Benoît Bérurier était à Frédéric Dard[6] : un personnage tellement hors normes qu’il éclipse tous les autres, même si son rôle est, de prime abord, secondaire. Vous l’avez compris, je me régale à relire madame Monfils et je ne pense que je ne me lasserai jamais de ses romans. Cela dit, il y a quand même un passage qui me fait tiquer :

 

« De toute évidence, ou il écrivait façon textos, ou il était illettré. Tous les échanges qu’elle avait eus avec lui étaient bourrés de fautes d’orthographe. Mais la vieille s’en fichait. On n’était pas chez Pivot. D’ailleurs, elle n’avait jamais aimé ce type, ni ses émissions. Un chroniqueur littéraire qui n’aime pas les polars, c’est comme un prof qui n’aime que les premiers de la classe. Et tout le monde sait que ceux qu’on appelle les « cancres » sont souvent les plus intéressants[7]. »

 

Je suis parfaitement d’accord avec l’autrice pour dire que le préjugé de Bernard Pivot contre les polars était ridicule[8], mais je n’apprécie pas sa comparaison qui est finalement dévalorisante même pour le genre qu’elle pratique et défend : je peux attester que contrairement à ce qu’on croit, les cancres, du moins dans leur grande majorité, ne sont pas intéressants, ils ne sont pas sympathiques du tout et sont pires que cons ! D’accord, il existe des élèves intelligents qui ont de mauvaises notes parce qu’ils s’ennuient à l’école et qui deviennent finalement de grands artistes, de grands savants… Mais c’est finalement très rare ! Sinon, les génies seraient légion ! La plupart des cancres sont mauvais élèves parce qu’ils ne sont bons qu’à jouer au foot et à regarder la télé en buvant de la bière bas de gamme ! Et ils sont plus nombreux à devenir de gros beaufs supporters de foot, fan d’Hanouna et électeurs du RN qu’à être Mozart ou Einstein ! Quant aux premiers de la classe, il faudrait vraiment cesser de les dévaluer systématiquement : je l’ai déjà dit, la plupart des gamins qui sont bons élèves ne le font pas par méchanceté ! Et il ne faudrait pas s’imaginer qu’ils aiment plus l’école que les autres ! Cette petite conne de Léonie Gratin, dans L’élève Ducobu, qui saute de joie quand l’instituteur annonce une interro, c’est de la caricature, pigé ?

 

Lundi 24 février

 

11h30 : Le résultat des élections en Allemagne m’effare… Même outre-Rhin, ils tombent dans le piège ! Alors que c’est bien à cause de ces idées pourries que leur pays a fini par être dévasté ! Ah oui, mais c’était il y a quatre-vingts ans déjà, et la plupart des jeunes à qui on en parle aujourd’hui répondent probablement « J’étais pas né »… Tu n’étais pas né en 1945 mais, à la même époque, beaucoup sont morts prématurément, jeune gland ! Ils avaient ton âge et leur seul crime était d’être juif, tzigane ou homosexuel (entre autres particularités jugées indésirables par le petit caporal autrichien et sa clique de bouchers) ! Ne t’imagine surtout pas que l’extrême-droite s’arrêtera gentiment aux immigrés : quand le bon peuple commencera à s’apercevoir que la chasse aux métèques ne résout pas les problèmes de fin de mois, les fachos trouveront d’autres boucs émissaires et, de fil en aiguille, ils finiront par s’en prendre aux droits des femmes, des LGBT, des handicapés… Jusqu’à ce que, faute de chair fraîche à livrer en pâture à la vindicte populaire, ils t’envoient faire la guerre en Ukraine, en Corée du Nord ou au Canada aux côtés de l’armée de cette grande et belle démocratie que sont les États-Unis d’Amuskrique! Bon, pas de panique, on n’en est pas là : ils ne sont pas (encore ?) majoritaires et puis il y a quand même une défaite de l’extrême-droite à enregistrer : la disparition annoncée d’Hanouna des petits écrans ! Je suis tombé sur un article faisant état du dépit de ses fans : bien fait pour eux ! Je ne conçois pas qu’on puisse encore défendre ce clown maléfique sans être un gros facho ou un crétin inculte ! Prions quand même pour que « Baba » ne se lance pas en politique : il n’aura pas de problème pour recruter des miliciens… « Avant la prise du pouvoir par Hitler, les effectifs des S.A. atteignaient les deux millions de soudards fanatisés, tous recrutés parmi les anciens combattants de 14-18 devenus chômeurs[9] » nous rappelait Cavanna au début des années 1990.

 

02-26-Hanouna.jpg

 

14h : J’assiste à une réunion organisée à la fac par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne : j’y suis allé par curiosité, m’attendant à ce que ce soit un tantinet chiant et me promettant ne pas m’attarder une fois que ces messieurs-dames auront fini de détailler les services qu’ils peuvent rendre aux chercheurs. Finalement, ce n’est pas si inintéressant que ça, je prends même bonne note d’information qui pourraient m’être utiles pour mes projets et je me promets de les recontacter dès que possible. Il y a quand même un point de mon pronostic qui se vérifie : je ne m’attarde pas. Mais je me promets de mettre une gifle à la prochaine personne qui osera me soutenir que la curiosité est un vilain défaut !

 

Mardi 25 février

 

11h30 : J’étais d’humeur massacrante au réveil : j’avais un boulot chiant à exécuter et la simple idée de devoir m’y mettre me détruisait le moral. Pour ne rien arranger, il a fallu que je passe à la poste pour régler une formalité administrative à la con – un pléonasme, excusez-moi. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis néanmoins mis au travail, non sans prendre soin de faire tourner sur mon ordinateur une vidéo de pluie pour me calmer les nerfs. J’avais finalement réussi à trouver mon rythme de croisière dans l’exécution de cette tâche… Quand, tout à coup, le bruit de pluie qui me servait de tranquillisant s’est brusquement arrêté ! Ma connexion à Internet venait de sauter et j’ai eu beau débrancher et rebrancher la Freebox, ça ne redémarrait pas… Il va donc falloir appeler l’assistance Free, ce qui n’est évidemment pas fait pour arranger mon humeur… Il y a des incidents qui ont le chic pour se produire exactement au moment où il ne faut pas !

 

13h30 : C’est le coup de grâce ! Non seulement je n’ai pas réussi à joindre un seul conseiller de chair et d’os (tout s’est fait par l’intermédiaire d’un répondeur automatique) mais, pour finir, il faut prendre rendez-vous pour faire venir un technicien chez moi et, afin que je puisse indiquer à quel créneau il peut passer, on m’envoie un SMS avec un lien ! Et comment je fais, vu que je n’ai plus de connexion, grandes patates ? Complètement vidé, je file chercher du secours chez une amie qui habite à deux pas et qui, je le sais, ne me refusera pas son aide : je suis tellement stressé que je ne prends même pas la peine de me changer ! Je ne tiens pas à savoir de quoi j’ai l’air, dans la rue, en pantoufles et vêtu de mes frusques de dessinateur…

 

16h30 : Après deux heures de travail en compagnie de mon DVD du Chat de Geluck qui m’a aidé à faire abstraction du monde extérieur, je constate que ma connexion remarche… Elle est revenue comme elle était partie ! Je dois maintenant recontacter Free pour annuler le rendez-vous : je ne trouve rien sur l’espace abonné en ligne, je dois donc retéléphoner : c’est la croix et la bannière pour joindre quelqu’un et je suis même obligé de m’y prendre à deux reprises vu que, la première fois, je tombe sur une cruche qui ne comprend rien à ce que je lui dis, ce qui a achevé ma patience déjà bien entamée… Il faut être juste : ce genre de mésaventure est, somme toute, assez rare. Mais qu’est-ce que c’est chiant…
02-26-Trump-Macron (1).jpg

 Ne me traitez pas de macroniste : je lui fais bien dire "presque"...

Mercredi 26 février

 

10h30 : Sous une pluie battante, je me procure le dernier numéro de Côté Brest. Je n’ai pas le temps d’attendre l’accalmie, c’est donc trempé comme une soupe que j’atteins l’abribus où je feuillette cette édition qui s’avère très intéressante, et pas seulement grâce à ma propre page : tout le contenu du journal m’inspire… Je suis quand même un peu surpris de constater que l’interview d’Enrico Macias est signée par notre nouvelle recrue qui se trouve être aussi une de mes anciennes camarades de Kerichen ! Il faut croire que la rédaction a décidé de la bizuter ! En tous cas, je lui dis merci, j’aime autant que ce soit elle plutôt que moi qui se tape les chanteurs ringardos… J’imagine que ma page histoire surprendra plusieurs personnes, mais depuis que j’avais découvert que les Guignols avaient fait allusion à Brest au moins deux fois dans les années 1990, je brûlais d’envie d’en parler aux lecteurs ; j’ai donc cherché si, parmi les personnalités liées à Brest, il n’y en avait pas au moins une qui avait figuré parmi les célèbres marionnettes… Et je n’ai trouvé que Béatrice Dalle ! J’ai donc préféré traiter d’un autre grand nom qui figurait sur la liste, Paul Deschanel : après tout, si les Guignols avaient existé dans les années 1920, il y aurait certainement figuré et on aurait eu droit à des sketches gratinés ! Pas tellement sur sa chute de train mais plutôt sur l’exploitation qui en a été faite par ses adversaires, trop heureux d’avoir un prétexte pour accuser de folie cet homme sincèrement attaché aux idéaux de la République, favorable au vote des femmes, à la décolonisation et à l’abolition de la peine de mort…

 

Quelques caricatures réalisées en vue de cette page, qui ont malheureusement été tronquées à la publication du fait de la mise en page, peut-être un peu trop rigide, du journal :

 

02-17-Paul Deschanel.png

02-17-Guignol de Chirac à Brest.png

La pensée de la marionnette est inspirée d'une réplique du guignol de Chirac à celui de Balladur, prononcée en 1993... Putain, trente-deux ans !


02-17-Guignols-Brest-Béatrice Dalle.png

Peut-être un peu trop nominative, cette caricature n'a pas été retenue.

 

13h30 : Je ne suis pas un inconditionnel de Zep, même si je reconnais qu’il a du mérite d’avoir fait tomber le tabou de l’angoisse infantile dans sa série principale (que je n’ai pas besoin, j’imagine, de vous nommer) : toutefois, j’aime beaucoup ses Happy books recueillant des gags liés par un thème bien déterminé. Je me suis donc procuré les albums Happy rock et, surtout, Happy parents qui me rend encore moins pressé de me reproduire : je l’avais déjà lu il y a longtemps mais j’en ris toujours autant aujourd’hui ! Il est juste dommage que l’auteur ait cru bon de raconter l’histoire de ce bon père qui, à force de vouloir se montrer bienveillant envers son ado qu’il croit en plein flirt, fait involontairement croire au jeune homme qu’il lui met la pression pour qu’il fasse l’amour avec sa camarade alors même qu’il n’en avait nulle envie… Philippe Chappuis[10] ignorait-il que ce gag avait déjà été fait par le regretté Wolinski et qu’on le retrouve dans le recueil de ce grand humoriste intitulé Mon corps est à elle ? Bon, je chipote, il en faudrait plus pour nuire à la qualité de cet album…

 

16h30 : J’ai beau exhorter mes concitoyens à patience face aux difficultés générées par le chantier de la deuxième ligne de tram, j’avoue que j’ai moi-même hâte que le gros du boulot soit terminé ! Pourquoi ? Voilà : s’il n’y avait pas le chantier, la circulation à l’heure de pointe, déjà laborieuse en temps normal, ne virerait pas tous les jours au cauchemar. Donc, s’il ne fallait pas éviter à tout prix d’emprunter l’avenue Le Gorgeu en fin d’après-midi, je n’aurais pas jugé nécessaire de me rapprocher le plus tôt possible de l’annexe des Beaux-Arts, et je serais resté travailler au Béaj Kafé au lieu d’aller le faire à la médiathèque de Bellevue où je supporte depuis deux heures et demie déjà le vacarme que font tous ces affreux petits jojos en courant et en poussant des cris ! Plus personne n’ose faire montre d’autorité envers les enfants, même et surtout dans les médiathèques parce que on ne veut pas dégoûter trop tôt les chers petits de la culture et, au final, ces établissements plus qu’honorables n’offrent plus un refuge contre l’agression permanente que constitue la civilisation… Certaines personnes fustigent mon manque de patience : j’estime au contraire faire montre d’une endurance hors du commun en me retenant de hurler « Vos gueules, les mioches » !

 

 

20h45 : Alors là, NON ! On ne peut rien m’opposer ! J’étais sur le passage clouté, il n’y avait pas de circulation, j’étais dans mon droit ! N’importe quel véhicule devait s’arrêter pour me laisser passer, quel que fût le temps que je pouvais mettre à traverser ! Il n’y avait donc aucune, je dis bien AUCUNE raison pour que ce connard, déboulant à toute vitesse sur sa moto, me refuse la priorité… Et fasse même un ÉCART pour me FRÔLER ! À un centimètre près, il me percutait ! On parle beaucoup des motards en colère… Mais pourquoi n’existe-t-il pas de collectif des piétons en colère ? S’il y a des gens qui ont lieu de se plaindre de la façon dont sont conçues les voies de circulation en ville, c’est bien nous ! Non seulement nous devons nous contenter des miettes que nous laissent les conducteurs de poubelles motorisées mais nous n’y sommes même pas en sécurité ! Que les automobilistes arrêtent de chouiner contre les prix de l’essence et la sévérité des règlements, ils ne sont vraiment pas les plus à plaindre…

 

Sans rapport : un dessin de mon évier.

 

02-11-Evier.jpg

Jeudi 27 février

 

14h30 : J’ai jugé préférable de prendre un Accemo pour honorer mon rendez-vous avec la psy. Le chauffeur m’a déjà pris en charge et se souvient de moi : il me demande s’il en va de même pour moi, je réponds mollement que oui. Il espère certainement être bienveillant et je n’ose pas lui expliquer que si je fais appel à ce service de transport à la demande, c’est justement parce que j’ai un handicap qui me rend difficiles les interactions sociales et qu’être traité comme un voyageur anonyme parmi beaucoup d’autres, loin de me déplaire, serait plus sécurisant pour moi… Décidément, il n’y a pas de panacée !

 

16h30 : Après avoir récolté auprès de mon pote Jean-Yves une histoire qui fera bientôt les délices des lecteurs de Côté Brest, je me replonge dans une corvée : la récupération des dessins qui sont publiés sur mon blog et que je n’ai plus sur mon disque dur depuis le larcin dont j’ai été victime à Paris il y a un peu plus d’un an. C’est long, fastidieux et, surtout, c’est un vrai exercice d’humiliation pour moi de me replonger dans ces dessins déjà très vieux et inégalement réussis : bien sûr, je ne récupère que ceux que je suis encore prêt à assumer, mais j’en arrive à me demander comment je pouvais espérer faire carrière à l’époque alors que j’avais déjà plus de trente ans… Déjà qu’aujourd’hui, j’ai encore des doutes !

 

18h : Conférence de Johann Leconte sur Fréderic Bouyer, navigateur brestois du XIXe siècle qui ramena d’un voyage vers la Guyane une preuve tangible de l’existence, alors sujette à caution, du calamar géant ! Et ce n’était qu’un de ses mérites parmi beaucoup d’autres : plus de détails dans un prochain Côté Brest… Pour l’heure, sachez seulement que l’orateur, qui se défend pourtant d’être un professionnel, m’offre ce que je commençais à désespérer de trouver : une conférence bien ficelée, passionnante de bout en bout, sans un temps mort, et qui ne laisse à personne le temps de bavarder ! Je n’ai qu’un mot : bravo ! Quand c’est bien, il faut le dire aussi !    

 

19h : Fait rarissime et qui confirme l’intérêt de la conférence : je pose une question ! En effet, Frédéric Bouyer a commencé sa carrière sous la monarchie de juillet et l’a terminée sous la IIIe République en passant par le Second Empire. Je demande donc si ce marin, qui a laissé beaucoup d’écrits et a servi sous trois régimes politiques différents, a eu l’occasion s’exprimer sa préférence pour l’un d’eux. La réponse est non : monsieur Leconte n’a rien trouvé permettant de cerner la sensibilité politique de ce navigateur. De prime abord, c’est un comble pour un homme du XIXe siècle qui était pourtant instruit, érudit même, et qui n’était même pas insensible à la question sociale, comme en témoigna, entre autres, un article qu’il rédigea pour dénoncer la condition des mousses en son temps… En même temps, Bouyer a connu tellement d’aventures sur la mer qu’on ne peut pas lui reprocher d’être resté indifférent à celles qui ont secoué le pays qui le payait pour voyager ! Comment pourrait-on avoir envie de faire la révolution quand on a le privilège de visiter le monde entier ? Laissons ça à ceux qui de bonnes raisons d’être malheureux…

 

Une vidéo sur une autre personnalité qui fait la fierté des Brestois :

 

 

19h30 : Tout heureux d’avoir récolté assez de matière pour le journal, j’attends le bus à la station Liberté Morvan. Je feuillette un album de bandes dessinées trouvé dans une boîte à dons, un produit publicitaire édité pour Bouygues Télécom et compilant des gags de Cubitus, Achille Talon, Léonard et Boule et Bill sur le thème des télécommunications : je l’ai pris pour le plaisir simple et enfantin de retrouver les séries comiques qui ont marqué mon enfance et dont je ne renierai jamais le plaisir qu’elles m’ont apporté. Soudainement, mon livre est maculé (par bonheur à un endroit où ne figure aucun dessin) d’une matière brune manifestement tombée du ciel et dont je ne parviens à cerner ni la nature ni l’origine exacte : ce n’est pas une chiure d’oiseau, ce serait autrement plus malodorant et difficile à enlever. Naturellement, je ne peux compter sur aucun témoin pour éclairer ma lanterne : non que je sois seul, mais toutes les autres personnes attendant l’autobus ont le nez sur leur smartphone… Je pense que j’aurais presque préféré qu’ils assistent à l’incident, quitte à ce qu’ils se moquent de moi. Comme disait Cavanna (oui, encore lui) : « Il y a plus insultant que le rire. C’est l’indifférence[11]. » Je demande à une jeune fille de bien vouloir lever les yeux pour vérifier si je n’ai pas une salissure sur ma casquette : elle me répond par la négative, visiblement d’assez mauvaise grâce, mais je ne sais pas si c’est à cause du ton, un peu condescendant j’en conviens, avec lequel si je l’ai questionnée, ou si c’est tout simplement parce que j’ai eu le front de la déranger de son écran chéri pour lui rappeler qu’il y a un monde autour d’elle.

 

Toujours sans rapport : un dessin de mon four.

 

02-11-Four.jpg

Vendredi 28 février

 

10h30 : Au marché de Lambézellec, le stand « Mon réseau grandit », qui informe les gens sur l’avancement des travaux du tramway, est au rendez-vous, tenu par le père de la fiancée de mon cousin : je lui demande si les gens ne sont pas trop désagréables, mais non, il semble même qu’ils se sont habitués à la situation et en ont pris leur parti. Tant mieux si ça peut éviter à ce brave homme, qui est littéralement en première ligne, de se faire insulter ! Mais au train où vont les choses, quand le chantier sera terminé (en principe pour la fin de l’année), vous allez voir que les Brestois se plaindront d’être obligés de se réhabituer à une situation normale…

 

12h45 : Un peu (et même beaucoup) par hasard, j’apprends la mort de Michelle Trachtenberg. Je ne connaissais pas les séries dans lesquelles elle jouait, mais je me dis que c’est quand même dommage : elle était jeune, elle était belle, elle avait du talent… Décidément, il n’y a pas de justice ! Je ne cite personne, suivez mon regard…  

 

13h40 : J’ai repris un Accemo pour honorer un rendez-vous à la faculté : cette fois, le véhicule est conduit par une dame que je ne connais pas. Et réciproquement : comme tous les gens qui viennent à mon adresse pour la première fois, elle est d’abord passée devant l’allée menant à mon immeuble sans la remarquer et c’est en me voyant l’attendre sur le trottoir qu’elle a compris où s’arrêter ! Elle me demande si j’ai besoin d’aide pour mettre la ceinture : je réponds que non mais que je lui saurais gré de parler moins fort et de baisser le volume de sa radio… Ce système de déplacement à la demande n’est pas mauvais, mais il serait encore meilleur si on pouvait informer les conducteurs que le monde du handicap est pluriel et ne se réduit pas aux gens qui ont besoin d’assistance pour des gestes élémentaires !

 

13h55 : Nous approchons de la fac : un jeune homme remontre l’avenue Foch, qui est en pleins travaux, en improvisant un numéro de funambule sur une des étroites barres de ciment laissées par les ouvriers. Comme une demoiselle marche à côté de lui, je ne peux m’empêcher de dire : « Il y en a qui ne savent plus quoi inventer pour impressionner les filles ! » Mais quand il se sera cassé la gueule en tombant, je lui souhaite bon courage pour continuer à draguer…

 

14h15 : L’entretien à la fac aura été bref, j’avais seulement besoin de précisions sur un événement organisé le 27 mars prochain mettant en avant une poétesse écossaise et une chanteuse bretonnante : j’ai remercié mes interlocuteurs pour leur accueil, mais ils ont insisté sur leur conviction que c’était à eux de me remercier et ils m’ont même offert un exemplaire du recueil de la poétesse en édition bilingue[12] ! Je leur ai pourtant bien précisé que je ne voulais pas les faire rêver et que l’annonce de l’événement dans le journal ne prendrait que quelques lignes… Je serai toujours impressionné par l’importance qu’on a aux yeux des gens quand on leur promet ne serait-ce qu’une mention dans la presse !

 

18h30 : Vous vous souvenez des Animaniacs dans les années 1990 ? Entre autres merveilles[13], cette série animée produite par la Warner, où sont nés les inénarrables Minus et Cortex, proposait une pastille intitulée « Bonne idée – Mauvaise idée », avec par exemple : « Bonne idée : jouer du pipeau en défilant dans les rues – Mauvaise idée : jouer du piano en défilant dans les rues ». Comme dirait Gainsbourg[14] : ça vous a plu, hein, vous en demandez encore ? Alors voilà. Bonne idée : descendre au Kafkérin pour aller écouter Jeanne Rose, le jeune prodige brestois de la chanson. Mauvaise idée : venir deux heures avant l’heure du concert et se taper le vacarme du réglage de la sono. Jeanne a intérêt à chanter divinement pour me faire oublier ces bruits aussi discordants qu’incongrus…

 

20h30 : Évidemment, Jeanne Rose n’a aucun mal à satisfaire mes attentes. Du haut de ses douze ans, elle a déjà tout d’une grande dame et je ne regrette pas d’être venu. Je n’approuve pas forcément tous ses choix de reprise, mais elle chante si bien qu’elle peut se permettre d’interpréter n’importe quoi ! J’ai beau détester Balavoine, je ne lui reprocherai de finir sur une reprise du « Chanteur » qui prouve qu’elle a le sens de l’autodérision. J’ai même pleuré sur « Évidemment » de France Gall puisque c’était la chanson qui a été jouée aux obsèques de ma tante Karine… Pour la féliciter, je lui offre un portrait réalisé sur le vif : je lui ai fait des mains un peu trop potelées, mais il lui en faudrait plus pour dédaigner cette offrande d’un admirateur sincère. Et dans le pire des cas, on pourra toujours dire que ça lui permettra de passer dans un épisode des Simpson… Quoi ? La série s’arrête ? Et bien c’est dommage pour Homer[15], il ne rencontrera pas Jeanne ! 

 

Deux croquis exécutés au cours de cette soirée très réussie :

 

02-28-Jeanne Rose au Kafkérin (1).jpg


02-28-Jeanne Rose au Kafkérin (2).jpg

 

Quelques photos :

 

02-28 (1).JPG


02-28 (2).JPG


02-28 (3).JPG

 

Avec, en post-scriptum, Jeanne posant fièrement (?) avec mon dessin :


02-28 (4).JPG

 

C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !

 


[1] Bar-tabac-presse de Lambézellec, à ne pas confondre avec le Score qui lui fait face et qui, de toute façon, est en travaux à l’heure où j’écris ces lignes.

[2] Dans sa chanson « Mes collections » où il classe le Parc des Princes parmi les lieux qui attirent son mépris. Retrouvez-la ici : https://youtu.be/YSCUURPUb00?si=L1VPT9NBDl4pbUzs

[3] C’est Karl Zéro !

[4] Retrouvez cette parodie de la chanson de Johnny Hallyday pour la coupe du monde football 2002 à cette adresse : https://youtu.be/GWFZPyDFRdQ?si=MHL2yXtE-GWJEdnT 

[5] Charlie Hebdo n°417, 14 juin 2000, repris dans Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves, Wombat, collection « Les intempestifs », Paris, 2023, p. 140.

[6] Ne me parlez des pâles copies de ses livres dues à son rejeton, s’il vous plaît.

[7] Nadine Monfils, La petite fêlée aux allumettes, Belfond, collection « Piment » Paris, 2012, p. 185.

[8] Ce qui n’enlève rien à son mérite d’avoir donné au grand public l’accès à une certaine exigence littéraire. Après tout, personne n’est parfait !

[9] François CAVANNA, Coups de sang, Belfond, Paris, 1991, p. 222

[10] Vrai nom de Zep.

[11] Préface à Le pire de Hara-Kiri, Hoëbeke, Paris, 2010, p. 7.

[12] La traduction française ne sera pas superflue car cette autrice n’écrit pas en anglais mais en dialecte des Shetlands !

[13] Pour être tout à fait franc, je n’ai jamais été fan des Animaniacs : quand j’ai vu pour la première Yakko, Wakko et Dot pousser leurs hurlements, j’ai eu une trouille bleue ! Mais j’ai été marqué par le gag que je cite ici.

[14] Dans « Bonnie and Clyde », qu’il a chanté avec Brigitte Bardot quand celle-ci semblait encore sympathique et intelligente, comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences.

[15] Non, je ne plains pas le reste de sa famille : j’avoue que je n’aimais pas trop Marge qui me rappelait ma mère dans ses plus mauvais moments. J’ai souvent détesté Lisa comme j’ai toujours détesté les personnages moralisateurs. Quant à Bart, je le haïssais parce qu’il me rappelait trop les petits branleurs qui me pourrissaient la vie à l’école. En revanche, je m’identifie beaucoup à Homer qui incarne ce que nous avons tous de plus bas mais avec une façon de le porter bien en haut qui est rédemptrice.



01/03/2025
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 89 autres membres


Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Espace de gestion