Du 21 au 29 septembre : hors de mon chemin !
Ouvrons sur un dessin inspiré par un triste constat : la France n'a pas changé depuis 1940, ça reste un pays de lâches...
Jeudi 21 septembre
17 h : Depuis peu, je n’arrête pas de courir à droite et à gauche pour livrer mes exemplaires de Voyage en Normalaisie à celles et ceux qui en avaient réservé. J’atteins avec soulagement mon dernier objectif de la journée : le Kafkerin où je dois retrouver une bénévole. Seulement voilà, elle a fait une faute de frappe en me fixant rendez-vous : l’établissement n’ouvre que dans une heure… Comme le Kafkerin est le seul lieu de sociabilité digne de ce nom dans ce quartier dévasté, je n’ai rien d’autre à faire que poireauter à l’entrée ! C’est dans des moments comme ça que je me demande ce que je suis en train de foutre de ma vie…
Un croquis exécuté pour passer le temps :
15h45 : Une étape importante vient d’être franchie dans le processus d’organisation de la journée d’étude consacrée à Cavanna qui doit se tenir le 8 février prochain : nous venons de fixer le programme dans ses grandes lignes et de budgétiser l’événement. Il y en aura pour 1.500 euros en tout ! Ça vous paraît beaucoup ? Ce n’est pourtant rien en comparaison de ce que coûtent les grands colloques internationaux : songez que nous ne faisons venir que quatre personnes et qu’aucune ne vient de l’étranger… Mais l’événement n’en sera pas moins à ne rater sous aucun prétexte, faites-moi confiance !
17h : Me revoici à l’espace Keraudy, bien avant l’heure du vernissage, pour remplacer le cadre que j’avais laissé tomber lors de l’installation : je tiens à ce que l’expo soit impeccable pour le vernissage qui doit avoir lieu ce soir ! Sans compter que je n’aimerais pas que des gamins polissons me salissent le dessin qui sera resté sans vitre protectrice pendant trente-six heures…
Quelques photos prises en attendant le début des festivités :
19h45 : Après la présentation de la saison 2023-2024 et un petit spectacle de danse contemporaine inspiré du fest-noz (les danseuses avaient du jarret !), le vernissage proprement dit commence : après un petit mot de monsieur Patrick Prunier, l’adjoint au maire, je fais mon discours. Beaucoup de gens bavardent : ils se plaindront ensuite de la qualité médiocre (ce qui est indiscutable) de la sono. N’empêche que s’ils avaient arrêté de papoter, ils m’auraient peut-être entendu ! Mais ça m’est un peu égal : je ne boude pas mon plaisir d’exposer dans une grande salle, d’avoir beaucoup de monde pour regarder mes travaux et de retrouver quelques amis venus pour l’occasion…
Jean-Marc Kerléo, directeur de l'espace Keraudy, et Patrick Prunier, adjoint à la culture, présentant la saison culturelle :
Un croquis exécuté pendant le spectacle :
Et deux photos :
Mon discours en vidéo :
Samedi 23 septembre
7h : Me voici à la foire Saint-Michel pour vendre quelques vieux bouquins et proposer mes caricatures. Je suis déjà installé depuis une demi-heure et il me tarde que le soleil se lève afin que les gens ne me flinguent plus les yeux avec leurs torches… Et oui, il y a déjà du monde ! La foire Saint-Michel est un peu aux chineurs ce que les soldes sont aux pétasses : un puissant révélateur des instincts de charognard qui sommeillent chez tout un chacun…
Un dessin réalisé pour le plaisir en attendant le client :
11h20 : J’ai déjà eu deux clients pour les caricatures : je vois passer Paty qui m’annonce que La Vagabunda va déménager, la vie sur le boulevard Clemenceau étant devenue trop cauchemardesque à cause des travaux et la mairie refusant de tenir compte de cette donnée pour baisser le loyer… Ce n’est pas la fin de l’aventure, mais il est quand même navrant d’en arriver là ! C’est bien la peine d’avoir le label « Ville d’art et d’histoire » si c’est pour laisser mourir les lieux dédiés aux arts…
Un collage rhabillant Yohann Nédélec, adjoint au maire de Brest :
18h40 : Je quitte la foire, satisfait de ma journée. Je pourrais rentrer de bonne humeur si, à l’arrêt de bus, il n’y avait une folle qui hurle ses malheurs devant tout le monde. Sous l’effet de la fatigue, j’oublie la prudence la plus élémentaire et j’essaie de la faire taire ! Bien entendu, ça ne marche pas, elle ne fait que hurler de plus belle… Comme elle vient du Burundi (elle le crie assez fort pour qu’on le sache), je n’ose pas insister de peur de passer pour un raciste. N’empêche que je n’aurais pas trouvé anormal que les flics l’embarquent, même si j’aurais eu peur de ce qu’ils auraient fait à une noire à leur merci …
Trois de mes clients de la journée en photo :
Dimanche 24 septembre
12h30 : Deuxième jour de foire Saint-Michel. Il y a beaucoup de vent et mon emplacement est à l’ombre : c’est vraiment trop désagréable, je me déplace vers un endroit ensoleillé. Je n’ai pas de mal à en trouver un car il y a beaucoup moins de déballeurs qu’hier. J’ai moins froid, mais le vent n’en souffle pas moins très fort : quelques-unes de mes affaires s’envolent. Une jeune fille se baisse pour ramasser quelque chose : n’aimant pas qu’on m’apporte une aide que je ne sollicite pas et étant trop énervé pour rester diplomate, je lui crie de ne toucher à rien. Un autre déballeur me reproche de lui avoir fait peur : je lui rétorque qu’il n’a pas à me tutoyer alors que nous ne nous connaissons même pas. Une vieille dame, qui m’avait vu ce matin dire fermement à une gamine de ne pas toucher à mes affaires (je l’ai donc sûrement traumatisée à vie, bien sûr), s’approche pour me dire que si je ne veux pas voir du monde, je n’ai qu’à rester chez moi… Je craque et lui balance devant tout le monde : « Ta gueule, vieille conne ! » J’ai eu ma dose de leçons de morale pendant la pandémie…
Une de mes clientes de la journée :
19h30 : Je rentre, satisfait du bilan de ce week-end, au moins du point de vue strictement financier. J’ai vent des déclarations du Pape sur les migrants : il y a des mots durs à dire, mais les curés ne sont pas tous des dégueulasses ! En tout cas, ce bon vieux François a le mérite de rappeler aux imbéciles qui nous rebattent les oreilles des « racines chrétiennes de l’Europe » que le christianisme, c’est aussi l’assistance aux faibles, quelles que soient leurs origines : un vrai chrétien, ça ne devrait pas repousser les mendiants après la messe du matin, ça devrait faire le bien sans regarder à qui… Non, ce n’est même pas un vrai chrétien qui doit agir ainsi : c’est un vrai humain, point barre !
Un petit dessin sur l'attachement que semble éprouver notre président pour l'Eglise catholique :
Lundi 25 septembre
9h15 : On commence à reparler du projet de conditionner le RSA à un certain nombre d’heures d’activités hebdomadaires. Franchement, ce n’est pas du tout une bonne idée : je ne dis pas qu’il n’y a pas des gens qui profitent des aides sociales pour se faire payer à ne rien foutre, mais c’est finalement assez rare… Et quand ça arrive, il s’agit en général de tels cas sociaux qu’il vaut mieux pour tout le monde qu’on continue à les entretenir dans l’oisiveté ! Ils feront moins de connerie devant la télé que dans une entreprise ! D’ailleurs, quand on y pense : que la vie serait belle si on payait les ministres à ne rien foutre ! Je veux dire : à ne VRAIMENT rien foutre, et surtout pas à pondre des réformes inutiles, dangereuses et inadaptées…
Mardi 26 septembre
8h40 : J’attends le car pour aller au Faou où m’attend la journaliste de Radio Évasion. Je suis assis juste à côté d’une jeune fille qui, tout en fumaillant une cigarette, semble me demander quelque chose, mais avec mon casque antibruit, je ne la comprends pas. Je lui demande de répéter sa question, elle me dit : « Je te demandais si la fumée de ma clope ne te dérangeait pas, vu que tu es collé à moi… » Comme je n’étais pas du tout gêné par quoi que ce soit, la formulation de sa phrase me fait penser que c’est en réalité elle qui est incommodée par la trop forte proximité de mon corps adipeux et grotesque : je m’écarte. Elle se sent obligée de s’excuser de plus belle : là, ça m’agace ! Je ramasse ce qu’il me reste de politesse pour lui dire fermement : « Mademoiselle, arrêtez, vous vous enlisez ! » La conversation s’arrête net : je ne saurai jamais si je plaisais (ou non) à cette demoiselle qui aurait simplement pu prendre un prétexte pour entamer des travaux d’approche. Après tout, il n’y pas de raison pour qu’il n’y ait que les hommes qui se fassent rabrouer en draguant maladroitement !
10h30 : Ayant une heure à tuer avant le rendez-vous, je m’arrête à la librairie-café Gwenili qui dispose, au premier étage, d’un salon où l’on peut s’installer pour travailler : une sorte de tiers-lieu à la mesure de la commune du Faou, en somme. Comme quoi il y a encore des commerçants qui ont de bonnes idées !
12h : Je passe sur l’antenne de Radio Évasion où j’ai été invité à parler des idées reçues sur l’histoire de Brest. Grâce à mes antisèches, je n’ai pas trop de difficultés à m’exprimer. Seulement voilà : je parle moins longtemps que prévu et la journaliste en profite pour me demander s’il n’y aurait pas une autre idée reçue dont je pourrais parler ! Comme toujours quand je fais face à un imprévu, je perds un peu mes moyens ! Je m’en sors en parlant de la météo, en disant que Brest n’est pas la ville où il pleut le plus en France et que le nombre de cancers de la peau y est même assez élevé : une fin en queue de poisson pour une intervention radiophonique pourtant réussie dans l’ensemble…
14h : Retour à Brest, plus précisément place de Strasbourg : n’ayant rien mangé à midi, je m’achète un sandwich à « Au bon pain chaud ». J’avais été déçu par un sandwich chaud acheté à cette enseigne, je choisis donc un sandwich froid, à la rosette de Lyon : ce n’est pas meilleur… Je note : oublier cette chaîne dont le nom est déjà une pub mensongère !
16h30 : Rentré chez moi, je relève mes messages : je fais ainsi face aux premières difficultés administratives auxquelles se heurte ma journée d’étude sur Cavanna (ça m’aurait étonné qu’il n’y en ait pas), j’apprends que deux cadres sont tombés et se sont brisés à l’espace Keraudy et qu’une amie que j’attendais pour ce soir s’est finalement décommandée… Une telle accumulation d’imprévus m’aurait mis dans tous mes états il n’y a pas si longtemps encore : je suis étonné du sang-froid dont j’arrive à faire montre… Serais-je en train de mûrir ?
Mercredi 27 septembre
9h30 : J’apprends avec soulagement que les cadres qui sont tombés n’étaient que deux petits modèles à deux euros que je peux remplacer sans me ruiner ni me fatiguer. Comme quoi j’avais raison de ne pas paniquer ! Il n’en faudra pas moins que je les remplace demain…
11h : Le député Jean-Charles Larsonneur annonce sa candidature à la mairie de Brest… On n’est encore qu’à la moitié du mandat de François Cuillandre ! Je ne devrais plus m’étonner de l’indécence des politiciens, y compris à l’échelon local, mais rien à faire, ça continue à me heurter ! Je dois être un idéaliste…
18h : Au cours du soir, la prof a l’idée de nous faire dessiner… Une moule. Plus exactement, une coquille. Ce n’est pas si facile que ça en a l’air, il faut trouver le truc pour donner l’illusion du volume, restituer les nuances de noir, rendre l’objet crédible sur papier … Riez si vous voulez, c’est avec des exercices comme ça qu’on fait des progrès.
Jeudi 28 septembre
11h15 : Après un bref passage à Plougonvelin où j’ai réussi à remplacer les deux cadres cassés sans problème, je passe chez un ami galeriste pour lui présenter la photo que j’ai si péniblement ramenée de Fère-en-Tardenois. Son diagnostic est sans appel : elle est invendable, le voyage l’a trop abîmée. Tout ce qu’il peut faire, c’est me vendre un cadre pour que je puisse au moins l’offrir à quelqu’un. Et oui, je ne veux pas la garder : elle m’a causé trop de soucis… Je me suis vraiment fait chier pour rien, avec cette histoire !
Vendredi 29 septembre
11h30 : L’argent gagné à la foire Saint-Michel ne m’aura pas profité longtemps : ce que je n’avais pas encore dépensé au marché ce matin, je le débourse à la Fnac pour un équipement qui manquait à mon nouvel ordinateur… C’est là qu’on voit que l’inflation n’est pas un mythe ! Paradoxalement, ça me rassure presque : je me dis que les gens dont la situation est (apparemment) moins précaire que la mienne doivent avoir autant de difficultés (sinon plus), alors à quoi bon culpabiliserais-je ?
15h : Thomas Azuélos est à la bibliothèque universitaire pour nous parler de Toute la beauté du monde, une bande dessinée de fiction qui se déroule en 1939 avec pour toile de fond la retirada des républicains espagnols en déroute et la seconde guerre mondiale qui approche… Ce talentueux dessinateur s’était fait connaître par ses BD documentaires, consacrées à des sujets tels que la grève des transbordeuses d’orange au début du XXe siècle ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Sur le premier sujet, il souligne le fait que, malgré la dureté de leur travail, ces femmes n'en ont pas moins tissé une vraie sororité qui leur a été précieuse dans leur lutte. Sur le second, il met l’accent sur le fait que, quand il allait à la rencontre des zadistes, ceux-ci se méfiaient comme de la peste des journalistes mais se confiaient volontiers à un auteur de BD ! J’illustre ces deux idées de façon gentiment iconoclaste : quand je les lui montre, ça le fait rire, de même que les deux caricatures sur le vif que j’ai exécutées pendant qu’il parlait… C’est gratifiant pour moi, bien sûr !
La jeune femme qui présentait Thomas Azuélos au public :
Thomas Azuélos lui-même :
Les deux dessins inspirés par ses propos :
18h45 : J’arrive à la piscine de Recouvrance. Et oui, j’ai enfin décidé d’apprendre à nager ailleurs que dans l’eau de mer. Comme toujours quand je débarque dans un lieu inconnu, je suis un peu perdu. Je dois donc prendre sur moi pour demander aux autres usagers comment ça se passe : heureusement, on me renseigne gentiment. La seule chose qui me surprend vraiment est le fait que nous gardions la clé de notre casier au poignet ! J’espère que ça ne va pas me gêner…
18h50 : Je suis déjà prêt. Je ne veux pas savoir de quoi j’ai l’air avec mon bonnet sur la tête et mon boxer de piscine – une alternative acceptable, et d’ailleurs acceptée par le règlement, au pathétique slip de bain. De toute façon, personne ne se juge : les nageurs confirmés, avec leurs corps de statues grecques, auraient pourtant de quoi se moquer des débutants dont je fais partie ! Je n’ose pas espérer qu’une pratique régulière de la natation me fera ressembler à eux un jour… Ce n’est de toute façon pas le but premier de ma démarche !
19h : Le cours commence. La monitrice semble plutôt gentille et patiente : il en faut avec des gens qui, comme moi, ne savent même pas faire la planche ! Au début, j’ai un peu de mal à mettre la tête sous l’eau : pourtant, très vite, ça ne me pose plus de problèmes… Elle semble satisfaite de que j’arrive à faire : pour l’instant, je progresse à un rythme acceptable… Je me demandais à quoi ressemblerait le public dominant de cours pour débutants : je suis très surpris d’y voir surtout des femmes noires ! Je ne sais pas comment l’interpréter…
20h30 : J’arrive en retard au cinéma Les Studios où se tient un ciné-débat autour du documentaire Au Clemenceau animé par le réalisateur Xavier Gayan et mon ami psychologue Mathieu Favennec. Le documentariste a filmé les clients de ce bar-tabac-PMU de Saint-Raphaël : autant dire qu’on y touche le fond de la « France d’en bas », avec son cortège d’individus blessés par la vie et abandonnés par l’État qui trouvent le refuge dans l’alcool et le jeu… Le Groland en vrai, en somme ! J’avoue avoir quand même un peu de mal à éprouver une vraie empathie pour ces personnages qui ressemblent trop, au mieux aux gros beaufs dont mes caricatures sont remplies, au pire aux cas sociaux qui me pourrissent la vie ! Surtout quand j’en vois un défendre le discours anti-migrants de Marine Le Pen… Pourquoi aurais-je pitié d’un SS en puissance ? Et quand il chante La Marseillaise avec d’autres clients (dont un Maghrébin…), je me bouche les oreilles : c’est au-dessus de mes forces ! Le fim est pourtant intéressant : c’est vrai qu’on ne nait pas poivrot, on le devient…
Quelques croquis représentant les "acteurs" du film...
...puis Mathieu et le réalisateur.
23h : Je rate le bus pour Lambé. Le prochain ne passe que dans une heure… Après avoir craché les jurons d’usage, je décide de rentrer à pied. Encore une réaction dont j’aurais été incapable il n’y a guère. J’ai le sentiment de mettre en pratique une parole pleine de sagesse prononcée par Amélie Nothomb à l’époque de la promo de Riquet à la houppe :
« À tout instant nous avons le choix. Bien sûr, nous sommes condamnés à certaines choses par nos choix de vie, mais on peut décider à tout instant comment on va le vivre. Est-ce qu’on va le vivre avec classe, est-ce qu’on va le vivre avec panache, ou est-ce qu’on va le vivre en s’écrasant ? »[1]
Pour ma part, j’ai décidé de ne plus m’écraser…