Du 2 au 6 décembre : Macron et Barnier sont dans un bateau, Barnier tombe à l'eau, qu'est-ce qui reste ?
Autant vous le dire tout de suite : il y aura peu d'illustrations cette semaine. En effet, je n'ai pas trouvé de date à commémorer et je n'ai pas eu le temps de faire du dessin d'actualité, étant accaparé notamment par la préparation d'une BD. Je ne pourrai donc vous montrer que quelques croquis, réalisés dans cette optique, qui n'ont finalement pas été retenus, plus le dessin ci-dessus, exécuté au cours du soir, qui tombe à point pour illustrer ma fatigue morale actuelle...
Lundi 2 décembre
11h30 : Après un week-end nul, je débarque au Beaj Kafé pour écrire. J’ai ainsi l’occasion de jeter un œil sur les unes de la presse qui se posent toutes la même question : Barnier va-t-il sauter ? Question stupide : ce gouvernement, né du refus de Macron de cohabiter avec la gauche, est illégitime depuis le premier jour, il est déjà invraisemblable qu’il ne soit pas déjà tombé ! Pour ma part, j’ai eu ma dose d’émotions fortes avec les législatives de l’été dernier, j’imagine que je ne suis pas le seul, alors j’aimerais bien que les politiciens nous laissent souffler un peu !
15h30 : Toujours dans l’incapacité d’envoyer des SMS, j’appelle une seconde fois l’assistance Free : la personne au bout du fil finit par me dire qu’elle ne peut rien pour moi si je laisse ma carte SIM sur mon vieux téléphone à touches et qu’il faut que je la mette sur un modèle plus récent… Je craque et je hurle dans le téléphone une phrase grossière que je ne devrais pas dire à un pauvre travailleur précaire. Mais ce propos ordurier, ce n’est pas à l’individu au bout du fil que je l’adresse : c’est à cette société qui veut à tout prix me dicter mes choix !
18h30 : Il ne manquait plus que ça : à peine un mois après m’avoir demandé mes revenus trimestriels pour pouvoir calculer le montant de mon AAH, la CAF me le redemande… Pour le RSA ! Alors qu’il m’avait été dit clairement qu’à partir du moment où je touchais l’AAH, je ne pouvais plus prétendre au RSA ! Je pensais donc être tranquille jusqu’au trimestre prochain, mais non : ils ont besoin que je leur déclare ce qu’ils m’ont versé pour s’assurer qu’ils ne me doivent plus rien ! Décidément, plus con que l’administration, tu meurs !
Mardi 3 décembre
18h30 : Je reçois la visite d’une amie qui m’expose la nouvelle marotte de l’éducation nationale : apparemment, quand arrive la saison des rencontres tripartites (élèves-parents-professeur), il est désormais demandé qu’elles ne se fassent pas en présence de deux enfants issus d’une même fratrie. En clair, ça veut dire vous serez forcément convoqués autant de fois que vous avez d’enfants dans une même école ! Voilà qui réconcilie avec l’enfant unique, il ne faut pas s’étonner si la natalité ne repart pas à la hausse !
Mercredi 4 décembre
9h45 : N’en pouvant plus de l’assistance téléphonique, j’ai pris rendez-vous à la boutique Free de la rue Jaurès pour un entretien physique. Je suis arrivé un peu avant l’ouverture, il y a déjà plusieurs personnes, toutes d’un certain âge, qui piétinent elles aussi devant la porte. Je m’assieds sur le parvis pour y poursuivre la lecture de Longues peines de Jean Teulé : une dame me demande ce que je lis. Surpris par cette curiosité à laquelle je ne m’attendais guère, je réponds que ça ne la regarde pas ! Heureusement, elle n’insiste point. Après avoir fini mon chapitre et constaté que l’heure de l’ouverture approchait, je me lève : je présente à la dame ma carte « Je suis autiste » pour expliquer ma réaction qui était sans doute inattendue voire inappropriée, et je montre la couverture de mon livre. S’ensuit ce dialogue (c’est elle qui commence) :
- Ah, Teulé, très bien ! Et puis un jeune comme vous qui lit, chapeau !
- Ne me traitez pas de jeune, madame, j’ai trente-six ans.
- Oui, mais vous êtes jeune par rapport à moi !
- Tout est relatif, madame.
- Oui, tout est relatif, vous avez tout dit !
Et une pièce supplémentaire à ma collection de rombières débiles…
10h : La boutique est ouverte, je suis pris en charge aussitôt. Je craignais de tomber sur un geek qui me mettrait la pression pour que j’achète un smartphone. Mais non : je suis reçu par une jeune femme affable qui, après quelques manipulations, déclare qu’à ses yeux, c’est ma carte SIM qui fatigue. Elle se propose donc de m’en faire parvenir une nouvelle gratuitement. Évidemment, j’accepte ! Encore une victoire sur le diktat du smartphone !
10h30 : « T’as vu, le gouvernement Barnier est censuré ! Alors, t’es content ? Oublie pas de dire merci à Marine et à Jordan ! » Voilà ce que j’ai l’impression d’entendre quand je vois les unes de certains journaux qui ont déjà oublié que le RN, quoi qu’on en dise, a bel et bien perdu aux dernières législatives… Plus sérieusement, malgré l’aversion que m’inspire Macron, j’espère qu’il va tenir le coup quand même car je n’ai vraiment pas la tête à de nouvelles élections et il n’y a certainement pas que moi ! Lâchez-nous la grappe, Noël, c’est bientôt Bordel ! Enfin, je veux dire… Excusez, c’est la fatigue…
17h : J’apprends que le restaurant La Diff’, qui emploie essentiellement des personnes en situation de handicap, s’est vu refuser par la région Bretagne le statut d’entreprise adaptée ! Cette décision aberrante ne m’étonne cependant qu’à moitié : avec toutes les galères que j’ai dû traverser (et que je continue à subit) pour obtenir l’AAH et la PCH, je suis bien placé pour témoigner que, par-devant, les décideurs politiques multiplient les beaux discours en faveur de l’inclusion des handicapé(e)s mais que, par-derrière, les individus qui sortent du lot sont toujours considérés comme des sous-citoyens dont le sort devrait être laissé au bon vouloir des dames patronnesses ! Mais comment en vouloir aux politiciens : ils savent pertinemment que les gens « normaux » sont dégoûtés par les personnes « différentes », alors pourquoi se soucier de ces dernières qui ne sont jamais qu’une minorité ? On n’a jamais que les élus qu’on mérite… Une pétition est en ligne pour soutenir la Diff’, je l’ai signée sans hésiter. Et vous ?
20h30 : Je retrouve le Biorek après un mois de séparation : les retrouvailles ont lieu juste en face du cinéma Les Studios dans un vaste local immanquable qui remplace avantageusement le petit gourbi trop discret qu’Alexandre et sa mère avaient cependant su transformer en petit coin de paradis. L’esprit du restaurant reste sensiblement le même, j’ai la bonne surprise de ne pas être tellement dépaysé. Un petit coin de paradis contre un GROS coin de paradis, je ne perds pas au change, pardi !
Jeudi 5 décembre
11h : En ce moment, je n’ai plus que deux soucis majeurs : mon problème de carte SIM et une bande dessinée que j’aimerais boucler avant les vacances de Noël. C’est peu, mais c’est suffisant pour m’accaparer alors que je suis déjà bien fatigué ! Alors quand le courant est coupé alors que je suis en train d’écrire un mail à mes parents, je me dis que c’est la contrariété de trop ! Après avoir constaté que mon disjoncteur n’a pas sauté, j’ouvre la porte de mon appartement et j’entends mon voisin du dessus gueuler contre la coupure : donc, c’est tout l’immeuble qui est concerné. Un coup de fil à mon bailleur ne donnant rien, je m’adresse à la filiale d’EDF qui me fournit en énergie : apparemment, c’est un accident qui concerne toute la rue… Je raccroche en prétextant que j’ai besoin de me calmer, ce qui n’est même pas un mensonge ! Le courant est rétabli deux heures plus tard : encore heureux que c’était une panne de secteur car si elle avait été plus isolée, on y serait encore le lendemain…
16h30 : Je fais ce qui m’aurait semblé impensable il y a encore quelques années : je revends le fameux numéro de Charlie Hebdo publié au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 ! Souvenez-vous, celui avec la couverture de Luz représentant un barbu à turban avec une pancarte « Je suis Charlie »[1] ! Mais vous ne savez pas le pire : chaque fois que je revends un Charlie, je prends soin de scanner au préalable les textes et les dessins sont je souhaite garder une trace, ce qui peut prendre plus d’une heure de boulot, et pour ce numéro historique, je ne retiens que… Deux documents ! À savoir une déclaration de Charb[2] et un dessin de Tignous[3] qui avaient été republiés pour l’occasion ! Et oui : avec le recul, le reste du contenu de ce numéro, sans m’apparaître inintéressant pour autant, ne me paraît plus forcément digne d’être conservé à tout prix ; ce que les survivants des attentats avaient pu dire, écrire ou même dessiner après ce drame, je l’ai tellement entendu depuis (quand je ne l’ai pas pensé moi-même) que je le connais par cœur ! Voilà donc pourquoi, ayant besoin de place et d’argent, je n’ai eu aucun remords à revendre cette édition : de ma part, c’est un peu un blasphème, mais si nous avons manifesté un certain 11 janvier, n’est-ce pas justement pour défendre le droit au blasphème ? Alors je pense que les gens de Charlie, qui ne se prennent même pas pour des prophètes, sont capables d’accepter le blasphème même quand c’est à leur encontre ! Mais le pire, ce n’est même pas ça : vous vous souvenez des prix fous auxquels certains spéculateurs sans scrupules avaient négocié ce numéro au plus fort de l’émotion suscitée par la tuerie ? Et bien aujourd’hui, le prix que j’ai pu en tirer, frais de ports non compris… Ne dépasse pas un euro ! Sic transit gloria mundi[4], tu l’as dit bouffi !
Vendredi 6 décembre
8h30 : Macron a annoncé qu’il irait au bout de son mandat. Ben j’espère bien, il a été réélu pour ça ! Lui qui veut nous faire bosser jusqu’à 64 ans, il ne manquerait plus qu’il lâche l’affaire à 47 (si j’ai bien calculé) ! Et puis un capitaine n’abandonne jamais son navire en perdition… Même si c’est lui qui l’a sabordé ! Plus sérieusement, je ne suis pas étonné : depuis qu’il est à l’Élysée, il y a eu les Gilets jaunes, la pandémie, la guerre en Ukraine, les grèves de l’année dernière et j’en passe… Malgré toute l’aversion que peut inspirer sa politique, il faut lui laisser ça : il est coriace. Je ne le vois pas démissionner dans l’immédiat… D’autant qu’il doit juger qu’Édouard Philippe n’est pas encore tout à fait prêt !
11h50 : Avant de retrouver deux amies au Biorek, je termine la lecture de Longues peines. Jean Teulé était surtout connu pour ses romans historiques, mais je crains que ce bouquin, qui dépeint l’univers carcéral sans fausse pudeur, ne soit pas près de cesser d’être actuel… Que dire d’autre ? L’écriture de Teulé est si percutante que tout commentaire serait superflu ! C’est vous dire si c’est écrivain n’a pas fini de nous marquer… Et de nous manquer.
[1] Contrairement à certaines personnes, je ne suis pas du tout certain qu’il s’agissait bien de Mahomet – rien dans l’image ne l’explicitait. Si tel était toutefois le cas, on pourrait envisager le dessin de Luz comme une « suite » de celui de Cabu, publié neuf ans plus tôt, où le prophète déclarait, accablé, « C’est dur d’être aimé par des cons » pour désavouer ouvertement les intégristes – et seulement ceux-là.
[2] Extrait : « Il n’y a pas de musulmans modérés en France (…), il y a des gens qui sont de culture musulmane, qui respectent le ramadan comme moi je peux faire Noël et bouffer de la fin de chez mes parents, mais ils n’ont pas à s’engager plus que ça contre l’islam radical en tant que musulmans modérés, puisqu’ils ne sont pas musulmans modérés, ils sont citoyens. (…) »
[3] Il représentait une femme soulever sa burka pour montrer son porte-jarretelles ! Les replis intérieurs de la dite burka formaient des visages barbus aux yeux concupiscents et aux nez phalliques…
[4] « Ainsi passe la gloire du monde », ‘faut tout vous dire !