Du 1er au 8 septembre : lisez mon Voyage en Normalaisie !
Commençons par le dessin de couverture de mon nouveau livre, Voyage en Normalaisie, qui vient de paraître chez L'Harmattan :
Vendredi 1er septembre
23h : Je me doutais bien, après quatre semaines à me faire dorloter par mes parents, que le retour à la réalité serait un peu rude… Mais je ne pensais pas que ce serait brutal à ce point-là ! Je viens de rentrer des Marinades de Recouvrance, où j’avais promis de tenir mon stand de caricaturiste, et en à peine six heures de sortie en ville, j’aurai eu droit à l’éventail à peu près complet de tout ce qui me rend la vie citadine quotidiennement insupportable : les motos qui hurlent, les crétins qui braillent dans leurs smartphones, les cas sociaux qui veulent à tout prix me taxer la monnaie et les cigarettes que je n’ai pas, les vieilles peaux qui s’imaginent que je suis forcément plus à même qu’elles de me servir d’un appareil électronique défectueux… Je ne peux même pas savoir à quelle heure passent les bus car on n’affiche déjà plus que les horaires de rentrée, l’usager étant naturellement supposé détenir un smartphone pour savoir quand passera le prochain véhicule. Le comble, c’est que le bilan de cette dernière « marinade » de la saison n’est même pas tellement positif pour moi : quatre clients seulement, très peu de rencontres, quasiment aucune velléité de discussion de la part du public… Il faut dire que les organisateurs m’avaient placé juste à côté de la scène : pour la première partie, ça allait, nous avons eu droit à une charmante jeune femme qui chantait de façon ravissante en s’accompagnant à la guitare et qui a même eu le bon goût de nous proposer une reprise de « La princesse et le croque-notes », chanson de Brassens injustement occultée… Mais après ce gracieux tour de chant, il a fallu subir le beau-frère de la demoiselle, une espèce de grand dadais à la chevelure peroxydée qui nous a fait subir… Devinez quoi ? Et oui : un DJ set ! Ce qu’il y a de plus bidon, de plus casse-pieds, de plus parasite dans le monde du spectacle ! Qu’on appelle « musique » ce qu’il diffuse, passe encore, il en faut bien pour tous les goûts, que de tels individus soient utiles pour mettre l’ambiance dans certaines soirées, je le conçois aussi, mais il est hors de question que je reconnaisse comme un artiste un individu qui se borne à passer une playlist enregistrée sur une clé USB et qui remue les bras pour faire croire aux naïfs qu’il exécute une chorégraphie ! Bref, le blondinet n’a pas encouragé les gens à s’approcher et m’a sérieusement cassé les oreilles (pour rester poli) : je suis parti une heure et demie plus tôt que prévu, conscient que je n’aurais pas un client de plus… Je me rappelle non seulement pourquoi j’avais besoin de vacances mais aussi pourquoi j’espère que cette saison apportera du changement dans ma vie !
L'une de mes rares clientes :
La jeune chanteuse en pleine action :
Samedi 2 septembre
15h : Me revoici à Sainte-Anne pour profiter de ce week-end ensoleillé avant de me replonger dans le tourbillon de la vie. Entre deux bains de mer et après un casse-croute mérité, j’arrive enfin à finir la lecture de Tarass Boulba de Gogol : j’ai eu un mal de chien à entrer dans cette histoire ! J’avoue ne pas être fou de la littérature russe (toute considération géopolitique mise à part), même si je me doute que ce doit être une langue difficile à traduire en français. Mais même au-delà de ça, je n’arrive pas à m’intéresser à l’histoire de ce vieux fou fanatique qui n’a que les mots « religion », « famille » et « patrie » à la bouche : je n’ai jamais réussi à éprouver un atome de respect pour tous ces sabreurs prêts à se sacrifier (et qui, au passage, sacrifient surtout les autres) au nom de « valeurs » qui puent à plein nez, au mieux, l’ennui, au pire, l’ossuaire. J’aime encore mieux son fils, celui qui trahit « son » camp par amour : on lui impose un camp sous prétexte qu’il est né quelque part, alors même qu’on ne lui a jamais demandé son avis, et il fait le libre choix de le renier pour la plus belle cause qui puisse exister sur terre, les beaux yeux d’une demoiselle… J’adore ce garçon, j’aimerais relire l’histoire réécrite de son point de vue ! Ajoutez à ça que la description qui y est faite des Juifs est absolument abjecte (je comprends mieux pourquoi Gotlib, qui avait dû fuir l’antisémitisme de Vichy, a éprouvé le besoin de tourner ce roman en dérision) et que la conclusion, en promettant un Tsar qui vengera les Cosaques contre les Polonais, exhale une affreuse odeur de propagande nationaliste, et vous comprendrez pourquoi je ne conseille pas cette lecture !
Deux croquis exécutés sur la plage :
Dimanche 3 septembre
15h : Nouvelle journée ensoleillée, nouvelle sortie à Sainte-Anne, nouveaux bains de mer, nouveau pique-nique et nouvelle lecture en attendant que la mer remonte. Cette fois, j’ai emporté le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot et Les révoltés de la Bounty de Jules Verne. Deux auteurs distants d’un siècle entre lesquels je ne peux cependant pas m’empêcher de tisser des passerelles : tous deux, à leur façon, expriment, en se basant sur des faits réels, une critique de la morale chrétienne occidentale et le désir de refonder la vie sur des bases plus saines, l’un par le fameux dialogue entre Orou et l’aumônier (« Mais ma religion ! Mon état ! » Pauvre con...), l’autre par la société que les mutins ont fondée en osant le métissage avec les populations océaniennes… Deux auteurs actuels ? Et comment !
D'autres croquis de plage :
Mercredi 6 septembre
10h15 : Après deux journées consacrées à régler des formalités diverses, j’arrive à la piscine de Recouvrance, bien décidé à m’inscrire pour prendre des cours de natation. Les inscriptions ne débuteront que dans trois quarts d’heure, mais je m’approche tout de même de l’entrée. Bien m’en prend : il y a déjà la file ! J’ai compris : si je ne commence pas tout de suite à faire la queue, il y aura dix fois plus de monde dans une demi-heure… Je me joins donc à la file d’attente, histoire de ne pas compromettre excessivement mes chances d’avoir une place. Pour affronter cette attente, je dispose heureusement d’un attirail complet : mon casque anti-bruit pour ne pas subir les conversations des autres personnes et mon téléphone portable pour envoyer des messages peu urgents mais essentiels à quelques amis…Ce n’est pas la première fois que je vois ça : déjà quand j’avais commencé à m’inscrire aux cours publics des Beaux-arts, j’avais dû anticiper des files démentielles. Il y aurait une étude à écrire sur cette espèce de ruée sur les loisirs que je constate à chaque rentrée… Qu’est-ce que les gens doivent se faire chier dans leurs vies, tout de même !
Un petit dessin sur la rentrée des classes :
19h15 : J’arrive au Comix où doit avoir lieu la première scène ouverte Mic Mac de la saison : kenavo le Café de la plage, la connerie sous-préfectorale nous oblige à quitter la place Guérin et à nous replier dans ce bar qui, il est vrai, était le lieu d’accueil originel de ces soirées. À peine arrivé, je sue déjà à grosses gouttes tant il fait chaud : ce n’est pas fait pour arranger le malaise que j’éprouve à chaque fois que je pénètre dans un endroit auquel je ne suis pas habitué. De prime abord, le site me plait moins que le Café de la plage : la décoration me parait surchargée et il me serait impossible de me mettre à l’écart sans être totalement invisible. Mais je sais qu’on change d’avis. Pour patienter, je fais un croquis d’un jeune couple assis devant moi : la jeune fille me remarque… Heureusement, mon dessin semble lui plaire, mais je me demande encore comment faisait Cabu pour dessiner sur le vif sans se faire repérer.
20h15 : La soirée tarde à démarrer. Quand Mequi arrive, je ne le reconnais même pas : avec les cheveux longs et sans sa casquette (dont le port, il est vrai, aurait été contre-indiqué par cette chaleur), il a l’air déguisé, de sorte que ce n’est qu’après coup que je réalise que j’ai eu tort de répondre aussi froidement à ses salutations… Je sais qu’il ne m’en voudra pas, n’empêche que pour l’heure, c’est un début mitigé.
20h30 : Morgane, qui est une de mes chouchoutes parmi les habituées des scènes ouvertes, est arrivée : elle m’annonce qu’elle ne chantera pas car elle ne se sent pas d’humeur. Mais sa présence m’est tout de même bénéfique : comme je n’ose pas demander aux patrons de l’établissement l’autorisation de déplier mon présentoir signalant mon activité de caricaturiste, elle veut bien s’en charger pour moi, et la proposition est acceptée sans problème… Je n’aurai pas la joie de l’écouter chanter, mais j’aurai eu le plaisir de recevoir de sa part une belle marque d’amitié.
21h30 : Après un tour de chant de Mequi accompagné d’un complice, c’est à mon tour de m’exprimer. La chaleur et le stress de la nouveauté influent négativement sur ma diction, mais je m’accroche tout de même, ne souhaitant pas avoir apporté mon classeur de slams pour rien. J’interprète « Sex symbol junior » pour capter l’attention de l’auditoire avec un mélange d’humour et de provocation ; je poursuis avec « Pourquoi si tôt ? » où je reviens sur le harcèlement dont j’ai été victime à l’école et qui me paraît de circonstance en cette période de rentrée des classes ; je termine avec « Voyage en Normalaisie », histoire de faire une peu de promo pour le livre du même nom. Morgane, rejointe par son compagnon, m’avoue préférer les deux derniers slams qui la touchent personnellement : comme quoi je peux aussi émouvoir les gens…
22h : Passage sur scène d’un autre de mes chouchous, Carlos l’espagnol, qui interprète une première chanson en s’accompagnant… À la table ! Et oui : en Castille, quand les gens étaient pauvres au point que leurs tables ne portaient aucune nourriture et qu’ils ne pouvaient s’acheter d’instruments de musique, ils tentaient d’oublier leur misère en chantant et leurs tables désertes leur tenaient lieu d’instruments à percussions… Après cette performance, Carlos reprend sa guitare et se remet à chanter avec son talent habituel : ce muchacho m’étonnera toujours !
22h30 : J’ai enfin un client : un type qui, de son propre aveu, est déjà trop bourré pour avoir les idées claires. Mais bon, il a de quoi payer, alors je ne fais pas le difficile. Mine de rien, malgré les conditions dans lesquelles je me trouve obligé de travailler, je me surprends à faire une excellente caricature ! Soit le stress est un stimulant, soit je suis plus fort que je ne pensais… Il me tarde cependant de partir pour ne pas rater le dernier bus : j’espère qu’il fera moins chaud la prochaine fois et, surtout, que je me serai déjà habitué à ce nouvel environnement.
Jeudi 7 septembre
7h : Déjà levé. J’ai résolu d’aller à Decathlon afin d’y acheter un maillot pour la piscine. Inutile de partir maintenant, j’arriverais avant l’ouverture. Alors, en attendant, je relis La femme du boulanger de Pagnol… Si j’étais un individu « normal », j’aurais allumé la radio pour écouter les prétentieux qui déblatèrent sur l’actualité dès le matin, ou alors j’aurais ouvert la télé pour regarder Télématin. Être différent, ça a du bon.
Vendredi 8 septembre
8h40 : Qu’y a-t-il de plus désagréable qu’attendre un bus déjà en retard dans une rue encombrée par une circulation monstrueuse, alors qu’on doit absolument prendre les transports en commun pour honorer un rendez-vous chez le médecin, qui plus est avec le vacarme d’un chantier juste en face ? Sûrement beaucoup de choses… Mais sur le coup, je n’arrive pas à voir lesquelles ! La situation est d’autant plus stressante que je ne peux m’empêcher de comparer cette ambiance avec celle de La femme du boulanger dont je viens de terminer la relecture : dans le village dépeint par Pagnol, les gens se détestent entre eux, mais ça ne les empêche pas de se connaître et d’arriver à faire corps quand les circonstances l’exigent. En revanche, dans une rue embouteillée, il est très clair que les gens se détestent sans même se connaître, ce qui est encore pire… L’arrivée du bus est donc plus qu’attendue : je serais moins heureux de voir débarquer Tarzan, Zorro, Superman ou Jésus-Christ ! En attendant, pour prendre mon mal en patience, je m’imagine à la place du berger qui a enlevé la belle boulangère… L’arrivée des villageois qui viennent la ramener à son mari ? Même pas peur ! Pagnol me rappelle les tragiques grecs : comme Eschyle, il n’envenime jamais rien, même le plus dur à accepter.