Du 17 au 24 janvier : Donald Trump est à nouveau... Réceptacle officiel de toutes les vilénies et bassesses de l'humanité !
Vendredi 17 janvier
16h : Tout est prêt, ou peu s’en faut, pour que je parte à la piscine : je me dispose donc à passer deux heures tranquilles en attendant l’arrivée de l’Accemo[1] qui doit m’y conduire quand, tout à coup, on m’appelle à l’interphone. Légèrement agacé d’être importuné pour la deuxième fois de la journée, je décroche : ce sont les voisins d’en face qui me signalent un départ de feu derrière l’immeuble ! Quelque paniqué (mettez-vous à ma place), je descends pour en avoir le cœur net : effectivement, sur le talus auquel est adossé le bâtiment, je distingue une espèce de panier surmonté d’une sorte de canette et il s’échappe de cet assemblage incongru une fumée de plus en plus abondante ! Et bien sûr, l’endroit est difficilement accessible, d’autant que l’humidité a transformé le lieu en bourbier ! Après avoir vidé trois ou quatre bassines et risqué deux ou trois gamelles, nous parvenons finalement à maîtriser ce départ de feu. Les voisins se disent sidérés qu’aucun occupant de l’immeuble n’ait remarqué la fumée : je réponds qu’en prévision de mon départ, j’avais déjà baissé le volet de ma seule fenêtre donnant sur l’arrière et que les autres locataires ne brillent pas par leur intelligence ; je me permets même d’ajouter qu’ils ont eu de la chance de tomber sur moi car, s’ils avaient sonné chez quelqu’un d’autre, ils se seraient probablement heurtés à un mur d’incompréhension ! On me dit souvent que j’ai une mauvaise image de moi-même, mais je ne me prends pas pour de la crotte pour autant : je sais qu’il y a pire que moi…
18h : L’Accemo est là. Le chauffeur m’appelle par mon prénom, ce que je n’apprécie que modérément. Je croise les doigts pour qu’il ne se mette pas à me poser des questions intrusives. C’est un fait que notre société manque de convivialité et qu’il est légitime que certaines personnes soient en quête de contact humain ; cependant, sans arriver à dire que les gens du spectre évitent la convivialité, c’est peu dire que nous n’en faisons pas un but à atteindre à tout prix : pas au point en tout cas d’accepter qu’on nous l’impose quand nous ne la désirons pas… Mais allez faire comprendre ça aux neurotypiques !
Croquis réalisé à la piscine en attendant l'heure du cours :
20h40 : J’arrive au Kafkerin où le conteur Martin Deveaud donne son spectacle. À l’heure qu’il est et après le cours de natation, je serais mieux chez moi, mais je n’ai pas osé refuser l’invitation d’un copain. Reiser avait raison : « quand on veut avoir vraiment la paix, faut pas avoir de copains[2] » ! Un bon point quand même : le copain en question s’offre de me reconduire après la représentation, et comme il est septuagénaire (je ne pratique pas la discrimination de l’âge), il ne s’attarde pas, ce qui m’évite un esclandre similaire à celui qui avait suivi la soirée rap du mois dernier. Que dire du spectacle de Martin Deveaud ? Qu’il est en prise directe avec notre époque, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites : le conte n’est pas nécessairement voué à ne servir qu’à l’évasion du public et peut aussi offrir un regard sur la société. D’ailleurs, ceux qui nous sont parvenus et que les frères Grimm ou Charles Perrault ont retranscrit n’avaient pas d’autre finalité : souvenez-vous de la morale de Cendrillon qui critiquait ouvertement les mœurs de cour ! Et si Barbe bleue et Riquet à la houppe ne parlaient pas de la société, Amélie Nothomb aurait-elle pu en donner d’aussi brillantes versions modernes ? Martin Deveaud jure que les histoires qu’il raconte sont authentiques : elles sont en tout cas suffisamment vraisemblables pour donner à réfléchir sur les absurdités de ce monde fou et cruel qui est le nôtre…
Martin Devaud en pleine action, vu part votre serviteur :
Samedi 18 octobre
17h50 : J’arrive à la MPT de Saint-Pierre où doit se tenir une conférence sur le costume de Brest. Je ne me suis pas encore remis de la causerie de Micheau-Vernez fils, mais j’ai tellement peur de passer à côté de quelque chose d’important que je suis quand même venu. Damné sens du devoir ! C’est donc de très mauvaise grâce que je me suis rendu en ces lieux pour écouter un orateur qu’on m’annonce « passionné et passionnant » : j’espère de tout mon cœur que c’est vrai…
18h30 : Je suis bien déçu ! Non seulement la causerie manque cruellement de structure mais l’orateur me fait penser à Bruno Lochet dans Les Deschiens ! Ma patience est sérieusement entamée, et quand une femme d’âge mûr laisse sonner son téléphone qu’elle avait oublié d’éteindre, je ne peux m’empêcher de lui décocher « Et après, on dit que ce sont les jeunes qui sont irrespectueux » ! C’est peut-être un peu dur… N’empêche qu’on a interdit les cigarettes dans les lieux publics : le jour où circule une pétition pour en faire autant avec les téléphones, je la signe les yeux fermés !
19h30 : Pourquoi sont-ce toujours les orateurs les moins doués qui s’attardent le plus ? Bon, la réponse est contenue dans la question : un vrai conférencier sait quand s’arrêter… Afin de ne pas devoir rester plus longtemps rien que pour solliciter l’envoi d’un document iconographique, je décide de prendre une photo d’un chapeau qu’il avait apporté et de me carapater en vitesse. En vue de mon cliché, j’écarte donc un tas de nippes : si j’avais chié dans un bénitier, l’assistance aurait été moins choquée ! Une fois la photo prise, je sors donc sous les regards courroucés que me vaut mon crime de lèse-fringues : il fait déjà nuit, le prochain bus n’est que dans un quart d’heure, et malgré le froid, un couple de glands fait hurler son autoradio, fenêtres grandes ouvertes… You know what ? I’M FED UP ![3]
Quelques croquis préparatoires pour une planche de BD :
Dimanche 19 janvier
18h : Je termine la lecture d’un ouvrage consacré à Alexandre de Humboldt. Quel type c’était, quand même ! Esprit universel, héritier des lumières, épris de liberté et de justice… C’était l’homme de sciences dans toute la noblesse de l’expression : il n’avait peur de rien car il était curieux de tout. Évidemment, je ne peux m’empêcher d’écraser une larme : que dirait-il s’il voyait le monde actuel céder à la facilité du repli sur soi, même et surtout sur ce continent américain dont il fut, dit-on, le second découvreur[4] ? Et que penserait-il, lui qui a répertorié voire découvert tant d’espèces animales et végétales, en constatant la frénésie avec laquelle nous exterminons les êtres vivants non-humains avant même d’avoir pris la peine de les connaître ? Remarquez, en son temps déjà, il était seul contre tous : ses compatriotes prussiens voyaient d’un mauvais œil sa trop grande proximité avec les lettrés français… Les génies sont tous plus ou moins voués à être solitaires et incompris : ce n’est évidemment pas une raison pour ne pas puiser à leur source de quoi croire encore un peu en l’homme… Malgré tout.
Lundi 20 janvier
21h30 : Mes parents m’ont prêté quelques pièces de leur vaste collection de bandes dessinées afin que je puisse boucler la conférence sur l’histoire de la bande dessinée francophone que je suis censé donner le 4 février prochain. Dans le tas, il y a notamment QRN sur Bretzelburg que j’ai relu avec un plaisir renouvelé : on dit souvent que les Idées noires sont le chef-d’œuvre de Franquin, mais cette aventure de Spirou et Fantasio n’a rien à leur envier ! Le dessinateur a beau avoir accouché de cette histoire dans la douleur, il n’empêche qu’il y est au sommet de son art, qui plus est avec le concours d’un des plus grands scénaristes de tous les temps, le formidable Greg. Comment oublier le transistor dans le nez du Marsupilami, l’autobus à pédales, les tortures du docteur Kilikil ? Et ces inoubliables personnages prétendument secondaires comme Trinitro, qui manie les explosifs comme si c’étaient des jouets, le pauvre Switch qui tremble d’un bout à l’autre et ne retrouve le calme qu’auprès de son cher matériel de phonie, et bien sûr l’ignoble général Schmetterling, incarnation ultime et simultanée de la soldatesque galonnée et de la pègre à couverture respectable ? Comme tous les méchants réussis, il est tellement mauvais qu’il en devient sympathique… Si vous n’avez pas lu QRN sur Bretzelburg, vous ne méritez pas de lire mon journal, alors dépêchez-vous de vous procurer cet album d’une façon ou d’une autre, vous ne le regretterez pas !
Mardi 21 janvier
10h30 : Pour boucler le diaporama qui accompagnera ma conférence, il me manque encore une citation que je peux retrouver dans un ouvrage disponible à la bibliothèque universitaire. J’ai bien entendu pris soin de noter la côte du livre, qui n’est pas dans les rayons mais est conservé en magasin : quand je la donne au bibliothécaire qui me prend en charge, il ne la note même pas et part chercher le bouquin après l’avoir retenue par cœur ! « Frimeur », ne puis-je m’empêcher de dire à sa collègue : celle-ci, après avoir exprimé ses dénégations de mon jugement pour le moins lapidaire, se permet de me dire qu’elle me trouve une « petite mine » et me demande ce qui ne va pas chez moi. Jugeant sa question intrusive, pour ne pas dire déplacée, je lui montre ma carte « Je suis autiste » : « Oh, je suis désolé, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise », se confond-elle ; il n’empêche que le résultat est là…
12h : Au Beaj Kafé, j’ai l’occasion de revoir Paty, l’ex-patronne de La Vagabunda, ce lieu hybride où j’ai passé de bons moments et où j’aimais à faire des pauses de temps en temps. Je me demandais ce qu’elle devenait : comme les travaux du tram ont fait du boulevard Clemenceau un no man’s land où plus personne ne s’arrête, elle est partie ouvrir un lieu similaire… À Quimper. L’aventure continue ! J’ai dit à Paty que je restais à sa disposition pour ses événements… Même si je ne suis pas tellement pressé de descendre à Quimper !
17h : Fait rare, toute l’équipe de Côté Brest, au quasi-grand complet, s’est rassemblée dans les locaux de la rédaction pour partager la galette des rois, y compris votre serviteur qui en est déjà à dix ans de collaboration régulière à cet hebdomadaire dans lequel peu de gens croyaient à sa fondation – comme quoi il faut savoir s’accrocher et faire fi de ceux qui prédisent votre échec ! Comme d’habitude, je suis le seul à m’asseoir et je ne tarde pas à me sentir disparaître sous les flots conversationnels : je dégaine donc mon carnet de croquis… Et bien sûr, la personne que je prends comme modèle me repère tout de suite ! Je ne comprendrai jamais comment faisait Cabu pour ne pas se faire remarquer, même quand il croquait d’abominables beaufs sur le vif ! Heureusement, il n’y pas de beaufs dans Côté Brest et le regard sur mes portraits à la sauvette est plutôt bienveillant. Je me choisis une part de galette aux pommes : ça ne vaut pas le gâteau breton que fait ma mère chaque année pour l’Épiphanie, mais ça se laisse manger et j’ai la fève ! Je renonce rapidement à porter la couronne qui est trop petite pour ma grosse tête, d’autant qu’une jeune femme de l’équipe trouve la fève dans une galette à la frangipane, et comme l’éditeur profite de l’occasion pour faire une photo de groupe qui sera diffusée sur les réseaux, je ne tiens pas à ce qu’on m’y voie en roi avec une reine : inutile de tendre la perche aux quolibets et aux rumeurs… L’éditeur me demande une « blagounette » pour assurer une mine réjouie à toute l’équipe : j’improvise « poil à la bistouquette » ! Ce n’est pas très fin mais ça marche…
Le croquis réalisé au cours de cette courte réception :
La photo prise par l'éditeur (je ne suis pas en marinière car je n'avais pas prévu qu'une photo destinée à être diffusée serait prise) :
Mercredi 22 janvier
16h30 : Vous connaissez le cliché du matériel qui vous lâche au plus mauvais moment ? Ce n’est pas un cliché : ma conférence est complétement terminée, il me reste plus qu’à imprimer mon texte… mais je tombe en panne d’encre alors qu’il ne me reste plus que deux pages à tirer ! Déjà qu’il a fallu que je fasse quatre ou cinq tentatives avant que l’impression soit lancée pour de bon… Je ne sais plus ce que j’ai dit, mais ce n’était sûrement pas joli à entendre ! Et je me félicite d’avoir résisté à la tentation de jeter ma machine par la fenêtre ! Je dois me mettre en route pour le cours de dessin dans une demi-heure et il faut que je passe à la poste en route : il ne faudra pas me faire chier !
22 janvier : il y a 12 ans, Dylan Pelot nous quittait...
20h40 : Tout s’est bien passé, je suis quand même content de pouvoir m’accorder un répit au Biorek. Alexandre, fidèle au poste, me félicite pour mes récents articles consacrés à la famille Lombard : il ajoute que globalement, il apprécie mes chroniques car il aurait aimé connaître le Brest d’avant-guerre ! Je réagis aussitôt en lui opposant qu’il ne faut pas être trop nostalgique de la ville d’autrefois dont le rares images filmées disponibles ne donnent pas un aperçu des plus engageants… J’ajoute : « De toute façon, tu es trop jeune pour regarder l’avenir avec la nuque ! » C’est vrai quoi : laissons ça aux Américains qui ont réélu un homme du passé…
Deux dessins réalisés dans le cadre du cours - sans rapport direct entre eux, je le dis tout de suite :
Jeudi 23 janvier
13h15 : J’ai oublié d’appeler Accemo hier, je dois donc prendre le bus pour aller chez la psy. Bien sûr, il est plein à bloc de gamins qui vont au bahut : je ne réfléchis pas, je sors ma carte d’invalidité et je la montre à la première personne assise qui me tombe sous la main ! Il se trouve que cette personne est elle aussi en situation de handicap (elle n’est cependant pas autiste) mais me laisser sa place ne la dérange pas car elle descend bien avant moi : nous avons tout de même le temps de converser… Discuter avec une inconnue, je le fais rarement de bonne grâce ! Mais je n’ai pas non plus souvent l’occasion de parler avec une autre personne porteuse d’un handicap invisible : même si la polyarthrite ankylosante (dont elle souffre) n’a aucun rapport avec le syndrome d’Asperger, il n’empêche qu’elle comprend ce que je ressens. « C’est comme rencontrer quelqu’un de son village dans un pays étranger ! »[5]
14h45 : Sorti du cabinet de la psychologue, je risque quelques pas aux alentours de la gare qui est un site stratégique pour le chantier de la nouvelle ligne de tramway : l’un des objectifs de la mise en place du nouveau réseau est justement de faciliter l’accès à la gare ferroviaire – ce qui est une excellente idée. Je ne cours évidemment pas après les promenades aux abords du chantier, mais chaque fois que j’ai l’occasion de constater de visu l’avancement des travaux, je suis impressionné par ce qui est déjà accompli ! Je ne porte pas l’industrie des BTP dans mon cœur, loin s’en faut, mais j’ai beaucoup de respect pour les gens qui y travaillent et qui usent leurs doigts pour faire sortir de terre des bâtiments habitables et des lignes de transport praticables… On a beau dire que « c’est Beyrouth », je me dis que les Ukrainiens et les Palestiniens aimeraient être à notre place ! De toute façon, rien que par respect pour le labeur des ouvriers, je me garderais bien de pester outre mesure contre ces travaux…
Vendredi 24 janvier
10h : J’ai un rhume. Peu virulent mais suffisant pour perturber sérieusement mes nuits. Je n’ai donc rien raté du boucan occasionné cette nuit par le vent et la pluie : compte tenu de la bonne qualité de l’isolation de mon appartement, ça a dû être violent ! C’est un peu plus calme ce matin, mais je ne suis pas au mieux de ma forme. Il y a fort peu de monde au marché, même au stand du charcutier, il n’y a que trois personnes devant moi, mais ça suffit à ce que les conversations entament ma patience ! Je sors ma carte « Je suis autiste » en demandant aux gens de parler un peu moins fort : mauvaise idée, un homme âgé me reconnaît, me dit qu’il savait, qu’il m’a vu dessiner je ne sais où… Bref, en essayant de bloquer le moulin à paroles, je l’ai boosté ! Toute stratégie a ses limites, mais je n’imaginais pas que ma notoriété ferait obstacle à la mienne…
Terminons avec une mini-BD sur les violences faites aux femmes en milieu carcéral - vous ne me ferez jamais croire que ça n'existe pas :
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Service brestois de transport à la demande à destination des personnes en situation de handicap.
[2] Extrait de la préface de Reiser à l’ouvrage que lui a consacré Yves Frémion en 1974.
[3] Hommage à Tex Avery. Traduction française : « Vous savez quoi ? J’en ai marre ! »
[4] Je sais qu’il faut relativiser la notion de « découverte » de l’Amérique, que d’autres Européens avait atteinte bien avant Christophe Colomb et qui, de toute façon, existait déjà et était peuplée bien avant que le vieux continent ne prenne conscience de son existence. On peut néanmoins accorder le statut de « découvreur » à Humboldt grâce à qui les Européens connurent mieux l’Amérique que jamais.
[5] Véronique CAZOT et Madeleine Martin, Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ?, Fluide Glacial, Paris, 2011, p.38. Précisons que dans cette bande dessinée, il n’est pas question de handicap mais du non-désir d’enfant : aujourd’hui, de plus en plus de femmes l’assument ouvertement, mais il y a une quinzaine d’années, c’était encore rare…