Du 16 à 21 octobre : tribulations finistériennes et hommage à Georges Brassens
Il y a 101 ans jour pour jour naissait à Sète celui qui allait devenir, pour reprendre une formule bienvenue de Paco Ibañez, "le Jean-Sébastien Bach des chanteurs-auteurs" : pour célébrer cet anniversaire, ce soir, le Café de la plage (rue Massilon, Brest) proposera une soirée Brassens avec de nombreuses reprises du poète sétois. Comme je ne pourrai pas y être présent, j'ai décidé de rendre hommage au grand Georges à ma façon : chaque paragraphe de cet épisode aura pour conclusion un extrait d'une de ses chansons...
Si cette caricature vous plaît,contactez-moi, je vous ferai, pour une somme modique, un badge-magnet orné de ce dessin et de votre citation favorite de Brassens.
Dimanche 16 octobre
19h : Je termine le week-end sur une grande satisfaction grâce aux dessins que je viens de finaliser et qui m’ont permis d’écouler mon stock de gouache – je voulais faire de la place dans mon bureau et en finir avec cette matière qui me servira moins maintenant que j’ai décidé, pour gagner du temps, de colorier la plupart de mes dessins sur ordinateur. Avant de dîner, je jette un œil sur les infos et j’apprends qu’on annonce une grève interprofessionnelle pour mardi : pour ma petite personne, ça signifie d’abord une probable perturbation des transports publics et j’ai justement un rendez-vous important prévu ce jour-là dans une commune située hors de Brest métropole ! Ne voulant pas me retrouver dans la même galère qu’il y a trois ans à la même époque (j’avais traversé toute la ville à pied !), je préfère reporter. Nous aurons été prévenus : ceux que ça amuse encore pourront toujours chanter la litanie des « usagers pris en otages », il n’empêche que les syndicats ne nous auront pas pris en traîtres ! « Nul ne dise dans le pays [FO et la CGT] ont trahi… »
Voici l'un des dessins avec lequel j'ai écoulé tout ma gouache - je peux le montrer tout de suite, c'était le seul qui rentrait dans mon scanner :
Lundi 17 octobre
15h : Après avoir écrit ma production de la semaine pour Côté Brest, je descends la rue Jean Jaurès et la rue de Siam à pied pour faire quelques courses et m’acquitter de formalités anecdotiques. Tout se passe bien, exactement comme je l’avais prévu, je n’ai donc pas l’esprit encombré par un contretemps stupide et je peux ainsi constater, après un coup d’œil rapide sur la presse et un regard distrait sur les passants, qu’on ne parle que des grèves de demain ! Le Covid ne fait plus peur qu’aux hypocondriaques, la guerre en Ukraine n’est plus qu’une toile de fond à laquelle on ne prête guère qu’une attention distraite, le réchauffement climatique est occulté en attendant l’énième « sommet de la dernière chance », le seul motif d’inquiétude de mes concitoyens, aujourd’hui, c’est de savoir s’ils arriveront à l’heure demain matin à leur boulot inutile et / ou nuisible pour l’environnement ! Si les médias sont versatiles, c’est parce qu’on n’a jamais que la presse qu’on mérite quand on s’excite pour des polémiques oubliées six moins après… « On peut vous l’avouer, maintenant, chers tontons, vous l’ami les Tommies, vous l’ami des Teutons, que, de vos vérités, vos contrevérités, tout le monde s’en fiche à l’unanimité… »
20h : En fin de journée, par acquit de conscience, je consulte quand même le site de Bibus pour savoir si le réseau brestois sera perturbé demain. Surprise : tous les bus circuleront… Trop tard, j’ai déjà banalisé ma journée ! Je ne sortirai pas de chez moi demain : les médias s’attendent à un jour noir, pour moi, ce sera une journée blanche ! « [Journée] blanche comme lys… »
Mardi 18 octobre
18h : J’ai colorié dix dessins sur ordinateur et je suis bien obligé de le reconnaître : c’est chiant ! Comme mon crayon n’a pas la bonne idée de se plier aux caprices de la machine, mon trait n’est pas fermé partout, de sorte que, pour éviter qu’une couleur envahisse l’image tout entière (vous suivez ?), je suis obligé d’y passer presque autant de temps que si coloriais à la main… Bon, d’accord : au pinceau, j’avais AUSSI le temps de séchage et, comme mon scanner voit toujours douze milliards de nuances là où j’étais persuadé d’avoir fait un aplat propre et uni, j’étais quand même obligé de retravailler les couleurs sur écran. Je gagne donc certainement du temps au final, mais j’y prends beaucoup moins de plaisir qu’avec le coloriage manuel ! Je suis un peu nostalgique de l’époque où les dessinateurs pouvaient faire connaître leur travail sans passer par l’informatique et où on payait des gens pour que leurs œuvres passent bien à l’impression au lieu de leur faire faire ce boulot fastidieux sans leur verser un sou de plus… « Sitôt que je perds contenance au temps qui court, lors, j’appelle les souvenances à mon secours. »
Mercredi 19 octobre
10h : À proximité de la place de Strasbourg, j’attends l’autobus pour aller à Guipavas où m’attend un rendez-vous en vue d’un article annonçant le salon de peinture et de sculpture qu’organise chaque année cette commune depuis quarante ans ! Alors que je patiente, je remarque, sur la voie d’en face, un autre bus orné de la nouvelle campagne de l’Union européenne, clairement destinée aux jeunes : visiblement, l’Europe soigne son image face aux menaces qui pèsent sur elle et au mécontentement qui s’est exprimé (de la pire manière qui soit) en Suède et en Italie… J’ai beau penser sincèrement que l’Europe unie est une idée formidable, je trouve plutôt gonflé de la part de l’UE de revendiquer des valeurs telles que « Diversité, démocratie, respect de l’environnement » (je cite de mémoire) : passons pour le deuxième mot, il n’y a de toute façon pas de démocratie parfaite – mais si on pouvait au moins élargir les compétences du parlement de Strasbourg, au détriment de celles du conseil de Bruxelles, on ferait déjà un progrès immense ! Passons également pour le troisième terme, les parlementaires européens ne sont de toute façon pas les seuls à avoir attendu trente ans pour prendre au sérieux les écologistes. C’est le mot « diversité » qui passe le moins pour moi : comment peut-on revendiquer un quelconque attachement à cette valeur quand on a fait du vieux continent une forteresse au pied de laquelle les victimes des fléaux sévissant dans le Tiers-monde (famine, terrorisme, etc.) croupissent entre deux noyades ? Le respect de la diversité, ça consiste d’abord à ne plus traiter son prochain comme une menace sous prétexte qu’il est né du mauvais côté d’une frontière : il ne faut pas s’étonner de voir l’extrême-droite remporter des succès quand on a tout fait pour banaliser son discours – sans en avoir bien conscience, je veux bien le croire, mais ce n’est pas une excuse. « Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire contre les étrangers tous plus ou moins barbares, ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre, les imbéciles heureux qui sont nés quelque part… »
Puisqu'on parle de #MeToo...
10h30 : Arrivé (une nouvelle fois) largement en avance au centre culturel de Guipavas, où je ne suis censé me présenter que dans une demi-heure, j’en profite pour passer à la médiathèque, située juste à côté, afin d’y mettre l’affiche de la conférence que je dois donner dans trois semaines. À peine entré dans le bâtiment, je ne peux me retenir d’avoir un frisson à la vue du squelette pourvu d’yeux intacts qui est installé dans le sas ! Évidemment, il ne faut pas plus d’une seconde pour comprendre que ce macabre pantin fait partie de la décoration d’Halloween… Imaginez un instant qu’on ait mis une femme à poil au même endroit : toutes les bonnes mères de famille auraient crié au scandale et la médiathèque serait en cendres à l’heure qu’il est ! Mais sous prétexte qu’on est bientôt le 31 octobre, on a le droit d’exposer ce truc hideux : c’est le même paradoxe que quand un gamin se prend une baffe pour avoir dessiné une bite mais se fait encenser pour avoir dessiné un char d’assaut… Je n’ai rien contre la mise en scène de la violence car elle ne crée pas forcément des sujets violents : mais valoriser la violence au détriment de l’érotisme, ça crée sûrement des sujets frustrés qui vident leur trop-plein d’ardeur sexuelle par le trou des canons ! Si Poutine s’était davantage masturbé dans son enfance, les Ukrainiens seraient plus tranquilles, à l’heure qu’il est… « Oncle Archibald, coquin de sort, fit, de sa Majesté la Mort, la rencontre. Telle une femme de petite vertu, elle arpentait le trottoir du cimetière, aguichant les hommes en troussant un peu plus haut qu'il n’est décent son suaire. »
A propos d'Halloween...
A propos de Noël...
A props de la pénurie de carburant...
10h45 : Estimant l’heure suffisamment avancée pour que mon arrivée n’ait rien de choquant aux yeux de la personne que je suis censé rencontrer, j’entre dans le centre où se tient, pour l’heure, l’exposition « L’être animal » de Michel Thépaut. Prétendre que le travail de cet artiste m’émerveille serait exagéré, mais je suis quand même frappé par sa représentation des chevaux, et surtout, des poules : on a l’impression que ces bestioles sont épouvantablement tourmentées ! L’un des gallinacés m’a même rappelé le dodo de l’île Maurice, cette espèce au destin tragique : l’artiste chercherait-il à éveiller l’empathie de ses frères humains pour la souffrance animale ? Pas forcément : peut-être aime-t-il les poules, tout simplement. Il ne faut pas forcément voir de l’engagement partout… « Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente… »
12h30 : Nanti des informations nécessaires pour écrire un article sur le salon de Guipavas, j’ai repris la route et me suis arrêté au restaurant ouvrier de Pen Ar Créac’h : la nourriture est simple mais de qualité, on a un repas complet (entrée, plat, dessert et boisson) pour treize euros cinquante… Quand je paie l’addition, je dis à la patronne, en toute sincérité : « C’est meilleur qu’en centre-ville et c’est moins cher ! » Que demande le peuple ? « Elle est pauvre et sa table est souvent mal servie mais le peu qu’on y trouve assouvit pour la vie. »
13h30 : Avant de retrouver mon ami Jean-Yves avec qui j’ai prévu d’aller à la boutique d’impression où nous avons nos habitudes, je m’arrête sur la place Guérin pour y feuilleter le dernier Côté Brest : juste à côté de ma chronique historique sur le bagne, un article de Yann Guénégou m’apprend que le pont Albert-Louppe, le pont piéton de Plougastel (ne pas confondre avec son petit frère le pont de l’Iroise, destiné aux véhicules motorisés) se dégrade et que des associations se mobilisent pour obtenir sa réhabilitation… Pourvu qu’elles réussissent ! Cet ouvrage d’art est le plus emblématique de Brest métropole après le pont de Recouvrance, la ville perdrait avec lui une partie de son identité ! Rien que pour ça, il est scandaleux que les pouvoirs publics aient besoin que les assos leur rappellent leurs devoirs auprès du patrimoine ! Ce pont avait déjà été partiellement détruit par les Allemands en déroute en 1944 : n’imitons pas l’armée du IIIe Reich ! Et au-delà du symbole, que deviendraient les promeneurs de la région sans la vue imprenable sur l’Élorn que procure ce pont ? Mais allez expliquer ça à des technocrates pour qui la marche à pied ne sert qu’à rester en forme et qui ne s’y adonnent probablement que sur des tapis de course… Dans un registre plus léger, on trouve à la « une » du journal une annonce qui, tirée de son contexte, peut faire sourire : « Cléopâtre Darleux se dévoile » ! Précisons que ça veut dire qu’elle raconte son parcours dans un livre paru récemment et non pas qu’elle aurait posé nue pour un magazine de charme : c’est que la jolie gardienne de but du Brest Bretagne Handball n’aime guère être réduite à son physique, alors ne comptez pas sur elle pour livrer son corps d’athlète aux regards lubriques de routiers en manque… « À toute exhibition, ma nature est rétive. Souffrant d’une modestie quasiment maladive, je ne fais voir mes organes procréateurs à personne, excepté mes femmes et mes docteurs. »
Les dessins numérisés lors de l'escapade avec Jean-Yves :
14h45 : La numérisation de mes dessins de grand format fut vite expédiée : nous quittons la boutique d’impression, conduits par la femme de Jean-Yves qui me demande si je connaissais Annie Ernaux… Ça ne pouvait pas rater ! C’est ça, le danger, quand on est estampillé « littéraire » : dès qu’un écrivain dont personne (ou presque) ne se souciait fait du jour au lendemain, pour une raison x ou y, la « une » des journaux, on vous pose des questions sur lui comme si vous étiez censé vous y intéresser davantage que les autres ! Je ne dis pas que j’avais raison de ne pas connaître cette femme avant son prix Nobel, mais je revendique avoir au moins l’honnêteté de ne pas m’être mis à m’y intéresser subitement sous prétexte qu’elle a reçu cette distinction – c’est ce qui me différencie, entre autres, de la plupart des fachos qui crachent sur elle probablement sans avoir jamais ouvert le moindre de ses bouquins… Notre chauffeuse semble trouver impressionnant qu’Annie Ernaux, fille de cafetiers, ait réussi à devenir enseignante puis autrice à succès : en comparaison du parcours d’Albert Camus, orphelin de guerre devenu journaliste reconnu puis écrivain écouté religieusement (ce qu’il déplorait d’ailleurs), ça me fait quand même un peu marrer ! Qu’on s’entende bien : je n’ai rien contre cette dame, je ne sais même pas ce que valent ces livres, et c’est justement une raison supplémentaire pour ne pas la juger et en rajouter dans un débat qui me paraît des plus stériles… « Il est fou de perdre la vie pour des idées, des idées comme ça, qui viennent et qui font trois petits tours, trois petits morts, et puis s'en vont… »
15h : Après avoir pris congé de Jean-Yves, je suis descendu jusqu’à l’épicerie où j’ai l’habitude de retirer mes colis, ce qui m’a permis de croiser un artiste de mes connaissances. Discutant brièvement, je découvre qu’il partage mes constats sur l’attractivité grandissante de Brest et la démultiplication des possibles pour nous, les créateurs : j’ai un peu honte de cette petite satisfaction que je ressens chaque fois qu’un créateur ou un chercheur plus renommé que moi approuve ma vision des choses, comme si j’avais besoin de cette espèce d’adoubement intellectuel pour me sentir légitimé en tant qu’observateur de notre époque… Mais tous les imbéciles qui croient avoir raison sous prétexte qu’ils sont nombreux à avoir tort ne valent guère mieux ! Et puis n’oublions pas l’essentiel : c’est que ce constat partagé est une bonne nouvelle pour notre ville et pour nous, les artistes, qui prenons notre revanche après deux ans de marasme… « C’est pas tous les jours [qu’on] rigole, parole, parole… »
15h30 : Ayant deux heures à tuer avant de prendre la route pour le cours du soir, je m’installe sur la terrasse d’un café, sous les arcades, pour siroter un thé noir et poursuivre la lecture d’un livre dont j’ai promis de prendre connaissance en prévision de ma conférence, mais ma lecture est quelque peu perturbée par des types qui s’engueulent en arabe sur cette même terrasse, devant tout le monde… Une vieille bourgeoise de passage leur lance un regard mauvais, je suis prêt à parier qu’elle se dit une ânerie du genre « si c’était pour faire du bruit, ils pouvaient rester dans leur pays » ! Mais avec des types qui s’enguirlanderaient en français, ce serait tout aussi pénible : l’échange est si violent que je n’ose même pas leur demander de se taire, de peur de prendre un coup… « Au marché de Briv’-la-Gaillarde, à propos de bottes d’oignons, quelques douzaines de gaillardes se crêpaient un jour le chignon… »
17h50 : Pour une fois, je ne suis pas excessivement en avance à l’annexe des Beaux-arts, ce qui me permet, en attendant le début du cours, d’entendre la conversation de deux étudiants dont une jeune fille qui, évoquant son choix d’une formation artistique, clame : « Je m’en fous de ne pas avoir d’avenir, de toute façon, dans dix ans, il n’y a plus d’eau potable ! » On ne saurait mieux résumer l’état d’esprit d’une partie de la jeunesse d’aujourd’hui : on lui reproche de ne pas sauter dans les bras que lui tend le marché de l’emploi, mais pourquoi voudriez-vous qu’ils se soucient d’un lendemain que leurs aînés sont en train de leur voler ? Pourquoi voudriez-vous qu’ils persistent à faire tourner une machine qui est en train de mener l’humanité à sa perte ? La jeunesse n’est jamais que ce que la génération antérieure en a fait… « Vous pensiez ils seront menton rasé, ventre rond, notaires, et pour bien vous punir, un jour, vous voyez venir sur Terre des enfants non voulus qui deviennent chevelus, poètes… »
18h : Avant que le cours ne commence, savez-vous quel sujet domine les conversations ? Non, pas les grèves, ni les pénuries, encore moins l’Ukraine : c’est la météo… Il est vrai qu’il fait lourd pour la saison ! J’ai tout de même hâte de commencer et d’en finir avec ces discussions… Notre prof renoue avec une vielle marotte, celle de faire poser les élèves à tour de rôle. Fort heureusement, nous sommes assez nombreux et j’échappe donc à cette corvée à laquelle j’ai déjà eu droit à deux reprises les années précédentes. Je ne fais donc que ce pourquoi je suis là : dessiner. Les poses durent douze minutes, et rester immobile sur cette durée n’est pas aisé pour tout le monde : je suis à deux doigts de hurler d’agacement quand l’un des modèles improvisés, une jeune fille, remonte ses lunettes pour la troisième fois… On rit quand même un peu quand les modèles découvrent les dessins les représentant : l’un d’eux, un homme assez jeune, trouve que je lui ai fait de grandes mains ! Pour m’en expliquer, j’appose mes métacarpes contre les siens : il constate ainsi que j’ai de toutes petites mains et qu’il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les siennes me paraissent énormes ! Un autre, d’âge mûr, se voyant sur ma feuille s’écrie : « Je suis vraiment vilain à ce point ? » Que pouvais-je répondre à ça… « Mais au lieu du « oui » attendu, de sa pauvre voix lasse, au tonsuré désemparé, elle a dit « Merde », hélas ! »
Voici les dessins réalisés dans le cadre de ce cours :
Les quatre suivants étaient trop grands pour entrer dans mon scanner, je les ai donc photographiés, d'où une qualité d'image qui laisse peut-être à désirer...
Dans le cadre de ce même cours du soir : un dessin du robinet de ma douche.
20h : Fin du cours, j’attends le bus en compagnie d’une autre élève qui part dans la même direction. Nous avons bien du mal à converser car nous sommes pris entre deux tintamarres : celui des feux d’artifice tirés à deux pas de là, certainement pas en toute légalité, et celui des ados quittant leur cours dans un état d’excitation aussi avancé qu’inexplicable ! Si c’est le temps orageux qui rend tout le monde fou comme ça, vivement la chute des températures… « Par un soir de novembre, à cheval sur les toits, un vrai tonnerre de Brest avec des cris d’putois allumait ses feux d’artifice… »
Ma compagne de voyage, vue par moi :
20h30 : Je m’installe au Biorek brestois pour dîner : je suis sincèrement satisfait de ma journée, d’autant que je l’ai entièrement passée en étant éloigné de mon ordinateur, ce qui vaut bien une cure de thalassothérapie ! Je ne vois pas pourquoi je m’encombrerai d’un smartphone qui m’apporterait à longueur de journée ce à quoi je suis si content d’échapper de temps à autre… En attendant qu’Alexandre ne me serve, je feuillette le tome 4 des Zappeurs de Serge Ernst que j’ai réceptionné : j’ai déjà recueilli la moitié de la collection, je les aurai bientôt tous. J’adore cette BD qui me rappelle l’ambiance de la maison familiale quand j’étais encore un petit bout de chou, avec mes parents et la télé ; j’ai beau cracher sur « l’étrange lucarne », je lui dois quand même de beaux souvenirs… Pour revenir à cet album des Zappeurs, si je ne devais en retenir qu’une seule histoire, ce serait celle où Raymond, le père, s’endormant devant une soirée électorale (ça se comprend un peu), rêve qu’il est président et agit de façon à peu près aussi indigne que de (trop) nombreux chefs d’États existants. Mine de rien, Ernst, dessinateur d’humour, semble avoir compris une chose : on a beau jeu de vilipender les hommes politiques, nul ne peut garantir qu’il agirait plus moralement qu’eux s’il avait les leviers du pouvoir entre ses mains : le mythe de l’anneau de Gygès n’était pas entièrement erroné… « Il y a peu de chances qu’on détrône le roi des cons ! »
Jeudi 21 octobre
11h : Je dois prendre le car pour Porspoder, d’où un ami me conduira jusqu’à Lanildut où je dois retrouver, pour l’interviewer, un auteur de BD qui m’avait marqué étant petit et qui a eu la bonne idée de rééditer sa série qui, à l’époque, n’avait pas eu le succès commercial qu’elle méritait mais avait quand même rassemblé autour d’elle un cercle de fans sensibles à son humour et à son originalité. En attendant, tant qu’à faire d’être à la gare, j’en profite pour jeter un œil sur les journaux : bien entendu, la « une » des quotidiens est centrée sur le 49-3 dégainé par le gouvernement pour faire passer un texte budgétaire, ce qui ne s’était plus fait depuis une trentaine d’années… Il y a unanimité pour crier à l’aveu de faiblesse : je parlerais plutôt de déni de démocratie institutionnalisé ! Et dire que c’est pour retrouver ce monde-là que j’ai poireauté pendant la pandémie ! Et dire que c’est pour sauver ce monde-là que j’ai voté contre Le Pen pour la troisième fois de ma vie (la première était déjà de trop) ! Je risque une baffe si je dis que je suis un peu amer ? Mais la nouvelle qui m’attriste le plus est quand même la mort de Jean Teulé : c’est bizarre, parce que quand Houellebecq est mort, ça ne m’a rien fait ! Non, mais sans rire, j’aimais vraiment Teulé qui, pour moi, reste associé aux grandes heures de Nulle Part Ailleurs sur Canal+ et dont j’appréciais les romans, même le si décrié Mangez-le si vous voulez qui ne pouvait que trouver un écho chez un ancien bouc émissaire comme moi… J’adresse toutes mes condoléances à Miou-Miou et je prends note qu’il y a un restaurant à éviter ! « Dans un coin pourri du pauvre Paris sur une place, l’est un vieux bistrot tenu pas un gros dégueulasse… »
Cette représentation de Jean Teulé au temps où il était encore "rubriquard" sur Canal+ est un emprunt assumé au jeu "Super Nullos".
13h : J’arrive à Porspoder, plus exactement au seul arrêt de car de la commune, sur un parking situé en face d’une biscuiterie. De l’autre côté, des dunes à perte de vue ! On en oublierait presque qu’il y a une ville (ou ce qui en tient officiellement lieu) à deux pas d’ici… On est à une demi-heure de Brest et on est déjà dans la Bretagne profonde telle que l’aimait tant le pas du tout regretté Jean-Pierre Pernaut ! « Il suffit de passer le pont, c’est tout de suite l’aventure… »
13h30 : Mon voitureur est arrivé alors que j’étais en train de faire un croquis de la biscuiterie : je l’ai bâclé en quatrième vitesse pour ne pas faire attendre inutilement ce vieil ami qui est déjà bien bon de faire la navette. Ça y est, je me rappelle pourquoi je fais rarement du croquis de paysage : c’est parce que, quand j’en ai l’opportunité, j’ai toujours peur de ne pas avoir le temps de terminer, et ce n’est pas cette anecdote qui va me faire changer d’avis ! Chemin faisant, mon conducteur me parle de son oncle qui est né la même année qu’Elizabath II et qui a besoin d’aide parce que l’office des HLM lui a envoyé un courrier qui l’inquiète… Je ne voudrais pas insister lourdement sur les gaspillages des administrations qui gâchent du papier en envoyant des courriers le plus souvent inutiles et effraient en vain les gens qui ne comprennent pas leur langage tarabiscoté, mais ce n’est pas de ma faute si les ronds-de-cuir nous tendent le bâton pour les battre ! « Ils tombent, tombent, tombent, tombent, et, selon les avis compétents, il paraît que cette hécatombe fut la plus bell' de tous les temps ! »
Mon croquis inachevé :
14h : Me voilà devant Léo Beker, le créateur de Louison Cresson : je suis un peu ému mais je me garde bien de toute idolâtrie qui agacerait ce monsieur très simple. L’entretien dure une bonne heure : c’est que j’en avais, des questions à poser sur cette série hors norme où un petit Français des années 1950 devient l’ami et le protecteur des moines fantômes qui hantent l’abbaye en ruines où son cousin produit du vin… « Hélas, il ne pleut jamais du gros bleu qui tâche. Qu'elles donnent du vin, j’irai traire enfin les vaches. »
15h30 : À l’issue de notre entrevue, mon hôte se propose de me reconduire à Brest : je n’ose pas refuser, d’autant que ça me permet de ne plus déranger l’ami qui m’a conduit jusqu’ici. Chemin faisant, cet excellent auteur, Argentin par son père, me parle de son autre passion : le tango. Après lui avoir avoué franchement (face au tango, je suis cash !) que je ne m’intéresse pas outre mesure à la danse (je n’ai plus guinché depuis le mariage de ma meilleure amie il y a sept ans !), je lui parle de la chanson de Charles Trenet qui écornait cependant moins le tango en tant que tel que la mode dont il faisait l’objet au début du XXe siècle : Léo me répond qu’il est normal que le tango ait laissé cette impression à Trenet car, en ce temps-là, l’Argentine, alors un pays prospère grâce au commerce du cuir, envoyait en Europe les jeunes de sa haute société pour étudier, et c’est donc cette jeunesse dorée et décadente, plus préoccupée par l’alcool et les femmes que par l’avenir du commerce argentin (ce qui peut, rétrospectivement, expliquer bien des choses !) qui a importé le tango en France, contribuant directement à en donner l’image peu flatteuse dont Trenet s’est fait le relai ! Pour ne rien arranger, on en parlait alors comme d’une danse « passionnée » tout en le pratiquant d’une manière très sèche, presque militaire ! Les succès sont parfois fondés sur des malentendus, y compris les plus passagers. « C’est quatre sous pour un tango, et quand on peut pas se payer tout ça, y a des boîtes à deux ronds la java. »
18h : Avant de descendre au port de commerce pour la scène ouverte du jeudi soir à La Raskette, je fais une pause à la friterie où je suis servi par un jeune homme à l’air triste et au fort accent maghrébin (non, aucun rapport de cause à effet) : je commande notamment une saucisse et, à peine attablé, je me sens un peu coupable vis-à-vis du serveur… Je pense à ce commentaire de Roland Barthes sur le vin à une époque où les Français consommaient abondamment du gros rouge produit en Algérie :
« Car il est vrai que le vin est une belle et bonne substance, mais il est non moins vrai que sa production participe lourdement du capitalisme français, que ce soit celui des bouilleurs de cru ou celui des grands colons algériens qui imposent au musulman, sur la terre même dont on l’a dépossédé, une culture dont il n’a que faire, lui qui manque de pain. Il y a ainsi des mythes fort aimables qui ne sont pas tout à fait innocents. Et le propre de notre aliénation présente, c’est précisément que le vin ne puisse être une substance tout à fait heureuse, sauf à oublier indûment qu’il est aussi le produit d’une expropriation. »[1]
Bien sûr, rien ne prouve que mon serveur, s’il n’est pas douteux qu’il est arabe, soit bien musulman : mais rien ne prouve non plus qu’il ne l’est pas. Bien sûr, je ne le dépossède de rien, dans l’absolu. Mais il n’empêche que pour gagner sa vie, il lui est imposé (on travaille rarement par choix dans ce genre d’établissement) de faire commerce d’une viande dont il n’a probablement que faire et je ne peux m’empêcher d’y voir une expression de la violence exercée par la société française contre ceux qui ne consomment pas de viande de porc, cette même violence qui s’exprime quand un maire d’extrême-droite impose le port à la cantine de l’école dans sa ville (ce qui exclut aussi, de facto, les enfants juifs, je le rappelle) ou quand un « humoriste » TF1-compatible rappelle que Ben Laden ne mangeait pas de porc, comme si c’était suspect en soi… « Ne r’pousse pas du pied mes p’tits cochons ! »
18h45 : Vous connaissez le cliché raciste de la mamma noire aussi obèse qu’autoritaire qui traîne autour d’elle une marmaille bruyante au sein de laquelle elle essaie tant bien que mal de faire régner un semblant d’ordre ? Ce n’est pas qu’un cliché raciste : je suis bien étonné d’en voir une prendre le bus desservant le port ! À l’agacement que provoque ce vacarme s’ajoute celui que fait naître en moi la fainéantise du chauffeur : sous prétexte que ça bouchonne sur les rampes (comme d’habitude à cette heur-ci), il nous fait descendre dès l’arrêt suivant et nous fait prendre une navette, pile au moment où la pluie commence à tomber… La mamma descend finalement, suivie de sa smala, au niveau de la Carène : mon étonnement grandit de plus belle car je ne vois pas ce qui peut intéresser cette famille dans cette salle dédiée aux « musiques actuelles ». Plus tard, je lirai sur la porte que le spectacle était interdit aux mineurs… La vie est pleine de petits mystères, mais plus je connais les gens, moins j’ai envie de percer leurs secrets ! « Me demandez pas de chanter ça si vous redoutez d’entendre ici que j’aime à voir, de mon balcon, passer les cons. »
19h30 : Il y a un peu plus de monde que la semaine dernière à La Raskette, je retrouve notamment Anna, l’accordéoniste allemande qui a décidé de s’installer à Brest (encore une confirmation…), Cyril, le jeune conteur, et bien sûr, la charmante Cécile, animatrice intérimaire et méritante : elle profite elle-même de la scène pour une reprise de « La Marine » de Brassens, ce qui me permet d’inscrire la demoiselle à mon tableau de chasse graphique ! Le résultat lui plait beaucoup, d’une part parce qu’on ne l’avait encore jamais dessinée (il y a un début à tout) et d’autre part parce que, dit-elle, on ne voit pas ses cernes sur mon dessin ! Curieuse remarque : elle est ravissante et je n’avais même pas remarqué qu’elle avait des cernes ! Il faut dire aussi qu’avec celles que je me paie sous les yeux (il faut que j’enlève mes lunettes pour les montrer, autant dire qu’on les remarque rarement), les siennes me paraissent anecdotiques… Une dame, remarquant mon écriteau annonçant mon activité de caricaturiste, dit qu’elle me trouve « très souriant » : un peu étonné, je ne saisis pas l’ironie de la remarque et je réponds que c’est la première fois qu’on me le dit ! De fait, elle disait ça par antiphrase : je lui explique que comme la plupart des autistes Asperger, j’ai du mal à saisir le second degré et les sous-entendus… Je ne suis pas vexé et je ne cherche même pas à justifier mon absence de sourire : si je ne souris pas, c’est mon droit, après tout, non ? Quand je monte sur scène à mon tour, je rends hommage à Jean Teulé avec quelques slams plus ou moins proches de son univers romanesque, à commencer évidemment par « Fleur de tonnerre », inspiré directement de son livre du même nom consacré à Hélène Jégado, la « femme fatale » des campagnes bretonnes, l’une des plus redoutables empoisonneuses de la France du XIXe siècle et même de toute l’histoire criminelle européenne – en comparaison, Lucrèce Borgia, dont on sait aujourd’hui qu’elle était plus victime que complice des folies de son père et de son frère, était une innocente vêtue de lin candide… J’ai mon petit succès, même s’il est un peu difficile de se concentrer avec les cinq beaufs du fond de la salle qui rient grassement sans prêter la moindre attention à ce qui se passe sur scène ! Cela dit, ma plus grande satisfaction de la soirée me vient d’une femme d’âge mûr qui me fait faire sept caricatures pour les offrir à son compagnon à l’occasion de son anniversaire ! Mes dessins plaisent de plus en plus, je ne peux que m’en féliciter, même s’il ne m’a pas été facile de réaliser ces caricatures d’après des photos sur smartphone dans l’ambiance enfiévrée installée par un groupe assez étonnant qui arrive à produire, avec des instruments « classiques » (piano, guitare, basse, batterie) des effets similaires à celui d’une musique électronique ! Je suis épuisé mais content : j'ai la vague impression de ne pas voler mon argent... « Du temps que je vivais dans le troisième dessous, ivrogne, immonde, infâme, un plus soûlaud que moi, contre une pièce de cent sous [m’a fait croquer] sa femme. »
Vendredi 22 octobre
7h30 : Me revoilà à la gare routière, cette fois pour partir à Plougonvelin afin d’y rencontrer le directeur d’un centre culturel inspiré par une expo de mon travail. Je me suis couché tard, sortie à La Raskette oblige, et me suis levé tôt pour être sûr de ne pas rater le car – Plougonvelin a beau être mieux desservi que Pospoder (mais moins bien, ce serait difficile), il ne faut cependant pas rater le départ. Je suis donc très mal réveillé : pour ne pas m’endormir en m’asseyant, je prends un café au lait sans sucre : je trouve le goût du café horrible, mais il faut reconnaître que ça donne un bon coup de fouet, je comprends mieux pourquoi les gens « normaux » sont accros à ce breuvage… En revanche, ça n’atténue en rien l’angoisse que j’éprouve à chaque fois que je me rends vers un lieu inconnu ! « J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre… »
8h30 : C’est parti ! Je n’ai pas emporté de livre, espérant mettre à profit le temps qui, à l’arrivée à Plougonvelin, me restera avant l’heure du rendez-vous pour avancer dans mes travaux graphiques et scripturaires. Je savoure ainsi les paysages qui défilent, spectacle d’autant plus plaisant qu’il m’est offert dans le confort du car, sans que je me mouille sous la pluie battante. En somme, j’ai la confirmation de ce propos du philosophe Alain sur les voyages en train :
« Par de larges baies on voit passer les fleuves, les vallées, les collines, les bourgades et les villes ; l’œil suit les routes à flanc de coteau, des voitures sur ces routes, des trains de bateaux sur les fleuves ; toutes les richesses du pays s’étalent, tantôt des blés et des seigles, tantôt des champs de betteraves et une raffinerie, puis de belles futaies, puis des herbages, des bœufs, des chevaux. (…) Quel spectacle égale celui-là ? Mais le voyageur lit son journal, essaie de s’intéresser à de mauvaises gravures, tire sa montre, bâille, ouvre sa valise, la referme. »[2]
Aujourd’hui, les smartphones remplacent les journaux, mais les voyageurs ont à peu près la même attitude de mépris et d’impatience vis-à-vis d’un spectacle qu’on leur offre gratuitement – puisqu’ils ne paient que pour le déplacement. On ne parle pas assez de l’intemporalité d’Alain… « Le temps ne fait rien à l’affaire : quand on est con, on est con ! »
9h : Arrivé au bourg de Plougonvelin, j’entreprends d’explorer les lieux pour trouver un havre où je pourrai écrire et dessiner avec une tasse de thé à portée de main en attendant mon rendez-vous – c’est d’autant plus urgent qu’il pleut déjà à seaux ! Une flèche m’indique l’office de tourisme : je la suis, espérant y glaner des renseignements, et je me retrouve à remonter une de ces rues pavillonnaires qui me dépriment, d’autant qu’il y a des travaux, qui plus est sous la pluie et dans le vent… Je déclare forfait et fais demi-tour vers le bourg, espérant pouvoir me rabattre sur les cafés : n’importe quoi, même un bar-tabac-PMU, je suis preneur ! Mais même ça, je ne trouve pas : tous les débits de boisson sont fermés ! Au mieux, ils n’ouvrent que tardivement, au pire, ils sont en congés ! Dépité, je profite du seul rayon de soleil que m’offre ce désert urbain, une épicerie bio où j’achète les produits que je n’ai pas pu acquérir ce matin, faute d’avoir pu faire mon marché. Une fois cette emplette réalisée, je décide de repérer le centre culturel pour au moins ne pas m’égarer : je le trouve assez facilement et je suis impressionné par ses dimensions, plutôt étonnantes dans ce bled ! Puisqu’il n’y a rien d’autre à faire, je m’abrite dans une cabane en bois, vraisemblablement un arrêt de car désaffecté (il n’y a même pas de fiches horaires) et j’attends l’heure… Je n’ai rien à lire, je ne peux pas sortir mon ordinateur, ce que j’ai devant moi ne mérite pas d’être dessiné, je n’ai personne à qui parler : cette prise de contact avec Plougonvelin commence dans une ambiance discutable ! « Un p’tit coin de parapluie contre un coin d’paradis… »
11h : Je rencontre enfin le directeur de l’ espace Keraudy : j’avais emporté mon disque dur externe pour lui montrer mon travail, mais cette précaution s’avère inutile puisqu’il a déjà pris la peine de se renseigner sur mon compte. Comme quoi il y a encore des gens qui font bien leur boulot ! Il me fait comprendre que le programme de la saison est déjà plein mais qu’il est très intéressé par ma production : nous nous mettons d’accord pour une exposition à partir de septembre 2023. Il va donc falloir attendre, mais le jeu en vaut la chandelle : jamais je n’aurai eu l’occasion d’exposer dans un espace aussi vaste ! Et au vu de la place dont on dispose, il sera envisageable de faire un événement grandiose à l’occasion du vernissage ! La reconnaissance arrive enfin, je ne vais pas bouder mon plaisir… « Si je n’avais pas dû rencontrer le succès, j’aurais tout comme toi, pu virer malhonnête... »
11h30 : L’entretien a été plus bref que prévu : que voulez-vous répondre à quelqu’un qui ne vous critique pas et avec qui vous vous mettez d’accord sur presque tout ? Cette réussite ne tarde pas à me montrer son revers quand je me retrouve à nouveau seul sous la pluie, avec deux heures à tuer avant de pouvoir reprendre le car pour Brest… Autant dire que je tombe de haut ! Pour être sûr de remonter, je décide de toucher le fond tout de suite en me sustentant dans le seul établissement ouvert : un kebab… Pour une somme heureusement modique, j’acquiers une portion de frites en carton et un cheeseburger qui pourrait tenir dans ma main minuscule, le tout servi par un type aussi gai qu’un mérou centenaire réveillé en pleine nuit par son banquier qui lui aurait ordonné de régulariser son découvert sous peine d’interdiction de chéquier… J’ai beau être en train de devenir un artiste à succès, je reste un pauvre con comme vous tous ! « Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées… »
12h30 : Mal rassasié, je marche à nouveau sous la pluie : les travaux du bourg dévient la ligne de car, je ne tiens pas à prendre le risque d’attendre à un arrêt qui serait non desservi sans que je le sache, alors je prends sur moi de chercher une station m’inspirant à peu près confiance, et couverte de préférence. Bien entendu, je me retrouve vite sur une voie sans trottoir, je suis donc obligé, pour ne pas tremper mes godasses dans des pelouses boueuses, de déambuler sur la voie carrossable : une source d’angoisse supplémentaire... Quand je croise un chien (j’ai une peur bleue de la gent canine) je me demande si je ne suis pas maudit ! Mais mes efforts sont récompensés quand je trouve enfin un arrêt avec abri et fiches horaires : les déplacements, c’est comme la carrière artistique : c’est la ténacité qui finit par payer. « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie. »
15h30 : Enfin rentré chez moi après cette excursion éprouvante, j’apprends la démission de Liz Truss après 44 jours à Downing Street… C’est moi ou c’est vraiment le bazar, en ce moment ? Ce n’est pas demain que je me lance en politique… Qu'ils se démerdent ! « Je vivais à l’écart de la place publique, serein, contemplatif, ténébreux, bucolique… »
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !