Du 12 au 23 mars : j'ai le coup de pompe, compris ?
Attention, ce dessin totalement immodeste est un gros mensonge : vous vous en rendrez compte en lisant ce qui suit...
Dimanche 12 mars
15h : Je ne suis décidément pas en forme en ce moment, il me faudrait peu de chose pour que je sombre dans la déprime. Je risque un tour au bois de la Brasserie : j’avais oublié à quel point il est bon de marcher sous la pluie ! J’en rentre revitalisé, juste assez en tout cas pour me remettre à dessiner… Et oui, il n’y a pas que les plantes qui ont besoin d’être arrosées !
Dessin inspiré par l'attitude d'une frange du public lors de spectacles auxquels j'ai assisté :
Lundi 13 mars
19h : Le « peu de chose » que je craignais est arrivé : un auteur jeunesse qui m’avait sollicité a finalement jugé que mes dessins ne correspondaient pas à ce qu’il attendait. Je n’insiste pas, mais c’est la goutte d’eau. Complètement abattu, j’ai tout de même rentré une chronique historique pour Côté Brest, consacrée au bâtiment aux lions : comme la rédaction n’a pas de photo récente de cet impressionnant édifice, je sors en prendre une. Les conditions ne sont pas géniales, la nuit commence déjà à tomber et il y a de la brume, mais j’y vais quand même pour ne pas rester chez moi à me morfondre, et puis ça me fait un prétexte pour dîner aux Capucins. Après tout, une photo prise dans de telles circonstances peut présenter un intérêt artistique et, dans le pire des cas, j’en serai quitte pour revenir demain.
Le bâtiment aux lions, photographié par un soir de brume.
Mardi 14 mars
16h : Je m’y attendais un peu : la photo prise hier soir ne convient pas. N’ayant rien d’autre à faire, j’accepte de ressortir prendre un nouveau cliché. Cette fois, je sors plus tôt et le ciel est dégagé, la lumière devrait être meilleure. Sur la corniche qui longe les Capucins et permet aux pauvres civils de profiter un peu de la perspective que l’armée a volée à la ville, j’avise, tout au bout du muret, devant les grilles agressives qui barrent l’accès à la zone militaire, une vieille chatte : je trouve symboliquement forte l’image de cette félidée qui oppose sa beauté, sa liberté et sa nonchalance à ce lieu dédié malgré lui à la mort, à l’enfermement et à l’agressivité… Je regrette de ne pas pouvoir la faire poser devant le bâtiment aux lions : ce serait une magnifique illustration pour mon article et puis on resterait dans le domaine des félins ! Cela dit, peut-être aurais-je du essayer ? Elle n’est pas farouche, elle vient même se frotter contre un badaud… Peut-être la reverrais-je un jour ? Le café « Au coin d’la rue » où Mireille accueille tous les chats du quartier n’est pas loin… En attendant, je la remercie d’avoir illuminé pour moi cette journée sans gloire, sans chance et sans amour…
Mercredi 15 mars
21h : Après le cours du soir, je suis allé dîner au Biorek brestois, comme à chaque période où je perds mes billes. En sortant, je tombe sur un os : il n’y a plus de bus… Je ne pensais pas que la grève se poursuivrait en soirée ! En désespoir de cause, comme il ne fait pas très chaud et que grimper la côte qui mène à Lambé à la nuit tombée ne me tente pas, j’appelle une voisine : celle-ci accepte sans problème de venir à mon secours, elle ne prend même pas le temps de s’habiller… Non, sans déconner : alors, la solidarité, ça existe encore ?
Dessin réalisé en vue du cours du soir : un placard de ma chambre...
Jeudi 16 mars
13h : Je dois me rendre à la réunion du CA d’une association dont je fais partie ; pour une fois, j’ai bien fait de partir avec une certaine avance car je suis tombé sur un chauffeur de bus incompétent qui se trompe complètement d’itinéraire, qui s’avise au dernier moment que la rue Auguste Kervern (où nous n’aurions normalement rien à faire) est barrée et qui essaie de faire faire machine arrière à son bus articulé dans une montée… Je sais que je ne devrais pas être trop sévère avec ce pauvre bougre qui est probablement un nouveau ou un intérimaire : il n’empêche qu’il y a des moments de la vie qu’on aimerait bien pouvoir jeter à la poubelle…
Une autre version du dessin affiché plus haut : j'y dénonce quelques événements qui m'ont passablement pourri la vie en juillet dernier...
17h : La réunion a duré bien plus longtemps que prévu, notamment à cause d’un problème qu’il était urgent de résoudre : l’asso n’a toujours pas de compte bancaire, la banque refusant de lui ouvrir un compte sous prétexte que l’attestation de domicile fournie par la vice-présidente date déjà de l’année dernière ! Ces banquiers ne pourraient cependant s’en prendre qu’à eux-mêmes : ils nous ont demandé les documents en décembre et ils ont attendu trois mois pour faire leur boulot ! Cette anecdote prouve que le secteur privé n’a rien à envier au service public en matière de mesquinerie et d’inefficacité…
Puisqu'on parle de questions financières...
Vendredi 17 mars
13h : Bien sûr, je suis au courant de ce qui s’est passé hier… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Non, je ne suis pas indigné, je ne suis même pas en colère : depuis le début, le gouvernement agit exactement comme on pouvait s’y attendre, il n’y a même pas de suspense, on ne peut pas non plus lui reprocher de nous avoir pris en traître ou d’agir illégalement. Voir autant de monde manifester pour la justice sociale et la démocratie devrait me réjouir, mais depuis que je connais mieux le peuple de France, je suis moins pressé d’assister à une insurrection populaire ! Si c’est pour que les immigrés et les marginaux en paient finalement les pots cassés, merci bien ! En 2006, il y a eu les manifestations anti-CPE, ça a abouti à l’avènement de Sarkozy l’année suivante. En 2019, il y a eu les Gilets jaunes, ça n’a pas empêché la réélection de Macron. Après la crise sanitaire et les élections foireuses de l’an dernier, j’espérais un climat un peu plus apaisé, et aujourd’hui, je suis épuisé. Que le destin de la France s’accomplisse sans moi, j’ai un coup de barre !
Votre serviteur entouré d'aspies célèbres : Greta Thunberg, Julie Dachez, Susan Boyle et Josef Schovanec
Samedi 18 mars
19h : Je passe un bref séjour chez mes parents. Tout en prenant l’apéro, nous regardons, faute de mieux, le tournoi des six nations : il faut reconnaître que le rugby, c’est plus spectaculaire à regarder que le football, et quand je vois les supporters, notamment ceux de l’équipe d’Irlande qui écrase littéralement l’Angleterre, l’ambiance a l’air bon enfant, on se dit qu’ils y vont avec le sourire, pour le plaisir… Nom de Dieu, à quel niveau de misère morale suis-je donc tombé pour écrire des choses pareilles ?
Mes parents et moi-même, devant la télé :
21h : Après le rugby, nous regardons Les douze travaux d’Astérix sur une chaîne du groupe M6. J’aurais pu plus mal tomber, c’est sans doute l’une des meilleures adaptations cinématographiques des aventures du petit Gaulois à avoir jamais été réalisées : Goscinny et Uderzo avaient réalisé eux-mêmes ce dessin animé et s’en étaient manifestement donnés à cœur joie ! Ce film montre que le grand René avait largement les moyens de réaliser son rêve de devenir un Disney français : il y serait parvenu sans problème s’il n’était pas tombé sur un médecin imbécile…
Une autre pointe sur Hanouna :
23h : Nous sommes toujours devant la télé, avec quelques verres de vin dans le nez : depuis mon installation à Lambé, je ne viens pas souvent à la maison, alors ça s’arrose… Nous regardons Arte qui consacre sa soirée aux grands singes : devant des images de chimpanzés mangeant des fruits, ma mère, inspirée, sort une phrase digne des Brèves de comptoir : « On a toujours l’air con quand on mange une pomme ! » Ce n’est pas faux…
Un autre dessin pour me venger d'événements au nom desquels on a bloqué la circulation :
Dimanche 19 mars
11h : Tant qu’à faire d’être à Guilers, j’en profite pour rendre visite à une vieille amie de mes parents qui habite à deux pas de chez eux. Nous taillons une bavette et elle me demande si je prends part aux manifestations : je réponds que non, que je n’ai plus manifesté depuis le 11 janvier 2015. J’ajoute que j’espère que le mouvement ne sera pas récupéré par l’extrême-droite : elle me dit en substance qu’il ne faut pas prendre les gens pour plus bêtes qu’ils sont… Elle a peut-être raison !
Lundi 20 mars : c'est le printemps, quelle horreur...
13h30 : J’assiste à l’AG du laboratoire dont je suis membre associé. Pour une fois, j’ai quelque chose à annoncer, en l’occurrence la date de ma journée d’étude sur Cavanna que j’ai fixée avec le comité d’organisation, je me dois donc d’être présent. Mais j’avoue qu’aujourd’hui, ce qui pourrait passer pour une corvée me procure un réconfort bienvenu : entouré de mes collègues chercheurs, je me sens comme dans ma deuxième famille. Quand nous devons élire la nouvelle direction du labo, mon voisin me dit « J’espère qu’on ne va pas devoir recourir au 49-3 » ! Je lui réponds : « Ne dis pas de gros mots »…
Mardi 21 mars : les enfants nés à partir d'aujourd'hui seront du signe du bélier
15h : Rien à faire ! Malgré tous mes efforts pour me raisonner et m’apaiser, qui portent souvent leurs fruits en soirée, je me lève chaque matin avec l’angoisse au ventre voire la larme à l’œil. Ne pouvant rester comme ça, j’ai pris rendez-vous chez mon médecin traitant… Mais celui-ci ne peut pas me recevoir avant vendredi ! L’optimiste dirait que s’il est très sollicité, ça prouve que c’est un bon docteur : n’étant absolument pas optimiste, je dirais plutôt que ça signifie qu’il y a beaucoup de gens mal fichus en ce moment… J’essaie d’écrire pour Côté Brest malgré tout : je dois bien ça à la rédactrice en chef qui, s’inquiétant de mon silence d’hier, a pris spontanément de mes nouvelles…
Moi, lors d'une récente exposition de mes dessins, face à mon illustre collègue Bruno Calvès - cette image a été montée pour servir de base à un petit dessin animé que vous pourrez découvrir dans deux mois :
17h30 : En raison du mouvement de grève, plusieurs événements prévus cette semaine sont reportés sine die. Ce n’est pas très grave, je n’avais pas l’intention d’y aller, mais il n’empêche que ça me rappelle de mauvais souvenirs… Bien sûr, ce n’est pas exactement la même chose que le confinement : celui qui veut sortir quand même peut encore le faire… Pour l’instant ! Il ne faudrait pas que ça dégénère au point de pousser le gouvernement à proclamer des restrictions ! Ils l’ont fait pour un virus qui n’était mortel que dans une infime proportion des cas et dont on peut guérir en deux semaines, ils peuvent très bien le faire pour « protéger » le peuple « contre lui-même »…
Mercredi 22 mars : le Chat de Geluck a 40 ans !
11h30 : Toujours dans le même état, je découvre la chanson de Pierre Perret, « Paris saccagé » : un rayon de soleil bienvenu ! L’ami Pierrot a une sacrée pèche pour un mec de 88 ans ! Il est sans doute le dernier, et pas seulement dans le domaine de la chanson, à savoir dénoncer de façon aussi tonique les effets pervers de la connerie humaine : dans le cas présent, il met en avant un paradoxe saisissant, à savoir le fait que des gens sûrement animés des meilleures intentions et soucieux d’écologie ont tout de même fait de leur ville un cloaque infect dont la visite est une source de déprime ! Sur le clip, on peut voir l’ami Pierrot roulet à bicyclette dans les rues de ce « bidonville lumière » (pour reprendre l’expression bienvenue du regretté Gébé), mais c’est un gros mensonge qu’il avoue d’ailleurs à la fin en s’affichant devant le fond vert qui a permis l’incrustation de son image sur celles de la capitale… Certains diront qu’il ne nous prend pas pour des imbéciles en essayant de faire croire que sa « vieille carcasse » est encore capable d’exploits sportifs ! J’ajouterai, pour ma part, que je ne vois pas pourquoi il s’embêterait, même pour vendre ses chansons, à se promener dans une ville aussi dégueulasse…
Voici l'une des illustrations refusées par l'auteur jeunesse dont je vous parlais précédemment - je la montre ici pour apporter un peu d'air à ces paragraphes passablement sinistres :
19h : Au cours du soir, il est assez rare que mon seuil de tolérance sonore soit dépassé. C’est pourtant ce qui arrive aujourd’hui : que la prof parle avec les élèves, c’est normal, c’est son boulot. Qu’elle mette un fond musical, à la rigueur. Mais que deux autres élèves, par-dessus tout ça, se mettent à papoter, alors là, c’est trop ! Bien entendu, quand je fais savoir qu’ils me cassent les oreilles, on me donne tort : quand on est différent des autres, on a toujours tort…
Un dessin réalisé en vue du cours du soir : ma lampe de chevet...
20h30 : Je voulais retourner au Biorek brestois, mais c’est exceptionnellement fermé ce soir : faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je descends jusqu’à la friterie de la place de la Liberté, ce qui me permet de découvrir quelques slogans tagués dans les rues… « Derrière les slogans le néant » chantait en son temps François Béranger : ceux que je lis aujourd’hui ne font pas exception ! Ce n’est pas avec des âneries comme « Macron gestapo » ou « Le tag contre le capital » qu’on fera trembler le pouvoir, bien au contraire ! Lutter pour des causes justes ne met pas à l’abri de la bêtise…
Jeudi 23 mars
15h : J’ignore ce que Macron a pu dire au journal de 13h, je ne sais pas davantage comment ça se passe dans les rues en ce moment, et je m’en fiche ! Je ne vais pas mieux du tout, je n’ai de goût à rien, je suis fatigué de devoir vivre en permanence comme si tout devait s’écrouler du jour au lendemain, alors je reste chez moi à écrire, voilà ! Je repense à ma prof de philo de terminale qui m’avertissait qu’à force de toujours vouloir avoir la paix, j’allais passer à côté de mouvements importants : c’est bien possible, mais tant pis ! Et je laisse le dernier mot à monsieur Hubert-Félix Thiéfaine : « Si tu veux jouer les maquisards, va jouer plus loin, j’ai ma blenno, tu trouveras toujours d’autres fêtards, c’est si facile d’être un héros ! »
Pour conclure, une mini-BD qui m'a été inspirée par un article paru l’an dernier dans Côté Brest :
Voilà, c'est tout pour cette semaine, à la prochaine !