Du 12 au 18 octobre : le Doliprane, je m'en fous !
Samedi 12 octobre
11h: Je dois me rendre à Paris où m’attend mon oncle qui a accepté de m’héberger, le temps pour moi de participer à la deuxième édition du Salon du livre et du dessin de Saint-Brice-sous-Forêt. J’ai déjà droit à un imprévu : mon train est annoncé avec un retard de… Deux heures et demie ! J’avais pris un TGV Ouigo parce que c’était ce qu’il y avait de meilleur marché et j’aurais dû me douter que si ça n’était pas cher, c’est qu’il y avait une bonne raison… Hé, les braves gens ! Quand les employés de la SNCF se sont mis en grève pour protester contre la privatisation et avertir que cette mesure serait une catastrophe, vous vous souvenez comment vous aviez réagi ? Oui, c’est ça : en les traitant de salauds de fainéants de fonctionnaires et en les accusant de vous « prendre en otages » par-dessus le marché… On n’a jamais que la société qu’on mérite, en fin de compte.
Un dessin politique comme je sais en faire :
18h : Me voici enfin à Paris, plus précisément à la gare Montparnasse. J’emprunte un trottoir roulant pour prendre le métro : je marche, mais sans doute pas assez vite car je me fais quand même bousculer, et enguirlander en prime, par un type pressé… Ce n’est pas une surprise, j’y ai droit à chaque fois ! L’amabilité parisienne n’est pas une légende… Il n’empêche que si les touristes venus assister aux jeux de cet été ont reçu eux aussi un accueil de ce genre, je ne suis pas sûr qu’ils reviendront l’année prochaine et il ne faudra pas s’étonner si les retombées financières se réduisent à un feu de paille ! J’imagine sans peine un Parisien rouspéter contre un type en fauteuil roulant qui lui bloquait le passage et le mettait en retard alors qu’il allait assister… Aux jeux paralympiques !
Un croquis en vue d'une BD :
19h : Enfin chez mon oncle à Ménilmontant : qu’il est bon de se sentir attendu à l’issue d’un voyage éprouvant ! Nous conversons et en arrivons à traiter des transports en commun : d’après mon hôte avunculaire, l’intérieur des bus parisiens est aujourd’hui éclairé, à la nuit tombée, par une lumière bleue… Qui y rend la lecture impossible ! Les responsables partent-ils du principe que plus personne n’ouvre un livre et que tout le monde passe sa vie les riveté à son smartphone, mis à part quelques marginaux de mon espèce dont ils se foutent totalement ? Ou alors cela participe-t-il d’une stratégie destinée à transformer tous les usagers en geeks incultes ? À moins que ne soit tout simplement une erreur. Dans le premier cas, c’est grave. Dans le deuxième, c’est encore pire. Dans le troisième, c’est carrément épouvantable !
Une peinture réalisée dans le cadre des cours du soir - avec une question que je me pose à chaque fois que je descends à Paris :
Dimanche 13 octobre
8h30 : Je n’avais encore jamais mis les pieds en banlieue et prendre le transilien était pour moi une totale nouveauté – et donc une source d’angoisse. Ça a mal commencé à la gare du Nord où je ne savais pas comment sélectionner mes billets et où j’ai dû déranger un jeune couple pour lui demander de l’aide. Le trajet en lui-même s’est plutôt bien passé, du moins n’y a-t-il pas eu d’accroc : le train desservait, entre autres, Saint-Denis, comme ça, avant de mourir, je pourrai dire que j’aurai vu « en vrai » le fameux Stade de France associé à tant de souvenirs « glorieux » pour tous les beaufs du pays ! Ça s’est re-gâté quand je suis descendu, aucune rue ne correspondant à ce que j’avais sur mon plan. Et pour cause : j’étais sorti du mauvais côté et j’étais en train d’explorer Sarcelles ! Il aura fallu que je dérange les guichetières de la gare pour savoir de quel côté était Saint-Brice-sous-Forêt… Je ne suis pas beaucoup plus avancé car mon plan est finalement assez vague et je dois compter en grande partie sur mon bon sens et une petite dose de chance pour trouver le chemin du gymnase où doit se tenir le salon. Cette expédition, qui me met aussi à l’aise que si j’étais au fin fond de la jungle, aura au moins eu l’intérêt de m’apprendre que l’expression galvaudée « Terre de contrastes » s’applique à merveille à la couronne périurbaine de notre capitale ! Côté Sarcelles, ce n’est pas le cauchemar à la Rancy-sur-Yvette[1], mais ce n’en est pas moins un beau spécimen de banlieue crado où traînent les jeunes à casquette désœuvrés ; côté Saint-Brice, ce n’est pas Neuilly, mais les immeubles sont à taille humaine, les pelouses sont soignées et certains coins me rappellent Guilers. Ce qu’on appelle « la banlieue parisienne » est tout sauf monolithique et une voie de chemin de fer vaut toutes les lignes de démarcation du monde…
Un exercice réalisé au cours du soir :
9h : Pas possible, j’ai trouvé ! Je suis d’autant plus soulagé que les organisateurs sont plutôt accueillants et bien organisés, on est loin des événements où les gens semblaient étonnés de me voir débarquer et où j’avais presque l’impression de déranger ! Avant même de m’installer, je remarque que la tête d’affiche du salon est un certain Pascal Oubreyrie, ancien membre des… Poppy’s ! Je repense aussitôt à ce dessin de l’ami Lindingre paru en 2009 dans Fluide Glacial : « Marché aux has-been : pour tout achat d’un people d’occasion, un ancien « Poppy’s » vous est offert »[2] ! Ce n’est pas la première fois que la réalité dépasse la caricature que l’on peut en faire, mais là, ça pique un peu les yeux, d’autant que ce cher monsieur a osé donner à son livre le sous-titre que voici : « Ma vie d’enfant star des années 70 » ! Quand je le croise, comme il a tout de même l’air d’un brave type, je n’ose pas lui dire que je trouve qu’il se sucre un peu et je me borne à lui chanter, sur l’air du tube de l’ensemble vocal dont il a fait partie, « Si, si, tout a changé, tout, tout a empiré » !
Votre serviteur à son stand :
17h30 : Le salon a passé comme un coup de fusil. Ça n’aura pas été la journée du siècle pour moi mais j’ai eu un succès honorable pour un salon de petite envergure dans un bled où personne ne me connaissait jusqu’à présent. Pour la clôture, nous avons droit à la présence du député et de la maire de la ville : je peux attester que les élus ne se déplacent pas toujours, surtout un dimanche… Je n’ose pas demander de quel bord est le député, ce n’est pas le moment de rallumer une guerre déjà loin d’être éteinte. La maire, une femme plutôt jeune et jolie, détonne aux côtés d’une association organisatrice composée en grande partie de personnes d’un certain âge ; elle est « sans étiquette », ce qui veut dire tout et son contraire. Je ne boude pas le vin d’honneur et je ne formalise même pas de ne rien avoir gagné au concours de nouvelles – de toute façon, il y avait trop de candidats pour que j’espère faire le trou. J’admoneste les gamins qui font du bruit et soulèvent la moquette et je suis bien content de rencontrer des compatriotes bretons… Il me tarde de rentrer. Une organisatrice me demande si je reviendrai l’an prochain : je réponds qu’il est trop tôt pour le décider… J’ai bon ?
Le discours de clôture de Geneviève, la présidente de l'asso organisatrice :
20h : Revenu chez mon oncle, je lui pose la question qui me brûlait les lèvres depuis trois mois. Sa réponse : non, la vie à Paris pendant les jeux n’a pas été aussi cauchemardesque qu’on le craignait[3]. Il n’y a guère qu’en amont de la cérémonie d’ouverture que la circulation a été plus difficile que de coutume, mais le reste du temps, les seuls à galérer ont été ceux qui allaient assister aux épreuves… Et qui ont eu ce qu’ils méritaient ! Ils tenaient à voir des veaux aux hormones faire des pitreries dans des stades hors de prix, ils ont galéré pour ça, bien fait pour eux !
Lundi 14 octobre : Alexandra Lamy a 53 ans, bon anniversaire !
12h50 : Je reprends le train pour rentrer à Brest. Cette fois, le véhicule part à l’heure : il faut dire que j’ai pris un TGV Inoui… Je ne voudrais pas insister lourdement, mais à la gare, les Ouigo étaient encore annoncés en retard ! L’ouverture à la concurrence, c’est la fin de l’égalité : les gens aisés prennent du bon temps avec des services de qualité, les pauvres galèrent avec des services bâclés et tout va bien madame la Marquise. La droite a permis ça, les socialistes ne l’ont pas empêché, et on s’étonne que les défenseurs de la justice sociale dont je fais partie se tournent désormais vers La France Insoumise… Enfin bref : pour les quatre heures et demie de route qui me séparent de ma bonne vielle ville du Ponant, j’ai un compagnon de choix : Cavanna ! Plus précisément, le recueil de ses chroniques du Charlie Hebdo de la grande époque : elles ont beau être liées aux faits marquants des années 1970, on les croirait écrites aujourd’hui ! Delfeil de Ton déplorait que l’on prenne Cavanna pour un maître à penser et le principal intéressé ne convoitait certainement pas ce statut, mais il n’empêche qu’il avait presque toujours raison ! Relisez ses articles sur l’écologie, sur la création de l’État d’Israël et sur l’école publique en France et essayez de me dire qu’il n’avait pas déjà tout compris au monde dans lequel nous vivons dix ans après sa mort !
Un autre exercice du cours du soir :
17h20 : Arrivé à Brest, je ne commets pas l’erreur de gagner la place de la Liberté et d’affronter le chantier de la deuxième ligne de tramway – même si, quoi qu’on en dise, ces travaux génèrent moins de complications, au moins pour les piétons, que ceux de la première ligne : je n’ai pas en tout cas pas l’impression de retrouver l’ambiance qu’avaient dépeinte à l’époque les Goristes dans leur chanson « Bordel City ». Bref, je préfère longer le jardin Kennedy de manière à rejoindre directement la rue de Siam et, de là, prendre un tramway qui me conduit jusqu’à la place de Strasbourg où je peux attraper le bus qui dessert Bohars en passant dans ma rue. Au final, je ne mets que cinquante minutes, tout compris, pour retrouver mon doux foyer : finalement, les transports publics brestois ne sont pas si mal foutus ! Quand c’est bien, il faut le dire ! De toute façon, s’il est effectivement devenu impossible de lire dans les transports parisiens, je ne suis pas près de m’installer à la capitale…
Encore un exercice du cours du soir :
Mardi 15 octobre
9h30 : En fait, les transports en commun, ce serait vraiment formidable à deux conditions : en un, que les usagers soient plus calmes et plus respectueux des autres… Et, en deux, que les contrôleurs disparaissent ! La journée commence mal : je constate que la seconde condition n’est pas remplie. J’ai un principe : je ne montre jamais mon titre de transport avant que ces charognards ne me l’aient expressément et personnellement demandé, j’estime que je n’ai pas à obéir avant l’ordre. Aujourd’hui, cette stratégie me joue un tour : le temps pour moi de chercher ma carte dans ma sacoche, le contrôleur semble s’impatienter et se met à faire des gestes brusques. Me sentant menacé, je lui dis « ça vient » ! Évidemment, j’avais mal interprété son geste et il se met à me traiter en suspect : je n’ai pas le réflexe de lui monter me carte « Je suis autiste » qui éclaircirait le malentendu… Comble de malchance, fait rarissime, je ne suis même pas en règle : je n’avais pas validé en entrant dans le véhicule ! Et pour cause : il était plein à ras bord, je n’avais même pas pu atteindre la borne ! Est-ce parce que cette explication tient la route, est-ce parce qu’il veut se débarrasser de moi au plus vite, toujours est-il qu’il me laisse me lever pour valider. Mais je penche plutôt pour la seconde hypothèse : je l’entends distinctement dire à une de ses collègues, à mon propos, « il est énervé, il est bizarre »… J’ai l’impression de réentendre ce que mes « camarades » de collège disaient à mon sujet ! Peu après, ces courageux contrôleurs se mettent à quatre pour effrayer une jeune fille : la demoiselle n’a pas validé non plus parce qu’elle avait opté pour le tickets sur smartphone et le système n'est manifestement pas en étant de fonctionnement optimal… Comme elle paye un abonnement, elle considérait qu’elle n’avait pas à remettre la main au portemonnaie pour acheter un billet – et je suis plutôt d’accord avec elle : la gamine a beau protester, ils lui martèlent qu’elle est « responsable de sa validation »… Devant ce spectacle navrant, je ne peux m’empêcher de dire à mon voisin : « Quatre adultes contre une adolescente, le courage à la française » ! Et on voudrait que je respecte les gens qui font ce boulot de merde… Vous voulez aussi que j’applaudisse les huissiers de justice et les liquidateurs ?
Un bisou que j'adresse à la jeune fille qui ne s'est pas laissé emmerder par ces charognards :
14h : J’étais un peu étonné de voir le Doliprane faire la une des journaux. Renseignement pris, c’est parce qu’une entreprise américaine a racheté la filiale de Sanofi qui produit ce médicament et les bons Français semblent s’inquiéter des menaces qui pèsent sur ce (je vous jure que je cite) « symbole d’une certaine indépendance nationale » ! Les bras m’en tombent… J’ai l’impression de relire la presse pourrie que dénonçait Cavanna en son temps ! Quoi ? Le Doliprane, ce petit comprimé bon marché qui soulage à peine, symbole de l’indépendance nationale ? Si j’étais un patriote chatouilleux, je porterais plainte pour insulte à la nation ! Décidément, entre le coq gaulois, le Beaujolais nouveau et Johnny Hallyday, les Français aiment se donner des symboles lamentables ! Et dans un sens, ils peuvent se donner les symboles nationaux qu’ils veulent si ça les amuse, car les symboles nationaux sont par définition des attrape-nigauds ! Alors autant prendre les plus merdiques, comme ça, ça annonce clairement la couleur et ça dissuade les gens un tant soit peu éclairés de tomber dans le panneau ! Que le Doliprane soit français ou américain, rien à foutre ! De toute façon, les médicaments, TOUS les médicaments, sans exception aucune, devraient être étiquetés « patrimoine commun de l’humanité », ils ne devraient donc pas être des marchandises et encore moins des symboles nationaux ! La seule chose qui devrait inquiéter, c’est le sort des travailleurs français qui vont passer sous l’autorité de patrons américains… Mais de toute façon, à l’heure du tout-numérique et de l’intelligence artificielle, on peut s’inquiéter pour eux même avec des patrons français ! De manière générale, on peut s’inquiéter pour tous ceux dont la survie dépend du bon vouloir de capitalistes, quelle que soit la nationalité de ces derniers ! Enfin bref, vous m’avez compris : mettez vos drapeaux au feu, ne voyez pas l’étranger comme un danger parce qu’il est étranger, le seul véritable ennemi est le capitaliste, d’où qu’il vienne ! Ce que j’ai écrit n’est pas original ? Ah oui ? Lisez un peu ce qu’ont pu dire les bons patriotes sur la dimension « nationale » du Doliprane, et dites-moi si c’est nouveau !
Mercredi 16 octobre : les studios Disney ont 101 ans
Ce dessin est paru l'an dernier, dans un autre format, en quatrième de couverture de la revue L’éponge.
10h30 : Présentation, au Centre de Recherche Bretonne et Celtique, de l’exposition consacrée au fonds d’archives phonographiques de ce laboratoire : l’université de Brest est la seule en France, à part celle de Grenoble, à disposer d’enregistrements sur cylindres de cire ! C’est d’autant moins anodin qu’il se trouve que si la phonographie s’est imposée au début du XXe siècle, le dépôt légal des enregistrements sonores n’est entré en vigueur… Qu’après la seconde guerre mondiale ! Tous les supports antérieurs à 1945, on n’a donc pu les retrouver que chez des particuliers, conservés dans des conditions qui n’étaient pas toujours adaptées : les cylindres phonographiques sont donc des supports rares et précieux, d’autant que ce sont les seuls sur lesquels certaines chansons bretonnes ont pu être enregistrées… Le tout avec l’inconvénient majeur qu’ils nous arrivent souvent en mauvais état, bien sûr ! Ah, ça, le travail de chercheur n’est pas facilité, dans ce monde où les gens ne respectent même pas leurs propres affaires ! Soyez plus soigneux de vos possessions, vous rendrez service aux chercheurs des temps futurs !
Quelques photos prises au cours de cette présentation :
21h : Mbappé maintenant ! Il ne se passe pas une semaine sans qu’une célébrité française soit accusée de viol : il est grand temps d’en finir avec le mythe du french lover qui a conforté tant de garçons de chez nous dans l’idée leur nationalité leur ouvrait forcément les portes de l’intimité de toutes les femme ; de façon générale, il faut arrêter de croire que tout ce qui est français est forcément meilleur que tout ce qui se fait dans le monde… Mais cette semaine, le Courrier International consacre le gros de ses pages à l’Ozempic ; je me bornerai à dire ceci : depuis l’affaire du Mediator, on devrait s’avoir qu’il est risqué de traiter l’obésité avec un médicament qui n’est pas prioritairement destiné à cet usage ! N’est-ce pas, docteur Frachon ?
Puisqu'on parle de médocs (et d'esprit français), encore une pointe sur le Doliprane (une pensée au passage pour les regrettés Alexis, Lob et Gotlib) :
Jeudi 17 octobre
18h : J’avais entendu parler de Jean-René Poulmac’h, l’historien du Relecq-Kerhuon, grâce à Bernard Gueguen, mais je ne l’avais encore jamais vu en vrai. C’est maintenant chose faire : ce vieux monsieur rigolard est venu à la fac Segalen pour faire une conférence sur les mariages en Basse-Bretagne au début du XXe siècle, l’occasion de faire le point sur les traditions plus ou moins connes (comme à peu près toutes les coutumes, il est vrai) qui avaient cours dans notre belle région à cette époque pas si reculée. La plus idiote à mon sens, était celle qui voulait que les jeunes mariés soient contraints d’attendre au moins une journée avant de pouvoir, comme on dit, « consommer leur union » ! Comme si les gens avaient pu croire sérieusement que deux êtres jeunes et en pleine forme (et, dans certains cas, amoureux) allaient attendre de s’être passés la bague au doigt pour jouer au docteur… Par-dessus le marché, ils devaient entrer dans le lit clos devant un témoin qui leur servait une soupe au lait dégueulasse : on dit que le chercheur n’est pas censé juger, mais je ne reprocherai pas à l’orateur la franche hilarité dont il fait montre en présentant ces superstitions grotesques… De surcroît, dans notre coin du Finistère, il y a peu de photos de mariage… Car les curés tenaient à ce que les noces restent des moments solennels et voulaient dissuader les gens d’en profiter pour faire la fête ! J’ai assisté à peu de mariages depuis ma majorité car la pratique n’a plus tellement cours au sein de ma génération où les couples sont souvent réticents à s’engager pour la vie : en fait, je n’en retiens que deux, chacun unissant une amie chère à l’homme de sa vie, et j’aurais eu de la peine si les noces de ces adorables jeunes femmes avaient dû se dérouler dans la gravité à cause du diktat d’affreux corbeaux qui n’avaient même pas besoin d’une moto pour semer la terreur dans toute la région ! Il est définitivement vain d’idéaliser le passé ! Notre époque n’a pas que des bons côtés, loin s’en faut, mais pour rien au monde je ne voudrais revivre les temps obscurantistes qu’ont vécus nos arrière-grands-parents !
20h : Concert de la Souris Noire inspiré de la vie et de l’œuvre de Victor Segalen : le groupe avait monté ce spectacle pour le centenaire de la mort du poète voyageur et le rejoue ce soir à l’occasion des trente ans de la faculté qui porte son nom. Il n’y a guère plus d’une vingtaine de personnes dans la salle : c’est dommage car la chanteuse est vraiment admirable et j’adore l’expression sévère du comédien qui lit des extraits de Segalen entre chaque chanson ; tant pis, les absents ont toujours tort. Je craque pour la chanson qui revient sur le mythe de la tour de Babel et souligne à quel point la diversité des langues est une bénédiction, n’en déplaise à ceux qui l’ont présentée comme une punition divine… Si Dieu a vraiment cru punir les hommes en multipliant les dialectes, alors Dieu est un con ça expliquerait bien des choses concernant ses représentants sur Terre ! Sur la Terre comme au Ciel, la foi est le fait des sans cervelle… Et Victor Segalen lui-même, qui avait finir par renier l’éducation catholique qu’il avait reçue, ne s’y était pas trompé. À bas toutes les religions et vivent les artistes !
La Souris Noire sur scène :
Quelques croquis exécutés au cours du spectacle :
Vendredi 18 octobre
18h15 : Sur la route de la piscine, dans un bus presque vide, deux types, qui ont l’air tout droit sortis d’une caricature sur les « jeunes de banlieue », se sont installés juste à côté de moi et se mettent à parler très fort. Je sors ma carte « Je suis autiste » en leur demandant de baisser d’un ton… Et ils obtempèrent, l’air confus. Cette carte est vraiment efficace, même auprès des individus de ce type, c’est bon à savoir ! Il n’empêche que je suis obligé de la sortir au moins une fois par jour pour que la vie me soit supportable : les difficultés liées à l’autisme ne sont pas une vue de l’esprit.
Un animal imaginaire qui me ressemble : le papibouphoque, créature à la fois aquatique, nocturne et volante - plus précisément, une combinaison d'animaux auxquels certaines de mes copines m'ont comparé :
20h30 : Après avoir lu les chroniques de Cavanna, j’ai entamé la lecture d’un autre grand moustachu : Bruno Léandri, qui a eu la bonne idée de raconter ses souvenirs professionnels dans Nous nous sommes tant marrés. J’en suis au moment où il quitte Hara-Kiri pour s’imposer comme un pilier de Fluide Glacial et je suis saisi par la comparaison qu’il établit entre les gestionnaires historiques respectifs de ces deux journaux – à quoi bon essayer de le résumer, le paragraphe de Léandri est inégalable, je préfère le citer in extenso :
« L’un, Choron, grand et maigre, l’autre, Diament, petit et râblé, l’un fou, l’autre raisonnable, l’un tempétueux, l’autre tempéré, l’un alcoolique, l’autre sobre, l’un coupablement munificent, l’autre pathologiquement radin, l’un fonceur, l’autre calculateur, l’un ordurier, l’autre très poli, l’un imprévisible, l’autre routinier, l’un provocateur escroc incandescent, l’autre laborieux scrupuleux précautionneux, l’un multicolore, l’autre pastel uni, l’un cigale, l’autre fourmi, l’un foutraque, l’autre pugnace. L’un et l’autre, c’était la matière et l’antimatière, la polarité positive et négative, l’unique fois où ils se rencontreront, le parquet grincera sous le poids de leur mépris réciproque. »[4]
Précisons tout de même (Léandri le dit lui-même et tous les témoignages vont dans ce sens) qu’avec Georges Bernier « le prodigue », les auteurs n’étaient jamais sûrs d’être payés, tandis qu’avec Jacques Diament « l’avare », la rémunération était une certitude acquise. La comparaison entre les deux hommes et leur image auprès de leurs collaborateurs en dit d’ailleurs long sur l’ingratitude humaine : Choron a floué à peu près tout le monde (à commencer, il est vrai, par lui-même), il a coulé sa boîte, et il a quand même trouvé des gens de talent pour le défendre ; Diament a géré sainement son affaire, il a fait de Fluide une affaire rentable, et il est quand même devenu l’homme le plus détesté du journal ! On ne peut même pas l’accuser de compromission excessive avec le capitalisme puisqu’à l’aube de ses cinquante ans, le mensuel fonctionne encore sans publicité ! Dans tous les milieux, même les plus « anti-cons », c’est la même histoire : les gens aiment et redemandent qu’on les encule avec le sourire, ils préfèrent le rigolo de service au premier de la classe, ils préfèrent Peppone à Don Camillo, Tapie à Rocard, Chirac à Jospin, Hollande à Aubry… J’arrête là, je vais chialer.
Post-scriptum : On m’objectera que Hara-Kiri n’aurait pas pu exister sans Choron, c’est d’ailleurs une thèse défendue par Cavanna lui-même. Je réponds : précisons que le journal « bête et méchant » ne pouvait voir le jour qu’avec un homme assez fou pour y croire et assez énergique et culotté pour se lancer dans cette affaire, mais rien ne dit que Cavanna n’aurait jamais trouvé un homme ayant ces qualités sans avoir les défauts plus que rédhibitoires de Choron… Je sais qu’on ne refait pas l’histoire, mais il ne faut pas non plus croire qu’elle était écrite d’avance. Bon, on va boire un coup ?
Un dessin d'œil en gros plan - ça n'a rien à avoir avec ce que je viens d'écrire, si ce n'est que j'ai pris pour modèle une couverture de Hara-Kiri. Pour l'anecdote, il s'agissait de celle où une femme s'apprête à manger un sandwich avec un rat dedans, d'où l'expression légèrement inquiète (mettez-vous à sa place !) du regard...
C'est tout pour cette semaine, à la prochaine !
[1] Banlieue fictive où Antoine De Caunes et Laurent Chalumeau ont situé les exploits de Didier L’embrouille.
[2] Fluide Glacial série or n°48, Tous people !, septembre 2009, p. 99.
[3] Bon, d’accord… Disons : pas plus que d’habitude !
[4] Bruno LÉANDRI, Nous nous sommes tant marrés, mes années Hara-Kiri et Fluide Glacial, Audie, Paris, 2015, pp. 158-159.