Du 9 au 14 mars : lectures, cimetière, féminisme et crises de nerfs

 

Commençons par un peu de promotion pour un événement auquel je vous donne rendez-vous pour demain :

 

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Samedi 9 mars

 

10h : Je retourne à l’Auberge de jeunesse, porteur de quatre dessins… Pour remplacer ceux qui ont été dérobés. La perte de certaines de mes œuvres, en tant que telle, je m’en fiche presque : j’ai chez moi tellement d’originaux que si j’arrivais à les revendre tous pour un euro pièce, je pourrais presque arrêter de travailler pendant au moins un an. Non, ce que je ne digère pas, c’est que ça a gâché mon vernissage : j’ai été averti trop tard pour pouvoir remplacer les dessins manquants avant l’arrivée des invités et, surtout, BEAUCOUP trop tard pour que je puisse faire bonne figure devant ces derniers. Bref, j’étais venu comme à Austerlitz, j’en suis reparti comme à Waterloo… Non, même pas : comme à Sedan[1] ! Et ça, c’est irrattrapable ! Je me sens comme une jeune femme amoureuse qui aurait été larguée le jour de son mariage…

 

 

13h : Fraîchement rentré, je termine la lecture de l’anthologie des nécrologies de Cavanna, intitulée sobrement Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves d’après le titre que le grand homme avait lui-même donné, avec sa délicatesse coutumière, à son article sur la mort de son fils spirituel, Reiser. Le fondateur de Charlie Hebdo n’était pas (et ne pouvait pas être) un journaliste comme les autres : il ne se privait pas dire franchement ce qu’il pensait d’un défunt, même et surtout s’il le détestait ! L’ouvrage est d’ailleurs instructif à plus d’un titre : j’avoue que j’ignorais, avant de lire l’article qui lui a été consacré, qui était Abel Gance ! Et je ne suis pas certain que mon cas soit isolé, tant le cinéma de ce réalisateur paraît dépassé aujourd’hui, aussi bien sur le fond que dans la forme. Le fait que Cavanna, qui fut, avec Albert Camus, l’un des rares très grands esprits dont le destin fit don à la France du XXe siècle, jugeât néanmoins opportun de consacrer son temps et son talent à traiter d’individus qui ont finalement sombré dans un oubli relatif (voire total) est tout de même révélateur de la longévité des notoriétés et devrait faire réfléchir ceux qui, encore aujourd’hui, font des pieds et des mains pour laisser un nom dans l’histoire ! Sic transit gloria mundi, ainsi passe la gloire du monde, dit-on, paraît-il, à tout Pape fraîchement intronisé pour qu’il se rappelle que le succès rencontré ici-bas est voué à être éphémère : c’est bien une des rares fois où les curés ne disent pas de conneries ! J’avoue que j’ignorais aussi que Cavanna avait eu une petite-fille morte d’une overdose d’héroïne : l’occasion a dû être trop belle pour la presse pourrie ! De fait, Virginie Vernay me confirmera peu après que ce salaud de Pauwels ne s’est pas privé d’en rajouter dans les colonnes du Figaro… Elle me dira aussi que Cavanna avait justement saisi l’occasion pour dénoncer les méfaits de la drogue : c’était courageux de sa part, car ce genre de discours ne risquait pas d’être populaire auprès d’une certaine frange du public de Charlie Hebdo ! Je me souviens des reproches que Renaud avait encaissés après avoir sorti « La blanche » et « P’tite conne »… De façon générale, il me semble que la drogue est un sujet embarrassant pour les milieux libertaires : on ne veut pas adopter la même attitude que le pouvoir que l’on prétend contester, mais comment nier la dangerosité des drogues dures ? J’ai moi-même pu constater cet embarras quand j’ai participé à une scène ouverte organisée dans la défunte salle de l’Avenir, dont les responsables rechignaient à expulser un type sous l’emprise de la cocaïne alors qu’il perturbait l’événement et m’empêchaient de déclamer… Enfin bref : je ne peux que recommander la lecture de ce livre qui permet de réviser l’histoire du XXe siècle avec humour tout en donnant un bel aperçu de la pensée de Cavanna, toujours tranchée mais jamais bornée – il suffit de lire les nécrologies de De Gaulle et de Mitterrand pour s’en rendre compte.

 

Dimanche 10 mars : Sharon Stone a 66 ans

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15h : Visite guidée du cimetière de Kerfautras. Une telle visite s’accorde bien à mon état d’esprit actuel ! J’ignorais qu’on y trouvait le plus grand carré militaire installé dans un cimetière civil en France : ce n’est pas la première fois que j’entends parler d’un record détenu par la ville de Brest et dont on ne parle cependant jamais ! Je ne dis pas qu’il faudrait en être fier, mais ça constitue au moins une curiosité qui prouve que ma ville bien-aimée est encore plus étrange qu’on ne le croit…

 

16h : Quand on parle de cimetière militaire, on pense spontanément à des croix blanches toutes identiques, alignées avec une régularité exemplaire, rien que du propre, du carré et du rationnel. C’est loin d’être le cas à Kerfautras pour deux raisons : premièrement, ce n’est qu’en 1986 qu’il a décidé de rapatrier toutes les dépouilles militaires dans le carré qui leur est destiné et il subsiste encore quelques soldats enterrés parmi les civils dans leurs caveaux de famille. Deuxièmement, le port de Brest étant un véritable carrefour du monde, surtout en période de guerre, les nationalités les plus diverses coexistent dans le carré militaire : non seulement des Français de métropole mais aussi des soldats originaires des colonies dont beaucoup sont signalés par des stèles musulmanes (je n’ai pas osé demander s’il arrivait que certaines de ces tombes soient profanées…), ainsi que des militaires du Commonwealth, des Russes, des Portugais, des Japonais et même des Allemands et un Américain ! Pourquoi un seul Américain ? Parce que tous les soldats américains morts à Brest de la grippe espagnole ont fini par être rapatriés aux États-Unis, sauf celui-ci qui était quaker, et le déplacement de sa dépouille était contraire aux règles de sa communauté ! Au moins la connerie des religieux aura-t-elle permis à Brest de bénéficier d’une curiosité…

 

16h15 : C’est décidément le bordel, dans ce carré militaire : je remarque que sur l’une des tombes musulmanes, il est indiqué que le soldat est mort… En 1967 ! Cinq ans après la guerre d’Algérie ! Quand je le signale à la guide, elle me répond qu’elle n’a pas d’explication et qu’il peut s’agir d’une erreur ! Une rombière me dit « Heureusement que tout n’est pas parfait, sinon ce serait ennuyeux ! » Agacé par ce lieu commun, je lui réponds : « Vous n’en savez rien puisque vous n’avez jamais pu voir de monde parfait ». Elle le prend assez mal, preuve s’il en est que les braves gens n’aiment pas que l’on bouscule leurs idées reçues ! Je le déplore…

 

Quelques photos prises dans le cimetière :

 

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Lundi 11 mars

 

17h30 : Je récapitule : j’ai des boutons sur la gueule, ma note de téléphone est en train d’exploser, tout ce que j’entreprends pour promouvoir mon travail foire lamentablement, je suis en train de perdre tous mes amis et il me faut encore déposer plainte à la police pour le larcin dont j’ai récemment été victime. Il y a sûrement des gens plus malheureux que moi sur Terre, mais je suis sur le point de craquer…

 

Mardi 12 mars

 

13h30 : Pause dans un café avec une femme qui, telle Lola Dewaere dans Astrid et Raphaëlle, s’improvise mon « dé à coudre » dans l’épreuve que je traverse. Dans un accès d’accablement, je ne peux m’empêcher de pousser un cri : la patronne me prie de ne pas recommencer, par égard pour son jeune serveur… Qui est autiste ! Il ne m’en faut pas davantage pour que je présente mes excuses à ce garçon. J’imagine qu’il a dû en baver dans son enfance, d’autant qu’il est… Roux. Ça, au moins, j’y ai échappé ! La rousseur peut être un atout pour une femme, mais ça reste un handicap social pour un homme : après tout, il faut bien qu’il y ait au moins un domaine pour lequel les femmes sont favorisées…

 

15h : Je termine la lecture du livre de Jacques Diament dans lequel il témoigne sur ses vingt années passées à la tête de Fluide Glacial. Au cas où vous ne le sauriez pas, Jacques Diament avait été pour Fluide ce qu’André Rousselet avait été pour Canal+, c’est-à-dire un homme à la fois assez fou pour s’investir dans le projet et assez sérieux pour lui permettre de se développer et de subsister dans un monde où tout est prévu pour éliminer ce qui ressemble de près ou de loin à de la fantaisie. Il a su prendre, au moment où il le fallait, des décisions impopulaires qui ont fait de lui l’homme le plus détesté du journal, mais c’est à ce prix que Fluide Glacial a pu se doter, dès ses toutes premières années d’existence, d’un mode de fonctionnement grâce auquel il continue à paraître encore aujourd’hui tout en restant à peu près fidèle à l’esprit de ses origines alors que la plupart des magazines de BD fondés à l’époque se sont cassé la gueule… Je ne peux donc que recommander la lecture de son livre bourré d’anecdotes savoureuses : et puis il écrit bien, cet emmerdeur de génie !

 

Mercredi 13 mars

 

9h15 : Au moment de déposer mes œuvres à l’exposition Pluie de Toiles qui se tiendra dans le hall d’honneur de la mairie, je risque un œil sur le journal : apparemment, l’Assemblée a massivement approuvé le soutien de la France à l’Ukraine… Sans le RN et LFI. Rien d’étonnant : cette question est embarrassante pour la Le Pen et pour Mélenchon qui ont tous deux soutenu Poutine avant qu’il ne franchisse le rubicond ! Avec une opposition pareille, je pense que Macron peut dormir tranquille ! Et ça ne me fait pas plaisir…

 

10h : Descendant du tram, je remarque une affiche incitant à s’engager dans la Marine : elle présente la photo d’un scaphandrier accompagnée de l’accroche « Si vous préférez vous plonger dans des dossiers, c’est votre affaire » (je cite de mémoire). Visiblement, l’armée a compris que les jeunes aspirent à ne pas avoir la même vie de merde que leurs parents et leur fait miroiter la perspective d’une vie professionnelle épanouissante. Seulement voilà : ayant un ami dans la marine, je peux attester que les besoins de cette institution ne se limitent pas à ces tâches exaltantes ! Si vous vous rendez au bureau de recrutement, la probabilité pour que vous vous retrouviez derrière un bureau à vous occuper de la paperasse reste élevé ! On dit que l’armée est une grande famille : je peux témoigner que c’est aussi et surtout une administration avec tout ce que ça comporte… Enfin, je vous aurai prévenus ! Je ne vais pas en rajouter, on va encore m’accuser d’antimilitarisme et je n’aurai pas d’arguments pour réfuter…

 

Jeudi 14 mars

 

18h : Je me décide enfin à visionner la mini-série Cherchez la femme sur la chaîne YouTube des programmes courts d’Arte : elle est consacrée aux femmes oubliées de l’histoire, celles que les hommes ont tenté (non sans succès) d’invisibiliser. On aurait pu se passer de parler de Lilith qui n’est qu’une légende, mais bon, ça n’enlève rien à l’intérêt de cette série ni à la pertinence de son propos : saviez-vous qu’un tiers des samouraïs étaient des femmes, qu’il est attesté qu’il y a eu des guerrières chez les vikings et que le Monopoly est un plagiat d’un jeu inventé par une certaine Elizabeth Magie ? Non ? Et bien je ne peux pas vous jeter la pierre : j’avoue à ma grande honte qu’à part la pharaonne Hatchepsout, Christine de Pizan, Alice Guy et madame Einstein, j’ignorais tout de la plupart de ces femmes qui ont pourtant joué un rôle capital dans l’histoire humaine ! Comme quoi l’invisibilisation des femmes est efficace et semble même être systématique dans le domaine où on l’attendrait le moins : les sciences ! En fait, ça s’explique facilement : le monde scientifique est tellement mystifié que le public laisse travailler les chercheurs dans la plus grande sérénité, sans même imaginer que cette opacité permet aux savants, qui ne sont jamais que des hommes, de laisser libres cours à toutes leurs mesquineries ! Car oui, être un brillant scientifique ne met pas à l’abri d’être un gros macho qui s’approprie sans vergogne la découverte d’une femme sans même la citer… Ne vous laissez plus faire, les filles ! Visez les couilles, ça leur fait plus mal que le cerveau !    



[1] Lieu de la débâcle française de 1870 qui coûta son trône à Napoléon III. Oui, le neveu de l’autre, celui que Victor Hugo a surnommé « le petit », Badinguet, quoi !



15/03/2024
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